La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 2

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CHAPITRE II.


Les découvertes géologiques sont d’accord avec les livres sacrés.


On peut s’étonner à juste titre que quelques hommes pleins de savoir et sincèrement religieux ne voient que d’un œil soupçonneux et jaloux les progrès que fait chaque jour l’étude des phénomènes de la nature, lorsqu’on sait quelles preuves nombreuses cette étude nous fournit des attributs les plus élevés de la divinité, et que les conclusions qui leur sont offertes par les géologues, comme le résultat de leurs laborieuses et patientes investigations, ne soient reçues qu’avec les sentimens d’une méfiance injurieuse ou d’une incrédulité absolue. Ces doutes et cette répulsion sont les conséquences des révélations que nous a faites la géologie touchant les longues périodes qui ont précédé l’établissement de l’homme sur cette terre. Et l’on conçoit qu’un esprit qui, de longue date, s’était fait une habitude d’assigner, aussi bien à l’univers qu’à l’espèce humaine, six mille ans d’existence ou environ, ne reçoive pas sans résistance des informations nouvelles dont chacune, si elle est vraie ; exige un remaniement de la cosmogonie à laquelle il s’était arrêté. Sous ce point de vue, la géologie partage le sort qu’ont éprouvé toutes les sciences à leur naissance, d’être repoussée pendant un temps comme hostile à la religion révélée ; comme elles aussi, bien comprise, elle lui deviendra un auxiliaire puissant, en exaltant nos convictions sur la grandeur, la sagesse et la bonté du créateur[1].

Il n’est pas un homme doué de sa raison qui ne rapporte à Dieu, comme à leur origine première, l’ensemble tout entier des phénomènes naturels ; et, si l’on croit en la Bible comme à la parole même de ce Dieu, craindre de voir se contredire un jour ce que nous pouvons arriver à connaître de ses œuvres, et ce qu’il lui a plu de nous en révéler, n’est-ce pas commettre une inconséquence manifeste ? Mais les premiers pas d’une science sont toujours timides et embarrassés ; l’esprit humain s’en effraie et s’arme de circonspection et de doute toutes les fois qu’une conclusion nouvelle demande à prendre place dans le domaine de ses connaissances. S’il y eut des hommes à préjugés qui persécutèrent Galilée, c’est qu’ils crurent la religion menacée par les progrès d’une science sur laquelle s’appuyèrent plus tard les Képler et les Newton pour démontrer les plus glorieux et les plus sublimes attributs du Créateur[2]. Herschell a déclaré que « la géologie, par la grandeur et la sublimité des objets dont elle s’occupe, prend son rang dans l’échelle des sciences à côté de l’astronomie ; » et l’histoire de la structure de notre planète, dès qu’elle sera bien comprise, conduira l’humanité aux mêmes grands résultats moraux qu’elle a déjà obtenus de l’étude des mécanismes célestes. La géologie a déjà établi sur des preuves physiques que la surface du globe n’a pas existé de toute éternité dans les conditions qu’elle présente de nos jours, mais qu’elle y est arrivée par une série de créations distinctes qui se sont succédé durant des périodes consécutives d’une étendue considérable, mais parfaitement limitées entre elles ; que toutes les combinaisons actuelles de la matière avaient été précédées d’autres combinaisons, et que ses derniers atomes, dans toutes les transformations qu’ils ont subies, ont été régis par des lois tout aussi invariables et tout aussi régulières que celles qui tracent aux planètes leur route dans l’espace. Et combien tous ces résultats sont en harmonie avec nos sentimens les plus élevés, avec la conviction où nous sommes de la grandeur et de la bonté du créateur de cet univers ! Si donc des sources de certitude aussi importantes pour la théologie naturelle n’ont été admises qu’avec répugnance par des hommes animés d’un zèle sincère pour les intérêts de la religion, c’est que faute d’avoir pénétré assez avant dans les sciences physiques, et de les avoir sainement appréciées, ils avaient craint des contradictions entre les phénomènes naturels et l’histoire de la création telle que la Genèse nous la raconte.

En outre, de ce que les géologues n’ont pu jusqu’à présent s’entendre assez pour établir une théorie de la terre complète et incontestable ; et de ce que de vieilles opinions qui ne s’appuyaient que sur des matériaux sans valeur ont disparu devant des découvertes plus étendues, on a conclu qu’il n’y a rien de certain dans tout ce que l’on dit à ce sujet, et que toutes les déductions sur lesquelles cette science est fondée n’ont rien que d’indigeste et de purement conjectural : c’est s’armer contre la géologie d’un raisonnement faux et injuste. Tout homme de bonne foi conviendra que le temps n’est pas encore venu où une théorie de la terre parfaite puisse être établie d’une manière complète et définitive, parce que nous n’avons pas encore par devers nous tout l’ensemble de faits sur lequel elle doit un jour être basée : mais en attendant, nous possédons déjà beaucoup de ces faits bien démontrés ; à leur suite, nous pouvons dès maintenant atteindre à des conclusions d’une importance et d’une certitude incontestables, et la somme de ces conclusions, à mesure qu’elle s’accroît, fournit à cette théorie qui un jour sera l’une des richesses de l’esprit humain un point d’appui de plus en plus ferme. Chaque jour nous la perfectionnons davantage ; déjà il nous est donné de construire le premier, le second, le troisième étage de notre édifice avec toute la solidité désirable, quoique un temps bien long doive encore s’écouler avant que le couronnement puisse y être posé. Ainsi donc, tout en admettant qu’il nous reste beaucoup à apprendre, nous affirmons avoir déjà beaucoup et de solides connaissances, et nous protestons contre ceux qui demanderaient la destruction de ce qu’il y a déjà de construit, sous le prétexte qu’il y a encore beaucoup à construire.

Durant la période d’enfance de la géologie, alors qu’aucune des sciences qui seules peuvent lui fournir une base assurée n’était arrivée à maturité, la prudence voulait que l’on remît à une autre époque le parallèle entre le récit de Moïse et la structure actuelle du globe, structure alors presque entièrement inconnue ; mais notre position a tout-à-fait changé depuis cinquante ans ; un mouvement immense s’est opéré dans nos connaissances, et leurs limites ont été portées si loin que, à cette heure, le sujet dont il s’agit réclame impérieusement sa place dans notre discussion.

