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La Gardienne du Phare/03

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 10-13).

CHAPITRE III

Le jardin de Claire

Un jour en se promenant, Claire découvrit, à l’autre bout du parc, des « Saules » une vaste clairière située sur le bord d’un pittoresque petit lac.

« Quel magnifique jardin on ferait de cette clairière ! » se dit la jeune fille. « Il n’y a pas une fleur autour de cette maison. »

Après le lunch, Claire ne put résister au désir de parler de sa découverte à Madame Dumond. Puis elle ajouta :

« N’aimez-vous pas les fleurs. Madame Dumond ?… Je n’en vois pas une seule sur votre propriété. »

— « Ce n’est pas que je n’aime pas les fleurs, Claire ; mais je ne me suis jamais donné la peine de m’occuper de ces détails… Je ne me souvenais seulement pas qu’il y avait un petit lac sur mon terrain. »

« Et qu’il est pittoresque ce lac, Madame !… Il me semble voir la clairière convertie en jardin et quelques sièges rustiques au bord du petit lac ; cela varierait si bien le paysage. … de saules, » et, malgré elle, Claire frissonna.

— « Vous n’aimez pas les saules. Claire ? » demanda Madame Dumond.

— « J’en ai peur » répondit la jeune fille, « tellement peur que je crois qu’ils me porteront malheur ! » et, encore une fois, Claire frissonna.

— « C’est que vous n’en connaissez pas la légende ; si vous la connaissiez, vous changeriez d’opinion probablement. »

— « Une légende ! s’écria Glaire. Oh ! j’adore les légendes et j’aimerais bien entendre celle du saule. »

— « Je vous la dirai bien ; la voici :

LE SAULE

L’obscurité planait sur le mont du Calvaire,
Une obscurité morne et profonde à la fois,
Car afin d’apaiser le courroux de son Père,
Le Rédempteur venait d’expirer sur la croix.

Sous le souffle de Dieu, jusqu’à terre, s’inclinent
L’orme, le peuplier, les saules, les sapins…
Les arbres ont frémi jusque dans leurs racines
Devant ce grand forfait qu’ont commis les humains.

Mais, lorsque la clarté reparaît, incertaine,
On voit les géants verts, soudain se redresser…
Le saule, anéanti cependant sous sa peine,
Vers le sol, humblement, reste le front baissé.

Jusqu’à la fin des temps, courbé, sans lassitude.
Restera, jour et nuit, le saule adorateur.
Toujours se complaisant dans son humble attitude
Et pleurant constamment la mort du Rédempteur.

« — Oh ! que c’est joli ! s’écria Claire. « Pour surmonter ma répulsion, je me répéterai tout bas la légende des saules. Merci, de me l’avoir racontée. »

Mais Madame Dumond ne parla pas du projet de la jeune fille concernant le jardin ; même elle détourna la conversation totalement et Claire s’en voulut un peu d’avoir abordé le sujet.

Mais le lendemain soir, une caisse arriva aux « Saules » à l’adresse de Claire. La jeune fille fut fort surprise et sa surprise devint un véritable bonheur quand, ouvrant la caisse, elle y découvrit des paquets de graines et de plantes de toutes sortes et d’espèces rares. Claire se rendit à la bibliothèque où se tenait Madame Dumond :

« Ô Madame, que vous êtes bonne ! » s’écria la jeune fille. « Je viens de recevoir une caisse de plants de toutes sortes. Ô merci, merci, Madame ! »

— « Je suis contente de vous avoir fait tant de plaisir, Claire. Demain, un homme viendra labourer la clairière et plus tard, le cocher fera le reste de la besogne d’après vos ordres. »

— « Comment vous remercier, Madame, » dit Claire, « vous m’avez rendue si heureuse que je ne trouve pas de paroles pour vous exprimer ma reconnaissance !! »

— « C’est bien, c’est bien, ma chère enfant ; je suis contente de vous avoir fait un si grand plaisir à si peu de frais. Bonsoir. »

Deux jours plus tard, après le dîner, Madame Dumond dit à Claire :

« Je n’ai pas besoin de vous cet après-midi. Vous pouvez aller travailler à votre jardin. »

Quelque temps après, quand le jardin fut en fleurs, Claire décida Madame Dumond à venir le voir. Et vraiment, cette bonne dame fut émerveillée de ce qu’elle vit ; elle avoua à la jeune fille que cela faisait une agréable variante d’avec les éternels saules. Deux ou trois bancs avaient été placés en face du petit lac ; c’était d’un joli effet.

«  N’est-ce pas, Madame, que c’est un vrai paradis terrestre ici ? »

Bientôt, Madame Dumond prit l’habitude de passer l’après-midi dans le jardin de Claire, la jeune fille apportait un livre et elle faisait la lecture à haute voix. Un jour, un autre cadeau parvint à la jeune fille : c’était un joli canot. Claire le trouva un beau matin amarré au bord du lac. Comment n’aurait-elle pas été heureuse ?… Malgré les crises d’irritation et d’énervement de Madame Dumond, la vie s’écoulait paisiblement aux « Saules » endroit qui était devenu un vrai home pour Claire.