La Hongrie en 1848/03

La bibliothèque libre.
La Hongrie en 1848
Revue des Deux Mondes, période initialetome 24 (p. 252-279).
◄  02
04  ►

LA HONGRIE


EN 1848.




KOSUTH ET JELLACHICH. HISTOIRE DES SIX DERNIERS MOIS.


Séparateur


On a beau faire, le temps n’est plus des longues et paisibles études : l’histoire du jour gronde à la porte de chacun, les événemens de la veille sont déjà vieux ; mauvais temps pour écrire l’histoire du passé, quand chaque journal vous apporte plus de révolutions, de changemens inouis, de guerres ou de forfaits, qu’il n’y en a dans un de ces gros volumes qui contiennent aussi les fautes et les malheurs de nos devanciers. Essayez donc d’émouvoir la pitié et l’indignation, en racontant ou Coligny tombant sous les coups des assassins ou les frères de Witt coupés en morceaux par la populace furieuse : ces temps, que nous appelons barbares, sont trop loin de nous ; nous avons mieux d’ailleurs que les couleurs affaiblies de ces récits, les sanglantes images sont étalées sous nos yeux. A Paris, on mutile le général Bréa ; à Francfort, on déchire en lambeaux le jeune et brave Lichnowsky ; à Pesth, on tranche à coups de faux les membres et la tête du général Lamberg ; en Sicile, on mange des grillades napolitaines. Il semble que quelque horde de cannibales ait fait irruption au milieu de la civilisation épouvantée, car je ne parle que des atrocités singulières, et qu’on eût marquées de sang même à la Saint-Barthélemy ; le reste, hélas ! révolutions, guerres, incendies, bombardement de villes, est de l’histoire de tous les siècles.

Nous n’étions pas pressé d’arriver aux événemens du jour, nous avions choisi ces études hongroises pour nous en éloigner au contraire ; nous avions remonté jusqu’à saint Étienne, on ne pouvait fuir plus loin. Cette histoire, remplie de particularités curieuses, d’événemens bizarres ; cette nation, mélange de tant d’autres nations, aspirant avec une impatience si fière et si noble à la liberté, la rencontrant si rarement pour elle, la refusant aux autres ; ces caractères individuels si fortement tranchés, un reste de mœurs grossières ; l’hospitalité orientale au fond des châteaux ; dans les salons, l’esprit vif et animé, la conversation brillante, dont Paris croyait avoir le monopole ; la civilisation touchant de si près à l’état de nature ; des palais sur les marches desquels dorment des bohémiens ou des pâtres armés de grandes lances ; au milieu de tout cela, une pléiade d’hommes éminens revendiquant pour leur patrie les bienfaits de la liberté dans l’ordre, sous la loi et par la loi, élevant chaque année la tribune où ils montaient, ceints du sabre de leurs rudes aïeux, au niveau des tribunes des parlemens de France et d’Angleterre : voilà ce que nous voulions contempler et montrer à loisir.

La Hongrie avait jusqu’ici une existence à part, un tempérament particulier, des causes de progrès et de décadence qui lui étaient propres ; elle grandissait ou déclinait avec une originalité marquée. Ce qui se passe aujourd’hui chez elle échappe à son histoire particulière ; c’est de l’histoire universelle. Le fléau européen est venu s’abattre aussi sur cette contrée reculée : elle court maintenant les fortunes que nous courons tous ; nul ne peut dire qui guérira ou qui mourra ; les premiers se sauveront par des remèdes tout autres que ceux qu’on avait préparés de loin pour des maladies anciennes et connues, les derniers périront sous la force fatale du mal, sans que leur première santé ou le régime les préserve. Qu’importe alors d’avoir été malades ou bien portans ? pourquoi étudier curieusement les symptômes et les natures diverses ? Ce mal ne se modifie pas selon les tempéramens qu’il rencontre ou les régions qu’il traverse. Qu’importe qu’un pays soit fiévreux ou non, quand le choléra s’abat sur lui ? En politique comme en physique, les hommes sont les victimes, les pays sont les théâtres de ces grandes catastrophes ; mais la constitution particulière ne sauve ni ne tue. Les plus terribles épreuves ne seront pas épargnées à la Hongrie ; la guerre civile l’ensanglante déjà, l’anarchie est dans les murs de sa capitale, l’ennemi dans son sein ; jamais ses amis n’eurent plus à s’inquiéter sur sa destinée. Il faut donc suspendre les études du passé et dire tout de suite par quelle série de faits la crise est arrivée au point où nous la voyons aujourd’hui.


I

Il y a six mois, au moment où éclatait à Vienne la première révolution du mois de mars, la diète de Presbourg travaillait avec ardeur aux réformes depuis long-temps réclamées par le parti libéral et acceptées enfin par l’Autriche. Jamais les espérances des patriotes hongrois, qui voulaient sincèrement établir une transaction libérale entre les nouveaux besoins de la Hongrie et les prétentions du gouvernement impérial, n’avaient été si proches de recevoir une heureuse solution ; on cherchait de bonne foi, sous la médiation et la garantie du jeune palatin, à terminer dans un sens libéral toutes les questions soulevées dans les derniers temps. Les principes étaient admis, on cherchait des combinaisons qui, tout en respectant le droit de propriété, pussent assurer à la Hongrie les bienfaits de l’affranchissement universel, la liberté des terres et le mouvement rapide de l’industrie et du commerce. Le rachat des dîmes, l’abolition des corvées, l’impôt universel acquitté sans distinction de caste, le droit de suffrage pour les citoyens des villes libres, tel était le programme pacifique déjà accompli sur bien des points. La confiance que tous les partis mettaient dans le jeune archiduc encourageait le gouvernement impérial à des concessions ; on avait placé auprès du prince un jeune et habile conseiller, dont la dextérité devait ramener bien des esprits : c’était le comte George Appony, élevé, à moins de quarante ans, au poste suprême de chancelier de Hongrie. C’est par ce fonctionnaire mi-autrichien et mi-hongrois, si je puis dire, que s’exerçait, dans l’ancienne organisation, toute l’action gouvernementale ; il représentait la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche, et réciproquement. Le comte Appony s’était préparé par de fortes études à ce rôle difficile ; sa jeunesse l’avait aidé à comprendre ce qu’il fallait accorder au mouvement irrésistible des nouvelles idées. La trempe de son esprit, éminemment gouvernemental, était en même temps une garantie contre les séductions de la popularité ou les envahissemens de la diète ; il savait mieux que les hommes de son âge quelle part il faut faire au pouvoir vis-à-vis de la liberté. Son âge cependant et son nom le rendaient populaire parmi les jeunes magnats de la chambre haute. Il était neveu du comte Appony, dont Paris a pu, pendant vingt ans, apprécier l’esprit loyal et les nobles manières. Je n’ai pu me refuser au désir de rendre témoignage en passant à un mérite si jeune et si éclatant, perdu passagèrement pour la patrie ! — La révolution de Vienne éclata sur toutes ces espérances publiques et particulières ; les radicaux hongrois en revendiquent volontiers la gloire ; quelques étudians qui se trouvaient par hasard à Vienne furent les instigateurs et les chefs de l’émeute ; il était naturel qu’ils voulussent en faire profiter leur patrie. Le chef de l’opposition la plus avancée dans les dernières diètes, l’avocat Kossuth, se trouva porté d’emblée à la tête du mouvement ; il fit voter par la seconde chambre, sans l’intervention de celle des magnats, une adresse à l’empereur, véritable programme de la révolution. Cette adresse demandait la nomination d’un ministère purement hongrois, responsable devant la diète de tous les actes du pouvoir ; une nouvelle représentation de la population entière, sans distinction de rang ou de naissance ; l’organisation d’une garde nationale ; la translation de la diète de Presbourg à Pesth ; enfin, une constitution libérale pour tous les autres états de l’empire. Du reste, on proclamait dans cette adresse la ferme volonté et le besoin de la Hongrie de rester indissolublement unie à l’empire.

