La Grande Morale/Livre I/Chapitre 23
§ 1. La grandeur d’âme est une sorte de milieu entre l’insolence et la bassesse. Elle se rapporte à l’honneur et au déshonneur. Mais ce n’est pas à l’honneur dont dispose le vulgaire, c’est à l’honneur dont les honnêtes gens sont les seuls juges; et c’est bien plus de celui-là qu’elle se préoccupe. Les hommes de bien qui connaissent les choses et les apprécient à leur juste valeur, accorderont leur estime à qui la mérite ; et- le magnanime préférera toujours l’estime éclairée d’un coeur qui sait combien le sien est vraiment estimable. Mais la magnanimité ne recherche pas tout honneur sans distinction ; elle ne recherchera que l’honneur le plus haut, et n’ambitionnera que ce bien assez précieux pour qu’on puisse l’élever à la hauteur d’un principe.
§ 2. Les hommes méprisables et vicieux, qui se jugeant eux-mêmes dignes des plus grands honneurs, mesurent à leur propre opinion la considération qu’ils exigent, sont ce qu’on peut appeler des insolents ; ceux au contraire qui exigent moins qu’il ne leur revient en bonne justice, montrent une âme basse.
§ 3. Entre ces deux extrêmes, celui (lui tient le milieu c’est celui qui n’exige pas pour lui moins d’honneurs qu’il ne lui en revient, ni plus qu’il n’en mérite, et qui ne veut pas les accaparer tous pour lui seul. Celui-là est - le magnanime ; et, je le répète, évidemment la grandeur d’âme est le milieu entre l’insolence et la bassesse.