La Guerre de France en 1870-71/01

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I.

LA PREMIÈRE ARMÉE DE LA LOIRE.


I. La première armée de la Loire, par le général d’Aurelle de Paladines. — II. Orléans, par le général Martin des Paillières. — III. La deuxième armée de la Loire, par le général Chanzy, — IV. La Guerre en province, par M. Ch. de Freycinet. — V. Opérations des armées allemandes depuis la bataille de Sedan jusqu’à la fin de la guerre, par W. Blume, major au grand état-major prussien, traduction du capitaine Costa de Cerda. — VI. Guerre des frontières du Rhin, 1870-1871, par le colonel Rüstow, traduction du colonel Savin de Larclause, 2 vol. — VII. La Campagne de 1870, par le correspondant du Times, etc.

Une nation qui depuis César a passé pour la race la plus guerrière du monde, qui a grandi dans les combats et par les combats au point d’exciter l’envie ou les ombrages des autres peuples en s’enivrant elle-même de ses propres succès, cette nation, une fois de plus descendue dans l’arène, se sent tout à coup frappée dans sa puissance et dans son orgueil. À peine a-t-elle le temps de se reconnaître dans cette carrière de foudroyantes déceptions où elle est lancée à l’improviste. Elle se croyait invincible, elle est vaincue presque avant d’être entrée en campagne. Elle se fiait avec une sorte de superstition à son vieux prestige, à la puissance de son organisation militaire, à l’habileté entraînante et hardie de ses généraux, et en un clin d’œil elle voit son organisation militaire pulvérisée, ses armées régulières coupées, cernées et captives, ses généraux paralysés par une stratégie qui surprend et déconcerte leur courage. Elle se flattait, on la flattait d’une de ces grandes marches soudaines qui la portaient autrefois sur le sol ennemi, dans les capitales européennes, et au premier choc elle voit ses frontières rompues, ses provinces livrées à l’implacable invasion qui déborde sur son territoire, ses villes assiégées et tombant l’une après l’autre. C’est l’histoire de 1806, d’Iéna, qui recommence, et cette fois contre la France. Quoi encore ! le premier auteur de la guerre, l’empire tombe, la république naît au coup de tocsin de Sedan, et alors par une dernière illusion, on se figure du moins qu’on va pouvoir opposer à l’envahisseur les levées en masse, les armées improvisées, les murs inexpugnables de Paris ; mais non, tout est inutile, la résistance est vaincue jusque dans ses derniers retranchemens, jusque dans ses derniers efforts, et il ne reste plus qu’à rendre les armes, à subir la poignante nécessité d’une paix achetée au prix d’un démembrement, d’un déchirement de l’indissoluble territoire de France. Comment cette tragédie militaire et nationale s’est-elle accomplie ? Comment a-t-elle été possible ?

Rien n’est plus simple, dit l’un, le premier de tous, celui qui s’efforce aujourd’hui de relever la France et de lui refaire une armée, — ce qui est arrivé est la suite de toutes les fautes qui ont été commises.

Première faute, on s’est jeté étourdiment, précipitamment, dans une guerre pour laquelle on n’était pas prêt, sans même se donner le temps de rassembler, d’organiser les forces dont on aurait pu disposer, qui en quelques semaines auraient pu doubler nos contingens. On est parti en désordre avec des régimens incomplets, au milieu de toutes les difficultés d’une formation fiévreuse, d’une mobilisation bien plus compliquée que celle de la Prusse. Seconde faute, on n’a pas eu même le bénéfice de cette apparente rapidité ; on est resté vingt jours à piétiner sur place, avec des corps insuffisans, mal liés, disséminés de Thionville à Belfort, sans prendre une position militaire, en face d’un ennemi qui s’avançait en masse, prêt à s’enfoncer comme un coin dans nos lignes débiles. Troisième grande faute, après des revers qui auraient dû être un avertissement, on n’a pas su prendre un parti et se replier ; avec une armée nouvelle formée en toute hâte, déjà démoralisée, on a cru pouvoir aller se jeter sur des armées victorieuses qui manœuvraient autour de nous, sur « la muraille d’airain » qui d’heure en heure étreignait Metz, — on est allé à Sedan ! Dernier malheur enfin, on avait joué le tout pour le tout dès le premier jour ; à partir de ce moment, la France a pu résister encore avec courage, elle ne pouvait plus se relever, parce qu’elle n’avait plus que des apparences d’armées, parce qu’elle avait perdu tous ses effectifs réguliers et tous ses cadres à Sedan, puis à Metz. Tout est là, tout vient de là, la Prusse était prête, la France ne l’était pas[1]. — Non, dit un autre, qui a eu le douloureux mérite de pressentir nos désastres bien avant la guerre, dès 1867, non, dit le général Trochu, cela ne suffit pas pour tout expliquer. La France a été la victime d’une catastrophe qui se préparait depuis longtemps. Elle a subi le sort de tous les peuples qui ont une éclatante légende et qui « périssent par leur légende. » La France a péri pour s’être enivrée de sa légende napoléonienne, pour avoir vécu d’illusions et d’infatuations, en se répétant à elle-même qu’elle était la grande nation, qu’elle avait toujours les premiers soldats du monde, et en négligeant tout ce qui pouvait la maintenir à son rang par la vigueur rajeunie des institutions, par une sève incessamment renouvelée. Les révolutions par leurs influences, les gouvernemens eux-mêmes par leurs captations ou par leurs faux systèmes ont aidé à la décadence croissante de l’esprit militaire. On n’a plus connu ces grands mobiles, ces fortes vertus qui font les armées, l’abnégation, le dévoûment, le travail, la discipline. On s’est livré aux habitudes frivoles, aux calculs tout personnels, aux préoccupations de l’avancement et des distinctions. Il y avait toujours des soldats, des chefs vaillans, l’armée n’existait plus avec ses qualités nécessaires de cohésion, d’émulation virile, d’instruction sérieuse et de solidité. — Non, non, ce n’est point encore cela, diront bien d’autres. La France a dû ses désastres à des raisons plus générales et plus profondes, à la confusion de toutes les idées, à l’invasion de tous les instincts matérialistes et amollissans de bien-être et de jouissance, à ce cosmopolitisme énervant qui éteint dans l’âme d’un peuple jusqu’au sentiment de la patrie.

Ainsi on va à la recherche des explications, et toutes ces causes qu’on se plaît à énumérer ne s’excluent pas, elles se complètent comme pour former la philosophie amère de nos malheurs. Elles agissent ensemble ou partiellement selon les circonstances dans cette sanglante crise nationale qui d’un seul coup a dépassé les grandes invasions de 1814 et de 1815. La question est maintenant de serrer de plus près ce drame à la fois militaire et politique de 1870, qui six mois durant semble échapper à toute direction, où tant se mêle et se confond, la révolution et la guerre, le patriotisme et l’esprit d’aventure, les inspirations les plus généreuses et les passions les plus meurtrières ou les plus bruyantes. Ces événemens d’ailleurs commencent à n’avoir plus rien de mystérieux, ils prennent par degrés leur vraie physionomie et leur caractère. Ce qu’on n’apercevait pas ou ce qu’on avait de la peine à comprendre dans la fumée du combat, on peut le saisir plus distinctement. Les documens et les révélations ne manquent plus. La lumière vient un peu de tous les côtés, d’Allemagne et de France, de l’état-major prussien et de nos généraux, des belligérans et des neutres, de ceux qui ont été acteurs ou observateurs et qui racontent ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils ont vu, des enquêtes parlementaires qui instruisent le procès de toutes les responsabilités de la guerre. Ce n’est point encore l’histoire tout entière sans doute, c’est le commencement de l’histoire par le concours de tous les témoignages sérieux, passionnés ou intéressés, qui forment déjà comme une littérature de nos désastres, qui substituent peu à peu la réalité à ce tissu de malheurs légendaires.

Je voudrais, avec tous ces récits qui se succèdent, essayer de préciser ce que j’appellerais volontiers la vérité vraie sur les hommes et sur les choses, sur cette campagne de 1870, qui n’est plus à un instant donné qu’un ensemble d’efforts brisés, d’épisodes incohérens, de tentatives désespérées et inutiles. Jusqu’au 4 septembre, c’est la guerre de l’empire, marquée par les premiers combats et les premiers désastres, par la catastrophe de Sedan et par cet investissement de Metz qui prépare une autre capitulation, dernier et sombre épilogue de la période impériale. A partir du 4 septembre et en dehors de cette agonie de Metz, qui appartient encore à l’empire, c’est la guerre de la défense nationale ramassant les tronçons de l’épée de la France, disputant pied à pied le pays à l’invasion jusqu’au moment où la résistance expire partout à la fois, sous les murs de Paris, aux frontières de Suisse et au Mans. Quelle est justement la vérité sur cette seconde partie de la lutte, sur cette guerre de la défense nationale où Paris et la province essaient vainement de se rejoindre ? Quelle est la part des chefs militaires et des dictatures improvisées qui disposent des forces de la France ? Qu’a-t-on fait, en un mot, ou qu’a-t-on voulu faire ? C’est là le tragique problème qui se débat encore, et ce qui apparaît certainement désormais, c’est que, s’il y a eu d’invincibles fatalités, il y a eu aussi, après comme avant le 4 septembre, tout ce que l’aveuglement et la présomption peuvent accumuler de fautes, tout ce que la politique peut jeter de contre-temps et de confusions dans une entreprise militaire déjà presque impossible par elle-même.

I

Une méprise étrange plane encore sur ces événemens, sur cette heure d’angoisse où l’empire, en s’écroulant, laissait à un gouvernement nouveau l’héritage et la responsabilité d’une lutte déjà plus qu’à moitié désespérée. Pouvait-on s’arrêter au 4 septembre, au lendemain de Sedan, cet autre Waterloo, bien plus terrible que le premier, éclatant dès le début d’une campagne ? Devait-on se hâter de plier sous la mauvaise fortune, ne fût-ce que pour limiter les sacrifices qu’on pouvait avoir à faire ? La lutte jusqu’au bout, la lutte à outrance n’a-t-elle été que le coup de désespoir et d’audace d’un pouvoir d’aventure sorti d’une révolution ? Rien n’est plus facile, après ce qui s’est passé, que d’accabler le gouvernement de septembre sous le poids des désastres qu’il n’a pas pu empêcher et qu’il a peut-être aggravés. La guerre de la défense nationale n’a pas été plus heureuse que la guerre de l’empire ; mais ce serait assurément la plus singulière illusion de croire que cette guerre, on était libre de la décliner ou de l’accepter, que, si le régime impérial était resté debout, il aurait pu faire la paix. Les bonapartistes le crient sans cesse aujourd’hui, parce qu’ils pensent alléger ainsi les responsabilités de l’empire, et, chose plus curieuse, ces hommes de septembre qu’on accuse, quelques-uns du moins, n’étaient point éloignés, aux premiers jours de leur avènement, d’avoir la même idée dans un autre sens ; ils avaient la naïveté de croire que, puisque celui qui avait déchaîné la guerre était désormais hors de cause, la réconciliation des deux peuples redevenait possible, que la révolution dont ils étaient les chefs pouvait désarmer ou désintéresser l’Allemagne victorieuse. M. Jules Favre était conduit à Ferrières par cette illusion généreuse d’une diplomatie candide ; ce n’était qu’une illusion qui s’évanouissait à l’instant sous le sarcasme tranchant et hautain de M. de Bismarck.

La vérité est que la paix après Sedan était aussi impossible pour le gouvernement de la défense nationale que pour l’empire lui-même, parce que dès ce moment, pour l’Allemagne, il n’y avait point de paix sans la cession de l’Alsace, et qu’aucun pouvoir, quelqu’il fût, n’aurait pu souscrire à l’impitoyable loi de la guerre. La paix était impossible, parce que la France, si cruellement éprouvée qu’elle fût, n’était point arrivée à ce degré d’épuisement où l’on se soumet à tout ; elle se sentait encore pleine de force et de ressources, elle était plus exaspérée que découragée. Rendre les armes, livrer l’intégrité nationale après un mois de combat, c’eût été une de ces trahisons d’un peuple envers lui-même qui ressemblent à un suicide. Qui aurait osé, qui aurait pu en ce moment signer la paix, à moins de commencer par étouffer jusqu’à la dernière palpitation de patriotisme dans le pays et d’être réduit peut-être à subir le secours ou la connivence de l’ennemi victorieux pour comprimer les révoltes du cœur national ? Si c’était une « folie, » c’était la folie de tout le monde. Les bonapartistes n’en étaient pas encore à représenter comme un bienfait la chance de se racheter au prix d’une mutilation de nationalité, sans avoir épuisé la résistance.

Continuer la guerre était donc une sorte de fatalité à laquelle on ne pouvait se dérober. Il est bien clair seulement que, par la catastrophe militaire de Sedan, comme par le coup d’état populaire du 4 septembre, tout était changé, que cette guerre nouvelle, inévitable, pleine d’inconnu, qui allait commencer, s’engageait dans des conditions étrangement compromises. Qui ne se souvient de ces jours d’anxiété où la situation s’aggravait d’heure en heure, où, avec la volonté de combattre, on ne savait si on aurait le temps de retrouver des moyens de combat, où il fallait chercher à tâtons et dans la fièvre les hommes, les armes, les approvisionnemens, pour soutenir un siège à Paris, pour reprendre la campagne au dehors ? Les armées allemandes désormais libres s’avançaient cependant par toutes les routes au cœur de la France ; dès le 15 septembre, leurs têtes de colonne étaient à Meaux, et pour reconstituer les forces françaises en face de l’ennemi, pour reprendre d’une main vigoureuse la direction de cette lutte inégale, que restait-il ? Un pouvoir sorti d’une émotion publique, un gouvernement de bonne volonté et de hasard qui pouvait avoir les meilleures intentions, mais qui portait en lui-même les germes de toutes les faiblesses, l’incohérence d’une origine révolutionnaire, les préjugés de parti, l’inexpérience des affaires.