Mille gentilshommes hongrois, dans ce costume national que nous avons décrit, et qui ressemble plus à l’uniforme du soldat qu’au costume du législateur, furent chargés de porter à l’empereur, au palais de la Burg, à Vienne cette menaçante requête. — C’était à la fin du mois de mars ; — l’empereur accorda tout : il n’y avait alors en Europe, entre Londres et Petersbourg, aucune capitale où le gouvernement eût assez de pouvoir pour se refuser à une concession quelconque. La députation revint en triomphe à Pesth : tout ce que put obtenir l’influence, alors grande, du palatin fut de faire entrer dans le nouveau gouvernement qu’on allait organiser quelques-uns des anciens orateurs de l’opposition constitutionnelle. Le progrès naturel du temps, un mérite reconnu, les auraient amenés aux affaires sans révolution. Le comte Bathiany, chef de l’opposition à la chambre des magnats, fut le président de la nouvelle administration, Kossuth en resta l’ame et le directeur ; on y fit entrer le député Deak. Deak avait été autrefois fort ardent dans l’opposition ; mais c’était un homme consciencieux, qui voulait tout obtenir par des moyens réguliers, par l’action légale de l’opinion. En révolution, ces caractères servent de décoration aux partis, qui les rejettent bien vite, parce que leur honnêteté est trop gênante. Dès les premiers jours, au reste, et par la formation même de leur gouvernement, les auteurs du mouvement montrèrent comment ils entendaient maintenir le lien fédéral qu’ils laissaient encore subsister de nom entre l’Autriche et la Hongrie. Ils voulurent avoir des ministères hongrois pour les affaires étrangères, pour la guerre et pour les finances. On peut comprendre plusieurs états réunis sous un même chef ayant une administration intérieure distincte : on comprend encore, quoique avec peine, l’existence de deux ministères séparés pour la guerre et les finances vis-à-vis des ministères du pouvoir central ; mais comment imaginer plusieurs ministères des affaires étrangères pour une seule souveraineté, c’est-à-dire plusieurs organes de la même pensée vis-à-vis des puissances étrangères ? On voulut adoucir par le choix du titulaire ce qu’il y avait d’insolite et de révolutionnaire dans un tel fait. Le prince Paul Esterhazy, autrefois ambassadeur d’Autriche à Londres, retiré des affaires depuis 1842, accepta ce poste. Il l’a quitté quand la voie où l’on voulait marcher n’a plus été douteuse pour personne ; il resta d’ailleurs à Vienne ; en réalité, le ministère des affaires étrangères fut rempli par le jeune député Pulsky, qui s’est fait connaître depuis plusieurs années en Allemagne par des ouvrages estimés sur la Hongrie.

Tandis qu’on préparait ainsi la séparation et la rupture du lien fédéral avec l’Autriche, le mouvement révolutionnaire n’opérait pas avec moins d’audace dans l’intérieur du pays : sous le souffle impétueux qui pousse et entraîne les grandes assemblées, la diète décrétait d’urgence toutes les importantes réformes dont l’initiative appartenait à cette opposition constitutionnelle, déjà suspecte de servilisme ou de conservatisme ; il est vrai que l’opposition constitutionnelle avait voulu mettre à ces réformes certaines conditions, certains préliminaires dont les radicaux s’inquiétèrent peu. Ainsi, depuis dix ans, l’opposition demandait la suppression des dîmes, mais moyennant une indemnité qu’on devait accorder au propriétaire : les corvées avaient déjà été abolies ; les dîmes furent supprimées sans indemnité ; les esprits les plus conservateurs demandèrent qu’on s’emparât des biens du clergé pour les affecter à une future indemnité ; le clergé fut ainsi menacé, et les propriétaires spoliés tout ensemble. Une loi électorale fut votée ; on conféra le droit de suffrage à tous ceux qui possédaient un capital de 300 florins. On ne s’expliquait point sur ce que deviendrait, dans la nouvelle organisation, la chambre des magnats ; mais cette loi électorale était évidemment dirigée contre elle. Sous l’apparence menteuse du suffrage quasi-universel, elle excluait par le fait les millions de paysans auxquels le droit récemment accordé d’acquérir des propriétés n’avait pu cependant en conférer aucune : admis au droit de voter, ces paysans auraient formé, pour les magnats, une nombreuse et redoutable clientelle. L’étendue des possessions des seigneurs hongrois, le nombre d’emplois dont ils disposent, leur générosité, qui contraste souvent avec les exigences de la petite noblesse pauvre et processive, les ont rendus presque partout populaires. Il n’y a pas de paysan qui n’aimât mieux avoir pour seigneur un magnat riche et puissant qu’un de ces nobles de campagne, démocrates à Pesth, véritables tyrans dans leur étroit domaine. Pour le moment cependant, on ne tenta rien contre la première chambre ; elle se trouvait encore défendue par ceux de ses membres qui faisaient partie du ministère, par l’éclat que l’éloquence de ses orateurs avait jeté sur les dernières diètes, par la magie des noms, puissante encore en Hongrie, enfin par l’étendue de ses richesses, dont nulle aristocratie n’a jamais fait un plus patriotique usage[1].

La diète se sépara après ces décrets, et le ministère hongrois resta livré à lui-même. Il tenait dans ses mains ce que l’opposition la plus avancée avait à peine jamais pu rêver ; la séparation de la Hongrie avec l’Autriche était complète de fait. Ce lien fédéral, qui pesait tant aux vieux patriotes hongrois, allait être enfin rompu. Rien ne gênait plus la liberté de leurs mouvemens, leur politique deviendrait libre et indépendante, leur armée ne verserait plus son sang pour des causes étrangères ; de l’ancienne union, on ne gardait, à vrai dire, que le nom du souverain.

Toutefois ce n’était pas seulement l’empire d’Autriche qui, jusqu’à ces derniers temps, avait été un vaste état fédératif ; les états qui composaient cette unité politique étaient eux-mêmes, à l’image de l’empire, une agglomération de pays et de nationalités distinctes. Parmi ces diverses nations, les Hongrois ou Magyars, comme on a affecté de les nommer dans ces derniers temps, en rejetant le nom commun de Hongrois, avaient, au fond, profité seuls des victoires constitutionnelles remportées sur l’Autriche. Ici il faut nécessairement revenir quelque peu sur le passé : je le ferai brièvement. Dès l’origine, la question révolutionnaire à Pesth se trouva compliquée de cette question des nationalités ; les difficultés étaient déjà anciennes, invétérées, mais l’émancipation complète de la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche les mettait toutes en relief et les aggravait. Déjà les Slaves, les Valaques, les Allemands, se plaignaient avec amertume de la prépotence des Magyars, alors que, comme eux, ils reconnaissaient cependant un maître commun ; c’était un frère aîné, disaient-ils, bien dur pour ses frères cadets ; qu’allait devenir la famille quand, mise hors de la tutelle du père commun, elle devrait vivre sous la loi de ce frère ? L’affranchissement des Magyars devenait la servitude des autres peuples, jusque-là leurs égaux. C’est de ce sentiment qu’est née l’insurrection slave et ce qu’on a appelé la question croate. Je me hâte de dire qu’en se développant, elle a changé d’allure et de but ; elle devrait aussi changer de nom, car la querelle des Croates avec les Magyars est devenue aujourd’hui la guerre entre l’Autriche et la Hongrie, et le ban de Croatie, Jellachich, nommé lieutenant-général de l’empereur, commande à ce titre les troupes autrichiennes qui ont marché de la Drave sur le Danube. Nous allons exposer par quelle série de mouvemens assez compliqués cette métamorphose s’est opérée.


II

De tous les griefs que les divers peuples qui partagent avec les Magyars le sol de la Hongrie mettaient en avant contre ceux-ci, Il en était un sans doute plus fondé que tous les autres. Après de longues luttes, les Magyars avaient contraint le gouvernement autrichien à renoncer, dans ses rapports avec la Hongrie, à l’usage de la langue latine et à adopter la langue magyare. L’opinion publique s’était passionnée sur ce point ; il semblait que, cette concession obtenue, tout était gagné et l’unité hongroise constituée ; l’amour-propre national en faisait une question de vie et de mort, un point d’honneur auquel personne ne pouvait se soustraire. J’ai vu des Hongrois élevés à Berlin ou à Vienne, qui n’avaient jamais parlé leur langue, l’entendaient à peine, et se croyaient obligés par cela même à de plus vives démonstrations. Le hongrois remplaça à la diète, dans les harangues au souverain, dans l’administration des affaires, le latin et l’allemand.

Tout n’était pas gagné cependant ; les Hongrois avaient conquis le droit d’employer leur langue dans leurs rapports avec l’Autriche ; il restait à l’apprendre aux populations nombreuses, plus nombreuses que les Magyars, si on les prend toutes ensemble, qui savaient bien mal le latin, il est vrai, mais qui ne savaient pas un mot de magyar. Ici commencèrent l’intolérance et la persécution ; les Magyars, qui trouvaient si dur qu’on les contraignît à parler une autre langue que la leur, ne reculèrent pas devant l’idée d’imposer celle-ci aux autres peuples. On obligea dans tous les villages, hongrois ou non, l’instituteur à donner ses leçons, le prêtre à faire ses prônes en magyar. A la diète, on ne toléra point d’autre idiome, ou on accorda des délais illusoires suivis de pénalités sévères : ces mesures rencontrèrent de vives résistances. On comprend quelle perturbation un tel changement amenait dans les habitudes les plus anciennes, les plus intimes ; mais ce fut surtout en Croatie que les prétentions des Magyars à être les représentans uniques de la nationalité hongroise et à imposer leur langue trouvèrent la plus vive contradiction.

