La Gardienne du Phare/17
CHAPITRE XVII
« Tribord »
Le bateau allait rapidement. Dans deux jours, il s’arrêterait à un port, il ne s’arrêterait plus ensuite qu’une seule fois avant d’atteindre le « phare des glaces ». On resterait toute une journée à ce port et les nouveaux fiancés passeraient cette journée ensemble.
La veille, dans l’après-midi, Claire reçut un cadeau qu’elle apprécia fort. Il y avait, parmi les matelots, un nommé Marcel Lebrun. Marcel Lebrun avait un chien, un magnifique Saint-Bernard, qui avait nom « Tribord »… Tribord recevait plus de coups de pieds que de caresses de son maître, surtout lorsque celui-ci avait une tendance à bâbord, ce qui lui arrivait souvent, malgré les règlements sévères du bord. Un jour que Marcel Lebrun avait battu son chien, Claire était intervenue :
— « Vous n’avez pas honte de maltraiter ainsi cette pauvre bête ! », s’était-elle écriée, les larmes aux yeux.
— « De quoi ?… De quoi ?… » avait dit le rude matelot. « Le chien m’appartient ; j’en fais ce que je veux ! » Et il s’apprêtait à administrer un coup de pied à « Tribord », quand la main du Commandant s’abattit sur son épaule :
« Touche à ce chien », avait dit Hervé, pâle de colère, « et je te donnerai quatre jours dans le fond de cale ! »
Tribord s’était attaché à Claire et il la suivait partout. La veille de l’arrivée au port donc, Marcel Lebrun vint trouver la jeune fille et lui dit :
« Écoute, Jean Clerc, je vais te faire cadeau de Tribord ; il te désennuiera au « phare des glaces »… et Dieu sait que tu auras besoin de quelques distractions, tout seul, là-bas, avec ce vieillard de malheur ! »
— « Vous me donnez Tribord !… Oh ! combien je vous remercie !! »
— « C’est bon, c’est bon, répondit le matelot. Je ne suis pas méchant au fond et je sais que le chien sera mieux avec toi qu’avec moi, mon garçon. »
Le lendemain matin, arrivée au port et congé général. Ce fut une inoubliable journée pour Claire et Hervé, car ils la passèrent entièrement ensemble… Presque entièrement, je devrais dire, car Claire et Hervé, chacun de son côté, semblaient avoir des achats privés à faire. Chose certaine, c’est que, le soir, bien des mystérieux colis prirent place à bord du bateau de ravitaillement.
Entre autres choses, Hervé acheta un splendide collier à Tribord, collier à lames et pointes d’argent et orné d’une plaque, en argent aussi, sur laquelle il avait fait graver : « Tribord. Phare des Glaces ». Ce cadeau fit grand plaisir à Claire et même à Tribord qui semblait tout fier de n’avoir pas été oublié.
Lorsqu’on fut de retour au bateau, au moment d’appareiller, Claire alla trouver Marcel Lebrun et lui tendit un petit paquet : c’était un étui, que le matelot ouvrit avec empressement. Sa surprise et sa joie furent grandes en y apercevant une pipe en écume de mer, à bout d’ambre, dont le bol représentait un bâtiment, toutes voiles dehors.
Cette journée réservait une autre surprise à Claire. Le soir, à l’heure de leur conversation ordinaire, Hervé emmena la jeune fille dans sa cabine. Cette cabine était spacieuse et trois de ses pans étaient couverts de tablettes contenant des livres :
« J’ai voulu vous montrer ma bibliothèque, Claire ; qu’en pensez-vous ? »
Claire avait une véritable passion pour les livres ; aussi son émerveillement fut-il grand.
« Vous aimez la lecture, n’est-ce pas, ma bien-aimée ?… Bien, je vais vous laisser ma bibliothèque, en entier, au « phare des glaces ».
Claire se récria. Le sacrifice était trop grand ; elle ne pouvait accepter. Mais Hervé fut inflexible.
Pour n’y plus revenir, disons tout de suite que Hervé fit tel qu’il l’avait désiré : sa bibliothèque fut laissée à Claire au « phare des glaces » et, combien de fois la jeune fille dut bénir son fiancé pour sa généreuse idée : ces livres la sauvèrent de bien des heures de découragement.