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La Gardienne du Phare/01

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 5-7).

La Gardienne
du Phare

CHAPITRE I

« Les Saules »

« On demande une jeune femme, possédant une bonne instruction, pour remplir les charges de secrétaire et de dame de compagnie. S’adresser à madame Dumond, « les Saules. »

Cette annonce frappa les yeux d’une jeune fille qui, tout en marchant, lisait les annonces d’un journal.

« Voilà justement mon affaire, se dit-elle… N’est-ce pas providentiel, moi qui ne savais pas comment je dînerais ou si je dînerais demain ! »

« Les Saules » reprit la jeune fille, ce nom ne me dit rien ; mais peut-être la propriété de Madame Dumond ressemble-t-elle à celle de Madame Fâbre, où j’étais employée ; cette propriété s’appelait « Les Cèdres » mais on eut vainement cherché un cèdre dans tous les environs… « Les Saules » brrr !… ça me donne froid dans le dos !  !… S’il y a une chose que je déteste, c’est un saule, je n’ai jamais pu réagir contre cela. Les saules me font toujours frissonner et ils me donnent comme le pressentiment d’un malheur… Mais je n’ai pas le choix… Je vais m’informer où demeure Madame Dumond ».

Le soir même, la jeune fille sonnait à la porte d’une grande maison blanche, à laquelle on parvenait à travers de longues allées bordées de saules. Une servante, l’air avenant, vint ouvrir :

« Puis-je parler à Madame Dumond ? »

— « Entrez, mademoiselle, je vais voir si Madame peut vous recevoir. »

Bientôt, la servante revint, disant :

« Madame dit que si c’est pour la position de secrétaire, elle aimerait vous voir tout de suite. »

— « C’est bien, » dit la jeune fille.

Conduite par la servante, elle entre dans une bibliothèque encombrée de volumes. Une femme d’une soixantaine d’années était assise à un pupitre et elle écrivait rapidement. Elle leva les yeux à l’arrivée de la jeune fille, lui fit signe de s’asseoir, puis se remit à écrire.

« Je serai à vous à l’instant », dit-elle, tout en écrivant. Enfin, elle se tourna vers la nouvelle venue :

« C’est pour la position ? » demanda Madame Dumond.

— « Oui, Madame. »

— « Vous possédez une solide instruction ? »

— « Oui, Madame. »

— « Avez-vous des lettres de recommandation ? »

La jeune fille présenta à Madame Dumond deux enveloppes cachetées. Celle-ci en lut le contenu, puis :

« Vous vous nommez Claire d’Ivery ?… Quel âge avez-vous ? »

— « Dix-huit ans » répondit Claire.

— « Pouvez-vous rester ici ce soir et commencer votre travail demain matin ? »

— « Avec plaisir, Madame. Si vous »…

Claire se tut subitement… Qu’avait donc Madame Dumond à regarder à tout instant pardessus son épaule, comme si elle s’attendait à voir survenir quelqu’un ?… La jeune fille crut même discerner une sorte de crainte dans les yeux de cette femme… À plusieurs reprises, Madame Dumond fit le geste de regarder derrière elle.

« Heureusement, je ne suis pas peureuse », réfléchissait Claire, « car je n’aurais pas le courage d’accepter une position ici… Cette propriété isolée, ces allées de saules pleureurs et cette femme, qui a toujours l’air de s’attendre à quelque catastrophe… »

« Je vous donnerai cinquante dollars par mois », disait Madame Dumond. « Vous me tiendrez compagnie et ferez ma correspondance de dix heures du matin à six heures du soir ; la veillée vous appartiendra et vous pourrez l’employer comme vous le désirerez. Acceptez-vous ? »

— « Certes, oui, j’accepte. Madame », répondit Claire, qui trouvait le salaire offert presqu’extravagant.

Madame Dumond soupira profondément, comme si elle se fut sentie soulagée, puis elle posa son doigt sur un timbre et la même jeune servante parut :

« Conduisez Mademoiselle d’Ivery a sa chambre. Je crois que vous aimerez les pièces que j’ai fait préparer », ajouta-t-elle, s’adressant à Claire ; « sinon, vous pourrez en choisir d’autres. Bonsoir. »

— « Bonsoir, Madame », répondit Claire, en se retirant. Elle fut tout bonnement émerveillée des deux chambres qu’on mettait à sa disposition et elle se trouva chanceuse, tout à coup, d’avoir trouvé une aussi bonne position.

Au moment où Claire commençait à s’assoupir, un hibou vint frôler de ses ailes, la vitre d’une fenêtre, en faisant entendre un « houhou » lamentable.

« Un hibou ! » se dit la jeune fille en frissonnant, l’oiseau de malheur !… Il ne manquait plus que cela pour compléter le décor !!!!… »

Mais Claire était littéralement épuisée de fatigue, elle s’endormit bientôt paisiblement, malgré le « houhou » des hiboux et le frôlement des branches de saules sur son balcon.