Le nom de la Croatie a été rendu célèbre par la bravoure de ses habitans. On se rappelle ces régimens de Croates et de Pandours, ces hussards de la mort, comme on les appelait, qui s’étaient acquis une si terrible réputation dans les guerres du dernier siècle. La Croatie occupe la partie méridionale de la Hongrie, depuis la Drave jusqu’au point où le Danube, près de Belgrade, changeant brusquement son cours, se rejette de nouveau vers l’orient. Son étendue est de neuf cent cinquante milles carrés ; sa population, en y comprenant celle des régimens-frontières croates, est d’environ huit cent mille ames. Sous le nom de royaume de Slavonie et de Croatie, elle a toujours été régie par des lois particulières. Les conditions de son union avec la Hongrie n’ont jamais attaqué son existence indépendante ; on peut dire qu’elle était vis-à-vis du gouvernement établi à Pesth dans la position où la Hongrie était vis-à-vis du gouvernement autrichien (regnum in regno) ; elle avait des états et une diète séparée, siégeant dans sa capitale d’Agram. Cette diète nommait dans son sein trois députés, trois plénipotentiaires, si l’on veut, qui allaient la représenter à la diète hongroise ; l’un siégeait à la table des magnats, les deux autres dans l’assemblée des états. L’administration du royaume est déléguée par les états, avec l’approbation de l’empereur, à un chef qui prend le nom de ban de Croatie, et qui tient, comme tel, la troisième grande charge de la couronne de Hongrie, après le palatin et le juge suprême.

Les Croates sont une famille de la race slave ; à quelque variété près, la langue établit entre toutes ces familles, sorties d’une souche commune, une unité et une solidarité incontestables. En voyant les efforts et les succès des Magyars pour reconstituer leur race particulière et faire prévaloir leur langue, ils s’attachaient d’autant plus à leur nationalité et à leur langue : de là une irritation et une malveillance réciproques. Ils accusaient les Hongrois d’ambition, de conspiration contre la souveraineté royale ; les Hongrois, à leur tour, accusaient les Croates de rêver, avec quelques savans et quelques professeurs dispersés dans les pays slaves du nord et du midi, un empire gigantesque qui, réunissant sous un seul maître toutes les populations d’origine slave, devait préparer à l’empereur de Russie une domination pareille à celle de Gengiskan. C’est ce que les publicistes allemands ont dénoncé depuis long-temps sous le nom de conspiration du panslavisme. Les lecteurs de cette Revue n’ont pas oublié les recherches intéressantes qui ont fait connaître en France les noms et les ouvrages de MM. Kollar et Gay, ces grands prédicateurs du panslavisme. Nous n’insisterons donc pas. Ce qu’il faut constater, c’est qu’il existait là, au moment où la révolution du 16 mars éclatait en Hongrie, des difficultés déjà grandes et un foyer d’incendie. Les Croates s’étaient montrés très résolus : ils n’avaient point voulu renoncer à l’usage de leur langue ; ils abandonnaient volontiers le latin au profit de leur langue nationale, mais non au profit de la langue magyare. C’était aussi une question d’honneur : tant que la querelle se passa, comme je l’ai dit, entre frères à peu près égaux en droits, la désunion n’arriva point à la rupture. Les Croates ne se décidaient point à se mettre en rébellion ouverte contre les lois promulguées au nom du souverain commun. Dans une question de ce genre, ce n’était pas peu de chose, pour pacifier les esprits, que de savoir que ce souverain était aussi opposé à ces lois que pouvaient l’être les Croates eux-mêmes. C’était vers le gouvernement autrichien que se tournaient les vœux et les espérances de la Croatie ; elle votait avec le parti autrichien, et ne négligeait aucun des privilèges particuliers de sa constitution pour traiter directement avec Vienne, comme partie distincte et séparée de la Hongrie.

Ces dispositions des esprits s’exaltèrent beaucoup après le 16 mars ; on craignit que, de ce rôle quasi-égal des deux pays vis-à-vis de l’Autriche, la Croatie ne passât à l’état de sujette vis-à-vis de la Hongrie. La Hongrie avait déjà réclamé et obtenu de l’ombre de gouvernement qui siégeait alors à Vienne, qu’on lui rendrait l’administration des frontières militaires du royaume, jusque-là placée dans les attributions du conseil aulique. La population belliqueuse qui habite ces provinces appartient en grande partie à la nationalité croate. En passant ainsi sous la main du ministère hongrois, ces réservoirs féconds des armées impériales étaient perdus pour la défense commune de l’empire, et devenaient au contraire menaçans pour la Croatie. Enfin, la diète d’Agram se plaignait qu’on eût bouleversé sans son consentement exprès le mode d’élection de ses députés à l’assemblée de Pesth. Comme royaume séparé, la Croatie avait, dans certains cas, à la diète, un droit de vote particulier ; en augmentant le nombre de ses représentans ; on la privait de ce droit, sauvegarde de son indépendance ; en votant toujours par tête, son influence se perdait au milieu des voix plus nombreuses des comitats hongrois et de Transylvanie. On n’avait point voulu accepter ces usurpations ; on avait protesté, et aucun député croate ne parut à l’ouverture de la diète révolutionnaire de Pesth au commencement de juillet. Le gouvernement hongrois, préoccupé, comme il arrive après les révolutions, d’intérêts de coterie et du désir de mettre ses amis exclusifs au pouvoir, ne fit rien pour apaiser les défiances de la Croatie : il ne lui avait point fait sa part dans cette indépendance qu’il venait de conquérir pour les Magyars ; il ne fit pas plus la part aux individus dans le pouvoir qui lui était échu ; aucun Croate ne fut admis dans le ministère ou dans l’administration supérieure du royaume. C’était certainement une grande faute, et les conséquences de la situation que nous venons d’indiquer se manifestèrent aussitôt.

La diète slavo-croate venait d’élire pour ban le baron Jellachich de Bucszin. Il fut choisi comme le représentant des dispositions du pays vis-à-vis du nouveau gouvernement de Pesth. Dès son élection, Jellachich rompit donc avec la Hongrie. Tout porte à croire qu’aucune inspiration étrangère ne se mêla alors à cette détermination dont nous venons de dire les motifs, déjà anciens, évidens et personnels aux Croates. Ce qui le prouve, c’est que, dans les comitats du nord, les populations slaves se mirent aussi en insurrection. La révolution du 16 mars n’avait fait que hâter l’explosion de leurs griefs : les Slaves tenaient aux Magyars tous les mêmes discours que ceux-ci adressaient depuis vingt ans au gouvernement autrichien, et, chose toujours singulière, malgré les exemples nombreux qui devraient nous familiariser avec ces reviremens subits, le nouveau gouvernement hongrois parlait comme aurait pu le faire le gouvernement impérial. « La Croatie, » disait le ministre Kossuth (séance du 11 juillet), « la Croatie est à l’état de révolte ! Les Croates ont pensé qu’à la faveur de la crise révolutionnaire de l’Europe ils pourraient impunément se mettre en rébellion ouverte contre la monarchie hongroise. Le nouveau ban n’a pas comparu à Pesth, malgré l’ordre qui lui a été donné. » Et M Kossuth, se prenant d’un singulier amour pour la majesté du roi de Hongrie, terminait son discours par ces fières paroles, que n’aurait point désavouées un loyal chancelier du royaume : « Nous ne reconnaîtrons jamais que le ban Jellachich soit sur la même ligne que le roi de Hongrie ; le roi de Hongrie peut pardonner, le devoir de Jellachich est d’obéir. » Kossuth espérait que. dans la confusion où se trouvaient toutes choses à Vienne, après avoir contraint l’empereur à reconnaître l’indépendance et la séparation de la Hongrie, on pourrait se servir de son nom et du prestige attaché à son autorité pour contraindre les sentimens de la Croatie.