On en était là lorsque, le cercle de l’investissement se resserrant et se fermant tout à coup le 19 septembre, Paris et la province se trouvaient séparés avant qu’on eût eu la prévoyance ou le temps de se mettre en garde contre cette désastreuse éventualité. Tout ce qu’on avait imaginé de mieux à l’approche de l’investissement avait été en effet d’expédier à Tours une délégation de deux médiocres vieillards et d’un homme de guerre, l’amiral Fourichon, qui aurait pu certainement rendre les plus utiles services, s’il n’eût été immédiatement assailli par toutes les influences de révolution. M. Crémieux, M. Glais-Bizoin, l’amiral Fourichon, c’était toute l’autorité politique en province, et ici évidemment éclate la première faute dans cette période nouvelle. Le gouvernement de la défense nationale, né à Paris, composé des députés de Paris, n’avait vu que Paris, sous prétexte que là « se concentraient les espérances de la patrie, » que « là où était le combat, là devait être le pouvoir. » Il trouvait tout simple, comme il le disait dans une de ses premières proclamations, que « la population parisienne eût choisi pour chefs les mandataires qu’elle avait déjà investis de sa confiance. » C’était assez simple en apparence, c’était surtout selon la tradition révolutionnaire ; seulement, avec cette idée si simple, on arrivait à une situation telle que pendant cinq mois la France tout entière devait rester sous la dictature de la députation parisienne prisonnière des Prussiens, que tous les intérêts nationaux, même les relations extérieures, allaient dépendre d’une ville investie d’où rien ne pouvait s’échapper que par les airs, — de sorte que dans la plus redoutable des crises, entre la province et Paris, il y avait tout à la fois une indissoluble solidarité de gouvernement et une impossibilité presque absolue de combiner une action commune.

Ce n’était peut-être que d’une gravité relative pour Paris, la ville aux immenses ressources où tout était concentré, où l’on avait appelé dès le premier jour tout ce qu’on avait pu réunir de forces et où le gouvernement restait presque tout entier. C’était un désastre pour la province, qui se trouvait subitement livrée à elle-même, à ses incertitudes, avec une révolution sur les bras, au moment où elle aurait eu le plus grand besoin d’être soutenue et rassurée, de sentir une direction énergique et précise. C’est ici que commence réellement cette guerre de province, et pour se préparer à cette lutte inattendue tout était à faire. Qu’on se rappelle un instant ce qu’était cette situation militaire après un mois de combats, c’est-à-dire de défaites. Pour pouvoir porter à la fin de juillet et aux premiers jours d’août un peu plus de 200,000 hommes sur le Rhin, il avait fallu épuiser l’armée française, envoyer tous les régimens, tant les effectifs des corps étaient appauvris et insuffisans. Pour faire l’armée de Sedan, on avait été obligé de ramasser tout ce qui n’était pas enfermé à Metz, d’appeler l’infanterie de marine, d’improviser déjà des régimens de marche avec les dépôts, avec les quatrièmes bataillons, de telle sorte que le jour où de ces deux armées l’une était captive, l’autre immobilisée sous les murs de Metz, il ne restait plus rien, ni soldats ni cadres. Un des historiens de cette guerre, le général Martin des Pallières, qui s’est retrouvé sur la Loire après avoir vaillamment conduit l’infanterie de marine à Sedan, assure qu’on pouvait disposer encore de plus d’un million d’hommes. Évidemment la France n’était point épuisée. Le corps législatif, dans le dernier mois de son existence, avait voté des levées nouvelles qui, avec les gardes mobiles, offraient une ressource considérable ; mais ces hommes, dont la plupart n’avaient jamais manié une arme, étaient dispersés un peu partout, les uns dans les dépôts, les autres sur les chemins, le plus grand nombre encore dans leurs foyers. Il fallait les rassembler, les armer, les équiper ; il fallait avoir des officiers, des sous-officiers, pour faire de tout cela des corps constitués ; il fallait enfin avoir des généraux, qu’on ne pouvait plus trouver que parmi les vieux serviteurs passés à la réserve ou parmi des chefs plus jeunes qu’on ne connaissait pas. Ce qu’il y avait de plus effectif dans les forces françaises de province était une division, bien incomplète elle-même, appelée d’Afrique et destinée à devenir le noyau le plus solide du 15e corps, dont l’organisation commençait dès le 20 septembre à Bourges sous la direction du général de Lamotteronge. Ces premiers contingens, ébauche de la future armée de la Loire, un rassemblement formé dans l’est sous le général Cambriels, qui allait être promptement obligé de se replier des défilés des Vosges sur Besançon, des groupes incohérens de mobiles bretons dans l’ouest sous le général Fiereck, c’était là pour le moment toute la puissance militaire de la France.

S’il y avait eu un gouvernement sérieux, il aurait compris aussitôt qu’avant de rien entreprendre la première condition était de se réorganiser, que, pour obtenir de la France l’immense effort qu’on allait lui demander, il fallait au moins gagner sa confiance, éviter surtout de troubler ou de décourager son patriotisme par le spectacle des divisions, du désordre, du gaspillage et de l’intrigue. L’amiral Fourichon le sentait et n’y pouvait rien. M. Crémieux et M. Glais-Bizoin étaient assurément fort embarrassés de leur omnipotence, ils ne se rendaient même pas compte des difficultés les plus élémentaires d’une œuvre à laquelle ils n’avaient à donner qu’une frivole sénilité. Ils s’agitaient dans la confusion, laissant l’anarchie envahir les plus grandes villes, Lyon, Marseille ou Toulouse, — les esprits s’aigrir partout, les bonnes volontés s’égarer. Au lieu d’être le centre d’une activité coordonnée et féconde, Tours commençait à devenir le rendez-vous bruyant et banal de tous les solliciteurs à la recherche d’un grade ou d’un emploi, de tous les inventeurs de combinaisons merveilleuses, de tous les poursuivans de marchés équivoques, de tous les oiseaux de proie des révolutions et des grandes crises politiques.

Tours allait être pour deux mois le caravansérail tumultueux et bariolé de la défense nationale. Cette délégation de province croyait faire beaucoup, et elle ne faisait rien. Elle se nourrissait de si étranges illusions que, dès le 29 septembre et le 1er octobre, elle écrivait au gouvernement de l’Hôtel de Ville : « La province se lève et se met en mouvement… Notre seule et immense préoccupation est d’activer l’organisation des forces destinées à débloquer Paris… Les contingens militaires forment désormais deux armées comprenant chacune environ 80,000 hommes, l’une sur la Loire et qui va s’avancer sur Paris, l’autre ayant pour centre… » L’armée de 80,000 hommes sur la Loire, c’était tout simplement le premier noyau du 15e corps, qu’on se hâtait, dès les premiers jours d’octobre, de pousser en avant d’Orléans, à la rencontre de l’armée allemande, qui débordait déjà jusqu’à Toury, au-delà d’Étampes. Le résultat était facile à prévoir avec des hommes mal armés, mal équipés, mal soutenus par une artillerie insuffisante : ce fut la retraite précipitée de ces forces novices après un combat assez vif à Artenay, — retraite suivie de la première occupation d’Orléans par le corps bavarois de von der Tann et couronnée par la révocation du général de Lamotterouge, qui pourtant n’avait fait qu’obéir à un ordre venu de Tours en envoyant ses bataillons au feu avant l’heure. C’est du reste le système qu’on commençait à suivre avec les généraux. On destituait le général de Lamotterouge à Orléans, on emprisonnait ou on laissait emprisonner le général Mazure à Lyon. On organisait de cette manière, à la mode révolutionnaire, si bien que l’amiral Fourichon, impuissant et indigné, ne voulait plus rester chargé de l’administration de la guerre, et, — chose curieuse en un tel moment, — pendant quelques jours, il n’y avait plus même de ministre de la guerre !

C’est alors que M. Gambetta tombait subitement à Tours comme un messager de Paris investi, venant porter à la province le mot de ralliement de la défense et, pour ainsi dire, la parole vivante de la grande cité assiégée. Quelle était à ce moment, au 9 octobre, la situation militaire ? Paris était fermé depuis vingt jours déjà et si étroitement bloqué, que rien ne pouvait plus passer à travers les lignes prussiennes. L’investissement une fois organisé, l’état-major allemand, campé à Versailles, s’était occupé de la protection extérieure du blocus. Il avait immédiatement jeté dans la Beauce des divisions de cavalerie avec quelque infanterie pour nettoyer le pays, pour disperser les rassemblemens qu’on rencontrerait, et surtout pour assurer le ravitaillement de l’armée de siège par un système de larges et implacables réquisitions. Dans l’ouest, des détachemens s’avançaient sur Chartres. Dans la direction de la Loire, par Etampes, les premiers cavaliers lancés en avant étaient bientôt suivis du corps bavarois tout entier sous les ordres du général von der Tann, à qui on donnait de plus une division d’infanterie prussienne et une nouvelle division de cavalerie. C’est justement cette armée qui, après le combat d’ Artenay, allait occuper Orléans le 11 octobre, et qui était destinée à jouer un certain rôle dans les affaires de la Loire. A partir de ce moment, les Allemands restaient maîtres de cette zone d’Orléans à Chartres, qu’ils sillonnaient de toutes parts, exerçant des représailles sanglantes au moindre signe de résistance, détruisant de malheureux villages comme Ablis, où des uhlans et des hussards de Slesvig avaient été maltraités, bombardant et brûlant Châteaudun défendu par les volontaires parisiens de Lipowski, renouvelant en un mot les traditions de la guerre de trente ans en pleine Beauce. Dans l’est, le général de Werder, libre de ses mouvemens après la chute de Strasbourg le 28 septembre, était déjà en marche pour refouler le général Cambriels en s’ouvrant la route de la Saône et de Dijon. Quant aux forces françaises, à part les francs-tireurs, qui se répandaient un peu partout et qui harcelaient plus qu’ils n’arrêtaient l’ennemi, en dehors de l’armée de Metz, dont on ne savait rien si ce n’est qu’elle retenait encore devant elle 200,000 Allemands, tout se réduisait à ce 15e corps dont une partie venait d’être battue en avant d’Orléans et se repliait en toute hâte derrière la Loire pour ne s’arrêter qu’au fond de la Sologne. Si les Allemands s’étaient sentis plus forts ou avaient été plus hardis, ils pouvaient évidemment tenter une pointe sur Bourges ou sur Tours, ils n’auraient pas rencontré une résistance sérieuse et organisée. On en était là au 10 octobre, au lendemain de l’arrivée de M. Gambetta, et l’unique question était de savoir si le nouveau-venu portait réellement à la défense nationale la direction, l’impulsion qui lui avait manqué jusque-là.

Si jamais homme eut la chance d’arriver au bon moment, c’est M. Gambetta. Il avait pour lui la jeunesse, une parole vibrante, un patriotisme plein de feu et jusqu’à la couleur romanesque de son évasion de Paris à travers les airs. Ce qu’il y avait d’un peu merveilleux dans ce voyage en ballon parlait à l’imagination publique, et faisait au nouveau représentant de la défense une sorte de popularité qui pouvait l’aider singulièrement. Ce qui est certain, c’est que les circonstances lui créaient un rôle exceptionnel, c’est qu’il avait été envoyé justement pour suppléer à l’insuffisance de la délégation de province, et que dans cette situation il pouvait beaucoup. A peine arrivé, il se mettait à l’œuvre, prenait hardiment le ministère de la guerre et le ministère de l’intérieur, appelant auprès de lui un ingénieur, M. de Freycinet, qu’il décorait du titre assez étrange et assez vague de délégué du ministre de la guerre. Par le fait, c’était une vraie dictature politique et militaire. Assurément les difficultés étaient immenses, elles étaient d’autant plus graves que les plus simples élémens d’organisation manquaient, qu’on était souvent réduit à procéder au hasard. On n’avait ni dossiers du personnel de l’armée, ni états du matériel, ni cartes de la France. Tout était resté à Paris, et s’il y avait à Tours un ministre de la guerre, même un délégué du ministre, il n’y avait point, à proprement parler, de ministère de la guerre. L’administration se composait de quelques employés qui réunissaient dans leurs mains tous les services, recrutement, formation des corps d’armée, artillerie, transports, approvisionnemens. Il fallait tout improviser au jour le jour en face de l’ennemi, et je ne veux pas dire que dans cette crise de la défense M. Gambetta n’ait rien fait. Il est certain au contraire qu’en arrivant dans un moment où tout paraissait perdu il avait au moins le mérite de ne pas désespérer, de communiquer partout autour de lui un feu nouveau, de raviver dans le pays la passion de la résistance, si bien qu’en quelques jours tout semblait prendre un autre aspect. Malheureusement M. Gambetta avait une activité plus apparente que réelle, plus remuante qu’efficace, et tout ce qu’il faisait, il le marquait du sceau de ses illusions, de sa présomption, de ses intempérances d’avocat, de ses préjugés de parti.

L’erreur de M. Gambetta était de se croire revenu à 1792, de se figurer qu’en parlant le langage ou en employant quelques-uns des procédés de cette époque, il allait en renouveler les miracles. Sans doute il avait la préoccupation de la défense nationale ; mais il était encore plus préoccupé de la république, à laquelle il subordonnait tout, même la direction de la guerre, même la souveraineté de la France, et il était si complètement enivré de sa dictature qu’il n’écoutait rien, qu’il en venait bientôt à n’être pas plus d’accord avec le gouvernement de Paris, qui l’avait envoyé, qu’avec M. Grévy, qui était pourtant, lui aussi, un républicain, ou avec M. Thiers, dont il redoutait l’influence modératrice. M. Gambetta ne se contentait pas d’être un dictateur politique, il voulait être un dictateur militaire ; il avait la prétention d’inspirer des plans de campagne, de conduire la guerre, et il ne voyait pas qu’en agissant ainsi non-seulement il s’exposait par ignorance à tomber dans des méprises qui ont été la risée du monde, mais de plus il froissait les généraux dans leur dignité, dans leur intelligence, dans le sentiment de leur responsabilité.

