La Gastronomie de Bechoux 1819/Œuvre de miséricorde

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La Gastronomie, Poëme
L. G. Michaud (p. 166-175).



ŒUYRE DE MISÉRICORDE


ENVERS LES PRISONNIERS.


Vers trouvés écrits sur les murs d’une prison.


Depuis deux ans j’habite cette tour ;
De mes erreurs c’est le juste salaire.
Qui que tu sois, qui viendras quelque jour
Me succéder dans ce lieu de misère,
Apprends de moi cette utile leçon,
Qu’on peut encor être heureux en prison.
Certe, il vaut mieux, libre dans son allure,
Observateur de la belle nature,
Voir un beau champ de roses parsemé,
Que quatre murs qu’un faible jour éclaire ;

Mais si l’on doit y rester enfermé,
Il faut trouver le secret de s’y plaire :
Ce bon secret, si tu veux le savoir,
Est la gaîté ; c’est Va tout le mystère.
Elle embellit le cachot le plus noir —,
Elle supplée à tout ce que la terre
Peut nous offrir de biens et de grandeur ;
Elle adoucit les disgrâces humaines —,
Elle nous met au-dessu* ? du malheur…..’
Pour moi, je sais me moquer de mes cliaînss,
Et de mes fers me forger des hochets :
Ceux que le monde, hélas ! m’a fait connaître,
iNe valent pas davantage peut-être,
Et trop souvent m’ont laissé des regrets.
De ma prison j’ai banni la tristesse,
Qui ne saurait m’atteindre désormais,
Et qui souvent assiège en son palais
L’homme accablé d’une immense richesse.

Autour de moi je ne vois rien en laid.
Le triste aspect d’une froide muraille,
Mon mobilier, mon petit lit de paille,
Le rat craintif qui vient sur mon chevet,
Et me réveille en mangeant mon bonnet.
Tout me fait rire. En vain dans ma détresse y
Quelques amis que mon sort intéresse
Viennent me voir au travers du guichet,
Et, malheureux de ma propre infortune.
En m’abordant d’un air sombre et piteux,
Semblent vouloir que je pleure avec eux.
Et m’inspirer leur tristesse importune ;
Je les console, et leur dis en riant :
a Mes bons amis, calmez-rous, je vous prie :
« Votre douleur, dont je vous remercie,
« Ne change rien à mon appartement,
« Ne m’ouvre point cette porte ennemie,
« Ne peut briser un verrou sans pitié

« Dont ce gros mui— recèle 1 a moitié.
« Presque toujours la plainte est inutile ;
a II faut rester quand on ne peut sortir.
« Veuillez des yeux parcourir mon asile :
« Il n’est pas beau, j’en veux bien convenir »
a A. vos regards ne viennent point s’offrir
« Des ornements dont la magnificence
« Semble insulter à l’homme qui n’a rien ;
« Mais on y trouve, en y regardant bien,
« Tout ce qui peut soutenir l’existence.
« Voilà ma cruche et mon morceau de pain 9
« C’en est assez pour la soif et la faim :
« Cette ouverture, à regret pratiquée,
« Permet à l’air d’y venir s’engouffrer ;
« Ce qui suffit pour ne point étouffer :
« V^oilà ma table, elle est un peu tronquée ;
« Mais mon dîner y tient commodément :
« Sur ce trépied je m’asseois à mon aise j

« Il me soutient, quoiqu’un peu chancelant ;
« Là vous voyez mes communs à l’anglaise,
« Près de l’endroit où je prends mou repas ;
« Là mon boudoir mais je ne boude pas.
« Quand mon geôlier, d’un air brusque et sauvage,
« Vient m’apporter un limpide potage
« Assaisonné par mon seul appétit ;
« Quand de ses clefs j’entends le triste bruit,
« Avant-coureur de sa sotte présence,
« A sa rencontre aussitôt je m’avance ;
« Je viens à bout d’égayer son humeur.
« Le lendemain mon potage est meilleur ;
« Il m’entretient d’une manière affable,
« Et quelquefois le vilain est aimable. > »
J’en viens à toi, mon triste successeur ;
Apprends à rire aussi de ton malheur.
Si quelque jour, traduit à l’audience,
Tu crains le sort d’un jugement fatal ?