Or, un premier fait important, c’est que tous les observateurs, quelles que soient d’ailleurs leurs opinions sur les causes secondaires qui ont agi dans la production des phénomènes géologiques, s’accordent en ce point qu’ils n’ont pu s’accomplir que dans une durée composée d’une suite de périodes immenses en étendue. Ce n’est donc pas sortir de notre sujet que d’examiner dès maintenant jusqu’à quel degré l’histoire de la création, telle qu’elle est contenue dans le narré concis que nous en a fait Moïse, se trouve d’accord avec l’ensemble des phénomènes naturels dont nous ferons quelques pages plus loin l’objet de notre étude. Car il importe qu’il ne nous reste plus aucun doute à cet égard, lorsque nous entrerons dans ces recherches ayant pour but la reconstruction d’une série d’évènemens dont la majeure partie a précédé la création de l’espèce humaine. Or, je crois pouvoir démontrer non seulement qu’il n’y a pas incompatibilité entre les déductions auxquelles nous serons conduits et le récit de Moïse, mais que les études géologiques auront pour résultat de jeter d’importantes lumières sur plus d’un point de ce récit demeuré jusqu’alors obscur. Comme nous serons conduits peut-être à proposer quelques idées peu d’accord avec les interprétations les plus généralement reçues jusqu’ici et les plus popularisées, je déclare qu’on peut les admettre sans craindre que nous allions jamais jusqu’à porter atteinte à l’authenticité du texte lui-même, ou au respect que nous devons à l’autorité d’hommes qui, par cela même qu’ils nous ont précédés, n’ont point compris comme nous les passages en question, privés qu’ils étaient du secours de ces mêmes faits, qui sont venus les éclairer à nos yeux d’une lumière toute nouvelle ; et si à quelques égards la géologie semble demander que l’on sacrifie quelque chose de l’interprétation littérale du texte aux exigences des déductions scientifiques, elle nous en dédommagera largement par les nouveaux appuis qu’elle fournira à la religion naturelle sur divers points que la révélation n’avait pas eu pour but de nous enseigner.

L’erreur de ceux qui veulent trouver dans la Bible une histoire complète et détaillée des phénomènes géologiques, c’est d’exiger trop ; les opérations créatrices dont ils lui demandent gratuitement compte s’élèvent à des époques et à des localités n’offrant plus aucun rapport direct avec l’espèce humaine. Il ne serait pas plus déraisonnable d’accuser le récit mosaïque d’imperfection, parce qu’il n’y est point fait mention des satellites de Jupiter ou de l’anneau de Saturne, que de s’en prendre à lui du désappointement auquel on s’expose lorsqu’on y va chercher un ensemble de connaissances géologiques qui peuvent entrer dans une encyclopédie des sciences, et nullement dans un volume, dont l’unique but est de fixer nos convictions religieuses, et de nous donner des règles de conduite. La révélation devait-elle être une communication de l’omniscience tout entière ? et, si elle devait s’arrêter quelque part, à quel point des sciences physiques plutôt qu’à tout autre, pour qu’elle fût à l’abri des mêmes reproches d’imperfection et d’oubli dont on s’obstine à poursuivre les récits de Moïse ? Une révélation qui eût dit de l’astronomie tout ce qu’en savait Copernic fût restée au-dessous des découvertes de Newton, et Laplace l’eût trouvée fort défectueuse s’il n’y eût rencontré de science que ce qu’en possédait Newton lui-même. Une révélation de toutes les connaissances chimiques du dix-huitième siècle eût été bien pauvre en présence de celles d’aujourd’hui, et ces dernières sans nul doute éprouveront le même sort lorsqu’on les comparera à celles de l’âge qui doit succéder au nôtre ; et, dans toute la sphère des connaissances humaines, il n’en est pas une à laquelle ce raisonnement ne puisse s’appliquer, jusqu’à ce que l’homme ait obtenu la révélation complète de tout ce qu’il y a de mystérieux dans les mécanismes des mondes matériels et dans les forces qui les mettent en mouvement. Une telle mise en possession de l’intelligence de Dieu lui-même dans ses œuvres et dans toutes ses voies conviendrait peut-être à des êtres d’un ordre supérieur ; peut-être aussi entre-t-elle comme élément dans le bonheur auquel nous sommes réservés par-delà cette vie. Mais elle dépasse les forces de la race humaine placée dans les conditions physiques et morales où nous la voyons ; elle serait en contradiction manifeste avec les vues que la divinité s’est proposées toutes les fois qu’elle s’est communiquée par des révélations. Ces sortes de manifestations ont eu pour but de donner à l’homme des lumières morales, et non des connaissances scientifiques.

Diverses hypothèses ont été proposées dans le but de faire concorder les phénomènes géologiques avec la narration concise que Moïse nous a faite de la création. C’est ainsi que plusieurs ont voulu expliquer par le déluge de la Genèse la formation des couches stratifiées, opinion incompatible avec l’épaisseur énorme et les subdivisions en nombre immense que présentent ces couches, avec la variété infinie et la constante régularité suivant laquelle s’y succèdent les restes d’animaux et de végétaux, dont les différences avec les espèces actuelles sont en raison directe de leur antiquité et des profondeurs où elles se trouvent. Ce fait que la plus grande partie de ces restes appartiennent à des genres éteints, et presque tous à des espèces perdues, lesquels ont vécu, se sont reproduits et ont péri sur le lieu même où on les trouve, ou à une distance très-rapprochée, prouve que toutes ces couches ont été successivement et lentement déposées, durant des périodes d’une longue durée et à de grands intervalles. De ces végétaux et de ces animaux il est impossible qu’aucun ait fait partie de la création à laquelle nous appartenons immédiatement.