Cependant une nouvelle révolution éclatant à Vienne forçait l’empereur à se réfugier à Inspruck. Les premiers ministres viennois sortis de la crise révolutionnaire n’étaient pas loin de s’entendre avec leurs confrères de Pesth. On revint sur ces accusations de complot panslaviste dont j’ai parlé tout à l’heure ; on représenta Jellachich comme un agent payé par la Russie. Il y avait quelques prétextes pour ces accusations Jellachich semblait mettre de l’hésitation à se rendre à l’appel de l’empereur, qui lui avait donné l’ordre de venir rendre compte de sa conduite à Inspruck. Il avait été installé à Agram dans sa nouvelle dignité, avec un éclat et une pompe inusités, au milieu non-seulement des députés de la Croatie, mais aussi de ceux de la Serbie et d’un grand nombre d’envoyés des comitats slaves du nord. L’évêque de Carlovitz, du rite grec, avait reçu son serment. A voir toutes ces insurrections qui faisaient tomber pièce à pièce l’édifice de la monarchie autrichienne, on pouvait se demander si c’était une nouvelle révolte qui éclatait à l’orient de l’empire, ou un secours inespéré contre la révolte.

Après quelques retards cependant, le ban se rendit à Inspruck dans les premiers jours du mois de juillet. Son attitude et son langage ne purent laisser aucun doute sur ses sentimens ; « il était Croate, avant tout dévoué à son pays, mais sujet fidèle de l’empereur, et résolu à le lui témoigner. Si les régimens croates tout entiers ne s’avançaient pas déjà pour venir au secours de leurs frères en Italie, c’est qu’ils étaient nécessaires à la défense de leur patrie. Si les Hongrois renonçaient à leurs injustes prétentions, toute la population était prête à marcher au secours de l’empire. » Le soin d’aplanir ces différends et d’établir une sorte de médiation entre le ministère hongrois et le ban de Croatie fut confié à l’archiduc Jean. On convint que des conférences auraient lieu entre Jellachich et les représentans du ministère hongrois ; mais, l’archiduc Jean ayant été nommé bientôt après vicaire-général de l’empire, Jellachich retourna à Agram : il fut reçu en triomphe ; il y eut là quelques semaines perdues. Enfin les conférences convenues s’ouvrirent à Vienne : le ban s’y rencontra avec le comte Bathiany ; mais les prétentions étaient trop grandes des deux parts. Le gouvernement impérial n’avait pas la force suffisante pour obtenir les sacrifices réciproques qui eussent pu ramener l’union, ou plutôt, disons-le, la situation était sans issue ; les deux plénipotentiaires s’aigrirent, se heurtèrent. « Nous nous reverrons sur la Drave » (c’est la frontière de la Croatie), dit le comte Bathiany à son adversaire en le quittant. « Non, mais sur le Danube ! » répondit l’autre. C’était maintenant aux armes qu’allait être remise la décision de cette querelle. Avant son départ, le ban reçut la visite des officiers de l’armée et de la garnison de Vienne ; des toasts furent portés, des sermens échangés : l’alliance se concluait entre les soldats avant d’être avouée par les gouvernemens. Néanmoins, et jusqu’à la dernière heure, on essaya de reprendre les négociations ; on verra plus tard que le palatin fut désigné pour remplacer l’archiduc Jean comme médiateur, et, au camp même des Croates, le comte Bathiany eut une dernière entrevue avec le ban.


III

La question croate, la révolution à Pesth, les rapports du gouvernement hongrois avec le pouvoir central à Vienne, sont trois questions qu’il serait plus commode de traiter successivement ; mais le récit y perdrait en vérité ce qu’il gagnerait certainement en clarté. Chacune de ces questions a agi sur l’autre, non pas au dénoûment seulement et à la crise, mais chaque jour et à chaque phase diverse. Il faut donc suivre leurs progrès en commun. Pendant que Jellachich resserrait ses rapports avec Vienne, que faisait à Pesth le nouveau gouvernement hongrois ? Le 5 juillet, la diète s’ouvrait dans cette capitale de la Hongrie. Les dernières diètes s’étaient tenues dans la petite ville de Presbourg, située à la limite de la frontière autrichienne, et placée ainsi sous la main du gouvernement impérial. C’était un des griefs de l’opposition, auquel il avait fallu faire droit. C’est dans la grande salle de bal du Casino, ou cercle de la noblesse, que se tint la séance d’ouverture, et c’est là que siège encore l’assemblée. Les Hongrois n’ont pas le même besoin que nous de décors, d’architecture, de salle circulaire et de gradins. Le gouvernement ne crut pas nécessaire de retarder la réunion de la diète, sous ce prétexte qui nous a paru très simple, que les maçons et les peintres n’avaient pas terminé les travaux de la salle destinée aux séances du parlement.

L’archiduc Étienne ouvrit la diète au nom de sa majesté le roi Ferdinand V. Il n’hésita point à se prononcer, dans le discours d’ouverture, contre l’insurrection croate. « Le roi a vu avec douleur, disait-il, qu’après avoir sanctionné spontanément les lois votées par la diète, les agitateurs, surtout en Croatie, aient excité les uns contre les autres les habitans de croyances et de langues différentes. En les inquiétant par de faux bruits et de vaines terreurs, on les a poussés à résister à des lois qui, selon eux, n’étaient pas l’expression libre de la volonté de sa majesté. Quelques-uns sont allés plus loin, et ont prétendu que leur résistance était dans l’intérêt de la maison royale, et avait lieu au vu et au su de sa majesté. »

A la chambre des députés, le premier ministre exposa la situation dans un discours auquel on ne saurait contester au moins le mérite d’une grande franchise. « Vous voyez de vos propres yeux, dit-il, la situation affreuse du pays : le trésor est vide, et la patrie sans armée !… Peut-être sommes-nous venus trop tard pour achever les réformes de la constitution. On avait trop long-temps différé la justice, et le jour où on a proclamé son règne, la dissolution de tous les liens nationaux s’est manifestée. » L’orateur, passant ensuite à la question croate, établissait que, malgré les droits évidens de la Hongrie, le seul moyen qui lui restât pour régler son différend avec la Croatie était de prier le roi d’intervenir comme médiateur entre les deux pays. En terminant, le ministre proposa de voter une contribution extraordinaire de 100 millions de florins et une levée de deux cent mille hommes, tant pour terminer au besoin par la voie des armes la querelle avec la Croatie que pour venir au secours de l’empire, menacé dans l’Italie. Les propositions du premier ministre furent adoptées par acclamation ; on se souviendra peut-être de l’impression que causa en Europe cette dernière partie du vote de la diète ; on croyait plutôt la Hongrie, ou certainement le ministère disposé à faire cause commune avec les Italiens, tout au moins à rappeler ses régimens de l’Italie : que signifiait un langage aussi nouveau, une offre de secours aussi inattendue ?

L’opinion publique ne se trompait point ; le parti révolutionnaire, qui avait fait invasion dans le gouvernement hongrois et dans la diète, était bien décidé à en finir, quand il le pourrait, avec la suprématie du gouvernement royal. « Aux jours où nous sommes, disait-on hautement, la Hongrie mérite quelque chose de mieux que de rester une monarchie constitutionnelle dépendante. » Les actes étaient conformes à cette doctrine ; la diète envoyait un député à Paris et un autre à Francfort, pour lier des rapports directs avec les gouvernemens étrangers et pour réclamer les secours du pouvoir central allemand. Le député Szàlay, à Francfort, représentait que l’armée autrichienne, composée d’un certain nombre d’Allemands, mais surtout de Croates, de Slavons, d’Italiens, ne pouvait être considérée comme une force militaire allemande ; qu’elle était, par sa nature, dangereuse à la liberté germanique ; que l’Allemagne avait donc, de concert avec la Hongrie, intérêt à provoquer la séparation des diverses nationalités dont se composait cette armée, en d’autres termes, à demander la dislocation de l’empire. Pour prévenir les dangers qu’il signalait, l’envoyé hongrois demandait la médiation et les secours de la diète allemande, non-seulement contre la Croatie, mais au besoin contre le gouvernement impérial.

