La Guirlande des dunes/La Côte flamande
La Côte Flamande
Pour les marins d’Anvers, la mer
— Champ immense de lucre et de jolie —
Sous des cieux de splendeur étale et multiplie
Les ors du monde, au long de ses chemins amers.
Mais pour ceux-ci, ceux de Flandre, la mer
N’est que leur blond pays qui se prolonge
Sous un manteau tumultueux de flots hagards,
Avec les duvets gris et les éponges
De ses brouillards.
C’est la plaine des mâts, des voiles et des hunes,
Et des filets qui s’acharnent à la moisson
Souterraine des beaux poissons
Couleur de lune.
À droite, à gauche, à l’infini,
Au long de la côte râpée et nue
Dorment, en leur repos que les courants remuent,
Les sables blancs, jaunes ou gris :
Le pêcheur les connaît : son œil sagace
Voit, dirait-on, à travers l’eau :
Il arrête toujours l’élan de son bateau,
Juste à la place
Où le butin s’amasse.
Matins blafards, midis ardents, soirs purpurins,
L’hiver, l’été, selon l’heure opportune,
Il va du banc des Chiens marins
Aux bancs d’Ostende et de Wendune.
Les gazons verts, les fucus bleus
S’y développent, en longs jardins visqueux,
Qui s’affaissent ou se soulèvent,
Au va-et-vient des poissons clairs
Et coruscants, comme des glaives.
Brusques clartés, intermittents éclairs.
Parfois y apparaît, ainsi que la folie,
L’œil fixe et phosphoreux des cabillauds rôdeurs,
Tandis qu’au fond calmé des profondeurs,
Raie et turbot, limande et plie,
Sur un sol plane et finement sablé,
Se reposent, se combattent, se multiplient.
Les vieux patrons et les marins hâlés
Savent, d’après le vent et l’heure,
Quelle pêche sera meilleure
Et quel filet, solide et long,
Avec ses rêts pesants de plomb,
Il faut descendre au flanc des barques lentes ;
Patiemment, ils vont traçant des sentes
Sur l’arène des flots pâles, là-bas,
Jusqu’à l’instant où tous les bras sont las,
Et que la cale
Déborde enfin, sous un amas de poissons gras.
Ils reviennent sans faire escale.
Au loin, le soir tombant,
On voit surgir leur flottille dorée,
Avec les fleurs d’écume de la marée,
Autour d’elle, superbement.
Et l’on descend la voile — et la barque inlassable,
Jusqu’à demain, s’échoue et s’endort sur le sable.
Et les vieilles et les mères et les gamins
Heureux, impatients, avides,
Attendent là, avec des paniers vides,
Les poissons d’or, de givre ou de carmin.
On travaille dans l’eau, culotte retroussée,
On boit, dûment, un coup d’alcool,
Les ancres sûres mordent le sol,
Une glissoire d’or sur la mer embrasée
Court. Et chacun regagne, à larges pas,
Avec sa charge au dos, lourdement balancée,
Par les dunes et leurs sillages,
Le blanc village
Dont les chaumes fument, là-bas.