Suivant d’autres, ces couches auraient été formées au fond des eaux dans l’intervalle qui s’est écoulé entre la création de l’homme et le déluge des livres sacrés ; et, à cette dernière époque, les portions primitivement élevées au-dessus du niveau des mers, et qui formaient les continens antédiluviens, se seraient engouffrées sous les eaux, tandis que l’ancien lit des océans se serait soulevé pour former à son tour des montagnes et des continens. Mais cette hypothèse tombe irrésistiblement devant les faits que nous devons exposer dans la suite de cet ouvrage.

Une troisième opinion a été émise en même temps par de savans théologiens et par des hommes versés dans les études géologiques, et sans qu’ils y aient été conduits par les mêmes considérations : elle consiste à dire que les jours dont il est question dans le récit genésiaque ne sont point des intervalles égaux à ceux que le globe emploie pour opérer une rotation sur lui-même, mais bien des périodes se succédant entre elles, et chacune d’une grande étendue ; et l’on a été jusqu’à affirmer que l’ordre suivant lequel se succèdent les débris qui nous sont restés d’un monde antérieur au nôtre était en tout d’accord avec l’ordre de création raconté dans la Genèse. Cette assertion, malgré son exactitude apparente, ne s’accorde pas encore dans son entier avec les faits géologiques. Car il est prouvé que les plus anciens animaux marins se rencontrent dans ces mêmes divisions des couches de transition les plus inférieures où l’on rencontre les premiers restes végétaux, d’où cette conclusion irrésistible que ces animaux et ces végétaux d’espèces maintenant éteintes sont d’origine contemporaine ; et si quelque part la création des végétaux a précédé celle des animaux les plus anciens, c’est un fait dont jusqu’ici les recherches géologiques n’ont pu rencontrer aucune trace. Cependant il n’y a encore là, dans mon opinion, aucune objection solide que la théologie ou la critique puissent faire contre l’emploi du mot jour dans le sens d’une longue période ; mais l’on demeurera convaincu de l’inutilité d’une telle extension dans le but de réconcilier la Genèse avec les faits naturels, si je parviens à démontrer que toute la durée dans laquelle se sont manifestés les phénomènes géologiques[3] est en entier comprise dans l’intervalle indéfini dont l’existence nous est annoncée par le premier verset.

Dans ma leçon inaugurale publiée à Oxford en 1820, page 31-32, j’ai formulé mon opinion en faveur de cette hypothèse que — « le mot commencement a été appliqué par Moïse dans le premier verset de la Genèse à un espace de temps d’une durée indéfinie et antérieure à la dernière grande révolution qui a changé la face de notre globe, ainsi qu’à la création des espèces animales et végétales qui en sont maintenant les habitans. Durant ce temps, de longues séries de révolutions diverses ont pu s’exécuter, lesquelles ont été passées sous silence par l’historien sacré, comme entièrement étrangères à l’histoire de la race humaine. Il ne s’en est autrement inquiété que pour constater ce fait que les matériaux constituans de l’univers ne sont pas éternels, ne tirent pas d’eux-mêmes leur propre existence, mais ont été créés dans l’origine des siècles par la volonté du Tout-Puissant. » — Et j’ai éprouvé une véritable satisfaction lorsque j’ai vu que cette manière d’envisager notre sujet, qui avait déjà depuis long-temps pris place dans mon esprit, était tout à fait d’accord avec l’opinion imposante du docteur Chalmers. Il l’expose en ces termes dans son Evidence of the Christian révélation, chap. 7. « Est-ce que Moïse a jamais dit que Dieu, en créant le ciel et la terre, ait fait autre chose qu’une transformation de matériaux déjà existans ? ou avance-t-il quelque part qu’une longue suite de siècles ne sépare pas le premier acte de la création « dont il est parlé dans le premier verset de la Genèse, et qu’il dit s’être passé « au commencement », et toutes ces autres opérations dont le récit plus détaillé commence au second verset, et qu’il nous décrit comme s’étant accomplies dans un nombre déterminé de jours ? ou enfin nous donne-t-il à entendre que ses généalogies vont plus loin qu’à fixer l’antiquité de l’espèce humaine, abandonnant à la discussion philosophique l’antiquité du globe lui-même. »

Les théologiens les plus savans ont long-temps discuté la question de savoir si le premier verset de la Genèse devait être considéré comme désignant les choses qui vont suivre, et offrant un préambule sommaire de la création nouvelle dont les détails constituent l’histoire des six jours qui remplit les versets suivans, ou comme établissant simplement ce fait que le ciel et la terre ont été créés par Dieu, sans limiter la durée dans laquelle s’est exercée son action créatrice. La dernière de ces opinions est parfaitement en harmonie avec les découvertes de la géologie.

Le récit de Moïse commence par déclarer que — « dans le commencement Dieu créa le ciel et la terre. » — Ce peu de mots peuvent être reconnus par les géologues comme l’énoncé concis de la création des élémens matériels dans une durée qui précéda distinctement les opérations du premier jour. Nous ne trouvons affirmé nulle part que Dieu créa le ciel et la terre dans — « le premier jour, » — mais bien dans — « le commencement, » — et ce commencement peut avoir eu lieu à une époque reculée au-delà de toute mesure, et qu’ont suivie des périodes d’une étendue indéfinie durant lesquelles se sont accomplies toutes les révolutions physiques dont la géologie a retrouvé les traces.

