La Guirlande des dunes/Les Bouges

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Deman (La Guirlande des dunesp. 76-78).

Les Bouges


C’est un hameau sale et baroque
Tout est branlant : muraille et seuil
Chaque carreau y semble un œil
Malade ou mort sous une loque.


Dix ménages, un citerneau ;
Un chien barbet, deux dindes bleues,
Et trois gorets tordant leurs queues
Minuscules, en bigorneau.


Larmes et cris : c’est la marmaille
Qui s’y dispute, obstinément ;
Un vieux marin, pâle et dément
Y fait des gestes de bataille.

Des fillettes hâves s’en vont
En maraude, par la contrée,
Et rapportent, à la vesprée,
Leurs vols cachés sous leur jupon.

Pleurs, misères, jurons, bamboches !
Les mégères y font la loi
Et l’ivrogne rentre chez soi
Sous l’averse de leurs taloches.

La vie y lutte avec la mort
Sans qu’on sache ce qu’on en pense ;
Une commune malfaisance
Unit les cœurs contre le sort.

Les nuits de kermesse dansante,
Filles et gars vautrés, par tas,
Mêlent leurs chairs, en des combats
De joie épaisse et hennissante.

Et quand un mort barre un sentier,
Avec, au flanc, le couteau rouge,
C’est parmi eux, au fond d’un bouge,
Qu’on vient chercher le meurtrier.

Ainsi, dans sa crasse sanglante,
Gît le hameau, sous le ciel bleu,
Laissant puer, au nez de Dieu,
Sa vie infecte et violente.