On voit que les démarches tentées par la diplomatie hongroise étaient peu d’accord avec les espérances que la diète avait pu donner au début, en promettant des secours à l’empereur. Est-ce cette double action du ministère hongrois, poursuivant non-seulement une politique séparée, mais hostile, qui poussa le gouvernement autrichien à se prononcer plus nettement en faveur du ban de Croatie, à profiter de son intervention contre la Hongrie ? Est-ce au contraire la certitude acquise de la partialité, de la complicité du gouvernement autrichien avec les tentatives des Croates, qui changea les desseins de la diète ? Il y eut sans doute de l’un et de l’autre. Les concessions arrachées au gouvernement autrichien étaient trop fortes, trop exagérées pour qu’il pût se croire obligé, en conscience, à écarter lui-même les occasions de les ressaisir. Le ministère hongrois, de son côté, se rendait compte de ce sentiment ; il cherchait des secours au dehors. Il accusait les pensées réactionnaires du cabinet de Vienne ; il se préparait des ressources contre une attaque probable. L’esprit de faction ne se déguisa bientôt plus ; il dominait l’assemblée et ne laissait place à aucune tentative de transaction. Kossuth n’était pas homme à reculer ; il se servait au contraire des concessions arrachées à l’Autriche pour démontrer à tous qu’il y avait folie et péril à croire qu’elle pût jamais s’y résigner. Il s’exaltait et exaltait l’assemblée par le spectacle des périls où elle s’était précipitée avec lui et la nécessité de ne point regarder un instant en arrière (11 juillet). « Point d’illusion, s’écriait-il, citoyens ; les Magyars sont seuls au monde contre la conspiration des souverains et des peuples qui les environnent. L’empereur de Russie nous cerne par les principautés, et, jusqu’en Serbie, nous trouvons partout sa main et son or. Dans le nord, des bandes armées de Slaves cherchent à rejoindre les révoltés de la Croatie et se préparent à marcher contre nous ; à Vienne, les courtisans et les politiques calculent le jour où on pourra remettre aux fers les Magyars, ces anciens esclaves, race indisciplinée et rebelle. O mes concitoyens ! c’est ainsi que les tyrans ont toujours appelé les hommes libres. Vous êtes seuls, je le répète, voulez-vous combattre ? » Kossuth malade et souffrant, soutenu à la tribune par deux hommes, pâle et épuisé, jetait ainsi une sorte de défi à l’assemblée. Toute la chambre se leva et vota d’une seule acclamation les hommes et l’argent qu’on lui demandait.

Les mouvemens d’éloquence révolutionnaire, les appels au courage au nom de la patrie, manquent rarement leur effet sur une assemblée hongroise. D’après les rapports unanimes, l’impression de cette harangue fut prodigieuse. L’éloquence n’est pas rare chez les Hongrois ; il y a dans leur langue une noblesse naturelle qui la soutient sans effort au niveau des hautes pensées ; l’habitude des discussions politiques dans les comitats excite et développe de bonne heure le talent oratoire ; des juges compétens n’hésitent pas à mettre les orateurs hongrois au-dessus de ceux du parlement anglais, et, sauf les deux ou trois noms présens à toutes les mémoires, au-dessus des orateurs français. Je ne prends pas le jugement à mon compte, mais on comprend comment l’exercice et la pratique constante des affaires élèvent le ton général des discussions. Ce que l’on comprend moins, c’est qu’entre gens qui tous sont un peu du métier, l’impression, l’effet produits par l’éloquence, soient tout autrement subits, imprévus, contagieux qu’en France ou en Angleterre. Il faut remonter jusqu’à Rome et Athènes pour trouver des exemples de cette puissance de la parole, qui déplace tout à coup les convictions et produit dans les destinées d’un peuple des révolutions dont la philosophie de l’histoire chercherait en vain le secret. On ne peut jamais répondre de la décision que prendra une assemblée hongroise ; il n’est point d’engagemens de parti qui résistent à l’entraînement d’une parole habile et chaleureuse.

Kossuth savait mieux que personne comment on pouvait, en exaltant les sentimens les plus généreux de ses compatriotes, précipiter leurs résolutions et leur faire dire ce terrible mot clés guerres civiles Alea jacta est. Kossuth n’est arrivé que par degrés à la réputation d’éloquence et d’énergie que ses ennemis même ne lui contestent pas. Ses commencemens ont été pénibles ; il y a douze ans, c’était un pauvre avocat, occupé à suivre, pour le compte de quelques députés, les affaires que les comitats leur confient et la correspondance que ces affaires nécessitent. Quelques magnats, qui appréciaient son intelligence et son activité, résolurent d’en profiter pour organiser un journal des séances de la diète. À cette époque, toute la publicité pour la diète se bornait à quelques bulletins de dix lignes qui paraissaient dans les journaux censurés et contenaient le résumé de ses travaux. Kossuth se chargea volontiers de l’entreprise. Il organisa un service de jeunes écrivains ou scribes des comitats, et parvint à rendre un compte assez exact et complet des séances. Ce journal, reproduit par la lithographie, était envoyé à tous les comitats. Le gouvernement autrichien le fit saisir. Le mode d’impression par la lithographie, disait-il, est, aussi bien que les produits de la presse, soumis à la censure. Kossuth et ses patrons ne furent point découragés ; on augmenta le nombre des écrivains, et le journal, copié à la main, continua à paraître. — Après la session, Kossuth ne suspendit point son journal ; au lieu des discours de la diète, il publia les délibérations des comitats. Dans ces assemblées particulières, dans ces diètes de province, moins exposées au contrôle de l’autorité, se tenaient alors les discours les plus véhémens ; on n’y craignait pas de pousser à la séparation de l’Autriche, de parler même de république. Kossuth fut arrêté et mis en prison pour la reproduction d’un de ces discours. Il y resta deux ou trois ans sans qu’on osât lui faire son procès. Il recouvra sa liberté à l’occasion d’une de ces amnisties que le gouvernement autrichien accordait volontiers, au moment de la clôture des diètes, pour terminer les vieux différends. Kossuth entra bientôt dans la chambre des états ; il y apportait un talent qu’on n’avait encore éprouvé qu’à des métiers inférieurs, et une vive hostilité contre le gouvernement. L’opposition cherchait à cette époque et réussissait dans une certaine mesure à s’entendre, par le moyen du palatin, avec la chancellerie autrichienne. On le tint assez à l’écart : la chambre des magnats le redoutait ; cependant son talent finit par percer. Il compta, et au premier rang, parmi les chefs de l’opposition dans la seconde chambre. Grace à sa lente élévation, il n’était point usé comme Széchény, comme Bathiany, comme Deak lui-même, lorsqu’arriva la révolution de mars. Il a saisi résolûment le pouvoir ; et y a déployé, outre une éloquence dont ses compatriotes ne parlent, je le répète, qu’avec admiration, une énergie et une activité qui auraient mérité sans doute de rencontrer plus tôt un meilleur emploi. Kossuth ne ressemble point aux libéraux hongrois, toujours animés de quelques sentimens chevaleresques et un peu aristocratiques, comme nous avons été habitués à les rencontrer ; c’est un radical de la nouvelle école révolutionnaire, prêt à tout, qui cherchera à se débarrasser de la noblesse quand il se sera débarrassé de l’Autriche. Déjà il a signifié à la chambre des magnats que son existence n’était que provisoire et tolérée, qu’elle serait réformée par l’assemblée souveraine, et réduite sans doute au rôle d’une sorte de conseil d’état. C’est lui qui a arrêté le mouvement libéral de la Hongrie pour en faire un mouvement révolutionnaire et démagogique ; c’est lui qui, pour réaliser des projets d’égalité universelle, plus chimériques en Hongrie que partout ailleurs, n’a pas craint de bouleverser tout l’état politique et social de son pays. Nous connaissons cette race d’hommes, et nous n’avons pas besoin qu’on nous les apprenne longuement. Ces ressentimens, inspirés peut-être, mais non pas justifiés par les poursuites et les condamnations qu’il a subies, sont couverts, chez Kossuth, par un patriotisme ardent et exclusif dont rien n’autorise à suspecter la sincérité. Sous ce dernier rapport, au moins, il représente bien les qualités et les défauts du magyarisme, et il puise là sans doute une partie de l’ascendant merveilleux qu’il exerce en ce moment sur ses compatriotes. Kossuth était donc bien déterminé, dès cette époque, à rompre avec le gouvernement autrichien ; son caractère, non moins que les événemens, l’y poussait. En parlant de régimens à envoyer en Italie, il ne cherchait qu’à profiter du nom et de la sanction de l’empereur pour lever des troupes et des contributions qui resteraient entre ses mains, prêtes à toutes les éventualités, y compris la guerre contre l’Autriche. Il trahit même sa pensée intime, lorsque quelques patriotes, qui n’étaient pas dans son secret, demandèrent à grands cris qu’on rappelât les régimens hongrois qui se trouvaient alors dans la Lombardie. « Mais songez donc, s’écria Kossuth, que vous allez rappeler plus de Croates que de Magyars. Est-ce là ce que vous voulez ? » Les mesures proposées par l’énergique tribun furent complétées par un décret autorisant l’émission de 200 millions de papier-monnaie


IV

Ici commence, à vrai dire, l’opposition et la lutte ouverte entre le gouvernement à Vienne et le ministère hongrois. Marquons donc cette date, car les dates font beaucoup entre partis qui s’accusent mutuellement de trahison. La période dont nous retraçons les principaux faits peut se diviser ainsi : 1° du 16 mars, date de la révolution, jusqu’au 5 juillet, époque de l’ouverture de la diète, le gouvernement autrichien, brisé coup sur coup dans sa propre capitale, refoulé dans la haute Italie, fugitif à Inspruck, lâche les rênes et se livre sans résistance à toutes les exigences hongroises. 2° En juillet et août, la résistance s’organise à Vienne ; on encourage ou l’on tolère du moins l’opposition que rencontrent les mesures révolutionnaires du ministère hongrois. Les deux gouvernemens se ménagent encore de paroles, mais tous deux voient avec certitude que la lutte est inévitable ; la lutte est retardée cependant jusqu’aux premiers jours de septembre. 3° A dater de cette époque, les résolutions hostiles se précipitent de part et d’autre ; les manifestes appellent et annoncent les armes. Suivons les progrès de cette marche fatale.