Le premier verset de la Genèse nous paraît donc renfermer explicitement la création de l’univers tout entier ; du — « ciel », — ce mot s’appliquant à tout l’ensemble des systèmes sidéraux[4] ; et de — « la terre, » — notre planète étant ainsi l’objet d’une désignation spéciale, parce qu’elle est la scène où vont se passer tous les événemens de l’histoire des six jours. Quant aux événemens sans rapport avec l’histoire de l’espèce humaine, et qui ont eu lieu sur la surface du globe depuis l’époque indiquée par le premier verset, où furent créés les élémens qui entrent dans sa composition, jusqu’à celle dont l’histoire est résumée dans le second verset, il n’en est fait aucune mention ; aucune limite n’est imposée à la durée de ces événemens intermédiaires, et des millions de millions d’années peuvent s’être pressés dans l’intervalle compris entre ce commencement où Dieu créa le ciel et la terre, et le soir où commence le premier jour du récit mosaïque[5]. Le second verset décrirait donc l’état du globe au soir du premier jour (car Moïse ayant divise le temps d’après la méthode judaïque, chaque jour se compte du commencement de la soirée au commencement de la soirée suivante), et ce premier soir peut être considéré comme la fin de cet espace de temps indéfini qui suivit la création première annoncée par le premier verset, et comme le commencement des six jours qui allaient être employés à peupler la surface de la terre, et à la placer dans des conditions convenables pour qu’elle pût recevoir l’espèce humaine. Ce même second verset mentionne distinctement la terre et les eaux comme existant déjà, et comme enveloppées dans les ténèbres. Cette condition d’alors nous est décrite comme un état de confusion et de vide, tohu, bohu, que l’on a coutume de traduire par chaos, mot grec d’une signification vague et sans précision, et que les géologues peuvent considérer comme indiquant le naufrage et la ruine d’un monde antérieur. Ce fut à ce moment que se terminèrent les périodes indéfinies qui font l’objet de la géologie ; une nouvelle série d’évènemens commença, et l’œuvre de la première matinée de cette nouvelle création fut de faire sortir la lumière des ténèbres temporaires qui avaient enveloppé les ruines de l’ancien monde[6].

Plus loin, dans le neuvième verset, nous retrouvons une mention de cette ancienne terre et de cette ancienne mer. Il y est dit que les eaux reçurent l’ordre de se rassembler en un seul point, et le sec, d’apparaître. Or le sec dont il est parlé ici est cette même terre, dont la création matérielle est annoncée dans le premier verset, et dont le second verset décrit la submersion et les ténèbres temporaires ; et ces deux faits de l’apparition du sec et du rassemblement des eaux sont les seuls sur lesquels le neuvième verset se prononce : nulle part il n’y est dit que le sec ou les eaux aient été créés le troisième jour.

On peut interpréter de la même manière le quatorzième verset et les quatre suivans. Ce que l’on y dit des luminaires célestes paraît avoir trait seulement à leurs rapports avec notre planète, et plus spécialement encore avec l’espèce humaine qui allait y prendre place. Nulle part il n’est dit que la substance même du soleil et de la lune ait été appelée à exister pour la première fois le quatrième jour[7] ; le texte peut également signifier que ces corps célestes furent à cette époque spécialement adaptés à certaines fonctions d’une grande importance pour l’espèce humaine : — « À verser la lumière sur le globe ; à régner sur le jour et sur la nuit. » — « À fixer les mois et les saisons, les années et les jours. » — Quant au fait même de leur création, il avait été annoncé d’avance dès le premier verset. La Genèse mentionne aussi les astres (Ch. I. 16), mais en trois mots seulement et pour ainsi dire sous forme de parenthèse, comme si elle ne se fût proposé d’autre but que de nous rappeler que tous ils avaient été créés par la même puissance qui avait fait exister déjà le soleil et la lune, ces autres luminaires d’une importance bien plus grande pour nous[8]. Cette mention si brève accordée en passant à toute la phalange innombrable de ces corps célestes, dont chacun, selon toute probabilité, est un soleil à part, et le centre d’un système planétaire, tandis que la lune, notre petit satellite, est cité comme approchant du soleil par son importance, nous démontre clairement qu’il n’est accordé d’autre intérêt aux phénomènes astronomiques que celui qui résulte de leurs rapports avec le globe, et surtout avec l’espèce humaine, et nullement de leur importance réelle dans l’immensité de l’univers. Et n’est-il pas impossible que nous mettions les étoiles fixes au nombre des corps que la Genèse (I, 17) nous dit avoir été placés à la voûte des cieux pour répandre la lumière sur la surface de notre globe, alors que, sans le secours du télescope, le plus grand nombre de ces corps célestes demeure invisible ? Le même principe paraît dominer la description de la création, quant à ce qui concerne notre planète ; la formation des matériaux qui la composent une fois annoncée dans le premier verset, les phénomènes de la géologie comme ceux de l’astronomie ont été passés sous silence, et la narration arrive sans intermédiaire aux détails de la création actuelle dont les rapports avec l’homme sont plus immédiats[9].

L’interprétation que je viens de proposer semble en outre résoudre la difficulté qui, sans ce secours, paraît résulter de ce qu’il est dit que la lumière existait dès le premier jour, tandis que c’est au quatrième seulement qu’apparaissent le soleil, la lune et les étoiles. Si nous supposons que la terre et les corps célestes aient été créés à cette époque dont la distance reste indéterminée et que l’écriture désigne par le mot commencement, et que les ténèbres, qui couvraient le soir du premier jour, n’étaient que des ténèbres temporaires produites par l’accumulation de vapeurs denses — « sur la face de l’abîme, » — on peut concevoir comment un commencement de dispersion de ces vapeurs rendit la lumière à la surface de la terre le premier jour, sans que pour cela les causes qui produisaient cette lumière cessassent d’être obscurcies, et comment la purification complète de l’atmosphère au quatrième jour fut cause que le soleil, la lune et les astres apparurent dans la voûte des cieux et se trouvèrent dans de nouvelles relations avec la terre, nouvellement modifiée, et avec l’espèce humaine[10].

La lumière existait durant toutes ces périodes longues et distantes entre elles où se succédèrent toutes, les formes animales qui se sont manifestées sur la surface primitive du globe, et que nous retrouvons maintenant à l’état fossile. Nous en avons la preuve dans l’existence d’yeux chez les animaux pétrifiés, appartenant à des formations géologiques de divers âges. Dans un des chapitres suivans, je ferai voir que les yeux des Trilobites, fossiles propres aux terrains de transition[11], sont, par leur organisation, tout-à-fait analogues à ceux des crustacés actuellement existans, et que les yeux des Ichthyosaures, du lias[12], renferment un appareil tellement semblable à celui qu’on trouve dans les yeux de plusieurs oiseaux et reptiles actuellement existans qu’il nous est impossible de douter que ces yeux fossiles ne fussent des appareils optiques calculés pour recevoir de la même manière les impressions de la même lumière qui transmet encore la perception de la vue aux animaux existans aujourd’hui. Cette conclusion est entièrement confirmée par ce fait général que toutes les têtes fossiles de poissons ou de reptiles, quelle que soit la formation géologique où on les rencontre, offrent des cavités orbitaires pour que des yeux aient pu y être logés, avec des trous pour le passage de nerfs optiques, bien qu’il soit rare de rencontrer dans ces cavités quelques restes de l’œil lui-même. De plus, la présence de la lumière est tellement indispensable à l’accroissement des végétaux actuels que nous avons le droit de la regarder comme une condition non moins essentielle du développement de ces nombreuses espèces végétales fossiles qui accompagnent les débris des animaux dans toutes les couches de toutes les formations.

