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La Gardienne du Phare/33

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Le Courrier Fédéral Ltée (p. 86-88).

CHAPITRE XXXIV

Le bonheur n’a pas d’histoire.

Deux ans se sont écoulés. C’était un soir du mois de janvier, le Comte et la Comtesse d’Arles recevaient ce soir-là. Les salons, brillamment éclairés, étaient remplis de visiteurs. Le Comte et la Comtesse, debout à l’une des extrémistes du grand salon recevaient leurs amis avec cordialité et grâce. Tout à côté de la Comtesse est une jeune fille de race étrangère, élégamment vétue et jolie en son genre ; ses yeux surtout sont magnifiques, doux et rêveurs à la fois, ils ont déjà enflammé bien des cœurs. Cette jeune élégante, c’est Zilumah, amie et pupille du Comte et de la Comtesse d’Arles.

Neuf heures sonnent. À peine les notes argentines d’une mignonne pendule ont-elles cessé de se faire entendre que Claire, Comtesse d’Arles, quitte les salons, furtivement. Elle franchit l’escalier monumental et parvient au second étage. Sur le seuil d’une porte, le bon chien Tribord est couché. Il se lève à l’arrivée de sa maîtresse et frétille de la queue. Tournant le bouton de la porte, Claire entre dans une grande pièce, éclairée seulement par une veilleuse. Au milieu de cette pièce est un berceau et, dans ce berceau repose le fils de Claire, le Vicomte Ivery d’Arles, âgé de six mois.

Claire se penche au-dessus de son fils et dépose un baiser sur son front, puis, sans bruit, afin de ne pas réveiller, elle quitte la pièce.

Claire fait une petite caresse à Tribord en passant :

« Veille bien, Tribord, » dit-elle, « veille sur mon cher trésor ! »

Le chien comprend sans doute, car il fait entendre un petit aboiement joyeux, et, en fidèle sentinelle, il se couche de nouveau sur le seuil de la chambre où dort le fils de Claire.

La Comtesse d’Arles va retourner au salon sans doute ?… Voici l’escalier… mais elle passe outre et va frapper à la porte d’une autre pièce.

« Entrez ! » dit une voix.

Claire entre. Une vieille personne est assise au milieu de la chambre et tricote sous la lumière d’une lampe dont l’abat-jour jette des reflets roses. En apercevant Claire, l’occupante de la chambre se lève avec empressement.

« Madame la Comtesse ! » s’écria-t-elle. « Je n’espérais pas vous voir, sachant que c’est soir de grande réception. »

— « Ma bonne Hermance », répondit Claire, « quand même les salons sont remplis d’amis ou d’étrangers, je ne manque jamais d’aller embrasser mon fils et de venir m’informer de votre santé. Comment êtes-vous ce soir ? »

— « Je suis bien, très bien même, chère Madame la Comtesse et je suis parfaitement heureuse. Comment ne le serais-je pas, quand vous m’avez comblée… Vous avez mis trois magnifiques pièces à ma disposition et j’ai une bonne à mon seul service… Il n’est pas de Comtesse douairière mieux traitée que je le suis !!… »

— « Je vous devais bien cela, ma bonne Hermance. Ah ! vous le savez, c’est grâce à vous que je suis aujourd’hui la femme la plus heureuse de France ! »

Comme Claire arrivait au salon, elle entendait une voix pure et souple chanter une romance, cette voix, elle la connaissait bien ; c’était celle de Zilumah. Un Prince Russe, qui était du nombre des invités, vint au-devant de la gentille hôtesse.

« Comtesse, » lui dit-il, « vous m’avez fait l’honneur de me présenter à cette jeune fille ; mais je n’ai pas bien saisi son nom… »

— « Elle se nomme Zilumah, Prince, » répondit Claire.

— « Zilumah ?… Mais, ce n’est qu’un prénom… »

— « Elle n’a pas d’autre nom. Elle est notre pupille et ma meilleure amie… Zilumah est une Esquimale. »

— « Une Esquimale !… Cette exquise jeune fille !  !… »

Le Prince Russe était épris de Zilumah. Il se dit que ce serait très original d’épouser une Esquimale… d’en faire une princesse russe… Il est vrai que l’Esquimale était plus civilisée que bien des femmes de son pays, la Russie…

Car Hervé et Claire, aussitôt après leur mariage, avaient donné à Zilumah des maîtres de français, de musique, de chant, de peinture, de danse etc.,  etc. l’Esquimale était douée d’une intelligence bien rare, chez sa race et elle devint bientôt très accomplie… et aussi, très admirée.

Le prince Russe fit à Zilumah une cour assidue puis un jour, il lui offrit sa main, son cœur et son nom. Zilumah refusa. Elle ne voulait pas se marier pour le moment ; elle était heureuse avec Claire, qui l’aimait comme une sœur, et Hervé qui était parfait pour elle. Mais surtout le petit Vicomte Ivery d’Arles, son filleul, la retenait au château de ses bras mignons, blancs et potelés… Sans doute, le cœur de Zilumah parlerait un jour et elle deviendrait, à son tour, épouse et mère ; en attendant, elle était tout à fait heureuse au château l’Arles et les habitants du château n’auraient pas aimé se séparer d’elle.

Ainsi nous quittons ceux que nous avons suivis dans les épreuves et les malheurs… Ils sont tous parfaitement heureux et le bonheur n’a pas d’histoire.

FIN.