La Genèse de l’idée de temps/2

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Félix Alcan (p. i-iii).

PRÉFACE DE L’AUTEUR



Une des conséquences les mieux établies par la psychologie moderne, c’est que tout est présent en nous, y compris le passé même. Quand je me souviens d’avoir, dans mon enfance, joué au cerceau, l’image que j’évoque est présente, tout aussi présente que celle de ce papier sur lequel j’exprime en ce moment des idées abstraites. Penser à jouer au cerceau, c’est même préluder déjà intérieurement aux actions que suppose ce jeu. De même, penser à une personne absente, c’est l’appeler tout bas par son nom et commencer presque avec elle un dialogue. Une chose n’est réellement passée que quand nous en perdons toute conscience ; pour revenir à la conscience, elle doit redevenir présente. Mais si, en somme, tout est présent dans la conscience, si l’image du passé est une sorte d’illusion, si le futur, à son tour, est une simple projection de notre activité présente, comment arrivons-nous à former et à organiser l’idée du temps, avec la distinction de ses parties, et quelle est l’évolution de cette idée dans la conscience humaine ? — L’idée du temps, selon nous, se ramène à un effet de perspective. Nous montrerons, en premier lieu, que cette perspective n’a pas toujours existé et n’est pas nécessaire a priori pour l’exercice de la pensée dans sa période de confusion et d’indistinction originaire. Puis, nous essayerons d’expliquer comment s’est formée cette perspective et de suivre le travail de la nature à ses divers degrés : ainsi on suit sur un tableau le travail du peintre ; on voit comment, sur une toile plane, il a pu rendre sensible la profonde obscurité d’un bois, ou, au contraire, faire pénétrer et s’épanouir joyeusement dans une pièce un rayon de lumière. La perspective en peinture est une affaire d’art ou d’artifice ; la mémoire aussi est un art : nous montrerons, dans la conception du temps, le plan naturel et inévitable que cet art suit toujours. Pour cela, nous essaierons de faire successivement la part : 1o de l’imagination passive et purement reproductrice, qui fournit le cadre immobile du temps, sa forme ; 2o de l’activité motrice et de la volonté, qui, selon nous, fournit le fond vivant et mouvant de la notion du temps. Les deux éléments réunis constituent l’expérience du temps.