D’après une opinion à laquelle des découvertes récentes[13] sont venues ajouter un grand poids, la lumière n’est point une substance matérielle, mais seulement un effet des ondulations de l’éther, substance infiniment subtile et élastique qui remplit l’espace tout entier et même l’inférieur de tous les corps. Tant que l’éther demeure en repos, il y a obscurité complète ; si, au contraire, il est placé dans un certain état de vibration, la sensation de la lumière existe ; de plus, ces vibrations peuvent être produites par diverses causes, telles que le soleil, les astres, l’électricité, la combustion, etc. Si donc la lumière n’est pas une substance particulière, mais une série de vibrations de l’éther, c’est-à-dire un effet produit sur un fluide subtil par l’action d’une ou plusieurs causes extérieures, il ne serait pas exact de dire, et la Genèse ne dit pas, dans le verset 3 du chapitre 1, que la lumière fut créée[14], bien qu’on puisse dire littéralement qu’elle fut mise en action.

Enfin, lorsque le quatrième commandement (Exode XX, 11) rappelle les six jours de la création, on y retrouve le mot asah — « faire, » — le même qui se trouve aux versets 7 et 16 du 1er chapitre de la Genèse, et que nous avons déjà prouvé être d’une signification moins forte et moins étendue que le mot bara — « créer, » — et comme il n’entraîne pas nécessairement la création de rien, il peut être ici employé à désigner un nouvel arrangement de matériaux qui existaient déjà[15].

Mais nous rappellerons en terminant que ce n’est nullement le récit de Moïse en lui-même dont nous mettons en question l’exactitude, mais seulement la manière dont il doit être interprété ; et nous devons avoir surtout présent à l’esprit que l’objet de ce récit n’est aucunement d’établir de quelle manière, mais bien par qui le monde fut créé. Comme il y avait une tendance de l’esprit humain, dans ces premiers âges du monde, à adorer les objets les plus glorieux de la nature, et nommément le soleil, la lune et les étoiles, nous devons croire que Moïse, en racontant la création, eut pour but principal de préserver les Israélites du polythéisme et de l’idolâtrie des nations qui les entouraient, en proclamant que tous ces corps célestes, si pleins de magnificence, n’étaient pas eux-mêmes des Dieux, mais seulement l’ouvrage d’un créateur unique et tout puissant auquel seul devait s’adresser l’adoration des hommes[16].


  1. Hæc et hujus modi cœlornm phænomena, ad epocham ses millenem, salvis naturæ legibus, ægrè revocari possunt. Quin fatendum erit potius non eandem fuisse originem, neque coævam, Telluris nostra ; et totius Universi : sive intellectualis sive corporei. Neque mirum videri debet hæc non distinxisse Mosem, aut Universi originem non tractâsse seorsim ab illâ mundi nostri sublunaris : hæc enim non distinguit populus, aut separatim æstimat. — Rectè igitur legislator sapiemissimus philosophis reliquit id negotii, ut ubi maturuerit ingenium humanum per ætatem, usum, et observationes, opera Dei alio ordine digererent, perfectionibus divinis atque rerum naturæ adaptato. Burnet’s, Archœologiæ philosophicæ. G. viij, p. 506, in-4o, 1692.
  2. Kepler termine un de ses ouvrages sur l’astronomie par la prière suivante, que nous reproduisons d’après la traduction qu’en donne le Christian observer ; août 1854, page 495.

    « Avant que de quitter cette table sur laquelle j’ai fait toutes mes recherches, il ne me reste plus qu’à élever mes yeux et mes mains vers le ciel, et à adresser avec dévotion mon humble prière à l’auteur de toute lumière : O toi qui, par les lumières sublimes que tu as répandues sur toute la nature, élèves nos désirs jusqu’à la divine lumière de ta grâce, afin que nous soyons un jour transportés dans la lumière éternelle de ta gloire, je te rends grâces, Seigneur et créateur, de toutes les joies que j’ai éprouvées dans les extases où m’a jeté la contemplation de l’œuvre de tes mains. Voilà que j’ai terminé ce livre qui contient le fruit de mes travaux, et j’ai mis à le composer toute la somme d’intelligence que tu m’as donnée. J’ai proclamé devant les hommes toute la grandeur de tes œuvres, je leur en ai expliqué les témoignages autant que mon esprit fini m’a permis d’en embrasser l’étendue infinie. J’ai fait tous mes efforts pour m’élever jusqu’à la vérité par les voies de la philosophie ; et, s’il m’était arrivé de dire quelque chose d’indigne de toi, à moi méprisable vermisseau conçu et nourri dans le péché, fais-le-moi connaître, afin que je puisse l’effacer. Ne me suis-je point laissé aller aux séductions de la présomption, en présence de la beauté admirable de tes ouvrages ? Ne me suis-je pas proposé ma propre renommée parmi les hommes, en élevant ce monument qui devait être tout entier consacré à ta gloire ? Oh ! s’il en était ainsi, reçois-moi dans ta clémence et dans ta miséricorde, et accorde-moi cette grâce que l’œuvre que je viens d’achever soit à jamais impuissante à produire le mal ; mais qu’elle contribue à ta gloire et au salut des ames. »

