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La Gardienne du Phare/32

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 83-86).

CHAPITRE XXXIII

Rapatriement

« Claire ! »

Dans le rez-de-chaussée, aux oreilles des condamnées, ce nom, jeté ainsi, fut comme un appel du clairon.

« Claire, êtes-vous là, Claire ? »

— « Hervé ! » cria la jeune fille, « ô Hervé !  ! »

— « Je viens », répondit la première voix.

Et aussitôt apparut, passant par une des meurtrières, le fiancé de Claire, Hervé d’Arles. En deux enjambées, il fut auprès de la jeune fille et la pressait dans ses bras.

« Ô ma bien-aimée ! » disait Hervé, « j’avais le pressentiment que vous étiez en danger… Venez, Claire, venez. Nous avons creusé un couloir par lequel vous atteindrez la liberté. »

Tout en parlant, les yeux d’Hervé firent le tour de l’étroite prison et tombèrent sur la jeune Esquimale.

— « Zilumah », dit Claire, « voici le Comte Hervé d’Arles. Hervé, voici Zilumah, ma fidèle et dévouée amie. »

Comme s’il se fut trouvé dans un salon, à une réception mondaine, Hervé salua profondément Zilumah en murmurant :

« Mademoiselle… »

Mais il fallait se hâter de quitter ce trou où les guettait la mort.

« Lebrun ! » cria Hervé, à l’orifice de la meurtrière.

— « Présent, mon Commandant ! » répondit une autre voix à l’autre extrémité du couloir.

Hervé aida Claire et Zilumah à atteindre la meurtrière. Le couloir n’était pas assez haut pour qu’on pût y marcher debout, mais on ne pouvait se montrer difficile dans les circonstances et Claire et Zilumah en avaient vu bien d’autres… n’est-ce pas ?… Au moment où Hervé franchissait la meurtrière à son tour, un dernier éboulement se produisit : c’était la cave qui se comblait tout à fait… Hervé était arrivé juste à temps pour sauver sa fiancée de la plus horrible des morts !…

Inutile de dire que Tribord avait suivi sa maîtresse et quand Hervé arriva au bout du couloir, il aperçut le chien qui gambadait autour du matelot Marcel Lebrun, son ex-maître.

« Au bateau ! au bateau ! » cria Hervé. Et voyant sa bien-aimée trop épuisée pour marcher, il la prit dans ses bras et l’emporta comme si elle eut été une enfant. Ce que voyant, Marcel Lebrun fit de même pour Zilumah, malgré les protestations de celle-ci.

Le bateau n’était pas très éloigné. C’était un solide bâtiment, quoiqu’il eût toute l’élégance d’un yatch de plaisance. Son nom, à l’arrière, indiquait qui en était le propriétaire : « Claire » s’y lisait en grosses lettres.

Quand tous furent parvenus sur le pont du « Claire », Hervé dit à Marcel Lebrun :

— « Allez chercher votre femme, Lebrun ; ces dames ont besoin de soins immédiats. »

Bientôt, le matelot revint sur le pont avec sa femme, qu’il présenta à Claire et à Zilumah. Distraitement, Claire leva les yeux, mais aussitôt un cri de surprise lui échappa :

— « Zénaïde !! »

— « Oui, ma bien-aimée demoiselle, c’est Zénaïde… Ô Mademoiselle Claire, Mademoiselle Claire ! » répétait l’ancienne servante de Madame Dumond, en pleurant. « Mais, venez, et Mademoiselle aussi, » ajouta-t-elle, en désignant Zilumah, « il faut vous mettre au lit tout de suite ; une nuit de sommeil vous remettra complètement. »

Le lendemain matin, à la pointe du jour, le « Claire » quitta l’îlot du phare pour toujours.

Après le déjeuner, Claire et Zilumah montèrent sur le pont où Hervé vint les rejoindre. Zilumah, se sentant de trop, les laissa seuls sous un prétexte quelconque et descendit dans sa cabine.

« Hervé », dit Claire, « si vous êtes venu me chercher, c’est que vous avez découvert des preuves de mon innocence ? »

Hervé pâlit et ne répondit pas.

« Hervé ! » cria Claire, « vous ne répondez pas ?… Cette hésitation me tue… »

— « Hélas ! Claire, » murmura le jeune homme, « la vieille servante Azurine est morte sans avoir recouvré l’usage de la parole. »

— « Alors », s’écria Claire en fondant en larmes, « jamais, jamais on ne connaîtra le meurtrier de Madame Dumond, puisque la cassette a été ensevelie dans les décombres ! »

— « De quelle cassette parlez-vous, ma bien-aimée ? » demanda Hervé.

Alors Claire raconta la mort du vieux gardien du phare et parla de la cassette contenant les précieux documents, ces papiers qui devaient proclamer son innocence au monde entier.

Hervé essayait de consoler sa fiancée :

« Nous nous marierons, Claire, aussitôt arrivée en France ; sous le nom d’Arles, personne ne cherchera Mademoiselle d’Ivery. »

Mais Claire, secouant la tête, continua à pleurer. À ce moment, une main se posa sur son épaule et la voix de Zilumah dit :

« Vous pleurez, Claire ?… Moi qui vous croyais trop heureuse pour verser d’autres larmes que des larmes de joie !! »

— « Oh ! Zilumah, répondit Claire, je pense à la cassette en ébène qui a été ensevelie sous les ruines « du phare des glaces »… Cette cassette qui m’était plus précieuse que la vie, puisqu’elle contenait ma justification… »

— « N’est-ce que cela ? » dit Zilumah en souriant. « Voyez, Claire ! »

Et l’Esquimale tendit à Claire la cassette, qu’elle avait sauvée du naufrage.

Claire crut mourir de joie.

— « Zilumah, oh ! Zilumah !! »

C’est tout ce que l’ex-gardienne du phare put dire, tant son émotion était grande ; mais elle entoura de ses bras le cou de l’Esquimale et lui donna un baiser. Cette bonne Zilumah ! elle était parvenue à sauver la cassette de la catastrophe et en ce faisant, elle avait droit à la reconnaissance de Claire et d’Hervé, puisque tous deux lui devraient leur bonheur.