Assurément M. Gambetta et son lieutenant, M. de Freycinet, avec l’autorité sans limites dont ils disposaient, auraient pu faire beaucoup : ils n’avaient tout simplement qu’à rester dans leur rôle, à organiser les forces nationales, à préparer les armées, à les approvisionner, en laissant aux chefs militaires le devoir et la responsabilité de l’action ; mais cela ne suffisait pas pour être un Carnot ! Au lieu d’administration, on faisait de la stratégie, on écrivait aux généraux pour leur expliquer comment « trois ou quatre bons chevaux valaient mieux que trois cents médiocres » pour faire des reconnaissances, comment il fallait manœuvrer « de manière à prendre l’ennemi entre deux feux et à lui infliger enfin une de ces surprises dont nous avons été si souvent victimes. » Au lieu de soutenir des chefs militaires qui étaient aussi embarrassés que malheureux et qui ne marchandaient pas leur dévoûment, on les laissait maltraiter, on les entourait de suspicions et on les brisait. Lorsque après tant de déceptions on aurait dû parler au pays le langage d’une virile sincérité, on le nourrissait de proclamations tribunitiennes et de bulletins qui transformaient des escarmouches en batailles, des défaites en victoires, qui trompaient Paris sur la province et la province sur Paris. Là où il aurait fallu enfin de la fermeté, du sang-froid, de la méthode, on se démenait dans la confusion. On jetait l’argent de la France dans des marchés dont l’histoire se fait aujourd’hui, et on croyait multiplier les forces nationales par l’improvisation de corps d’armée qu’on poussait en avant sans se demander s’ils existaient réellement, s’ils pouvaient marcher et combattre. On éprouvait le besoin de s’étourdir et d’étourdir l’opinion par des apparences d’activité foudroyante, par des promesses qu’on ne pouvait tenir. M. Lanfrey disait à cette époque, en pleine guerre, le mot aussi cruel que vrai : c’était la dictature de l’incapacité, d’une incapacité présomptueuse et agitée. Ce n’est point du premier coup sans doute que se sont révélées toutes les conséquences de ce dangereux système ; elles ont éclaté d’heure en heure, à chaque étape de ces opérations de la Loire, qui allaient recommencer par un succès, dernier et mélancolique sourire de la fortune, pour finir par un double désastre aux deux extrémités de la France.

Au moment où l’administration nouvelle prenait le pouvoir à Tours, les Bavarois entraient à Orléans, et les fractions du 15e corps qui étaient allées combattre à Artenay n’avaient que le temps de repasser la Loire pour se replier sur la ligne du centre jusqu’à La Ferté-Saint-Aubin. C’est là que le général de Lamotterouge, qui n’était coupable que de n’avoir point réussi dans une opération d’un succès impossible, était frappé d’une brutale disgrâce. Le commandement passait aussitôt au général d’Aurelle de Paladines, vieux soldat d’Afrique et de Crimée, que la guerre avait arraché à sa retraite et qui était connu pour sa fermeté. Ce 15e corps représentait, à vrai dire, le plus clair des forces régulières de la France, et il était lui-même bien loin de réunir les conditions d’une véritable armée. L’ivrognerie, la maraude, l’indiscipline, régnaient parmi ces troupes novices. Les soldats écoutaient à peine leurs officiers, ils les insultaient souvent, et ils marchaient à la délivrance de la patrie en mêlant dans leurs chants les obscénités et la Marseillaise. Le dénûment matériel aidait au trouble moral. En quelques jours, tout prenait cependant une physionomie nouvelle sous l’énergique et vigilante autorité du général d’Aurelle de Paladines, qui commençait par ramener ses troupes un peu plus en arrière, dans de bonnes positions défensives, au camp de Salbris, derrière la Sauldre, et qui là s’attachait à reconstituer un ordre militaire. Le commandant en chef visitait son armée, régiment par régiment, bataillon par bataillon, parlant aux officiers et aux soldats, s’efforçant de réveiller chez eux le sentiment de la discipline et du devoir, stimulant leur patriotisme, les rappelant au respect du drapeau et s’occupant aussi de leur bien-être, car il y avait des malheureux, comme les zouaves du 2e régiment, arrivés depuis peu d’Alger, qui étaient presque nus. Bientôt, soit sous l’influence de la vie de camp, soit par l’intervention des chefs supérieurs, soit enfin sous l’impression de quelques exemples de sévérité, la transformation était complète. Les soldats redevenaient bons et dévoués, les officiers étaient obéis. Le 15e corps existait désormais avec ses trois divisions, dont l’une dirigée par le général Martin des Pallières comptait 25,000 hommes. Pendant que le général d’Aurelle était tout entier à ce travail de jour et de nuit, le gouvernement de Tours se hâtait de lui donner le commandement supérieur d’un 16e corps qu’il créait à Blois sous les ordres directs du général Pourcet. Ce 16e corps n’égalait pas sans doute le 15e et il n’était pas surtout encore ce qu’il est devenu depuis sous le général Chanzy. M. de Freycinet le représentait comme ayant déjà 35,000 hommes, il n’en avait pas 20,000, et le général Pourcet écrivait que ses troupes lui arrivaient successivement, mal organisées, indisciplinées, manquant de tout, malgré ses incessantes réclamations ; mais enfin, avec le 15e corps, c’était l’armée de la Loire constituée, et, selon le mot du général Chanzy, l’œuvre accomplie par le général d’Aurelle à Salbris allait servir de type à toutes les formations qui se sont succédé.

Nul doute que, si on eût suivi cette voie, si on s’était borné à organiser des corps d’armée, en laissant au général d’Aurelle ou à des hommes de sa trempe le soin de discipliner, de manier ces soldats improvisés, et en prenant un peu son temps, nul doute qu’on n’eût pu arriver à des résultats sérieux ; mais on était pressé, on brûlait de voler sur la route de Paris avec les forces qu’on se sentait sous la main, et le général d’Aurelle commandait à peine depuis dix jours qu’on lui demandait déjà d’entrer en campagne. L’état-major allemand de Versailles commençait lui-même à se préoccuper de ces formations qu’il entrevoyait sans en connaître exactement l’importance et surtout la consistance. Il les avait peut-être un peu dédaignées d’abord, ou il avait cru suffire à tout par l’occupation d’Orléans ; il ne distinguait pas moins derrière ses lignes un mouvement qui dépassait ses prévisions, qui l’étonnait. Il faisait battre le pays de tous les côtés, vers le Perche, vers Beaugency, sur la Loire ; il rencontrait partout des forces, il sentait de la résistance, et même, un jour où les reconnaissances bavaroises s’étaient trop avancées dans l’Orléanais, elles vinrent se heurter contre un poste de 38 francs-tireurs de Saint-Denis qui résistèrent jusqu’au dernier et tuèrent 137 Allemands, dont un colonel, sans parler des blessés. Il y avait de quoi donner à réfléchir. Seulement, si ces armées françaises encore indistinctes se disposaient à reprendre l’offensive, par où attaqueraient-elles ? Viendraient-elles par l’ouest, marchant sur Chartres et sur Versailles ? Commenceraient-elles par essayer de reprendre Orléans de vive force pour se jeter sur la route de Paris par Étampes ?

C’était, à ce qu’il paraît, la question qu’on se faisait au camp allemand, et c’était aussi la question qui s’agitait au camp français. Dès le 24 octobre, M. de Freycinet arrivait au quartier-général du commandant en chef à Salbris ; le lendemain, le général d’Aurelle se rendait à Tours avec son chef d’état-major, le général Borel, et le commandant du 16e corps pour assister à une délibération nouvelle sous la présidence de M. Gambetta lui-même. Que la marche sur Paris restât l’objectif suprême de la campagne, ce n’était pas douteux. Pour le moment, avec une armée qui valait mieux que ne le croyaient peut-être les Prussiens, mais qui était insuffisante encore, on ne pouvait aller ni si loin ni si vite. Il s’agissait tout simplement de faire le premier pas, de reprendre la ligne de la Loire, et l’attaque d’Orléans fut décidée. C’était là l’objet des deux conseils de guerre da Salbris et de Tours. L’opération était du reste habilement conçue. Le général Martin des Pallières, avec sa forte division de 25,000 à 30,000 hommes, devait remonter la Loire, aller la passer à Gien, puis se replier à travers la forêt d’Orléans pour arriver au moment décisif sur les derrières de l’ennemi ; pendant ce temps, le reste du 15e corps allait rejoindre le 16e corps sur la rive droite du fleuve à Blois, et toutes ces forces marchant ensemble, appuyées sur la forêt de Marchenoir, devaient s’avancer, sous le commandement du général en chef lui-même, à la rencontre des Bavarois par l’ouest d’Orléans. Les deux attaques combinées pouvaient assurément produire les résultats les plus sérieux, peut-être les plus imprévus, si elles réussissaient. Soit dit sans ironie, le projet de M. de Freycinet de « prendre l’ennemi entre deux feux » pouvait se réaliser.

II

La question était maintenant d’exécuter cette opération si bien conçue. De toute façon, il fallait cinq ou six jours pour arriver à l’ennemi des deux côtés, et c’est ici qu’on commence à voir ce qu’il y a de dangereux à ne pas tenir compte des difficultés les plus élémentaires, des conditions pratiques d’une entreprise de guerre. On ne le savait pas assez à Tours, le général en chef le savait en homme expérimenté qu’il était. Aussitôt la résolution prise, dès le 25 octobre au soir et le 26 au matin, il avait donné tous ses ordres avec prévoyance, avec précision, de telle sorte qu’on dût se trouver devant Orléans le dernier jour du mois ou le 1er novembre, et malgré toutes les précautions il ne pouvait échapper à des mécomptes. Le secret était une première condition de succès, et le gouvernement l’avait si bien senti que, pour donner le change, il avait interdit la circulation des voyageurs sur la ligne de Tours au Mans, simulant avec un certain fracas de grands mouvemens vers l’ouest. C’était peine perdue ; en arrivant à Tours le 27, le général d’Aurelle s’apercevait bien vite que sa marche sur Orléans était le secret de tout le monde. La rapidité des mouvemens et des concentrations était aussi une condition de réussite, et le délégué à la guerre, qui était cette fois dans son rôle d’ingénieur, avait mis tout son zèle à organiser les convois de chemins de fer pour le transport des troupes et de leur matériel. Malheureusement, quand on arrivait à Blois, la confusion était complète. On n’avait plus de quoi débarquer la cavalerie ; les corps se trouvaient séparés de leurs bagages, le matériel était dispersé, les munitions ne suivaient pas les batteries auxquelles elles étaient destinées. C’était un chaos à débrouiller, qui exigeait plus de temps qu’on n’en aurait mis pour aller en bon ordre de Salbris à Blois par la route de terre. Des pluies torrentielles survenaient et rendaient les mouvemens presque impossibles, l’artillerie risquait de s’embourber dans les chemins défoncés. Enfin le 16e corps avait grand besoin d’achever son organisation ; il y avait des divisions de plus de 11,000 hommes qui n’avaient pas un seul général de brigade, et des régimens de plus de 3,000 hommes qui étaient commandés par des chefs de bataillon.

Le général d’Aurelle, dès son arrivée à Blois, se trouvait aux prises avec ces difficultés et les sentait vivement ; il les signalait à Tours, où l’on ne voyait dans sa prudence que de l’hésitation, peut-être l’arrière-pensée de s’arrêter, et à une dépêche du 28 au soir, par laquelle le général en chef prévenait le gouvernement de la nécessité de retarder d’un jour le départ de l’armée, le délégué à la guerre répondait cavalièrement le 29 au matin : « Ainsi que M. Gambetta vous l’a télégraphié cette nuit, nous avons dû, en présence de votre dépêche d’hier au soir, dix heures vingt, renoncer à la magnifique partie que nous nous préparions à jouer, et que, selon moi, nous devions gagner ;… puisque nous devons renoncer à vaincre étant deux contre un, alors qu’autrefois on triomphait un contre deux, n’en parlons plus… » Le commandant en chef demandait vingt-quatre heures, on lui répondait par un ordre d’ajournement indéfini, et on s’attribuait l’honneur d’avoir préparé une « magnifique partie » d’un succès infaillible, en rejetant sur le général la responsabilité d’un succès manqué ! Voilà qui promettait.

Tout d’ailleurs en ce moment servait à compliquer cette entrée en campagne d’une armée nouvelle. Aux difficultés matérielles venaient se joindre deux circonstances politiques ou militaires d’une extrême gravité, la négociation que M. Thiers allait ouvrir à Versailles pour arriver, s’il le pouvait, à un armistice, et la capitulation de Metz. Évidemment M. Gambetta, dans son impatience d’action, subissait plus qu’il n’acceptait la mission de l’homme éminent qui depuis un mois avait parcouru l’Europe dans l’intérêt de la France, et qui venait de rentrer à Tours. M. Gambetta, sans oser refuser absolument son adhésion à une tentative que la Russie et l’Angleterre favorisaient, que le gouvernement de Paris désirait, M. Gambetta ne voulait point au fond de l’armistice, puisqu’il repoussait l’élection d’une assemblée qui était pour le moment l’unique objet d’une trêve possible, et il ne voulait pas de l’élection d’une assemblée parce qu’il craignait que le pays, fatigué ou troublé, se prononçât pour la paix, peut-être contre la république. Dans ces conditions, aux yeux des meneurs de la guerre, à Tours, le voyage diplomatique de M. Thiers à Versailles était un contre-temps, et c’est pour cela sans doute qu’ils auraient voulu voir le mouvement de l’armée assez engagé déjà pour dominer ce qu’ils appelaient entre eux les « fausses manœuvres » de la diplomatie. M. Gambetta et son délégué, M. de Freycinet, attribuaient les hésitations du général d’Aurelle au passage de M. Thiers à travers les lignes françaises dans la journée du 28. Le général d’Aurelle n’avait pas vu M. Thiers, il ne savait de la mission de l’illustre négociateur que ce que tout le monde pouvait en soupçonner. Il n’est pas moins clair que le seul fait du passage d’un plénipotentiaire français à travers les lignes pouvait et devait, jusqu’à un certain point, réagir, ne fût-ce que moralement, sur la marche des opérations.