  3. Un traité très-intéressant sur l’accord de la géologie avec l’histoire sacrée a été donné tout récemment (1833) par le professeur Silliman, dans un supplément à l’édition publiée cette même année à Newhaven, de la géologie de Bakewell. L’auteur soutient que la période indiquée dans le premier verset de la Genèse par ces mots « Au commencement » ne fait pas nécessairement partie du premier jour ; qu’on peut la regarder comme ayant une existence à part, et susceptible d’admettre toute l’étendue que paraissent exiger les faits dont l’accomplissement remonte à cette époque. Plus loin, il est disposé à regarder les six jours de la création comme des périodes d’une étendue indéfinie, et non limitées à vingt-quatre heures, bien que le mot jours lui-même ait été employé.
  4. Le pluriel hébreu shamaim, Gen. 1, 1, que l’on traduit par ciel, désigne, par sa signification étymologique, les régions au dessus de nous, tout ce qui est au dessus de la terre, comme nous disons de Dieu qu’il est au dessus, qu’il est en haut, qu’il est au ciel, lorsque nous voulons indiquer la présence de sa divinité dans des espaces distincts de cette terre. — E. B. Pusey.
  5. Je suis heureux de pouvoir joindre ici la note suivante de mon ami le professeur royal d’hébreu à Oxford ; elle vient apporter la sanction importante de la critique hébraïque aux considérations à l’aide desquelles je me suis efforcé de faire disparaître les difficultés spécieuses soulevées à l’occasion des phénomènes géologiques contre l’interprétation littérale du premier chapitre de la Genèse.

    « Deux erreurs ont été commises par les critiques au sujet de la signification du mot bara, créer ; l’une par ceux qui prétendent que le mot hébreu doit nécessairement être entendu dans le sens de « créer de rien. » L’autre par ceux qui essaient de démontrer à l’aide de l’étymologie que ce mot entraîne la signification de « formation au moyen d’une matière existante déjà. » Ce n’est pas plus ici le cas de l’une que de l’autre signification. Je ne connais aucune langue dans laquelle il y ait mot qui signifie nécessairement « créer de rien. » Et, d’un autre côté, quel que soit le mot que l’on emploie, il est évident que s’il s’agit de l’action créatrice de Dieu, ce mot ne peut impliquer d’une manière nécessaire la préexistence de la matière. Ainsi notre mot créer qui rend le mot hébreu bara exprime que la chose créée reçoit son existence de Dieu sans indiquer par lui-même si Dieu, en l’appelant à exister, la fit sortir ou non du néant ; et la nécessité où nous sommes de le faire suivre des mots de rien suffit à prouver que le mot créer n’a pas en lui-même cette étendue de signification ; et, en effet, quand nous parlons de nous comme créatures de Dieu, nous n’entendons pas du tout par ces paroles que nous ayons été matériellement créés de rien. Ainsi c’est à l’ensemble du texte, aux diverses circonstances, aux révélations que Dieu a faites ailleurs, et non à la force du mot en lui-même qu’il faut s’en rapporter sur la question de savoir si bara exprime que la chose a été créée de rien (autant que nous pouvons arriver à comprendre cette expression) ou que Dieu a donné à de la matière déjà existante une forme d’existence tout à-fait nouvelle. Or cette dernière signification est parfaitement indiquée dans la Genèse, 1, 27, où il est parlé de la création de l’homme, lorsque nous savons d’après le chapitre II, vers. 7, qu’il a été tiré d’une matière déjà existante, —« la poussière de la terre ; »—et le mot bara n’est réellement tant au dessus du mot asah, faire, que par la raison que le premier s’applique uniquement à l’action divine, tandis que le second se dit également de l’action humaine ; et la différence entre ces mots est exactement la même qu’offrent dans notre langue les mots créer et faire par lesquels on les traduit : mais toute cette dispute me semble tenir plutôt à notre manière d’envisager le sujet qu’au sujet lui-même ; car faire, quand on l’applique à Dieu, est l’équivalent du mot créer.

    Ainsi les mots bara, créer, — asah, faire, — yatsar, former, — sont-ils fréquemment employés par Isaïe, et une fois par Amos comme tout à-fait équivalens. Bara et asah expriment également la formation de quelque chose de nouveau (de novo), d’une chose dont l’existence, sous cette nouvelle forme, commence, et dépend entièrement de la volonté de celui qui la crée ou qui la fait. C’est ainsi que Dieu se désigne lui-même comme le créateur, —« borée, »—du peuple juif (Isaïe, Xliii, I, 15), et un événement nouveau est désigné sous ce même terme de création dans le livre des Nombres, chap. 16, vers. 50 : « Si le Seigneur (texte anglais) fait quelque chose de nouveau, » et, dans l’hébreu, « crée une créature. » — Le psalmiste l’emploie aussi, ps. 104, vers. 50, quand il parle du renouvellement de la face du globe, par la succession des créatures douées de vie : — « Tu enverras ton souffle et elles seront créées, et tu renouvelleras la face de la terre. » Cette question a été traitée, mais d’une manière superficielle, par Beausobre, dans son histoire du manichéisme, t. 2, liv. 5, chap.4 ; et mieux, par Petavius, Dogm. théol. tom. 5, De opificio sex dierum, lib. 1, chap. 1, § 8.

    » Après avoir relu et étudié ce récit, le seul résultat auquel je puisse arriver, c’est que les mots créer et faire sont synonymes, quoique le premier exprime cette idée avec plus de force ; et ils sont en effet continuellement pris l’un pour l’autre. — «Dieu créa les grandes baleines (Gen. I. vers. 21) ; — Dieu fit la bête de la terre (vers. 25). — Faisons l’homme (vers. 26) ; ainsi Dieu créa l’homme (vers. 27). » — Mais il est en même temps probable que le mot « hara, » créer, fut choisi à cause de sa signification plus élevée pour désigner la formation primitive du ciel et de la terre.

