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La Gardienne du Phare/14

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 35-36).

CHAPITRE XIV

Le compagnon

Quand Claire revint à elle, ses yeux tombèrent sur le journal. Ainsi, elle était traquée comme une bête, les limiers étaient sur ses traces et, malgré son déguisement, on la reconnaîtrait… on l’arrêterait de nouveau et… Ses mains se portèrent à son cou. Où se cacher,  ?… Pauvre Claire !… Elle avait cru pouvoir se créer une petite position à B. avec l’argent qui lui avait été donné en pourboires à bord du paquebot !… Tout était donc fini… Où se cacher… où ?…

Tout à coup, il lui revint à la mémoire l’offre que lui avait fait le vieillard… Il est vrai, Claire avait refusé de lui donner son adresse ; mais elle avait vu cet homme la suivre jusqu’à son hôtel ; il avait son adresse. Oui, partir avec ce vieillard qui lui faisait peur… aller demeurer pendant trois ans au « Phare des glaces »… trois ans, cinq ans, dix ans, quinze ans s’il le fallait… Tout, tout, plutôt que d’être de nouveau, livrée à la justice !!…

Claire jeta les yeux sur un cadran : il était neuf heures déjà et le vieillard n’était pas encore arrivé… Peut-être ne viendrait-il pas ?… Peut-être avait-il trouvé un autre compagnon ?… Oh ! si elle avait pu prévoir, avec quelle joie elle eut accepté son offre hier !!… Il ne viendrait pas… il était déjà neuf heures et quart… Il ne viendrait pas et elle, Claire, qu’allait-il advenir d’elle ?…

Un immense découragement s’empara de la jeune fille et elle se mit à pleurer…

À ce moment, elle entend frapper à sa porte : un valet lui annonce qu’un vieillard est en bas et demande à parler à Jean Clerc. Le vieillard apparaît bientôt lui-même, il jette les yeux sur le journal que Claire avait laissé tomber par terre et un sourire imperceptible crispe ses lèvres minces.

« Bien, mon garçon, as-tu réfléchi depuis hier soir ? »

— « Oui, Monsieur », dit Claire, « et je suis prêt à accepter la position que vous m’offrez. »

— « C’est bien, tu es sage, mon garçon. Sois sur le port à trois heures cet après-midi ; c’est à cette heure que part le bateau de ravitaillement. »

— « J’y serai, j’y serai ! » répondit Claire.

— « Ce ne sera pas gai pour toi, je t’en avertis : trois ans sans voir être humain, excepté moi… Dans ces grandes solitudes glacées plus d’un a laissé déjà sa santé, sa vie ou sa raison. »

— « Qu’importe, Monsieur, j’irai ! »

— « Très-bien. Tu n’auras à t’occuper de rien : les habits sont fournis par le Gouvernement, ainsi que les provisions. Bonjour, Jean Clerc. À trois heures précises, sur le port. »

Restée seule, Claire eut une nouvelle crise de découragement : c’était si terrible de s’en aller ainsi vivre avec ce vieillard pendant trois longues années !… Un moment, elle fut tentée de courir après lui et de lui dire qu’elle ne pouvait pas accepter… mais un tableau terrible passait devant ses yeux alors : ce tableau, c’était celui du gibet… La mort par delà le 65ème parallèle valait encore mieux que cela !!