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La Gardienne du Phare/13

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 33-35).

CHAPITRE XIII

Le passager taciturne

Jean Clerc s’aperçut bientôt que ce n’était pas une sinécure en effet qu’on lui avait donnée ; mais il ne se plaignait pas. Au contraire, son visage souriant en fit bientôt un favori parmi les passagers de seconde.

Un de ces passagers intriguait Claire ; il était si taciturne. Il ne parlait à personne et personne ne semblait s’occuper de lui. C’était un vieillard à la longue barbe blanche. Il avait l’air bien vénérable, mais, sans s’en rendre compte, Jean Clerc frissonnait quand les yeux du vieillard se posaient sur lui.

Le dernier jour de la traversée, Claire fut fort surprise d’apercevoir le vieillard, entouré d’une dizaine de jeunes gens, et tenant le dé de la conversation. Claire s’approcha, mue par la curiosité.

« Ce phare vient d’être construit et j’en ai été nommé le gardien  », disait-il, « et je cherche un jeune compagnon. »

— « Où est-il, ce phare ? » demanda quelqu’un.

— Il est situé au-delà du 65ème parallèle nord, sur un petit îlot faisant partie des îles Charlotte ; il se nomme le « Phare des glaces ».

— « Et vous pensez réellement que vous trouverez quelqu’un qui soit prêt à aller se faire enterrer… je devrais dire enneiger, avec vous ? »

— « Je l’espère », répondit le vieillard, « La vie y sera dure un peu, peut-être ; mais on y a son pain assuré et l’on s’y sent en sûreté si complète ! »

— « En sûreté, au milieu des ours polaires ! » C’est Claire qui fit cette exclamation.

— « Oui, mon garçon, en sûreté, malgré les ours polaires. Le bateau de ravitaillement ne revient qu’au bout de trois ans… On y vit seul, sans craindre… les hommes. »

— « C’est gai ! » s’écria un garçonnet, en riant « Et, quel salaire donnerez-vous à votre compagnon ? »

— « Aucun. Celui qui m’accompagnera au « phare des glaces » devra se résigner à être compagnon non payé. Il demeurera avec moi dans ces régions perdues et devra être satisfait de cela. »

— « Délicieuse perspective ! » dit un jeune homme. Et tous se mirent à rire.

Vers les neuf heures du soir, comme Claire se promenait sur le pont du paquebot, à peu près désert, une main se posa sur son épaule. Claire se retourna et elle aperçut le vieillard taciturne auprès d’elle. Malgré elle, elle frissonna.

« Mon gars », dit le vieillard, « que penserais-tu de l’idée de m’accompagner au « phare des glaces », hein ? »

— » Oh ! non, Monsieur  », répondit Claire, « la perspective ne me tente pas ».

— « Pourtant, mon garçon, ce n’est pas à dédaigner cette position, crois-le. »

Claire se contenta de hausser les épaules.

— À quel hôtel descendras-tu ? J’irai te voir demain matin, à neuf heures. D’ici là tu auras réfléchi sur les avantages qu’offre la position. À demain. »

Le lendemain matin, Claire se leva de bonne heure et elle sortit dans la ville de B. En passant près d’un dépôt, elle s’acheta un journal et revint à son hôtel. Vite, elle chercha la colonne des annonces et trouva immédiatement celle de la vieille Hermance : « O. K… H ». Ainsi, tout allait bien de ce côté… Pauvre mère Hermance !!… Si la chance souriait à Claire un jour, elle n’oublierait pas ce que cette bonne créature avait fait pour elle…

Afin de passer le temps, Claire parcourut le journal. Sur la deuxième page, elle aperçut un entête flamboyant qui attira son attention :

L’évasion de la fameuse criminelle Claire d’Ivery.
Les plus fins limiers à sa poursuite.

Un cri s’échappa des lèvres de Claire, puis elle perdit connaissance.