Quant à la capitulation de Metz, le général d’Aurelle l’avait connue en effet le 28 octobre au soir, non par M. Thiers, qu’il n’avait pas vu et qui ne pouvait savoir lui-même ce qui en était, mais par une sorte de hasard. Le général von der Tann, ayant à écrire au commandant de nos avant-postes à Mer, pour le remercier de lui avoir remis le corps d’un officier bavarois tué dans un combat, avait cru donner une marque d’estime au général français en lui annonçant un événement qu’il venait d’apprendre de Versailles, et qui était encore inconnu des deux armées en présence. Cette nouvelle, portée aussitôt à Blois, où elle consternait le général d’Aurelle, puis à Tours, où elle enflammait toutes les colères, avait assurément une sinistre portée. Tant que Metz avait tenu, rien ne semblait perdu. La chute de la citadelle lorraine livrait à la Prusse l’armée la plus aguerrie de la France, et laissait 200,000 Allemands libres d’accourir sur la Loire. Que M. Gambetta, saisi par un désastre qui ne pouvait pourtant pas être imprévu, sentît la nécessité de faire bonne contenance devant ce dernier coup de la mauvaise fortune, de prévenir la terrible impression qui allait se répandre dans le pays tout entier, dans l’armée elle-même, rien de mieux. Il s’y prenait malheureusement d’une manière étrange. Il disait et il faisait tout ce qu’il fallait pour aggraver le mal en ajoutant à la confusion des esprits. Il publiait deux proclamations furibondes au pays et aux soldats, récriminant contre le passé, parlant maladroitement de « l’armée de la France dépouillée de son caractère national,… engloutie malgré l’héroïsme des soldats, par la trahison des chefs… »

M. Gambetta ne s’apercevait pas qu’avec toutes ces déclamations d’un souffle plus révolutionnaire que patriotique, avec ces vagues accusations de défaillance ou de trahison lancées contre des hommes qui ne se croyaient pas des prétoriens parce qu’ils avaient servi dans l’ancienne armée, avec ces vaines et périlleuses distinctions entre chefs et soldats, il compromettait tout. Il risquait de donner le plus redoutable aliment à cette maladie du soupçon qui dévorait le pays, de jeter l’irritation et le chagrin dans le cœur des généraux, de semer l’esprit de défiance et de révolte parmi ces jeunes soldats de la Loire qu’il croyait enflammer, et en effet le résultat ne se faisait pas attendre. A peine les proclamations de ce jeune tribun déguisé en ministre de la guerre étaient-elles connues, que la discipline s’en ressentait aussitôt dans l’armée rassemblée autour de Blois. Les chants et les cris recommençaient, et dans certains corps soldats et sous-officiers mettaient tout simplement en question s’ils ne cesseraient pas d’obéir à des chefs qui les trahissaient. Les généraux de leur côté étaient profondément ulcérés, et quelques-uns voulaient donner leur démission. Le commandant en chef, en pensant comme eux, ne pouvait pas parler comme eux. Il les réunit, écouta leurs plaintes, et s’efforça de les apaiser en leur rappelant que comme soldats ils n’avaient point à s’occuper de politique, que leur unique mission était de délivrer le sol national, que le meilleur moyen pour eux de répondre à toutes les calomnies était de verser leur sang pour la France, comme on allait le faire de bon cœur et de bonne volonté. — Ces braves gens, qui souffraient plus que tout le monde, ne demandaient pas mieux au fond que de se laisser remonter par une bonne parole et de se remettre à l’œuvre. Ce n’était pas moins pendant quelques jours une crise des plus pénibles pour le pays, pour l’armée, pour le général d’Aurelle, qui avait à faire face non-seulement à toutes les difficultés matérielles, mais encore aux difficultés morales qui naissaient pour lui d’une situation si profondément troublée, des excitations passionnées du gouvernement lui-même. On en vint à bout cependant et même assez vite pour être prêt à tout événement.

Restait toujours en effet la question essentielle, l’expédition sur Orléans, qui avait subi un temps d’arrêt au milieu de toutes ces péripéties, qui dépendait de la négociation poursuivie à Versailles par M. Thiers, mais qui pouvait être reprise d’un instant à l’autre. Le général d’Aurelle était, dès le 3 novembre, en mesure de se mettre en mouvement au premier signal. Quant à prendre une résolution ou même à donner des ordres précis, comment l’aurait-il pu ? Il était réduit à chercher ses directions dans des dépêches qui lui venaient de Tours et qui révélaient une singulière incertitude. On lui disait de se tenir prêt à marcher dès le lendemain, « comme si le mouvement était irrévocable ; » mais on ajoutait : « Il est possible que les circonstances politiques obligent ce soir ou demain à revenir sur cette décision… » Ce n’était point extraordinaire d’ailleurs ; le gouvernement hésitait, ne sachant rien de Versailles, agité d’une impatience qu’il poussait jusqu’à l’animosité contre M. Thiers, et ne pouvant cependant rien brusquer ; il mettait ses hésitations dans ses dépêches. C’eût été bien plus simple encore de ne rien dire, puisqu’on n’avait rien à dire.

Ce qui commençait à n’être plus aussi simple, c’est qu’au milieu même de ces contradictions, entre le 1er et le 5 novembre, M. de Freycinet, de concert avec M. Gambetta, avait imaginé une combinaison assez inattendue qui pouvait bouleverser tous les préparatifs faits jusque-là. Il avait expédié à Blois un jeune attaché à la guerre qui allait faire beaucoup parler de lui, un jeune ingénieur des chemins de fer d’Autriche, Polonais de naissance, Français de choix, M. De Serre en un mot, qui était chargé de proposer au général d’Aurelle un plan tout nouveau. On ferait la même chose, seulement ce serait tout le contraire. C’était, comme M. de Freycinet l’écrivait avec naïveté, « le mouvement inverse de celui précédemment combiné, en ce sens que des Pallières serait le corps actif, » tandis que d’Aurelle représenterait la diversion ou l’action auxiliaire. On ferait passer au général Martin des Pallières par la voie de terre 15 ou 18,000 hommes de ceux qu’on avait si péniblement amenés à Blois, et avec ce supplément de force, portant son corps à près de 50,000 hommes, des Pallières, descendant toujours de Gien par la forêt, se chargerait de l’attaque principale d’Orléans. De son côté, le général d’Aurelle, avec ce qui lui resterait et avec quelques forces qu’il appellerait du Mans, se présenterait pour faire une démonstration « de manière à tenir en éveil les forces prussiennes massées autour de Patay, » à l’ouest d’Orléans. Ce n’était pas plus compliqué que cela ! Si ce projet n’était pas une fantaisie, il cachait l’arrière-pensée de déplacer le centre de l’action militaire, pour diminuer le rôle du commandant en chef. Le général d’Aurelle, sans s’y méprendre peut-être, faisait observer tranquillement que l’expédition, telle qu’on la proposait, avec les mouvemens de troupes qui étaient nécessaires, exigeait au moins treize jours, que pendant ce temps le prince Frédéric-Charles, avec lequel il fallait compter désormais, arriverait sur la Loire et qu’alors tout serait impossible, tandis que l’opération, telle qu’elle avait été conçue d’abord, avait le mérite d’être simple, tout aussi efficace, et de pouvoir commencer sur-le-champ. Tout se débrouillait enfin, l’insuccès définitif des négociations de Versailles, connu sans doute le 6 novembre, levait tous les doutes, on s’en tenait au plan qui avait été primitivement convenu, et M. de Freycinet, dans un mouvement qui valait mieux que toutes ses combinaisons, écrivait au général d’Aurelle : « Bonne chance et à la grâce de Dieu ! vous portez en ce moment, général, la fortune de la France… »

Une chose curieuse, c’est que malgré tout les Allemands n’avaient pas vu bien clair dans ces agitations et ces concentrations de troupes dont Blois était devenu le centre depuis quelques jours ; ils ne croyaient pas à l’armée de la Loire. La 22e division prussienne ou hessoise, qui avait d’abord suivi le général von der Tann à Orléans, avait été rappelée autour de Chartres, et elle y était encore avec la 4e et la 6e division de cavalerie, faisant face au Perche, à Vendôme, à la route du Mans. Von der Tann était resté seul à Orléans avec son corps bavarois et la 2e division de cavalerie, qu’il tenait toujours en mouvement pour faire croire à des forces plus considérables que celles qu’il avait réellement. Quoiqu’il eût déjà rencontré de la résistance autour de lui, il ne se doutait peut-être pas de ce qui se préparait, et il ne semble pas notamment avoir démêlé, au moins dès les premiers momens, le passage de deux divisions du 15e corps sur la rive droite de la Loire. L’immobilité des forces françaises dans les premiers jours de novembre l’avait un peu trompé. Ce n’est que le 8 qu’il commençait à être sérieusement éclairé par ses reconnaissances du côté de Beaugency, et alors, laissant à peine quelques troupes à Orléans, il allait dans la nuit prendre position avec tout son corps à l’ouest de la ville, autour de Coulmiers. De son côté, le quartier-général de Versailles donnait le même soir à la 22e division d’infanterie et à une division de cavalerie l’ordre de se rapprocher dès le lendemain des Bavarois. Qu’allait faire maintenant l’armée française, cette armée de la Loire, composée de deux divisions du 15e corps et du 16e corps, qui venait d’être mis sous les ordres du général Chanzy ?

Le terrain d’opérations qu’elle avait devant elle figure assez bien une sorte de quadrilatère irrégulier qui aurait à ses quatre angles Blois, Orléans, Châteaudun et Vendôme ; les deux côtés à l’est et à l’ouest seraient la Loire et le Loir, le côté du nord serait la route d’Orléans à Châteaudun, le côté du sud la route de Blois à Vendôme. Vers le centre est la forêt de Marchenoir. Jusqu’au 7 novembre, les divisions françaises campées en avant de Blois n’avaient pas dépassé une ligne touchant par la droite à la petite ville de Mer sur la Loire et s’étendait en arrière de la forêt de Marchenoir. Ce mouvement du 8 qui avait frappé le général von der Tann était décidément la marche offensive dont le général d’Aurelle avait donné le signal, qui portait notre armée au-delà de Beaugency et au-delà de la forêt de Marchenoir. Le général d’Aurelle s’avançait résolument et prudemment, protégeant l’extrémité de sa ligne à gauche avec la cavalerie du général Reyau et du général Ressayre, se servant sur l’autre rive de la Loire d’un hardi partisan vendéen, Cathelineau, qui allait devancer tout le monde à Orléans, et de quelques milliers d’hommes qu’on avait réunis à Salbris pour garder la route de la Sologne. D’un autre côté enfin, le général Martin des Pallières, qui avait un des premiers rôles dans l’opération, qui avait été laissé en face de Gien, à Argent, pour passer la Loire et se replier sur Orléans, Martin des Pallières avait été prévenu. Seulement il lui fallait quatre jours, trois au moins s’il n’avait pas à combattre en route ; il ne pouvait arriver en ligne que le 11 ou le 10 au soir tout au plus, et c’était une question de savoir si les deux attaques se combineraient bien exactement, si la lutte ne serait pas précipitée à l’ouest par le mouvement même du général von der Tann sur Coulmiers.

Dans quelles conditions se trouvait-on en effet dès la nuit du 8 au 9 ? On se trouvait absolument en présence, les Bavarois à Baccon, à Coulmiers, à Épieds, à Champs, à Saint-Sigismond, les Français en face, à Gravant, à Ouzouer-le-Marché, à Prenouvellon. On ne pouvait plus faire un pas sans se heurter, sans avoir à disputer le chemin, et le général Chanzy, dans son ordre de marche du 16e corps, résumait d’avance la journée du 9 : « débusquer l’ennemi de Charsonville, Épieds, Coulmiers, Saint-Sigismond, et prononcer sur la gauche un mouvement tournant de façon à occuper solidement à la fin du jour la route de Châteaudun à Orléans… » C’était le programme de la bataille de Coulmiers.

Au petit jour, tout le monde est sur pied. Les régimens se forment sans trouble, sans confusion, et gagnent en silence les positions qui leur sont assignées. Le temps est froid et sombre sans être défavorable. Les brouillards du matin, en se dissipant, laissent voir tout à coup un spectacle qui réchauffe le cœur des vieux soldats : c’est l’armée française, une véritable armée, rangée en bataille sur deux lignes, calme, confiante, et attendant le combat dans l’ordre le plus parfait. Elle se déroule dans ces campagnes nues, dépouillées et à peine accidentées. Au loin, vers la Loire, on distingue des massifs d’arbres qui entourent des châteaux et des fermes. En avant, on n’aperçoit qu’un point saillant à l’horizon, c’est une hauteur sur laquelle est bâti le bourg de Baccon qui domine la plaine, et dont le clocher sert d’observatoire aux Bavarois depuis l’invasion. On ne voit pas l’ennemi, mais on sent qu’il est là, dans ces positions, ces villages, ces parcs qu’il a crénelés, fortifiés, et qui vont coûter un sang précieux.

Le canon commence à retentir vers neuf heures et demie : c’est le 15e corps, chargé de l’attaque de droite, qui entre en action, d’abord par un combat d’artillerie, puis avec son infanterie, et, la première position enlevée, c’est Baccon que les soldats de la division Peytavin emportent d’assaut après une lutte corps à corps. Une fois maîtres de Baccon, nos soldats poussent plus loin, arrivent au château et au parc de la Renardière, où ils rencontrent encore une violente résistance dont ils finissent par avoir raison. Au centre, dès le commencement de la bataille, une des divisions du 16e corps s’est mise en marche sur Coulmiers. Retardée d’abord, elle n’est sérieusement engagée que vers midi, et pendant plusieurs heures on se dispute avec acharnement les jardins, puis l’entrée de Coulmiers. La lutte semble incertaine lorsque le commandant de la division d’attaque, le général Barry, mettant pied à terre, l’épée à la main, prend la tête de la principale colonne, enlève ses hommes au cri de : vive la France ! et les entraîne dans le village en flammes. A quatre heures, on reste définitivement maître de Coulmiers. Pendant ce temps, la seconde division du 16e corps, conduite par un nouveau venu à l’armée de la Loire, l’amiral Jauréguiberry, aborde sur la gauche le village de Champs fortement crénelé, s’en empare un instant, est obligée de reculer et commence à se troubler. L’amiral, avec une indomptable énergie, rétablit l’ordre, ranime le courage de ses jeunes soldats, les ramène à l’assaut et reprend le village, où il défie les retours offensifs.

