Aller au contenu

La Gardienne du Phare/30

La bibliothèque libre.
Le Courrier Fédéral Ltée (p. 77-80).

CHAPITRE XXX

La nouvelle demeure.

Claire et Zilumah dormirent douze heures ; elles étaient littéralement épuisées toutes deux.

Quand Claire s’éveilla, elle eut l’air surprise d’être dans la cave, puis la mémoire lui revint et elle fondit en larmes.

Zilumah fit semblant de ne pas voir ces pleurs. Claire était découragée, l’Esquimale le savait bien ; il fallait la distraire :

« Claire, » dit Zilumah, « nous avons dormi tard ce matin et, pourtant, nous avons beaucoup à faire aujourd’hui. »

— « S’il s’agit d’un autre couloir à percer, Zilumah, je t’avertis que je ne m’en sens pas la force, encore moins le courage, je te l’assure. »

— « Non, non, nous avons quelque chose de plus agréable à faire aujourd’hui ; il s’agit de mettre un peu d’ordre dans notre nouvelle demeure. »

— « À quoi sert ! » s’écria Claire.

— « Vous allez m’aider, n’est-ce pas, Claire, à descendre du deuxième étage du rez-de-chaussée les objets que j’y ai entassés ? Nous les jetterons dans des tapis et des couvertures et les descendrons ici. Puisque nous devons vivre ici pour quelque temps, nous allons embellir notre demeure, autant possible. »

— « Notre cave » rectifia Claire. « Ô Zilumah, qu’allons-nous devenir !! »

— « Allons, allons, chère Claire, mettons-nous à la besogne, voulez-vous ? »

Quand tous les objets furent rendus dans la cave, Zilumah se mit en frais de confectionner des meubles. Une grande caisse à marchandises fut convertie en armoire. Zilumah la mit debout, elle y posa des tablettes et, dans cette armoire, elle plaça la vaisselle et la batterie de cuisine. D’une autre caisse, elle fit une sorte de chiffonnier, devant servir, en même temps de lavabo. Sur une tablette qu’elle ajouta à l’intérieur, furent déposés peignes, brosses et serviettes. Deux grandes caisses furent clouées ensemble, dos à dos et munies de tablettes. Cette charpente fut placée au centre de la chambre et recouverte d’un tapis de table ; table commode, servant d’armoire en même temps.

Quand tout fut terminé, vers les cinq heures du soir, voici l’aspect que présentait la nouvelle résidence : du côté nord, l’armoire à vaisselle, et le lavabo, du côté sud, sous la fenêtre formant le couloir d’aérage, les poches de copeaux, alignées quatre par quatre et recouvertes de couvertures de lits, faisant une couchette assez confortable. Au centre de la chambre, la table recouverte d’un tapis rouge, chaque côté de cette table, les deux chaises berçantes — cadeau d’Hervé — puis, entre la table et le lit, la peau de l’ours polaire que Claire avait tué en délivrant Zilumah de ses griffes. Tout cela éclairé vivement par un grand fanal aux verres lenticilaires, accroché au plafond. Même Claire sembla moins découragée quand tout fut terminé.

Quand on se fut installé pour la veillée, Zilumah déposa sur la table un objet que Claire avait cru ne plus jamais revoir : la cassette contenant la preuve de son innocence.

« Chère Zilumah ! » s’écria-t-elle, « tu as pu sauver cette cassette du naufrage ! »

— « Mais, oui, Claire, ne m’avez-vous pas dit déjà combien elle vous était précieuse ? »

— « Hélas, Zilumah, à quoi me servira-t-elle maintenant ? » — « Mais, à vous justifier un jour, Claire. »

— « Zilumah, il y aura bientôt un an que je suis ici… le bateau de ravitaillement ne reviendra que dans deux ans !… Car, j’ai défendu à Hervé de venir me chercher ici tant qu’il n’aura pas découvert le vrai criminel. Or la seule qui pourrait parler si elle le voulait, c’est la vieille servante Azurine et elle est totalement paralysée… En défendant à Hervé de revenir me chercher, je me suis condamné à la mort… et toi avec moi, Zilumah !! »

— « Pourquoi parler de la mort, Claire ? »

— « Pouvons-nous vivre ici durant deux années ?… Notre santé s’en ressentirait, tu le sais bien et bientôt nous mourrions. Or, vois-tu l’une de nous mourant et laissant l’autre seule ici ?… » Et Claire frisonna. « Cependant, chère Zilumah, quand les glaces fondront — dans une couple de semaines maintenant — nous pourrons quitter notre prison, quitte à y revenir la nuit et aussi l’hiver prochain. Toute cette glace qui entoure le phare devrait se dissoudre bientôt, n’est-ce pas, mon amie ? »

— « Oui, les glaces se dissoudront, bientôt sans doute, » murmura Zilumah.

l’Esquimale savait dans quel péril elles seraient quand ces tonnes et ces tonnes de glace fondraient. Elles culbuteraient, sur ce qu’il restait du phare… et, elle et Claire seraient écrasées sous leur poids. Mais pourquoi faire partager ses tristes appréhensions à sa compagne ?

Le lendemain après-midi, les jeunes filles étaient installées, chacune dans sa chaise berçante, quand Claire dit :

« Quand je pense à la bibliothèque d’Hervé, ensevelie sous les glaces !… Si nous avions un livre à lire, le temps passerait plus vite et nous parviendrions peut-être à oublier notre situation presque désespérée. »

Sans dire un mot, Zilumah se leva puis elle revint et jeta aux pieds de Claire un paquet assez lourd. L’Esquimale défit ce paquet et Claire eut une exclamation de surprise et de joie :

« Des livres !! »

— « Oui Claire. Vous vous rappelez que nous avions descendu une vingtaine de volumes dans la salle commune quelques jours avant la débâcle ?… J*ai trouvé le moyen d’enlever ces livres dans le tapis qui recouvrait la table de la salle et les voici… Voici aussi le journal du phare ; vous allez pouvoir continuer à le tenir… Et voyez ces tablettes et ces crayons : tout cela était sur la table ; j’ai tout emporté. »

Claire pleurait de joie… Oui, la vie serait possible en fin de compte, dans leur nouvelle demeure !

Mais Zilumah songeait à l’avenir, si rapproché, hélas, et elle en frissonnait de terreur.