La Gardienne du Phare/19
CHAPITRE XIX.
Le Phare des Glaces
Le bateau de ravitaillement ne devant rester que trois jours au phare des glaces. Les hommes devaient travailler nuit et jour au transport des provisions de toutes sortes, car on ne pouvait s’attarder dans ces régions dangereuses.
Le phare était construit sur un îlot, comme nous l’avons dit déjà. Durant la belle saison, qui est courte au-delà du 65ème parallèle nord, la mer entourait le phare ; mais, durant le long hiver polaire, l’îlot n’existait plus ; il se reliait aux glaciers par d’autres glaciers. Aussi loin que le regard pouvait porter, ce n’était que plaines et montagnes de glace. Le grand silence de ces régions étreignait tous les cœurs. Hervé sentit le découragement envahir son âme en songeant que sa fiancée passerait là peut-être de longues années.
« Ma bien-aimée, » lui dit-il, « comment puis-je vous laisser ici !! »
« Ne m’enlevez pas mon courage, Hervé, » répondit Claire.
Le « phare des glaces » avait près de cinquante pieds de hauteur. Il y avait un rez-de-chaussée, qui était percé de petites meurtrières. Dans ce rez-de-chaussée on entasserait le charbon et les provisions. Sous le rez-de-chaussée une cave avait été creusée, cave de douze pieds de profondeur. Le phare était à trois étages et chaque étage était pourvu d’une galerie. Le tout était en pierre.
« Voilà un phare où il ne semble pas commode de pénétrer, » dit un des matelots du bord. « Je ne vois qu’un singe qui pourrait grimper à même ce rez-de-chaussée. »
« Le phare est, en effet, inaccessible tel qu’il est là, » dit Hervé ; « il fallait le rendre tel aussi, à cause des ours polaires. »
« Mais comment y pénétrer ? » demanda Claire.
« Par un escalier en spirale à l’intérieur ; cet escalier, on y parvient par une des meurtrières… Les ours polaires sont bons grimpeurs ; mais leur agilité ne va pas jusqu’à franchir douze pieds de maçonnerie. »
Claire aurait voulu pénétrer dans le phare sans retard, mais Hervé ne le lui permit pas. Il fallait que le poêle fût bourré de charbon et chauffé à blanc avant que la jeune fille pût se risquer dans le phare.
Une fois le phare bien réchauffé, bien aéré, le Commandant, accompagné de Claire et du vieillard, y montèrent. Inutile de dire que Tribord fut aussi de la partie. Ayant escaladé l’escalier en spirale, on arriva dans la grande salle, pièce où était installé le poêle qui ronflait gaiement. Une chambre plus petite ouvrait sur cette grande pièce. Le vieillard désigna cette chambre et dit :
« Ce sera ma chambre à coucher… Je suis trop vieux pour être continuellement dans les escaliers. »
Les pièces du deuxième étage étaient disposées de la même manière que celles du premier. Claire décida qu’elle ferait de la plus petite des pièces du deuxième étage sa chambre à coucher et de la plus grande, son cabinet de travail. Le fanal du phare des glaces occupait le troisième et dernier étage.
« Au revoir, ma chérie, » dit Hervé à Claire. « Je ne reviendrai qu’après demain soir maintenant. Je me dois à mon bord. Mais je serai ici à cinq heures après demain et, ensemble, nous allumerons, pour la première fois, le fanal du « phare des glaces. »
Hervé partit. Mais Claire ne trouva pas la journée trop longue. Elle allait être très occupée jusqu’au retour de son fiancé, car elle voulait qu’il trouvât tout en ordre quand il reviendrait afin qu’il emportât une impression moins triste du phare, à son départ. Hélas ! ce serait sa dernière visite, car le bateau de ravitaillement quitterait l’îlot du phare le lendemain, au point du jour.