Sur toute la ligne, on avait gagné du terrain lorsque la nuit tombait, laissant nos soldats maîtres des positions si vivement disputées. Le fait est que les Bavarois battaient de toutes parts en retraite. On ne voyait rien dans l’obscurité, au milieu de la pluie et de la neige, qui commençaient à tomber ; ce n’est que le lendemain matin que l’amiral Jauréguiberry, saisissant le premier la portée de la défaite de l’ennemi, lançait à sa poursuite le peu de cavalerie qu’il avait pour son escorte avec son chef d’état-major, le commandant Lambilly, qui atteignait un convoi allemand, lui prenait deux pièces d’artillerie attelées, vingt-cinq caissons de munitions, trente voitures de bagages, plus un certain nombre de prisonniers.

Si honorable que fût la bataille de Coulmiers, deux choses avaient manqué pour en faire un succès peut-être décisif. La cavalerie du général Reyau, qui avait pour instruction de couvrir le flanc gauche de l’armée et de s’avancer de façon à couper la retraite de l’ennemi sur la route de Paris, n’avait pas rempli sa mission. Le général Reyau avait commencé par s’engager dans un combat d’artillerie assez inutile, où ses escadrons s’étaient brisés sans résultat et d’où ils étaient sortis fort éprouvés ; puis, sur la foi d’une reconnaissance un peu effarée, il avait pris pour des masses allemandes ce qui était tout simplement le corps des francs-tireurs de Lipowski, et il s’était replié sur les positions qu’il avait quittées le matin, de sorte que le soir la cavalerie n’était plus là pour se mettre à la poursuite de l’ennemi. Ce n’était pas tout, le général Martin des Pallières, qui devait avoir un rôle essentiel dans l’opération, se trouvait n’avoir servi à rien, et ce n’était pas sa faute. Il avait exécuté fidèlement ses instructions ; il était parti dès le 7, il avait passé la Loire sans rencontrer la moindre résistance, et il est même vraisemblable que son mouvement était ignoré des Allemands. Le 8, le général des Pallières était à Châteauneuf ; le 9, dans la matinée, il arrivait à la hauteur de la grande route d’Orléans à Pithiviers, croyant toujours avoir jusqu’au 11, lorsque tout à coup il entendait au loin une formidable canonnade qui le plongeait dans la plus cruelle perplexité. Un instant, il eut la pensée de changer sa direction et de se jeter vers Artenay, pour aller se placer derrière l’ennemi, sur la route d’Étampes ; son instinct de soldat l’y poussait. C’était cependant de sa part une résolution grave avec de jeunes soldats et dans l’ignorance où il était des conditions où s’était engagée cette bataille qu’il n’attendait que pour le lendemain. Il hésitait devant le péril d’une aventure au moment où il n’y avait plus à tenter des aventures, et, prenant son parti, il se décidait à précipiter sa marche, courant au canon vers Orléans, avec une fiévreuse rapidité. Ses soldats firent 11 lieues dans la journée, ils marchèrent quatorze heures sans prendre ni nourriture ni repos, sans laisser de traînards, montrant autant d’énergie que de bonne volonté. Martin des Pallières arrivait à la nuit close à Fleury, non loin d’Orléans, avec des troupes naturellement harassées, qui ne pouvaient plus rien. Le lendemain matin, il se lançait sur la route de Paris, jusqu’à Chevilly ; mais tout était fini, l’ennemi s’était dérobé pendant la nuit. Si Martin des Pallières avait pu arriver à temps, ou même s’il eût suivi son inspiration au moment où il commençait à entendre le canon, le général von der Tann pouvait essuyer un vrai désastre. Ce que le général d’Aurelle dit sur ce fait laisse croire qu’on avait compté sur une plus longue résistance de l’ennemi, peut-être parce qu’on pensait avoir devant soi des forces plus considérables que celles qu’il y avait réellement.

N’importe, c’était un sérieux et brillant succès qui coûtait aux Bavarois plus de 1,200 hommes mis hors de combat et plus de 2,000 prisonniers, qui amenait l’évacuation immédiate d’Orléans par les troupes allemandes, et qui ressemblait surtout à une sorte de révélation de cette armée que les bulletins prussiens de Versailles appelaient dédaigneusement, même au lendemain de Coulmiers, l’armée dite de la Loire. L’armée dite de la Loire avait bel et bien battu les Allemands. C’était comme un regain de fortune, ou, si l’on veut, comme une réponse heureuse au dernier désastre de Metz, aussi bien qu’aux duretés par lesquelles l’état-major prussien de Versailles avait rendu l’armistice impossible. L’armée française avait payé son succès d’une perte de 1,500 hommes parmi lesquels il y avait plusieurs officiers supérieurs tués, le général de cavalerie Ressayre, blessé. Celui du reste qui parlait le plus modestement de la victoire était le général d’Aurelle lui-même. Il disait simplement à ses soldats : « Au milieu de nos malheurs, la France a les yeux sur vous ; elle compte sur votre courage, faisons tous nos efforts pour que cet espoir ne soit pas trompé. » Et en même temps il écrivait à Tours : « Le moral des troupes est décuplé. » Le gouvernement de son côté se hâtait de prodiguer les témoignages de satisfaction et les récompenses. M. Gambetta se rendait au quartier-général, et, prenant sa meilleure plume, il adressait, lui aussi, aux « soldats de l’armée de la Loire » une proclamation où, au milieu de bien d’autres choses, il ne manquait pas de leur dire qu’avec des soldats comme eux « la république » sortirait triomphante de toutes les épreuves, qu’elle était désormais « en mesure d’assurer la revanche nationale. » Certes mieux valait le simple et modeste ordre du jour du général d’Aurelle.

Coulmiers ravivait et devait raviver toutes les espérances. Est-ce à dire que cette brillante affaire pût avoir les conséquences décisives que les imaginations impatientes entrevoyaient, qu’il fût possible de se jeter sans perdre un instant sur la route de Paris ? N’aurait-on pas pu tirer un plus éclatant parti de la victoire ? C’est assurément une des questions les plus délicates. « Le génie, la hardiesse, la résolution, manquaient à la France dans cette heure suprême, » ont répété des stratégistes peu au courant de la situation réelle des choses. M. de Freycinet, résumant toutes les illusions, dit dans son livre sur la Guerre en province : « Après Orléans, si l’on avait marché tout de suite sur Paris, il parait établi qu’on aurait réussi. On n’aurait pas trouvé sur la route une grande résistance, et les lignes d’investissement n’étaient pas très difficiles à rompre. » C’est facile à dire ; malheureusement l’entreprise n’eût pas été aussi facile à réaliser sur le terrain dans les conditions où l’on se trouvait. Le général d’Aurelle, qui était le premier intéressé à compléter sa victoire, s’il l’avait pu, savait bien que ces soldats qui venaient de faire si bonne figure au feu, qui avaient retrouvé l’ardeur et l’entrain de la race française, n’étaient pas cependant encore assez aguerris pour se mesurer avec toutes les difficultés. Il n’ignorait pas que cette armée qu’il avait faite, qui était déjà plus qu’une espérance, manquait de toute sorte de choses nécessaires à une solide organisation, si bien que M. Gambetta lui-même, dans sa visite au camp, disait : « Point de chevaux pour l’artillerie, peu d’approvisionnemens, un mauvais service de bagages. » Le commandant en chef sentait que dès lors engager 70,000 ou 80,000 hommes, — car on n’avait pas encore plus que cela, — dans une offensive aventureuse, c’était les exposer à un désastre et risquer d’un seul coup la dernière ressource militaire de la France.

S’élancer sur la route de Paris, ne fût-ce que pour atteindre les Bavarois dans leur retraite, on ne le pouvait qu’au premier instant, si, comme le dit le général Chanzy, « le commandant en chef avait cru l’armée de la Loire assez complète et assez outillée pour continuer à se porter en avant. » Le premier moment passé, ce n’était plus qu’une périlleuse témérité. On allait rencontrer d’abord le général von der Tann, qui s’était arrêté au-delà de Toury pour se reconstituer, et qui recevait le 10 au matin la 22e division et une division de cavalerie envoyées de Chartres à son secours, — le 12 la 17e division d’infanterie prussienne et deux autres divisions de cavalerie expédiées de Versailles. Toutes ces forces étaient placées non plus sous la direction de von der Tann, dont la défaite avait donné de l’humeur à Versailles, mais sous le commandement supérieur du grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, qui était chargé de manœuvrer entre la ligne de Chartres et la ligne d’Étampes. D’un autre côté, le prince Frédéric-Charles accourait de Metz à marches forcées, et les têtes de colonne de son armée paraissaient dès le 14 à Fontainebleau. On allait tomber dans cette fourmilière allemande avec bien peu de chances de battre en détail toutes ces forces qui s’amassaient devant nous, — et voilà comment « il paraît établi » que, si on eût marché sur Paris après Coulmiers, « on aurait réussi ! » Voilà comment la prudence du commandant en chef n’était que trop justifiée !

A se jeter en avant sans prévoyance et prématurément, on risquait de se perdre ; on ne pouvait que gagner au contraire à se donner le temps de compléter l’organisation et l’instruction de l’armée, de coordonner les forces qu’on rassemblait et qui arrivaient chaque jour, de se mettre en défense autour d’Orléans dans les positions qu’on venait de reconquérir. Quant à l’idée que M. de Freycinet prête au commandant en chef d’avoir voulu en ce moment quitter Orléans, à peine repris, pour retourner en Sologne au camp de Salbris, c’est une plaisanterie que le délégué du ministre de la guerre a trouvée évidemment dans son imagination. Le général d’Aurelle ne voulait ni courir les aventures ni revenir en arrière ; il voulait tout simplement se mettre en mesure de tenir tête à l’orage sans aller se briser contre l’impossible, et ici cette campagne de la Loire, si bien inaugurée par un succès, entre dans une période nouvelle, où tout prend une importance croissante.


III

A vrai dire, aux yeux de bien des militaires, c’était et c’est encore une grave question de savoir si l’armée française devait commencer ses opérations par l’Orléanais et par Orléans. Ces plaines nues et ouvertes de la Beauce étaient un assez dangereux champ de bataille pour de jeunes troupes ; elles offraient aux Allemands tous les moyens de déployer la supériorité de leur artillerie et de leur cavalerie, en nous rendant plus sensible l’infériorité de nos moyens d’action. Pour les Allemands, la possession momentanée d’Orléans n’avait eu que des avantages sans aucun inconvénient. En tenant par là le nœud principal des communications françaises avec le sud, ils avaient la protection d’un fleuve, et même en cas de défaite ils avaient leur retraite assurée vers les lignes d’investissement de Paris ; c’est ce que venait de montrer le mouvement rétrograde de von der Tann, qui n’avait pas eu besoin d’aller bien loin pour être en sûreté. Pour les Français, Orléans était sans doute un poste précieux à reconquérir et à occuper ; seulement ce poste n’était pas sans péril. L’armée française, au lieu d’être protégée par la Loire, était désormais adossée à un fleuve, et, si elle venait à éprouver quelque revers, elle risquait d’avoir la retraite la plus difficile, la plus dangereuse ; c’est ce qui allait malheureusement arriver.

Le choix de la direction essentielle et pour le moment unique des opérations avait été sans doute déterminé surtout par des raisons politiques, par la nécessité de couvrir Tours, ce qui importait cependant assez peu, car le gouvernement aurait été peut-être beaucoup mieux ailleurs, par exemple à Clermont, dans ce centre inexpugnable de la France, où il eût été à l’abri de toute atteinte et de toute panique ; mais enfin, puisqu’on avait pris ce chemin, puisqu’on était rentré à Orléans, il n’y avait plus qu’à s’y établir assez fortement pour offrir un front de défense redoutable à l’ennemi, en attendant de pouvoir à son tour marcher sur lui. C’était d’ailleurs l’avis de tout le monde, des chefs militaires, du gouvernement comme des généraux, de M. Gambetta lui-même, qui, dans une conférence tenue le 12 novembre au quartier-général de Villeneuve d’Ingré, aux portes d’Orléans, prétendait que « chaque moment écoulé était autant de gagné sur l’ennemi, » que « nous augmentions nos forces tous les jours, tandis que lui au contraire s’affaiblissait. »

Organiser une sorte de camp retranché, créer des lignes de défense suffisantes, augmenter pendant ce temps l’armée d’opération, c’était donc là pour le moment la première pensée. Seulement il y avait moins que jamais une heure à perdre, et en effet on se mettait à l’œuvre aussitôt. Sans être une brillante position militaire, Orléans a comme un boulevard naturel dans sa forêt, qui s’étend à l’est et au nord-est vers Gien et Pithiviers. L’ensemble de la défense, aux yeux du général d’Aurelle, devait être basé sur une forte occupation de la forêt, puis sur une ligne de retranchemens et de batteries qui serait précédée elle-même d’une autre ligne d’avant-postes fortifiés de manière à retarder autant que possible la marche de l’ennemi. Ces travaux devaient être exécutés au plus vite. Sans perdre un instant, on réunissait à Orléans des ingénieurs, des ouvriers ; on allait même jusqu’à réquisitionner des outils dans cinq départemens voisins. On faisait venir des ports militaires tout le matériel d’artillerie, toutes les pièces de marine dont on pouvait disposer, avec le personnel nécessaire, et on appelait au commandement de ce service de la marine à terre le capitaine de vaisseau Ribourt. On ne créa pas ainsi peut-être « une des plus fortes positions qu’une armée pût avoir à défendre, » comme le dit M. de Freycinet ; mais en quelques jours on établit aux abords d’Orléans, à Gidy, à Chevilly sur la route de Paris, des batteries qui, avec les défenses de la forêt, promettaient de rendre une attaque au moins difficile. D’un autre côté, le gouvernement, qui venait de décréter des levées nouvelles, quelque chose comme la levée en masse sous le nom de garde nationale mobilisée, le gouvernement mettait une activité fiévreuse à développer les forces militaires. En peu de jours, il créait un 17e corps d’armée entre Orléans et Blois ; il formait à Nevers un 18e corps qu’il poussait aussitôt vers la Loire. Il faisait venir de l’est ce qui restait de l’armée des Vosges pour en faire un 20e corps, destiné aussi à grossir l’armée campée autour d’Orléans. Je ne parle pas d’un 21e corps, qu’on allait composer avec les masses incohérentes de la Bretagne, et qu’on plaçait sous les ordres d’un officier de marine des plus énergiques, le capitaine de vaisseau Jaurès, élevé au grade de général.