Dans la première semaine de septembre, Jellachich prend le commandement de toutes les troupes impériales réunies dans les trois comitats de Croatie et de Slavonie. Le maréchal-de-camp autrichien Hrabowsky, sous le commandement duquel elles étaient placées, les lui abandonne sans plainte ni résistance. L’empereur refuse de sanctionner le décret qui autorise l’émission d’un papier-monnaie. On répond à ce refus en décrétant la peine de mort contre quiconque refusera les nouveaux assignats. On rassemble quelques troupes sur la frontière de Croatie : le ministre de la guerre Mezzaros en prend lui-même la direction ; mais ces troupes, formées en grande partie de Slaves, d’Allemands, montrent une grande répugnance à la guerre civile qu’on leur prépare. Le deuxième régiment de Transylvanie, composé de Valaques, conduit à marches forcées jusqu’à Szégédin, refuse d’aller plus avant, fait volte-face et retourne dans ses anciens campemens.

C’est vers cette époque (10 septembre) que la diète se résolut à faire une démarche directe auprès de l’empereur. On nomma une députation à la tête de laquelle était le président des états, Pàzmandy. Les députés furent introduits à Schoenbrünn auprès de l’empereur. Rien de plus sévère que le discours que la diète adressait à son souverain : « C’est au nom de la fidélité que nous avons témoignée depuis des siècles à vos ancêtres que nous venons vous demander aujourd’hui le maintien des droits du royaume. La Hongrie n’a pas été réunie à votre couronne comme une province conquise, mais comme une nation libre, dont les privilèges et l’indépendance ont été assurés par le serment de votre majesté à son couronnement… Les vœux du peuple ont été remplis, grace aux lois rendues par la dernière diète ; pourquoi les droits de la nation sont-ils menacés par une insurrection dont les chefs disent hautement qu’ils combattent dans l’intérêt de votre majesté ? Tandis que le sang de la Hongrie coule en Italie pour défendre la monarchie autrichienne, une partie de ses enfans est excitée perfidement contre l’autre, et repousse l’obéissance due au gouvernement légal du pays. L’insurrection menace nos frontières, et, en prétendant travailler à raffermir votre autorité, attaque, par le fait, l’intégrité du royaume, nos anciennes et nos nouvelles libertés !…

C’est au nom du peuple que nous demandons à votre majesté de donner l’ordre aux régimens hongrois d’obéir sans réserve, et nonobstant tous autres ordres, au ministère hongrois. Nous voulons que la Croatie soit affranchie du despotisme militaire pour qu’elle puisse s’unir fraternellement à la Hongrie. Nous demandons enfin que votre majesté, se dégageant des conseils réactionnaires qui l’entourent, donne sa sanction immédiate à toutes les mesures votées par la diète, et vienne habiter à Pesth, au milieu de son peuple, là où sa royale présence est nécessaire pour sauver la patrie. Que votre majesté se hâte ! des malheurs sans nom pourraient venir du moindre retard. »

L’accent de l’orateur et l’attitude générale des députés ne laissaient rien d’équivoque dans cette sommation. L’empereur se contenta de répondre que « le mauvais état de sa santé l’empêcherait de se rendre à Pesth ; quant au projet de loi sur le papier-monnaie, dont on demandait la sanction, il l’examinerait librement, mais il inclinait à le repousser ; enfin, sur la question de Croatie, il avait déjà adressé un manifeste au ban pour amener une conciliation amiable. »

La députation, composée de cent soixante membres, écouta en silence la réponse de l’empereur, et se retira sans faire entendre aucun des cris de vivat qui ne manquent jamais aux réceptions des députés hongrois. Les ministres Deak et Bathiany, qui se trouvaient à Vienne, partirent avec eux. « Jamais, dit un des députés en traversant les salles de Schoenbrünn, jamais plus tristes adieux ne furent faits à un grand peuple par son souverain. » Les députés arrachèrent de leur bonnet la plume aux couleurs réunies de l’Autriche et de la Hongrie, mirent à sa place une aigrette rouge et arborèrent un drapeau de la même couleur sur le bateau à vapeur qui les reconduisait à Pesth. Ils revinrent rendre compte à la diète de l’accueil froid et résolu et des refus qu’ils avaient trouvés à Vienne (12 septembre).

L’irritation fut extrême à Pesth. La fraction révolutionnaire du gouvernement n’avait pas encore osé proclamer ouvertement la séparation ; elle voulait retenir le nom du roi pour imposer aux populations des décisions prises sans son concours, souvent contre ses intérêts et sa volonté les plus manifestes. Ce semblant de respect, ces derniers et mensongers hommages légitimaient aux yeux des peuples les entreprises de la diète ; on conservait ainsi l’appui de l’ancienne majorité. Ce n’était qu’à ce prix que celle-ci consentait à ne point se séparer de Kossuth, cherchant à s’aveugler encore et ne voulant pas s’avouer qu’on marchait à une révolte, plus inévitable chaque jour, contre le roi constitutionnel.

Le retour des députés ne permettait plus de prolonger la fiction à l’ombre de laquelle on avait vécu jusque-là. Ils avaient été mal accueillis par le peuple de Vienne : à Presbourg, où la population restait mécontente d’avoir perdu les avantages que lui procurait la tenue des diètes, des coups de fusil avaient été tirés sur le pavillon rouge arboré par le bateau à vapeur. Il fallait déchirer le voile, rentrer dans la légalité, renoncer aux mesures révolutionnaires qui conduisaient nécessairement à la rupture, ou proclamer hautement la séparation et la déchéance. L’ancienne opposition constitutionnelle, démentant les principes et les sentimens qui avaient fait sa force dans le pays, manquerait-elle à la foi jurée et se prononcerait-elle pour Kossuth et le parti radical contre le roi constitutionnel ? La discussion fut vive et orageuse. Bathiany et Deak voulaient que l’assemblée recourût encore à la médiation du palatin. Kossuth et Szémeré, ministre de l’intérieur, n’admirent point qu’on s’arrêtât sur la pente et que les menaces portées à Vienne fussent comme désavouées et reniées par la diète. Il fallait voter sans retard les mesures les plus énergiques.

Cette séance avait été précédée de la plus triste scène et d’un malheur qui, au milieu des malheurs publics et privés, n’a pu cependant trouver en Hongrie aucun cœur indifférent ; à l’étranger aussi, malgré les préoccupations universelles, les amis de ce noble et infortuné pays ont pris leur part dans cette affliction. Le comte Széchény, après vingt années d’efforts, de dévouement, d’éloquence, consacrées au progrès de sa patrie, à sa liberté, à sa gloire ; le comte Széchény avait voulu attenter à ses jours ! — Peu d’hommes, dans l’histoire contemporaine, ont plus fait pour son pays que cet illustre citoyen. Tout ce qui s’est passé en Hongrie depuis vingt ans vient directement de lui ou procède de lui ; c’est lui qui avait signalé le premier au pays les réformes que les diètes ont successivement adoptées. Ses écrits avaient été le véritable programme de l’histoire constitutionnelle de la Hongrie. Le comte Széchény avait accepté le gouvernement sorti de la crise révolutionnaire du mois de mars pour tempérer, pour arrêter son pays sur la pente fatale où il pressentait bien que Kossuth allait le précipiter. Malgré l’inconstance de la faveur populaire, son nom resplendissait encore au-dessus de tous les autres. Il avait été le fondateur de ce nouveau parti libéral et conservateur qui, pour la première fois en Hongrie, avait su arracher l’opposition aux vieilles habitudes de conspiration et de révolte, et aurait créé, à force d’éloquence, de raison et de loyauté, une monarchie constitutionnelle moderne entée sur le vieil édifice de saint Étienne. C’était là la tâche qu’il avait poursuivie vingt ans. Dans cette longue carrière, sa popularité fut souvent éclipsée, parce qu’il la sacrifiait au courage, à la raison ; mais elle revivait et reparaissait à toutes les grandes crises. Que dira Széchény ? se demandait-on, même quand la passion empêchait de le suivre. Aussi ce fut une consternation universelle quand le bruit se répandit à Pesth que l’illustre orateur avait voulu se jeter dans le Danube et qu’on l’avait sauvé à grand’peine.

