La Gardienne du Phare/20
CHAPITRE XX.
La séparation.
Il était à peine cinq heures, le surlendemain, quand Hervé arriva au phare, tel que promis. Il fut, tout d’abord bien désappointé de ne pas apercevoir Claire dans la salle d’entrée. Il avait espéré apercevoir son radieux visage, à son arrivée. Le vieillard était installé près du poêle et fumait sa pipe. Malgré son désappointement, Hervé ne put qu’admirer la jolie disposition de chaque chose ; Claire avait passé par là, c’était évident.
« Eh ! bien, » demanda Hervé au vieillard, « comment aimez-vous le « phare des glaces ? »
« Ça peut faire, » répondit le gardien. « Jean Clerc a fait des merveilles… C’est lui qui a tout arrangé… Il est en haut, si vous désirez lui parler. »
Hervé gravit l’escalier et alla frapper à la porte du cabinet de travail de Claire. La porte s’ouvrit et Hervé recula, presque foudroyé par la surprise. Car, au lieu du mousse Jean Clerc, il aperçut une radieuse jeune fille, vêtue d’une robe de velours noir, laissant à découvert des épaules et des bras d’albâtre. Sa chevelure dorée était retenue par un peigne de jaies. Hervé fut ébloui. « Claire ! » s’écriat-t-il, « Ô Claire !! » et des larmes dont il ne fut pas maître coulèrent sur ses joues.
« J’ai voulu vous faire cette surprise. Hervé, » dit Claire. « J’ai voulu que vous puissiez évoquer mon image telle qu’elle est maintenant, quand vous penserez à moi… Que pensez-vous de votre fiancée, Hervé ? » ajouta-t-elle avec une charmante coquetterie qui lui seyait bien.
« — Que tu es belle, mon adorée !… Oh ! viens, viens, Claire, retourne avec moi vers le monde habité… Les dames d’Arles ont toujours été reconnues pour leur beauté ; mais il n’y en a jamais eu une aussi belle que la Comtesse Claire. »
Claire se contenta de faire un signe négatif.
« Hervé, » dit-elle, « comment puis-je vous remercier pour toutes vos bontés ! Voyez : votre bibliothèque est installée ici, ainsi que le joli pupitre et l’une des deux chaises berçantes que vous m’avez envoyée… Et il y a encore deux caisses qui n’ont pas été déballées ! Grâce à vous, mon exil ne paraîtra pas trop long, ni trop dur. »
— « Claire, je ne vivrai que pour vous. À mon retour, je chercherai d’abord la vieille Hermance et la mettrai à l’abri du besoin pour toujours. Puis, je tâcherai de retrouver la servante Azurine ; cette femme en connaît plus long qu’on ne le suppose sur la tragédie des « Saules, » j’en suis convaincu… Et maintenant, chère fiancée, promettez-moi de porter toujours ce signe du lien qui nous unit. »
Ce disant, Hervé produisit un petit écrin qu’il ouvrit. Une bague splendide, surmontée d’un diamant lançant mille feux apparut aux regards de la jeune fille. Silencieusement, Hervé passa la bague au doigt de Claire.
« Je vous promets de la porter toujours, Hervé, » répondit-elle.
Et maintenant, hélas, il me faut allumer le fanal et ensuite vous dire adieu… Venez avec moi, n’est-ce pas Claire ?
Bientôt, le fanal qui devait désormais éclairer les régions hyperboréennes fut allumé et, aussitôt, trois coups de canon partirent du bateau de ravitaillement.
Silencieusement, Claire et Hervé redescendirent. Le jeune homme s’attarda encore quelques minutes dans le cabinet de travail de sa fiancée, puis il descendit au premier étage tant bien que mal ; les larmes et l’émotion le faisaient trébucher comme un homme ivre. Il oublia même de saluer le vieillard en passant, ce que voyant, celui-ci haussa les épaules et rit silencieusement.
Le lendemain, à quatre heures du matin, le bateau de ravitaillement quitta l’îlot, laissant au « phare des glaces » la fiancée du Commandant Hervé d’Arles, condamnée à vivre, des années peut-être, à côté d’un vieillard taciturne qui lui était antipathique, plus que cela, qui lui faisait peur.