A ne voir que l’apparence, l’armée de la Loire était doublée ; ses ressources, son artillerie, son matériel, s’accroissaient à vue d’œil. M. de Freycinet parlait même au général d’Aurelle des 250,000 hommes qu’il allait avoir sous la main. Malheureusement il y avait beaucoup de mirage dans ces chiffres comme dans toutes les combinaisons du gouvernement, et il en était des 250,000 hommes dont parlait M. de Freycinet comme des 150 grosses pièces de marine qu’on croyait avoir expédiées à Orléans. La réalité est restée toujours au-dessous de ces fictions ou de ces illusions. Le 17e corps, campé du côté de Marchenoir, était à peine formé. Il avait eu pour premier chef le général Durrieu, on le donnait presque aussitôt à commander à un des plus brillans et des plus impétueux officiers de cavalerie de l’armée d’Afrique, au jeune général de Sonis, dont l’entraînante valeur pouvait exercer le plus favorable ascendant. C’est avec de Sonis que marchait ce régiment des « zouaves pontificaux » ou « volontaires de l’ouest, » qui, en revenant en France après l’entrée des Italiens à Rome le 20 septembre, était allé s’offrir au gouvernement de Tours, et qui comptait dans ses rangs l’élite de la jeunesse nobiliaire sous les ordres du colonel de Charette. Le 18e corps était encore moins organisé que le 17e ; il « se formait en marchant, » comme on le disait ; il n’avait pas même encore de commandant supérieur, il restait provisoirement sous la direction du chef d’état-major, le colonel Billot. Le 20e corps, arrivé de Chagny par les voies ferrées, sous les ordres du général Crouzat, ne laissait pas moins à désirer. Le 18e et le 20e corps devaient rester à l’extrémité de la ligne de l’armée à droite, du côté de Gien.

C’étaient des forces, si l’on veut, ce n’étaient pas des forces suffisamment organisées, et ce n’est pas de cela que le gouvernement était coupable. Nécessairement plus on allait, plus les ressources d’organisation diminuaient, et pour suppléer à tout, on avait imaginé de créer, à l’imitation des Américains pendant la guerre de la sécession, ce qu’on appelait « l’armée auxiliaire. » On faisait ainsi des généraux, des officiers auxiliaires, qu’on se hâtait de mettre à la tête de tous ces mobilisés de garde nationale qui affluaient ; c’était une armée à former bien plus qu’une armée prête à entrer en campagne. La vraie force du général d’Aurelle était toujours dans le 16e corps, dont le général Chanzy restait le chef aussi intelligent que résolu, et dans le 15e corps, qui venait de passer tout entier sous les ordres du général Martin des Pallières. Il y avait là six divisions bien placées dès le premier jour sur les deux côtés de la route de Paris et capables de tenir tête en avant d’Orléans. Quant au reste, il fallait avoir le courage de prendre un peu de temps pour lier toutes ces forces incohérentes, pour donner à ces soldats improvisés tout ce qui leur manquait encore ; il fallait de plus savoir ce qu’on voulait faire, et surtout laisser aux généraux le soin de disposer des troupes nouvelles qu’on leur envoyait, d’organiser et de préparer leurs opérations de guerre.

Cependant M. Gambetta et M. de Freycinet, après quelques jours de patience, commençaient à ne plus se contenir. Le succès de Coulmiers les avait gonflés comme s’il eût été une victoire de leur prévoyance et de leur génie militaire. Il leur semblait qu’il n’y avait qu’à vouloir et à parler pour établir un camp retranché, pour créer des lignes de défense, pour pousser des armées en avant. A peine étaient-ils rentrés à Tours, après leur visite du 12 novembre au camp français, que déjà repris d’une fièvre de conception stratégique ils se mettaient à harceler le général d’Aurelle en lui déclarant d’un accent de reproche qu’on ne pouvait « demeurer éternellement à Orléans ; » ils le poursuivaient d’objurgations et d’interrogations, lui demandant, tantôt de communiquer ses plans pour une marche sur Paris, tantôt d’exécuter des mouvemens et des dislocations de troupes qui pouvaient être la chose la plus dangereuse du monde devant un ennemi vigilant, tantôt de jeter chaque jour 20,000 ou 30,000 hommes dans des expéditions d’aventure. Oui, M. de Freycinet, ce major-général de M. Gambetta, qui de jour en jour se sentait devenir un de Moltke français, M. de Freycinet écrivait gravement au général d’Aurelle : « Si par exemple une occasion favorable s’offrait d’écraser à quelque distance un corps inférieur en nombre, vous devriez évidemment en profiter… Lancez chaque jour une colonne de 20,000 à 30,000 hommes pour nettoyer le pays. » Je ne réponds pas que le général d’Aurelle ait gardé son sérieux en recevant ces instructions, qu’il pouvait joindre à celles par lesquelles on l’invitait à « prendre l’ennemi entre deux feux » ou à préférer trois bons chevaux à trois cents mauvais. Toujours est-il qu’on s’impatientait étrangement à Tours, qu’on ne cessait de gourmander le général en chef, et ici dans l’obscurité, dans ces conflits de directions contraires, dans ces froissemens secrets et incessans d’un commandement toujours disputé, ici se nouait la tragédie militaire qui allait s’accomplir.

Il y avait deux plans en présence. Le général d’Aurelle avait le sien, cela n’est pas douteux ; il ne le publiait pas tout haut, il avait certainement raison. Son plan à lui était de s’enfermer pour le moment dans les lignes de défense d’Orléans et d’y attendre l’ennemi. Il aurait désiré concentrer le plus possible toutes les troupes dont on disposait, de façon à les organiser d’abord et à pouvoir ensuite coordonner leur action à l’heure voulue. De cette manière, avec les retranchemens dont on se couvrait, il se croyait en état de recevoir une attaque où les Allemands auraient commencé dans tous les cas par essuyer les pertes les plus graves, — et après une bataille défensive heureuse il pouvait s’élancer sur un ennemi déconcerté, éprouvé, peut-être rejeté en désarroi vers Paris. Dira-t-on qu’on ne l’aurait plus attaqué ? Ce n’était guère possible. Sans parler même du désir de réparer l’échec de Coulmiers, les Allemands ne pouvaient s’arrêter devant ce camp retranché de la France. Les retards ne leur auraient servi à rien, ils n’auraient profité qu’à notre armée, dont les forces, l’instruction, la discipline, les ressources matérielles, se seraient accrues de jour en jour. C’était là le plan du général d’Aurelle. M. Gambetta et M. de Freycinet, quant à eux, n’avaient qu’une idée, aller en avant sans plus attendre, marcher aussitôt sur Paris, qui « avait faim, » disait-on. Quel était le meilleur système ? La réponse n’était ni à Tours ni à Paris, elle était bien plutôt au camp ennemi, dans la situation des Allemands, dans les forces dont ils disposaient, dans leur intérêt du moment.

La vérité est que cette immobilité de l’armée française, dont les Allemands avaient été étonnés une première fois à la veille de Coulmiers et qu’ils retrouvaient devant eux le lendemain, recommençait à les inquiéter. Ils ne savaient trop à quoi s’en tenir, ils semblaient même un instant ignorer ce qu’était devenue réellement l’armée qui venait de se révéler à eux. Ils se mettaient néanmoins en mesure de faire face à tout. Le prince Frédéric-Charles pressait la marche de son armée, qui se composait des IIIe, IXe et Xe corps[2] avec deux divisions de cavalerie, et ces troupes, poussées rapidement, arrivaient le 17 et le 18 novembre à la hauteur d’Angerville sur la route de Paris, autour de Pithiviers et de Montargis. Dès ce moment, le prince Frédéric-Charles, établi lui-même à Pithiviers, avait sous la main plus de 60,000 soldats aguerris, exaltés par le succès, puisqu’ils venaient de Metz. Les Allemands étaient si peu confusion fixés que, pendant ces mouvemens du prince Frédéric-Charles, les troupes placées sous les ordres du grand-duc de Mecklembourg au lendemain de Coulmiers avaient été rappelées en grande partie à Chartres pour faire face à la route du Mans, où l’on soupçonnait que l’armée française s’était transportée. Le grand-duc passait plus de huit jours à battre ces malheureuses campagnes, à fouiller le pays, poussant ses incursions assez loin, jusqu’à Nogent-le-Rotrou, si bien que l’alarme éclatait à Tours, où l’on se voyait déjà sous la menace de quelque surprise. Le gouvernement s’agitait, s’empressait de reprendre le 17e corps à l’armée d’Orléans pour le pousser vers Châteaudun, et dans sa panique il allait même un jour jusqu’à demander au général d’Aurelle de lui envoyer au plus vite un régiment.

Chose bizarre et pourtant vraie, on se trompait dans les deux camps, on ne voyait clair ni à Versailles ni à Tours. Le gouvernement français se laissait aller à des émotions inutiles. Le grand-duc de Mecklembourg n’avait nullement la pensée d’aller à Tours ; il n’avait d’autre mission que de faire une puissante reconnaissance, de chercher l’armée de la Loire dans l’ouest, où elle n’était pas. Cela est si vrai que, lorsque l’état-major de Versailles s’apercevait de sa méprise, dès le 22 novembre, il donnait au grand-duc l’ordre de se replier vers Orléans, où ses forces réunies à celles du prince Frédéric-Charles allaient porter l’armée allemande à plus de 110,000 hommes.

Quel était l’intérêt allemand et quel était l’intérêt français dans cette situation assez confuse ? Étions-nous intéressés à nous laisser attirer par cette apparente incohérence ? C’est un des officiers du grand quartier-général de Versailles, c’est le major Blume qui tranche la question en révélant la vraie pensée des chefs prussiens. On ne craignait pas une attaque au camp allemand, — « bien au contraire on était certain du succès final dans le cas où l’adversaire oserait sortir de sa position bien couverte et fortifiée pour venir nous attaquer dans les terrains découverts de la Beauce. Quant à enlever de vive force cette position, cela constituait une tâche bien autrement difficile, si d’abord le défenseur n’était pas moralement ébranlé par l’insuccès d’ime première tentative offensive… » Tout était là dans ce moment suprême. Le général d’Aurelle le sentait bien, et voilà pourquoi, en chef prudent et avisé, il tenait tant à se concentrer, à se masser dans ses lignes de défense plus qu’on ne lui permettait de le faire. Les stratégistes de Tours ne le voyaient pas, et, voulant sans doute passer définitivement hommes de guerre, ils décidaient qu’on prendrait l’offensive par une marche sur Pithiviers. Vainement le général d’Aurelle s’efforçait-il de faire observer qu’une sortie hors des lignes pouvait entraîner une bataille générale qu’on ne serait plus maître de refuser, qu’on allait livrer cette bataille sur le terrain de concentration de l’ennemi à une journée de nos propres positions : le gouvernement de Tours n’écoutait rien, et ce qu’il y avait de plus étrange, c’est qu’il prétendait expliquer le mouvement qu’il préparait par la nécessité de dégager la gauche de l’armée et l’ouest, menacés par le duc de Mecklembourg. M. Gambetta et M. de Freycinet avaient leur plan arrêté, c’était leur œuvre, dont ils se proposaient de confier l’exécution au 18e et au 20e corps, établis entre Gien et Montargis, en faisant concourir à l’expédition une division de des Pallières qu’on détacherait du 1er corps pour la porter plus à l’est, au risque d’affaiblir le centre des positions de l’armée. A partir du 22 et du 23 novembre, les ordres se pressaient, et c’était si bien l’œuvre du gouvernement que M. de Freycinet dit avec une naïveté de présomption singulière : « Les opérations offrirent ce caractère particulier, qui, pendant toute la période du 10 octobre au 9 février, ne s’est retrouvé dans aucune entreprise, d’être conduites directement par l’administration de la guerre. »

Ainsi non-seulement on jouait sans le vouloir le jeu de l’ennemi par une imprudente tentative, non-seulement on faisait ce qui, selon le mot du major Blume, « pouvait le mieux répondre aux désirs du chef de l’armée allemande, » mais on allait le faire avec des forces disséminées, avec un commandement flottant et partagé, si bien qu’en plein mouvement le général d’Aurelle était réduit à écrire au ministre de la guerre : « Ne connaissant pas le but précis des mouvemens que vous avez ordonnés, il m’est fort difficile de donner des instructions qui pourraient s’écarter de vos intentions. » Et Martin des Pallières à son tour était réduit à écrire au général en chef : « Ne connaissant nullement le plan qui nous fait mouvoir, je crains de faire quelque mouvement qui vienne le contrecarrer en ne se reliant pas à ceux du reste de l’armée. » C’est ainsi que s’engageaient ces opérations qui conduisaient le 28 novembre à la bataille livrée autour de Beaune-la-Rolande, qu’il s’agissait d’enlever avant d’aborder Pithiviers. Assurément ce fut un combat plein d’honneur pour les jeunes soldats du 20e et du 18e corps, qui allaient au feu pour la première fois, qui, s’avançant les uns par Batilly, Nancray, Saint-Loup, les autres par Ladon, Maizières, Juranville, réussissaient un instant à serrer de près la ville de Beaune-la-Rolande, défendue par le Xe corps prussien de Voghts-Rhetz. Il n’était pas moins d’une triste évidence que l’attaque avait manqué. Le 18e et le 20e corps, après quatre journées de pénibles efforts, d’engagemens sanglans, n’étaient pas moins condamnés à reprendre des positions en arrière. Le cabinet militaire de Tours, qui, lui, ne pouvait pas, ne voulait pas avoir échoué, était seul à triompher. Il répétait avec une imperturbable assurance que, par ce qu’il appelait la « diversion sur la droite, » il avait réussi à dégager l’ouest de l’étreinte du grand-duc de Mecklembourg, lorsque bien avant le 28 le grand-duc avait l’ordre de regagner Orléans. Il comblait d’éloges les deux corps qui avaient combattu, il exaltait surtout le jeune chef provisoire du 18e corps, le colonel Billot, qu’il faisait général. Il parlait enfin « des avantages signalés » qu’on avait remportés.