La nouvelle n’était que trop vraie. A la suite d’une discussion véhémente avec Kossuth, cette raison si haute, ce bon sens si ferme, cet esprit vif et coloré, qui animait de ses images les discussions les plus arides de la politique, avaient chancelé et ployé sous le poids trop lourd, sous les coups trop répétés des événemens de chaque jour. Il y avait encore plus à pleurer cependant qu’à s’étonner : on n’use pas impunément, au service de sa patrie, sa jeunesse et sa vie ; on ne lui a pas consacré toutes ses facultés, sa fortune, ses jours et ses veilles, sans qu’un amer désespoir ne s’empare de l’ame, quand on voit périr cette idole et avec elle aussi son nom, sa gloire, sa renommée dans l’histoire, consolation lointaine du génie vaincu dans la lutte.

Comme les ames passionnées, Széchény était d’ailleurs sujet à des accès de découragement ; quelquefois il doutait de l’œuvre à laquelle il s’était dévoué. Il se demandait s’il n’aurait pas mieux valu ne rien entreprendre, lorsque, voyant avancer les années, il sentait que rien n’était fondé encore ; il pressentait vaguement la tempête qui s’est déchaînée. « Si les combles de l’édifice ne sont pas vite achevés, disait-il, nous retomberons encore dans le chaos. » Il a entrevu le chaos, et la douleur lui a obscurci les yeux. Espérons encore ; que les nombreux amis que son caractère et sa noble hospitalité lui avaient faits à travers l’Europe espèrent avec nous : ce malheur peut n’être que passager ; il cessera avec les malheurs du pays, et, dans des temps meilleurs, le flambeau rallumé de cette intelligence si brillante éclairera encore ses concitoyens et leur montrera la route.

A la suite de ce tragique événement et de la division qui s’était manifestée dans le ministère, le parti radical, certain de la majorité qui devait lui rester fidèle dans l’assemblée, se détermina brusquement à remettre sa démission entre les mains du palatin. Il espérait que celui-ci n’oserait l’accepter et qu’il resterait au pouvoir, fortifié par cette épreuve. L’archiduc palatin trompa ce calcul : il accepta résolûment la démission et écrivit à l’assemblée qu’il était disposé, pour son compte, à prendre la direction suprême des affaires. Le parti radical ne l’avait point entendu ainsi : ses partisans excitèrent un violent tumulte à la chambre ; ils traitèrent la communication d’inconstitutionnelle, parce qu’elle ne portait pas la signature de tous les ministres responsables. Les anciens ministres, à l’exception de Bathiany, entourèrent Kossuth, en le pressant de retirer sa démission. Une députation fut chargée d’aller exprimer au palatin le vœu que l’ancien ministère rentrât au pouvoir. Le palatin ne cacha point le juste ressentiment qu’il éprouvait de la conduite des états à son égard. C’était la première démarche éclatante qu’il faisait depuis le commencement de la crise ; il était resté au milieu de la tempête qui frappait et sa famille et le pays, dans la pensée qu’en ménageant sa popularité, en ne la compromettant pas pour arrêter trop tôt ce torrent qui emportait tout, un jour viendrait où il se trouverait l’homme nécessaire, opérerait une transaction entre la Hongrie et l’Autriche, et servirait de garantie à tous les partis.

J’ai déjà dit que tel avait été le rôle de son père : les habitudes de déférence et de pieux respect que les archiducs gardent toujours vis-à-vis du chef de la famille, même quand à la dignité impériale ne s’attache aucune valeur personnelle, ne permettaient pas au jeune palatin d’accepter un rôle plus décisif et de donner un nouveau roi à la Hongrie. Jusqu’à cette époque (15 septembre), il avait cherché à gagner du temps, s’efforçant chaque jour, mais sans compromettre son initiative, de faire prévaloir les résolutions les meilleures, ou plutôt les moins mauvaises, les seules possibles dans les temps de vertige et de trouble. Il avait alors borné son rôle à celui de médiateur entre la Hongrie et la Croatie. Un décret de l’empereur, du 31 août, l’avait chargé de remplacer l’archiduc Jean dans cette mission. Il reprocha avec quelque amertume aux députés la défiance qu’on semblait lui montrer ; il était bien résolu, pour son compte, à ne point manquer à ses devoirs, ni vis-à-vis de l’empereur, ni vis-à-vis de sa patrie. « Si l’on veut me contraindre d’un côté ou de l’autre, ajouta-t-il, je quitterai Pesth et la Hongrie. » Quelques jours après (25 septembre), après avoir été reconnaître les avant-postes de l’armée croate qui s’avançaient près le lac Balaton, le jeune palatin a quitté en effet la Hongrie. On dit qu’il était parti incertain encore de ce qu’il ferait, cherchant peut-être, dans la simplicité de ce devoir suprême de défendre sa patrie, un glorieux moyen pour sortir de la situation fausse où il se trouvait engagé. Quelques journaux assurent qu’il rencontra dans l’armée croate le jeune archiduc Frédéric. La présence de son cousin ne pouvait plus lui laisser de doute sur la volonté de l’empereur et sur l’impossibilité de son rôle actuel il partit pour Vienne et remit sa démission entre les mains de l’empereur. Depuis, il a quitté Vienne et s’est retiré dans sa terre de Schaumbourg, en Moravie.


V

Ce n’était pas seulement la réponse de l’empereur à la députation hongroise qui avait provoqué et aggravé la crise gouvernementale qui venait d’éclater à Pesth. A la même date (11 septembre), les troupes croates, le ban à leur tête, traversaient cette rivière de la Drave, sur les rives de laquelle Bathiany avait dit à Jellachich qu’ils se rencontreraient bientôt.

L’armée s’avança sans obstacles ; elle s’arrêta devant la forteresse d’Esseg, près du confluent de la Drave et du Danube ; le commandant arbora le drapeau impérial, dit qu’il était là, non pour le gouvernement hongrois, mais pour l’empereur d’Autriche, et l’armée croate passa outre. Le ban s’était fait précéder de la proclamation suivante :

« A LA NATION HONGROISE,

« En mettant le pied sur cette terre à laquelle je suis attaché par la sympathie la plus vive, je prends le ciel à témoin que je ne fais cet acte qu’après avoir épuisé tous les moyens de conciliation ; je le fais, forcé par les complots d’une faction dont le ministère hongrois n’est que l’instrument légal, et qui, poursuivant ses criminels projets, ne vise qu’à abaisser la majesté royale, à détruire l’alliance sacrée qui attachait la Hongrie et les royaumes-unis à son roi et à sa constitution.

« C’est en vain qu’on voudrait appeler révolte ou trahison une démarche qui n’est inspirée que par le pur amour de la patrie et la fidélité à notre roi. Qu’on ne craigne point d’ailleurs que je veuille retirer aucune des concessions, aucun des privilèges accordés récemment par la parole royale à la nation hongroise. Tout ce qui a été fait légalement sera conservé ; ce n’est point un ennemi qui envahit les plaines de la Hongrie, c’est un ami qui vient au secours des sujets loyaux du roi constitutionnel. Ils me tendront une main fraternelle, et, avec le secours de Dieu, nous délivrerons le pays du joug d’un gouvernement incapable, odieux et rebelle. »

On le voit, sans laisser de côté la querelle nationale et les anciens griefs, le ban de Croatie ne parlait plus seulement comme le chef d’une province insurgée, ou d’un royaume allié revendiquant à main armée ses justes droits ; c’est aussi, c’est surtout le langage d’un lieutenant de l’empereur, qui rappelle les peuples à la fidélité qu’ils doivent tous au souverain. Sans qu’on puisse précisément marquer le point de la transition, à mesure que le gouvernement autrichien accepte plus franchement son secours inespéré, le rôle de Jellachich se dessine plus nettement. Il veut, il proclame la liberté pour toutes les nationalités, l’égalité pour toutes les races, mais sous l’autorité vénérée de l’empereur, du père, comme il l’appelle autre part.