    » Cependant le seul point réellement important qu’il y ait à débattre dans l’interprétation du premier chapitre de la Genèse, c’est de déterminer d’une manière définitive si les deux premiers versets sont un simple résumé de ce qui va être raconté plus en détail dans le reste du chapitre, et conséquemment une sorte d’introduction à ce dernier, ou s’ils renferment l’indication d’un fait de création distinct. Or, cette dernière interprétation me paraît être la vraie, d’abord parce que la création du globe lui-même n’y est mentionnée nulle part ailleurs, puis parce que le second verset nous expose l’état de la terre après qu’elle eut été ainsi créée, et nous prépare de cette manière au récit de l’œuvre des six jours ; et s’il y est question d’une création, il me semble que cette création, qui a eu lieu « au commencement, » a dû précéder les six jours ; car on observera que l’histoire de chacun de ces jours est précédée de la déclaration, « Dieu dit », ou « Dieu voulut que telle chose fût » — (« et Dieu dit »)— ; et par conséquent la forme même du récit semble nous indiquer que la création du premier jour commença quand ces mots furent prononcés pour la première fois, c’est-à-dire lorsque la lumière fut créée, au verset 5. Quant à l’époque de la création dont il est question au verset 1, elle ne me paraît pas déterminée ; ce que nous y apprenons seulement, c’est ce qui seul nous importe, savoir que toutes choses ont été créées par Dieu. Et ce n’est pas ici une opinion nouvelle. Plusieurs Pères de l’Église, cités par Petavius (loc. cit. chap. XI, § 1—8), pensent que les deux premiers versets de la Genèse renferment le récit d’un acte de création distinct et antérieur. Quelques-uns, comme saint Augustin, Théodoret et autres, rapportent à cette époque la création de la matière ; d’autres, celle des élémens ; d’autres encore (et ce sont les plus nombreux) pensent que ce ne sont pas les cieux visibles dont il est question dans ce passage, mais ce qu’ils regardent comme dé signé ailleurs sous les noms de—« le plus haut des cieux, » — « cieux des cieux, » — la création de notre ciel visible étant manifestement rapportée au second jour. Petavius lui-même regarde la création de la lumière comme le seul fait du premier jour (ch. 7, « De opère primæ diei, id est luce »), considérant les deux premiers versets comme un sommaire fait par Moïse de la création dont il allait entreprendre le récit, et comme une déclaration générale ayant pour but de rapporter à Dieu la création de toutes choses.

    Episcopius et plusieurs autres auteurs pensèrent que la création et la chute des anges devaient être rapportées à la période dont il est ici question, et toutes déplacées que soient de telles hypothèses, elles nous font voir combien il est naturel de supposer un intervalle considérable entre la création mentionnée dans le premier verset de la Genèse et celle dont le récit nous est présenté par le verset troisième et les suivans ; aussi, dans quelques vieilles éditions de la Bible anglaise, où la division en versets n’existe pas encore, trouve-t-on la fin de ce qui est maintenant le second verset séparée du reste par un intervalle ; et dans la Bible de Luther (Wittemberg, 1537) ou voit le chiffre répété au commencement du troisième verset pour indiquer que là commence en réalité le récit du premier jour de la création.

    Ainsi donc nous trouvons dans tout ce qui précède la confirmation dont nous avions précisément besoin ; car bien que nous repoussions loin de nous l’idée impie de donner à la parole de Dieu une interprétation différente de sa signification la plus claire, il nous fût resté la crainte de nous être laissé influencer à notre insu par les opinions flottantes de notre siècle ; c’est pour cela que nous avons dirigé nos recherches avec le plus de soin vers les hommes qui ont expliqué les divines écritures à des époques où ces théories n’existaient pas. Qu’il nous soit permis d’ajouter que nous ne porterons pas plus loin ces investigations. Nous ne savons rien de ce que c’est qu’une création, rien des causes premières, rien de l’espace, si ce n’est de la portion limitée par les corps actuellement existans ; rien du temps, excepté ce qui en est déterminé par les mouvemens de ces mêmes corps. Je regretterais amèrement de paraître dogmatiser à propos de ces choses sur lesquelles un instant de réflexion et d’humilité nous conduira à confesser notre ignorance profonde. « C’est à peine si nous devinons les choses de ce monde, et tous nos travaux ne peuvent nous faire apercevoir ce qui se passe sous nos yeux ; qui donc oserait scruter les secrets des cieux.»—Sagesse, IX, 16.

    E. B. Pusby.
  6. D’après l’opinion que m’a émise le professeur Pusey, ces mots « que la lumière soit », Yehi or, Gen. 1.5, n’impliquent pas davantage que les mots par lesquels on les a traduits que la lumière n’ait jamais existé antérieurement ; on peut les interpréter simplement dans le sens d’une substitution de la lumière aux ténèbres sur la surface de notre planète. Quant à la question de savoir si la lumière avait déjà existé quelque part dans les œuvres de Dieu, ou si elle avait précédé sur cette terre les ténèbres décrites au verset 2, elle est absolument étrangère au but du narrateur.
  7. Voyez les notes, pages 18 et 22
  8. Les mots veeth haccocubim se traduisent littéralement par : « Et les étoiles. »
    E. B. Pusey.
  9. Les observations suivantes de l’évêque Gleig, bien qu’à l’époque où il les écrivait il ne fût pas entièrement convaincu de la réalité des faits annoncés par les découvertes géologiques, nous font voir qu’il partageait dès lors cette opinion que le récit de Moïse pouvait sans inconvénient s’interpréter en admettant que l’existence de l’espèce humaine a été précédée d’un laps de temps indéfini.