On était malheureusement bien obligé de s’avouer la vérité, une vérité cruelle, désagréable surtout pour le gouvernement. Le commandant du 20e corps eut le courage de ne pas la cacher. Il osa dire qu’il avait besoin de « quelques jours de repos pour se refaire, » que ses soldats manquaient de tout, que les bataillons de mobiles de la Haute-Loire « n’avaient pour tout vêtement que des pantalons et des blouses de toile complètement hors de service. » M. de Freycinet répondait aussitôt d’un ton napoléonien : « Vous me paraissez bien prompt à vous décourager, et vous n’opposez pas à l’ennemi cette solidité sans laquelle le succès est impossible. Vous me parlez aujourd’hui de quelques jours de repos. Il s’agit bien de repos… Il faut marcher, et marcher vite… J’attends de vous que vous emploierez toute votre activité et votre énergie à relever le moral de vos troupes. Si l’attitude de ce corps continuait à paraître aussi incertaine, je vous en considérerais comme personnellement responsable… »

Voilà comment du fond d’un cabinet de Tours on parlait à des généraux qui étaient devant l’ennemi, qui avaient le malheur de ne point réussir dans les aventures où on les jetait. Je me figure que, si le chef provisoire du 18e corps, le général Billot, connut cette lettre, il dut souffrir des faveurs exceptionnelles dont il était l’objet, en voyant ainsi traité un compagnon de guerre auprès duquel il venait de combattre. Le général Martin des Pallières, quant à lui, n’avait pu prendre aucune part à l’affaire de Beaune-la-Rolande ; il n’avait pas dépassé Loury dans la forêt, et c’est là, dans un petit rendez-vous de chasse qui lui servait de bivouac, au milieu des soucis d’une opération à laquelle il était associé et dont il sentait le péril, c’est là qu’il recevait une visite inattendue. Celui qui se présentait prenait le simple nom de colonel Lutteroth. Il ne fut pas d’abord reconnu par le général. C’était le prince de Joinville. Il était allé vainement à Tours demander du service, il n’avait pas réussi à voir le général d’Aurelle, il venait auprès de Martin des Pallières. Il rappelait au général qu’autrefois, dans des temps moins sombres, il avait eu la chance de l’aider à se distinguer au début de sa carrière au Maroc ; il ne lui demandait ni grade, ni position, il le suppliait seulement de le laisser se perdre parmi les volontaires de ses avant-postes. « Qui me reconnaîtra ? Vous ne m’avez pas vous-même reconnu, » disait-il. Le général était profondément ému, et ce n’est qu’après une pénible lutte intérieure qu’il se croyait obligé de refuser. « Nous jouons la dernière carte de notre malheureux pays, répondit-il ; il nous faut éviter tout ce qui pourrait donner prétexte à une agitation quelconque en présence de l’ennemi. » Le prince serra la main du général en silence, et partit, pour se retrouver cinq jours après, obscur et inconnu, à la défense des batteries d’Orléans.

Heureux ou malheureux en effet, le combat de Beaune-la-Rolande ne pouvait plus être considéré que comme une sorte de prologue d’une action imminente, tant les événemens se pressaient tout à coup. On était encore sous l’impression de ce qui venait de se passer le 28, lorsque le 30 on recevait à Tours la nouvelle que ce jour-là même ou peut-être la veille l’armée de Paris avait dû tenter une grande sortie sous les ordres du général Ducrot, qui se proposait de se diriger sur la forêt de Fontainebleau. Aussitôt M. de Freycinet donnait rendez-vous pour le soir aux principaux chefs de l’armée au quartier-général de Saint-Jean-de-la-Ruelle, aux abords d’Orléans, et il arrivait avec M. De Serre à neuf heures. C’était le conseil de guerre décisif. Il s’agissait toujours de cette marche sur Pithiviers qu’on venait d’essayer, mais qui devait être reprise cette fois d’une autre manière, dans de plus vastes proportions et sans plus de retard. Les généraux, en présence des nouvelles de Paris, ne méconnaissaient pas la nécessité d’agir ; seulement ils demandaient d’abord et avant tout qu’on ne laissât pas l’armée dans l’état d’éparpillement où elle était, qu’on exécutât le plus rapidement possible une concentration indispensable. C’était à leurs yeux la première condition de succès. On finit par leur dire qu’il n’y avait plus à discuter, que c’était l’ordre du ministre, — à quoi le général Chanzy aurait répliqué, assure-t-on, que ce n’était point alors la peine de les réunir, qu’il n’y avait qu’à leur envoyer leurs instructions par la poste. Puisqu’il y avait en effet un ordre formel, impérieux, il ne restait plus qu’à l’exécuter, et le grand, le terrible drame allait commencer.


IV

Dans quelles conditions se trouvait-on à ce moment décisif ? Il faut se représenter cette situation pour comprendre ce qu’il y avait de prudence dans les observations des généraux. Le grand-duc de Mecklembourg venait d’arriver à portée d’Orléans, et le prince Frédéric-Charles, qui avait désormais le commandement de l’armée allemande d’opération tout entière, n’était point homme à rester inactif ou à négliger les occasions qu’on pourrait lui offrir. De notre côté, l’armée était certainement considérable, mais elle s’étendait sur une ligne de près de quatre-vingts kilomètres. Le 17e corps n’avait pas encore quitté les environs de Marchenoir, où il venait de rentrer après sa pointe sur Châteaudun. Le 16e corps était à gauche du chemin de fer de Paris, vers Saint-Péravy. Deux divisions du 15e corps se trouvaient à cheval sur la route de Paris, à Gidy, à Chevilly, et allaient jusqu’à Saint-Lyé, à la lisière de la forêt, tandis que la première division de ce corps était à six lieues de là vers l’est avec le général Martin des Pallières lui-même. Le 20e et le 18e corps étaient plus loin encore, à Bellegarde, en arrière de Beaune-la-Rolande et dans la direction de Montargis. Non-seulement cette ligne démesurément étendue et fragile était exposée à être percée par un choc un peu violent, mais de plus le ministère de la guerre ne s’était nullement dessaisi de la direction du 17e corps, dont il venait de se servir pendant quelques jours, du 18e et du 20 corps, ainsi que de la première division de des Pallières. Voilà dans quelles conditions le gouvernement, de son autorité souveraine, décidait le 30 novembre au soir qu’on marcherait au combat. C’était positivement redoutable.

Pithiviers étant le premier point à enlever pour se diriger sur Fontainebleau, il s’ensuivait que la 1ère division de des Pallières, qui était vers Chilleurs-aux-Bois, formait comme le pivot sur lequel allait s’opérer le grand mouvement de conversion de l’armée ; que le 16e corps, qui, partant de l’extrême gauche, avait le plus de chemin à faire, donnerait le signal de l’action en se mettant en marche dès le 1er décembre, suivi d’aussi près que possible par le 17e corps ; que le 18e et le 20e corps, qui étaient à l’extrême droite un peu éprouvés et qui restaient toujours d’ailleurs sous les ordres directs du ministre, partiraient les derniers. On croyait avoir fait pour le mieux, et en réalité la première partie du programme s’accomplissait assez heureusement. Le 1er décembre au matin, le général Chanzy, d’une main énergique et sûre, poussait ses troupes en avant. Il avait à s’élever à la hauteur de Janville et de Toury avant de se replier sur Pithiviers, et jusque-là il avait à se frayer un passage, à disputer pied à pied le terrain aux Bavarois, peut-être aux autres forces du grand-duc de Mecklembourg qu’il avait devant lui. Les troupes du 16e corps étaient pleines d’entrain. Successivement on enlevait toutes ces positions de Gommiers, de Terminiers, de Guillonville, de Faverolles, et comme le temps passait, comme on touchait à la nuit, l’amiral Jauréguiberry, voulant terminer le combat par un coup de vigueur, faisait emporter d’assaut le château et le parc de Villepion, où se concentrait la résistance. On avait gagné du terrain et on restait maître des positions. Le soir, Chanzy se croyait et avait le droit de se croire en succès.

Tout semblait d’ailleurs favorable dans cette journée du 1er décembre. Chanzy inaugurait le mouvement de l’armée de la Loire par une brillante action, et on apprenait ce jour-là, par une fortune heureuse, que la sortie de Paris s’était enfin accomplie la veille, qu’elle avait été couronnée par une éclatante victoire de Trochu et de Ducrot. C’était la première affaire du 30 novembre à Villiers. Il n’y avait plus à hésiter désormais sur ce qu’on avait à faire. Du général au dernier soldat, tout le monde était électrisé. Le général d’Aurelle, dans un ordre du jour à ses troupes, disait : « Marchons avec l’élan dont l’armée de Paris nous donne l’exemple. Je fais appel aux sentimens de tous, des généraux comme des soldats. Nous pouvons sauver la France… En avant, sans calculer le danger ! » Malheureusement M. Gambetta dans l’exubérance d’un patriotisme qui n’aurait rien perdu à être moins ignorant, M. Gambetta réussissait à mêler presque du ridicule à des événemens qui étaient pourtant si sérieux. Lui qui, comme ministre de la guerre, aurait dû au moins être au courant de certaines choses ou se laisser instruire, il trouvait le moyen de brouiller tout, de confondre tout, le nord et le midi, Épinay-sur-Seine et Épinay-sur-Orge, le général Vinoy, qui commandait au sud de Paris, et l’amiral La Roncière Le Noury, qui commandait à Saint-Denis. Il annonçait à la France que l’amiral La Roncière s’était avancé sur Longjumeau et avait « enlevé les positions d’Épinay » sur la route d’Orléans, de sorte qu’il n’y avait plus qu’à faire un pas de part et d’autre pour se donner la main. Déjà on parlait à Tours du prince Frédéric-Charles comme d’un général qui aurait bien de la peine à ne pas être pris entre l’armée de Ducrot et l’armée de la Loire. Pour des hommes qui avaient la prétention de conduire une guerre, c’était léger, et d’autant plus dangereux que ces fausses indications pouvaient entraîner les plus graves méprises, que toutes ces exagérations de bulletins, en trompant le pays, devaient inquiéter les généraux. Une chose restait toujours certaine, il y avait eu évidemment à Paris une action décisive, heureuse, et cette seule pensée suffisait pour soutenir l’armée de la Loire dans la lutte où elle s’était engagée.

La marche commencée le 1er décembre en effet, on la reprenait le 2 au matin sous l’impression des avantages qu’on avait obtenus et des grands succès parisiens ; mais on ne tardait pas à s’apercevoir que cette fois on ne marcherait pas aussi aisément que la veille, qu’on allait avoir les plus sérieux embarras. Tandis qu’une division du 15e corps devait s’avancer le long du chemin de fer de Paris, au-delà de Chevilly, vers Artenay, mesurant son action aux progrès du 16e corps, celui-ci, à peine engagé, rencontrait à chaque pas la résistance la plus opiniâtre. En réalité, le 16e corps avait devant lui toutes les forces du grand-duc de Mecklembourg, les Bavarois, la 17e et la 22e division d’infanterie, plusieurs corps de cavalerie. On avait à livrer une véritable bataille dont le centre était le village de Loigny. Malgré tous ses efforts, malgré l’énergie de ses divisionnaires, l’amiral Jauréguiberry et le général Barry, Chanzy n’avançait pas, ou, s’il avançait, c’était pour être obligé de reculer aussitôt. A un certain moment, il voyait sa droite désorganisée, son centre faiblissant et ne pouvant plus tenir à Loigny, sa gauche disputant péniblement le terrain. La situation devenait critique pour lui, il avait engagé tout son corps, il n’avait plus rien à mettre en ligne. Il avait seulement appelé le 17e corps, qui était loin et qui ne paraissait pas. Le général de Sonis, arrivé de sa personne à Patay, frémissant d’impatience au bruit du canon, hâtait autant que possible la marche de ses troupes. A mesure que les régimens arrivaient, il les formait pour les pousser au secours des divisions du 16e corps, et lui-même il se portait au centre de la bataille, dans la direction de Loigny, avec ce qu’il avait sous la main, notamment avec un bataillon de « zouaves pontificaux » sous les ordres du colonel de Charette ; il n’avait pas plus de 800 hommes.

Il était quatre heures, il s’agissait de faire une suprême tentative pour reprendre Loigny, où quelques-uns de nos soldats se défendaient encore contre des masses ennemies qui occupaient la plus grande partie du village. De Sonis s’avance intrépidement avec sa petite troupe sous une grêle d’obus ; il sème la route de ses morts, et il est lui-même atteint d’une affreuse blessure qui le met hors de combat. Le colonel de Charette, dont le cheval est tué, met pied à terre, continue sa marche au milieu d’un feu qui redouble ; il arrive jusqu’aux jardins de Loigny, et, blessé à son tour, il tombe au bord du chemin, poussant encore du geste et de la voix ses soldats en avant. La lutte devient bientôt impossible, la mort abat cette jeunesse guerrière. Des trois cents hommes de Charette, il en revint soixante ! Cette héroïque charge de Loigny n’avait servi à rien. C’était le dernier espoir qui s’évanouissait, la bataille était perdue. Un instant, le général Chanzy, qui ne se déconcertait pas facilement, croyait pouvoir se borner à se replier dans ses positions du matin, et il aurait encore tenu tête assurément, s’il l’avait fallu, si on l’avait poursuivi ; mais il s’apercevait bien vite que le 17e corps était passablement démoralisé, et les chefs de ces jeunes soldats du reste ne lui cachaient pas qu’on ne pouvait rien leur demander de quelques jours ; il voyait que les divisions du 16e corps, tout en restant bien plus fermes, étaient elles-mêmes fort éprouvées. Il ne se dissimulait pas qu’une retraite plus complète devenait peut-être nécessaire, et que c’était de ce côté l’abandon de la marche sur Pithiviers.

