La Gardienne du Phare/02

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 7-10).

CHAPITRE II

Le personnel des « Saules »

La première chose que fit Claire, le lendemain matin, ce fut d’ouvrir sa fenêtre et de jeter un coup d’œil sur la campagne… Des saules… rien que des saules, aussi loin que le regard pouvait porter.

« Triste séjour ! » se dit la jeune fille, « c’est assez pour donner un continuel spleen… Heureusement, je vais être occupée du matin au soir… Mais il n’est que huit heures et Madame Dumond ne descend qu’à dix heures. J’aurais le temps de faire une longue promenade ; mais je ne puis m’y décider ! »

Cependant, lorsqu’elle eut déjeuné, Claire alla respirer l’air un peu. Mais elle ne resta pas longtemps dehors : les saules, humides de rosée, secoués par une brise légère, aspergeaient de gouttelettes le visage et les mains de la jeune fille :

« On dirait des larmes, » murmura-t-elle en frissonnant. Et, précipitamment, elle rentra dans la maison.

Claire se rendit à la bibliothèque, où elle s’amusa à lire en attendant l’arrivée de Madame Dumond. Celle-ci vint à la bibliothèque, à son tour, à dix heures sonnant. Claire se leva et lui souhaita le bonjour. Madame Dumond demanda à la jeune fille comment elle aimait les pièces qui avaient été préparées pour elle.

«  Je serais bien exigeante, Madame, si je n’étais pas satisfaite » dit Claire en souriant.

— « Voici quelques lettres, arrivées par le courrier de ce matin, auxquelles vous allez répondre », dit Madame Dumond.

Elle ne dicta pas les réponses ; elle dit seulement ce qu’il fallait répondre et Claire rédigea les lettres elle-même. Madame Dumond parut satisfaite du style épistolaire de la jeune fille. Tandis que Claire écrivait, Madame Dumond l’examina : elle était vraiment ce qu’on nomme une parfaite beauté blonde, cette jeune fille. Ses cheveux, d’un blond doré seyaient bien à son teint blanc et rose, à ses traits presque parfaits.

Lorsqu’elle eut terminé la correspondance, Claire transcrivit quelques pages d’un manuscrit. Madame Dumond avait quelques prétentions littéraires et c’est pourquoi elle avait jugé à propos d’engager un secrétaire.

À midi, une cloche annonça que le lunch était servi. Après le lunch, Claire accompagna Madame Dumond dans le parterre et toutes deux se promenèrent pendant une demi-heure.

Plusieurs fois, durant cette promenade, Madame Dumond fit ce geste de regarder en arrière et c’était si énervant, que bientôt, Claire, sans même s’en rendre compte, jeta, elle aussi, un regard pardessus son épaule.

« Avez-vous entendu quelque chose ? » demanda Madame Dumond — et Claire crut lire une grande frayeur dans ses yeux — « Le bruit des branches de saules s’entrechoquant, est comme celui d’une personne marchant avec précautions ! » et la pauvre femme frissonna.

— « Je n’ai rien entendu », dit Claire.

Rentrée à la maison, la jeune secrétaire se remit à l’ouvrage et elle travailla jusqu’à cinq heures, l’heure du dîner. Après le dîner, avant même de quitter la salle à manger, Madame Dumond fit une petite inclination de la tête et dit à Claire :

« Vous êtes libre de disposer de votre temps à votre guise maintenant, jusqu’à dix heures demain matin. »

Claire comprit qu’on lui donnait congé et elle monta dans sa chambre. Bientôt, elle entendit frapper à sa porte, c’était la jeune servante qui venait lui apporter un billet de Madame Dumond : « J’ai oublié de vous dire que je vous donne accès à la bibliothèque pour y prendre les volumes qu’il vous plaira. Peut-être aimez-vous la lecture, je ne sais. »

Claire profita de la permission et descendit choisir deux livres qu’elle apporta dans sa chambre. Cette permission que lui donnait Madame Dumond lui faisait grand plaisir, car elle aimait passionnément la lecture.

Cette première journée fut le prélude de beaucoup d’autres, toujours pareilles. Le temps passait vite et un jour, Claire fut presque surprise de constater qu’il y avait déjà deux mois qu’elle remplissait la charge de secrétaire de Madame Dumond. Claire était tout à fait heureuse : Madame Dumond avait l’air de l’aimer et, à part quelques jours où elle paraissait un peu irritable, elle n’adressait jamais de reproches à la jeune fille et semblait très-contente de son secrétaire.

Le personnel des « Saules » n’était pas nombreux : à part la jeune servante, dont le nom était Zénaïde, il n’y avait qu’un cocher — jardinier à ses heures — et la vieille Azurine, qui cumulait les fonctions de cuisinière et de ménagère. Zénaïde avait voué une sorte de culte à Claire, mais Azurine n’aimait pas la jeune fille. Il y avait près de vingt ans qu’elle était employée chez Madame Dumond et comme elle aimait jalousement sa maîtresse, elle ne pouvait souffrir de la voir entourée des soins d’une étrangère. Aussi, était-elle fort désagréable pour la jeune fille ; lorsque Claire lui transmettait un ordre de Madame Dumond, la vieille femme ne l’exécutait pas, ou bien elle l’exécutait mal, espérant attirer sur Claire les reproches de Madame Dumond. Cette haine de la servante n’inquiétait guère la jeune fille… Cependant, il y a un proverbe anglais qui dit : «  Even a worm will turn. »[1]

Somme toute, Claire était heureuse… Où étaient maintenant les pressentiments qui l’avait étreinte à son arrivée aux « Saules » ?

  1. Tad. Le ver de terre même se retourne contre l’agresseur.