Aller au contenu

La Gardienne du Phare/12

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 31-33).

CHAPITRE XII

Le paquebot

Il était quatre heures du matin lorsque Claire arriva à N. Elle portait maintenant, au lieu du capuchon, le béret bleu. En passant près d’un ruisseau bien clair, la jeune fille ne put résister au désir de s’y mirer : elle faisait le plus gentil matelot imaginable ! Ses cheveux, coupés courts, lui seyaient bien, car ils frisaient naturellement. Elle avait l’air d’un gentil petit mousse de seize ans au plus.

Claire se mit à examiner le port. Elle aperçut des hommes occupés à charger un bâtiment de divers colis. Elle vint à eux :

« Pensez-vous que je pourrais trouver à m’engager à bord ? » demanda-t-elle, enfonçant ses mains dans ses poches et prenant un petit air crâne.

— « Sais pas », répondit l’homme. « Faudrait t’adresser au capitaine, mon gars. »

— « Quand part ce bâtiment ? »

— « Demain soir », lui fut-il répondu.

Demain soir ! Non, ça ne faisait pas l’affaire de Claire : il lui faudrait trouver à s’engager à bord d’un bateau partant dans une heure au plus. À six heures, on découvrirait son évasion ; il lui faudrait avoir quitté N. à cette heure-là. Elle continua à examiner le port… Là-bas, un autre bateau semblait faire des préparatifs de départ : les cheminées rejetaient de la fumée.

Claire se dirigea de ce côté ; on achevait de charger le bateau. C’était un grand paquebot et sa destination, c’était B.

Claire s’adressa à un matelot qui lui sembla avoir bonne figure. Le paquebot partait, en effet, dans une petite demi-heure. N’aurait-on pas besoin des services d’un mousse à bord ? Non, le matelot ne le croyait pas.

« Mais le Capitaine est là qui se promène sur le pont », ajouta le matelot, « tu peux toujours aller lui parler, mon garçon. Je te souhaite bonne chance ! »

Claire franchit le pont volant et arriva sur le deuxième pont du paquebot, où se promenait le capitaine. Sans doute, celui-ci crut rêver quand, se retournant, il aperçut le gentil mousse qui lui faisait un salut militaire.

« Vous n’auriez pas besoin de mes services. Capitaine ? » demanda ce mousse.

— « Non, mon garçon », répondit le capitaine, sans rudesse. « L’équipage est au complet. »

Claire eut envie de pleurer ; même, des larmes de désappointement perlèrent au bord de ses cils. Le capitaine vit ces larmes, sans doute, car il demanda :

« Pourquoi désires-tu tant t’engager à mon bord ? »

— « Ô Capitaine ! je désirerais tant retourner là-bas… mon père… »

Pauvre Claire !… Elle s’en voulait de mentir ainsi ; mais sa vie était en jeu.

— « Bien », répondit le capitaine, « j’ai un petit-fils de ton âge au pays ; s’il était dans la même position que toi, je voudrais que quelqu’un l’aidât. Je t’engage, mon garçon ; tu auras à t’occuper des passagers de seconde classe ; je t’en avertis, ce ne sera pas une sinécure.

— « Merci, Capitaine, oh ! merci !! » et, spontanément, Claire baisa la main du capitaine qui lui sauvait la vie.

Le capitaine emmena Claire dans sa cabine et inscrivit son nom sur le livre du bord. Ici, le nouveau mousse faillit se compromettre à jamais.

— « Ton nom ? » demanda le capitaine, en prenant sa plume.

— « Claire », répondit la jeune fille.

Aussitôt, son sang se glaça dans ses veines… Mais la voix du capitaine se faisait entendre de nouveau :

— « Prénom ? » demandait-il.

— « Jean », répondit Claire, à tout hasard.

Puis elle jeta un coup d’œil sur le registre : elle y était inscrite : « Jean Clerc, garçon de seconde ».