Ce qu’on ne croirait pas cependant, c’est que ce même soir, au moment où expirait la charge de Loigny et où Chanzy venait de se battre tout un jour contre plus de 40,000 hommes, on écrivait de Tours au général en chef : « D’après l’ensemble de mes renseignemens, je ne crois pas que vous trouviez à Pithiviers ni sur les autres points une résistance prolongée. Selon moi, l’ennemi cherchera uniquement à masquer son mouvement vers le nord-est à la rencontre de Ducrot. La colonne à laquelle vous avez eu affaire hier et peut-être encore aujourd’hui n’est sans doute qu’une fraction isolée qui cherche à nous retarder ; mais, je le répète, le gros doit filer vers Corbeil. » Ils y tenaient, et ils voyaient clair, ces profonds stratégistes ! Le ministre de la guerre disait dans la même dépêche au général d’Aurelle : « Il demeure entendu qu’à partir de ce jour, et par suite des opérations en cours, vous donnerez directement vos instructions stratégiques aux 15e 16e 17e 18e et 20e corps. J’avais dirigé jusqu’à hier les 18e et 20e et par moment le 17e. Je vous laisse ce soin désormais. » — Il était bien temps, lorsque Chanzy venait d’être refoulé, lorsqu’on ne pouvait plus tenter une concentration quelconque sans avoir à défiler sous le regard et sous le canon de l’ennemi qui s’avançait, lorsqu’on ne savait pas même si on aurait le temps de rappeler la division de Martin des Pallières, détachée vers Chilleurs-aux-Bois, lorsqu’enfin il était absolument puéril de songer à rallier le 18e et le 2e« corps, qui étaient bien plus loin !

Non, certainement, le prince Frédéric-Charles ne pensait guère à « filer » vers Corbeil, et ses forces n’étaient pas des « colonnes isolées ; » elles se concentraient au contraire d’heure en heure. Depuis plusieurs jours, le prince Frédéric-Charles attendait de voir se dessiner les mouvemens de l’armée française. Le 1er décembre, il avait laissé s’engager le 16e corps sans lui opposer des forces suffisantes ; le 2, il chargeait le grand-duc de l’arrêter et de le repousser, s’il le pouvait ; le troisième jour, il se disposait à frapper lui-même le grand coup. Il en avait du reste reçu l’ordre direct de Versailles dans l’après-midi du 2, — juste à l’heure où se livraient la bataille de Loigny, près d’Orléans, et la bataille de Champigny, aux portes de Paris ! Le 3 en effet, le prince généralissime allemand était prêt à frapper le coup décisif qu’il méditait. Pendant que le grand-duc de Mecklembourg restait chargé de continuer sa marche à l’ouest d’Orléans sur les traces du 16e corps, le IIIe corps prussien devait se jeter à l’est sur Chilleurs-aux-Bois pour forcer la ligne de la forêt, le IXe corps devait attaquer Artenay sur le chemin de fer de Paris ; le Xe corps avait un rôle intermédiaire, prêt à se porter où il le faudrait. Le résultat de ce mouvement concentrique était malheureusement pour nous, d’un succès vraisemblable. La division de Martin des Pallières, assaillie à Chilleurs-aux-Bois au moment où, d’après l’ordre du général en chef, elle allait se replier sur Orléans, n’avait que le temps de faire face à l’ennemi et de le retarder jusqu’au soir par un combat énergiquement, mais inutilement soutenu. Les divisions du 15e corps, qui étaient sur la ligne d’Artenay, se trouvaient réduites à battre en retraite en disputant vigoureusement le terrain, en se repliant pas à pas. Dès ce moment, on peut dire que la ligne était percée, et le mouvement de l’ennemi se dessinait de façon à intercepter toute communication entre tout ce qui refluait vers Orléans et ce qui restait en dehors de ce cercle. Le 16e corps ne pourrait plus regagner Orléans ; du 18e et du 20e corps, il n’y avait plus rien à dire. Martin des Pallières seul, après son combat de Chilleurs-aux-Bois, parvenait à se replier vers Orléans. La situation devenait poignante. De toutes parts, la réalité apparaissait nue et sinistre. Les premières lignes de défense étaient perdues, on n’avait plus pour s’abriter que les dernières batteries élevées autour d’Orléans, et pour continuer la lutte il ne restait que des troupes harassées, découragées par deux jours de combat où elles avaient senti peser sur elles les masses allemandes. Qu’arrivait-il cependant ? Encore à ce suprême et cruel moment le cabinet militaire de Tours trouvait le moyen de donner un nouveau spécimen de ses calculs profonds et de sa clairvoyance. Le 3 décembre, à dix heures cinquante du soir, M. de Freycinet adressait au général d’Aurelle cette étrange dépêche :


« Il me semble que dans les divers combats que vous avez soutenus vos divers corps ont agi plutôt successivement que simultanément, d’où il suit que chacun d’eux a presque partout trouvé l’ennemi en forces supérieures. Pour y remédier dorénavant, je suis d’avis que vos corps soient le plus concentrés possible ; à cet égard, il me semble que le 16e et le 17e corps sont un peu trop développés vers la gauche. Quant au 18e et au 20e je les engage dès ce matin, à moins d’ordres contraires de vous, à appuyer sur la gauche et à se rapprocher de des Pallières, en marquant un mouvement de concentration vers Orléans ; mais j’ai lieu de penser, d’après ma dépêche vers six heures, que mes instructions ne sont pas parvenues à temps. Bref, en prenant la situation au point où elle est maintenant, je crois devoir appeler votre attention sur l’opportunité d’un mouvement concentrique général à effectuer demain dimanche d’aussi bonne heure que possible… J’insiste sur cette concentration parce que, le mouvement en avant de l’armée ne me paraissant pas pouvoir être repris tout de suite, il n’y a plus le même intérêt à conserver les 18e et 20e corps et partie du 15, en avant sur votre droite dans la route à suivre, ainsi que cela convenait au début de l’opération… »


Cette concentration, c’était justement ce que les généraux avaient réclamé dès le premier jour ! Cette dissémination des forces, qui devait conduire fatalement à l’incohérence des opérations, c’était le fait dont ils n’avaient cessé de se plaindre, parce qu’ils en prévoyaient les redoutables conséquences ! Tant que la concentration pouvait s’accomplir sans péril, sans grande difficulté, on la refusait aux chefs militaires ; maintenant qu’elle était devenue impossible, on les pressait de la réaliser. Le 2 décembre au soir, en pleine défaite, M. de Freycinet rendait au général d’Aurelle le commandement direct de corps d’armée qu’on ne pouvait plus rallier ; le 3 au soir, il lui demandait de concentrer des forces déjà coupées par l’ennemi, — et le lendemain encore M. Gambetta allait écrire au général d’Aurelle avec une étourderie présomptueuse que la gravité des choses semblait exalter : « Jusqu’ici vous avez été mal engagé et vous vous êtes fait battre en détail ; mais vous avez encore 200,000 hommes en état de combattre, si leurs chefs savent par leur exemple et par la fermeté de leur attitude grandir leur courage et leur patriotisme. » Parler de 200,000 hommes, c’était bien la plus puérile et la plus cruelle des dérisions. Malheureusement on était à un de ces instans où l’emphase des paroles ne sert à rien. D’heure en heure le cercle se resserrait autour d’Orléans, l’ennemi avançait. Le général d’Aurelle sentait le péril, il comprenait que, si l’on voulait échapper à un dernier désastre, il n’y avait plus qu’un parti à prendre, un parti extrême, douloureux, mais inexorablement imposé par les circonstances, — l’évacuation d’Orléans.

Il n’y avait point à hésiter, et alors dans cette nuit du 3 au 4 décembre commençait une sorte de dialogue fiévreux, qui était un véritable drame, entre ce vieux général, placé dans la situation la plus terrible, et les dictateurs de Tours, qui jugeaient tout du haut de leurs illusions. D’Aurelle faisait savoir à Tours qu’il n’y avait plus qu’à quitter Orléans, et M. Gambetta lui répondait : « Votre dépêche de cette nuit me cause une douloureuse stupéfaction. Je n’aperçois dans les faits qu’elle résume rien qui soit de nature à motiver la résolution désespérée par laquelle vous terminez… Opérez, comme je vous l’ai mandé, un mouvement général de concentration… Ne pensez qu’à organiser la lutte et à la généraliser… » D’Aurelle insistait en disant qu’il était sur le terrain, qu’il pouvait juger les choses mieux qu’on ne le faisait à Tours, et on lui répondait par une dépêche astucieuse où le gouvernement s’étudiait à se dégager d’avance lui-même pour rejeter toute la responsabilité des événemens sur le général en chef.

Un moment pourtant, au milieu des douloureuses émotions qui l’agitaient, le général d’Aurelle se fit une dernière illusion et crut qu’il pourrait tenter une résistance désespérée. Il vit bientôt que tout lui manquait. Les bataillons fondaient sous la main des chefs. Les hommes se débandaient et se dispersaient dans la ville. Les officiers, interpellés par les généraux, répondaient : « Nos soldats n’en peuvent plus et n’en veulent plus. » Il n’y avait plus rien à faire, tout était fini. A quatre heures, le général d’Aurelle prenait définitivement sa résolution ; il laissait au général Des Pallières le soin de protéger l’évacuation, de tenir les Prussiens en respect, de négocier au besoin avec eux pour épargner à la ville d’Orléans l’horreur d’un assaut, et lui-même il organisait la retraite sur Salbris, il ne s’éloignait qu’après avoir donné tous les ordres nécessaires, après avoir mis toutes ces forces confuses en mouvement. Pendant qu’il s’épuisait à rallier ses troupes et à les maintenir, le gouvernement de Tours annonçait à la France que le général d’Aurelle avait cru devoir abandonner Orléans, quoiqu’il lui restât « une armée de plus de 200,000 hommes, pourvue de 500 bouches à feu, retranchée dans un camp fortifié, armée de pièces de marine à longue portée… » Le gouvernement insultait ainsi à la vérité, et ses agens en province, commentant sa pensée, parlaient dans leurs proclamations de cette retraite inexpliquée de l’armée de la Loire « sans combat, sans lutte, sans défaite,… et sur l’ordre d’un chef qu’on avait appris à connaître… » Naturellement on enlevait au général d’Aurelle le commandement de ses troupes et on l’envoyait surveiller « les lignes stratégiques de Cherbourg, » — ce qu’il s’empressait de refuser. La première armée de la Loire avait cessé d’exister.

Je veux résumer la moralité de cette sanglante tragédie où éclate à chaque pas le conflit de toutes les directions. Au premier instant, la défensive autour d’Orléans est réclamée par les généraux comme une condition de succès, comme le meilleur moyen de préparer la marche sur Paris. Les chefs militaires demandent au moins qu’on n’étende pas trop les lignes d’opérations, qu’on rassemble le plus possible les troupes dont on dispose. On ne tient aucun compte de leur opinion, on dissémine les forces, on fait des plans de campagne, on prétend diriger des expéditions. Tant qu’on croit encore au succès, on se réserve le droit de commander des corps d’armée. Le jour où les affaires commencent à se compliquer, on se hâte de rendre au général en chef un commandement dont on ne sait plus que faire. Lorsque la défaite irrémédiable éclate comme une conséquence fatale des fausses directions qu’on a voulu donner, on rejette tout sur le chef dont les avertissemens ont été inutiles. Plus d’une fois en fouillant jusqu’au fond cette cruelle histoire, je me suis demandé si ces généraux n’auraient pas mieux fait de maintenir dans leur intégrité les droits du commandement militaire, s’ils n’auraient pas dû se retirer plutôt que d’exécuter les ordres légers ou dangereux qu’ils recevaient, s’ils n’avaient pas été enfin eux-mêmes les victimes de cette habitude d’obéissance, que vingt années d’empire avaient développée au point d’éteindre chez les hommes l’esprit d’initiative et d’indépendance. Non, ce n’était pas seulement l’habitude de l’obéissance, c’était encore moins la routine du métier qui les retenait à leur poste ; ils étaient dominés surtout par l’instinct du patriotisme, d’un patriotisme attristé, mais résigné, résolu, et c’est le général d’Aurelle qui le dit : « l’amour du pays donnait le courage de supporter les blessures de l’amour-propre ; on ne demandait qu’à verser son sang pour venger les humiliations de la France. »

La vérité est que ces malheureux généraux ont été les souffre-douleurs de cette triste époque. On avait besoin d’eux, et on semblait tout faire pour les réduire à une impuissance qu’on leur reprochait. Placés dans la situation la plus pénible, exposés à toutes les défiances, quelquefois aux insultes de la plus vile canaille, tenus en suspicion par le gouvernement lui-même, toujours prêt à les briser, émus du sentiment de leur responsabilité en face de tant de malheurs publics, que pouvaient-ils ? Ce n’étaient pas des hommes de génie, c’est possible. Est-ce que ceux qui avaient la prétention de leur donner des ordres avaient du génie ? « Le public appréciera, » disait un jour M. Gambetta dans uns de ses proclamations, et Mme Sand[3], dans des pages qu’on n’a pas oubliées, répondait spirituellement : « Le public ! C’est ainsi que ce jeune avocat parle à la France ! Il a voulu dire : La cour appréciera ; il se croit à l’audience ! » Eh bien ! il faut que ce procès se vide devant le pays, que les responsabilités se précisent : les faits sont là.

Qui est responsable des désastres de cette campagne d’Orléans, de cette armée de la Loire ? Sans doute il y a toujours un premier coupable, celui qui a conduit la France à cette situation, où, après deux mois de guerre, elle pouvait à peine retrouver une armée. Il y a d’autres responsables, ce sont ceux qui ont tout compromis non pas par absence de patriotisme et de bonne volonté, si l’on veut, mais par présomption, par incapacité et par ignorance. Il y a une autre responsable enfin, c’est cette tourbe de démagogues dont M. de Freycinet ne s’occupait pas, j’en conviens, que M. Gambetta aurait craint de blesser, et qui, au moment où la patrie sombrait, passaient leur temps à faire des manifestations loin de l’ennemi pour réclamer « la révocation de tous les généraux, la subordination de l’élément militaire à l’élément civil ; » c’est cette bande de faméliques agitateurs qui, s’il y a une justice au monde, doivent rester à jamais honnis devant la conscience nationale pour avoir cherché le triomphe de leurs convoitises, de leurs vanités, de leurs intérêts, même de leurs idées, s’ils en ont, — lorsque la France, notre mère à tous, était dans le deuil, en proie à l’invasion étrangère.


Charles de Mazade.

  1. Discours de M. Thiers, séance de l’assemblée nationale du 9 juin 1872.
  2. On indique les numéros des corps allemands en chiffres romains pour éviter toute confusion avec les corps français.
  3. Voir ces pages d’une si sincère éloquence dans la Revue du 15 mars 1871.