Fais, si tu peux, rire ton tribunal ;
Tu dois dès. lors compter sur l’indulgence.
Vis eu repos. Je te laisse, en sortant,
Sans nul regret, mon petit logement,
Lequel n’est point d’une forme nouvelle.
Il est fort chaud quand la saison est belle ;
Mais en liiver il est froid à glacer.
Que si tu veux pratiquer quelqu’issus
Pour essayer de tomber dans la rue,
Je te préviens qu’il y faut renoncer ;
De tes malheurs tu doublerais la somme ?
Jamais prison ne garda mieux son homme ?
De ses gros murs le ciment éternçî
Résisterait à la force d’Alcide ;
Et de ce lieu l’architecte perfide
A su trop bien, dans son zèle cruel ^
Sacrifier l’agréable au solide.
Il est encore un secret mei-yeilîeiix

Pour adoucir les maux de Pesclavage ;
Fais-toi poëte, et conjure les dieux
De t’enseigner à parler leur langage.
Si tu deviens favori d’Apollon,
L’ennui bientôt fuira de ta prison ;
Le dieu des vers, dans le pays des fables,
Te conduisant par des chemins fleuris y
T’entourera d’illusions aimables ;
Autour de toi voltigeront les ris,
Bien plus plaisans et plus recommandables
Que les cousins et les chauve-souris.
Ton vil grabat, la paille où tu reposes,
Changés en lit de jasmin ou de roses.
T’inviteront aux plaisirs de l’amour
Avec Hébé, Psyché, Flore ou Clytie,
Qui te viendront enchanter tour à tour :
La sombre voûte à peine recrépie,
Triste iiteJicr des travaux u’Arachné,

Dont les tîébris saupoudrent ton dîné,
Tu la croiras un bosquet d’Idalie,
Un vert bocage où devront à ta voix
Se rassembler les doux chantres des bois.
Tout changera dans la prison Iiideuse
Où les mortels ont osé t’enf’erraer *,
Car tu pourras à ton gré transformer
L’eau de ta cruche en liqueur onctueuse,
En pur dictame, en breuvage des dieux,
Ta cruche même en vase précieux,
Ton pain de seigle en miel du mont Hymète,
Et ton potage en consommé divin
Le vrai poëte est un magicien
Qui soumet tout aux lois de sa baguette…..
Deviens sorcier, mon ami, si tu peux ;
Fais mieux que moi : que ta plume exercés
Soit dans tes mains un talisman heureux
Qui du malheur détourne ta pensée.

En écrivant pour charmer tes loisirs,
Entoure-toi de plaisant* souvenirs ;
Ose parler aux maîtres de la terre
En éf^ayant ta verve solitaire :
Dis-leur combien tu serais enchanté
De respirer l’air de la liberté.
Tu peux gaîment émouvoir leurs entrailles.
D s qu’un poëte entre quatre murailles
Perd son génie ainsi que sa santé
Que tu voudrais observer la nature
Pour la clianter, si c’est leur volonté ;
Qu’on parle mal, dans une tour obscure,
J)iL doux printemps, des prés, de la verdure)
Des rossignols, des échos d’aleritour,
Et des zéphyrs, et de l’aube du jour y
JEt des parfuma de V haleine de Flore ;
0])jets cîiarmants dont quelquefois en vers
Oa a peut-être ennuyé l’univers j

Mais dont tu veux l’entretenir encore
Observe-Jeur que ta muse en échec,
Fermée à clef, condamnée au pain sec,
En cet état s’inquiète et murmure —,
Qu’elle a besoin d’air et de nourriture.
Demande grâce enfin pour tes erreurs ;
En jolis vers fais amende honorable :
Ton repentir touchera tous les cœurs.
Mais garde-toi, si tu n*es pas coupable,
De caresser l’orgueil d’un oppresseur,
Et ne fais pas ramper la poésie
En la souillant d’un vers adulateur.
Plus courageux, cite la tyrannie
Au tribunal du temps et de l’honneur ;
N’adresse pas une plainte importune
A l’ennemi qui t’a persécuté ;
Mais dans tes fers illustrant l’infortune^
Fais-le rougir de ta captivité.