    « Je suis très-disposé à croire que la matière dont se compose l’univers a été créée d’un seul jet, quoique plusieurs portions aient reçu leur dernière forme à des époques très-diverses. À quelle époque précise l’univers fut-il créé, ou combien de temps le système solaire demeura-t-il dans le chaos ? ce sont là autant de vaines questions auxquelles on ne peut faire aucune réponse. Moïse nous raconte l’histoire de la terre, seulement dans son état actuel : il nous annonce qu’elle fut créée, et qu’elle était vide et informe alors que l’esprit de Dieu flottait à la surface des eaux. Mais il ne nous dit pas combien long-temps dura cet état de chaos, ni si c’étaient ou n’étaient pas les débris de quelque système plus ancien qu’auraient habité des créatures vivantes de races différentes de celles qui existent maintenant à sa surface. Du reste, ceci n’a point pour but de répondre au reproche souvent fait à la cosmogonie de Moïse de n’accorder aux œuvres de la création qu’une antiquité de six ou sept mille années tout au plus ; car nulle part dans les livres sacrés Moïse n’a donné cette détermination. Quelque éloignée d’ailleurs que soit l’époque où Dieu créa le ciel et la terre, et selon toute probabilité elle l’est beaucoup, il fut un temps où elle n’était distante que d’une année, que d’un jour, que d’une heure. Ceux donc qui soutiennent que la manifestation de la gloire du Tout-Puissant par ses œuvres n’a pu être limitée à une courte période de six ou sept mille ans ne sentent pas que la même objection s’adresse à la période la plus immense que puisse concevoir l’esprit humain. Il n’est pas de durée déterminable qui puisse entrer en proportion avec l’éternité, et que nous assignions à l’univers matériel six millions ou six cents millions d’années, un sophiste pourrait dire avec une égale raison que la gloire du Tout-Puissant manifestée dans ses œuvres ne peut être ainsi limitée. Ce n’est donc pas dans le but de faire taire de semblables objections que j’ai admis l’existence d’une terre et d’un ciel plus anciens que ceux que nous avons sous les yeux, comme compatible avec le récit de Moïse ou tout autre passage des livres sacrés, mais dans le but seulement de raffermir la foi des lecteurs pieux qui pourraient se laisser ébranler par les découvertes réelles ou prétendues des géologues modernes. Si ces philosophes ont réellement découvert des os fossiles ayant appartenu à des espèces ou à des genres d’animaux qui maintenant n’existent plus sur la terre ni dans l’océan, et si la destruction de ces espèces et de ces genres ne peut nous être expliquée par le déluge général ou toute autre catastrophe dont l’histoire nous dit que notre globe a été le théâtre ; s’il est de fait que la surface de la terre est formée de couches qui ne peuvent y avoir été disposées dans l’état où elles sont que par la mer, ou par toute autre masse d’eaux demeurées à l’état tranquille sur les points où ces couches se rencontrent pendant des périodes beaucoup plus étendues que n’a été la durée du déluge de Noé ; si, dis-je, tous ces faits prennent le caractère d’une certitude complète, ce dont je ne suis nullement convaincu, nous ne trouvons rien dans les livres sacrés qui nous empêche de penser que ce sont les ruines d’une terre antérieure, formée au sein du chaos d’où Moïse nous apprend que Dieu tira les élémens du système actuel. Son histoire, aussi loin qu’elle remonte, est celle de la terre telle qu’elle existe maintenant, de ses habitans actuels et de leurs ancêtres des premiers âges ; et un des géologues les plus ingénieux et les plus profonds, Cuvier (Essai sur la théorie de la terre), a démontré que la race humaine ne peut pas être beaucoup plus ancienne que ne nous l’annoncent les écrits du législateur hébreu. » — Stackhouse’s Bible, par l’évêque Gleig, p. 6-7, 1816.

  10. Voyez la note page 22.
  11. Pl. 45, fig. 9, 10, 11.
  12. Pl. 10, fig. 1, 2.
  13. Pour l’exposé général de la théorie des ondulations lumineuses, consultez sir J. Herschel, art. Lumière, 5e partie, section 2 de l’Encycl. métropol. Voyez encore le Mathematical Tracts du professeur Airy, 2e édit., 1831, p. 249 ; et Madame Somerville, dans son ouvrage intitulé ; Connexion of the physical sciences, 1834, p. 185.
  14. Voyez la note page 18.
  15. Voyez la note page 26.
  16. Après m’être ainsi hasardé à entrer dans une série d’explications qui, je pense, prouvent entièrement l’accord qui existe entre le texte littéral même de la Genèse et les phénomènes géologiques, je m’abstiendrai d’en dire plus long sur ce sujet important, et je suis heureux de pouvoir renvoyer mes lecteurs à quelques admirables articles du Christian observer. (Mai, juin, juillet, août 1834.) Ils y trouveront un résumé très-net et très-complet de cette question, dans lequel sont présentées les difficultés dont elle est entourée, en même temps que l’on y propose plusieurs idées modérées et judicieuses sur l’esprit dans lequel doivent se faire de semblables investigations. Je renverrai aussi aux divers ouvrages dont les noms suivent : Sermons de l’évêque Horsley, in-8o, 1816 ; 3e vol., série 39 ; — Records of Création, par l’évêque Bird-Sumner, 2e vol., p. 356 ; — Douglas, Errors regarding religion, 1830, p. 261-264 ; — Higgins, On the Mosaical and Minerai Geologies, 1832 ; — et plus spécialement à l’éloquent et admirable discours du professeur Sedgwik sur les Études de l’Université de Cambridge, 1833 dans lequel il a fait voir avec beaucoup d’habileté tous les rapports qui unissent la Géologie et la religion naturelle, et où il résume en ces termes sa précieuse opinion sur le genre d’instruction que nous devons rechercher dans la Bible : « La Bible nous apprend que l’homme et les autres êtres vivans n’ont été placés sur cette terre qu’il y a peu d’années, et tous les monumens physiques viennent à l’appui de cette vérité. Si l’astronomie nous fait voir des myriades de mondes dont il n’est pas question dans les livres sacrés, la géologie nous prouve de son côté (et non point à l’aide d’argumens tirés de l’analogie, mais bien en employant l’évidence incontestable des faits physiques) que notre planète fut placée primitivement dans des conditions physiques très-diverses, séparées les unes des autres par de longs intervalles de temps et pendant la durée desquelles l’homme et les autres créatures de même date n’avaient pas encore été appelés à l’existence. Des périodes telles que celles-là n’appartiennent donc pas à l’histoire morale de notre race, et ne sont comprises ni dans la lettre ni dans l’esprit de la révélation. Qui oserait dire quelle distance sépare le jour où fut créée la terre et celui où il plut à Dieu de placer l’homme à sa surface ? Sur ces questions, l’Écriture se tait, mais son silence ne détruit pas la signification de tous ces monumens physiques que Dieu a placés sous nos yeux pour nous attester sa puissance, en même temps qu’il nous a donné toutes les facultés qui peuvent nous conduire à les interpréter et à en comprendre les enseignemens.