Libre dans sa marche, Jellachich s’avança par la route militaire d’Esseg à Funfkirchen, vers l’extrémité du lac Balaton ; ce lac est une petite mer intérieure plus longue que le lac de Genève ; il ferme la base du triangle dont la Drave et le Danube forment les deux côtés, et à la pointe duquel est située la Croatie. Tournant la pointe occidentale du lac, le ban arriva au château de Kesthély, qui déjà, en 1809, avait reçu l’état-major de l’armée française ; de ce point jusqu’à Sthulweissenbourg[2], la route qui conduit à Pesth est resserrée entre les bords du lac et les dernières hauteurs des montagnes couvertes par la forêt de Bàkony. La population est composée partie d’Allemands et partie de Hongrois. Le ban arriva sans rencontrer d’ennemis jusqu’à une journée de Pesth.

L’approche de l’armée croate n’avait fait à Pesth qu’exalter les passions révolutionnaires et ôter les dernières chances au parti modéré. Le comte Bathyani, président de l’ancien ministère, cherchait alors à former une administration dont auraient été exclus Kossuth et le ministre de l’intérieur Szémeré. Ils devaient être remplacés par des membres de l’ancienne opposition libérale, aujourd’hui considérés comme des conservateurs. Deak restait à la justice, le brillant poète et orateur Eotvös, aux cultes ; le comte Alexandre Erdödy représentait la chambre des magnats, et devait rassurer les partisans de l’ordre. Ce ministère formé, ou au moment de se former, fut dissous par la réaction qu’amenèrent et l’entrée en campagne de Jellachich et le nouveau refus que la diète essuya à Vienne ; ce dernier était plus grave que le premier, car il venait de l’assemblée nationale autrichienne. Le fait est important et il faut le mettre en lumière. Le 17 septembre, la diète avait décrété qu’une députation de vingt-cinq membres se rendrait à Vienne pour se mettre en communication directe avec l’assemblée nationale. On devait dénoncer la trahison du gouvernement central et demander directement aux représentans de l’empire des secours contre les Croates. On retrouvait dans cette députation tous les vieux noms qui avaient figuré autrefois dans les conspirations et les procès politiques ; à leur tête était Vessélény, le vieil agitateur de la Hongrie, aveugle, fatigué et courbé par l’âge ; le député Balogh, qui se retrouvait là dans ses premières habitudes d’émeute et de sédition : il harangua le rassemblement qui s’était porté au-devant des Hongrois. Cependant l’assemblée viennoise délibérait, non pas sur la réponse qu’elle aurait à faire à la députation, mais sur la question préalable : la députation serait-elle admise, et pourrait-elle faire connaître l’objet de sa démarche ? 186 voix se prononcèrent pour la négative, et 108 seulement pour l’admission. La diète hongroise sentit cet outrage, dont la portée politique ne peut échapper à personne et qu’il ne faudra pas oublier lorsqu’on voudra hasarder des prédictions sur l’issue de la lutte qui s’engage. D’ailleurs, les passions politiques s’exaspérèrent de ce refus, et ce fut, comme je viens de le dire, le parti démagogique qui en profita. La diète, irritée, éperdue de colère, se précipita de nouveau dans les bras de Kossuth ; des pouvoirs illimités lui furent confiés ; il partagea sa dictature avec son ancien collègue Szémeré, et s’adjoignit six députés radicaux pour gouverner révolutionnairement avec lui. Chose remarquable, le mot de république ne fut cependant prononcé par personne ; on convint au contraire d’entreprendre tout au nom du roi, en se passant, bien entendu, de la sanction royale.

Le nouveau gouvernement prit aussitôt des mesures énergiques pour la défense de la capitale : on réunit tout ce qui se trouvait de troupes aux environs, de hussards pour la garde du comitat ; les gardes nationales se présentèrent de toutes parts. On mit à leur tête les deux braves frères Huniady, qui reçurent l’ordre de se porter vers Stuhlweissenbourg, à la rencontre de Jellachich. Cependant, dans un de ces brûlans discours qui remuent si profondément le patriotisme énergique de toute assemblée hongroise, Kossuth électrisait la chambre en demandant aux députés de venir avec lui, « la pelle à la main, travailler aux fortifications de la ville, déplacer les pavés, élever les barricades, tandis que les femmes feraient chauffer au haut des maisons de la poix et de l’huile bouillante pour les jeter sur l’ennemi. »

Évidemment, ce n’était plus seulement contre le ban que le gouvernement de Pesth allait avoir à lutter ; le gouvernement autrichien, encouragé par la marche rapide de Jellachich, par la désapprobation que la dernière tentative des Hongrois avait rencontrée dans l’assemblée nationale, se décidait à agir avec vigueur, et renonçait le premier aux mensonges réciproques que la diète et lui échangeaient depuis près de six mois. Il nommait un commissaire extraordinaire qui devait concentrer dans sa main tous les pouvoirs, et l’empereur, roi de Hongrie, s’adressait directement à son peuple. « J’ai connu la désolation de mes fidèles sujets de la Hongrie, disait-il dans son manifeste, et je suis décidé à y porter remède ; je jeux ramener la paix dans ce royaume si misérablement troublé et rétablir avec les droits de ma couronne, la tranquillité et la liberté de tous. A cet effet, et en l’absence du palatin du royaume, j’ai investi de tous mes pouvoirs mon maréchal-de-camp comte Lamberg, et lui ai confié le commandement supérieur de toutes les troupes qui sont actuellement en Hongrie. »

Le comte Lamberg arriva à Pesth le 29 septembre. Les radicaux avaient résolu la veille de s’opposer ouvertement et par la force au décret de l’empereur, et préparé l’arrestation du commissaire extraordinaire. Pendant la nuit, des faux et des fourches avaient été distribuées aux paysans ameutés dans la campagne. Pesth, la nouvelle capitale, sur la rive gauche du Danube, et Bude, l’antique séjour des pachas turcs, forment une ville de cent cinquante mille ames environ, réunie par un pont de bateaux. Lamberg se dirigea d’abord vers la forteresse, située sur les hauteurs de Bude ; il voulait conférer avec le commandant Hrabowsky. Il était sans escorte ; il semble ou n’avoir pas compris les dangers de sa mission, ou avoir voulu les défier par sa contenance. A peine était-il sorti de la forteresse, qu’une bande armée se précipita dans l’appartement de Hrabowsky, demandant à grands cris qu’on lui livrât le général. Ils fouillèrent en vain l’appartement, et le commandant fut au moment d’être la victime de leur rage. Cependant Lamberg traversait, dans une voiture de place, le pont du Danube ; une troupe d’hommes brandissant de longues faux arrête la voiture ; un de ces misérables porte au général un premier coup derrière la tête, un autre l’arrache hors de la voiture. Un poste de garde nationale, à l’issue du pont, arrive et veut le protéger ; Lamberg lève en l’air les lettres de l’empereur pour les montrer au peuple, et demande qu’on le conduise chez Kossuth. On le pousse à coups de fourche et de faux ; tout son corps était une plaie saignante : Le malheureux tombe au milieu du pont ; on se rue sur lui et on l’achève. Alors il est dépouillé de ses vêtemens, on lui attache une corde aux pieds, et on traîne le cadavre dans les rues de Pesth. Pendant que les maisons se fermaient sur le passage de cet effroyable cortége, la horde barbare poussait des cris de joie satanique, et, sur le pont, la bande qui revenait de la citadelle trempait ses bras dans les mares de sang et en teignait son drapeau. C’était bien là le drapeau rouge[3] !

Ainsi la guerre s’ouvrait par un assassinat, digne prologue d’une guerre impie, où se trouveront réunies toutes les horreurs qu’on peut attendre des haines de race, des fureurs de serfs affranchis la veille, du fanatisme religieux et politique, de la férocité de populations à demi barbares. Il faut remonter à la guerre de trente ans pour trouver quelque image des calamités qu’on entrevoit à l’horizon.

L’indignation fut grande à Vienne. Il fallait frapper ses ennemis et avouer hautement ses amis. Le manifeste suivant a paru, le 3 de ce mois, à Schoenbrünn, en même temps qu’un décret qui nommait le baron Adam de Recsey président du ministère hongrois.

« Nous, Ferdinand, empereur et roi constitutionnel, etc., etc.

« A notre grande douleur et indignation, la diète hongroise s’est laissé entraîner par Louis Kossuth et ses partisans à des illégalités. Elle a même rendu plusieurs décrets contre notre gré royal, et vient récemment de prendre une résolution contre notre plénipotentiaire le comte Lamberg, avant qu’il ait pu présenter ses pleins pouvoirs, résolution par suite de laquelle le comte a été attaqué et assassiné par une bande sauvage de meurtriers.

« Dans ces circonstances, notre devoir est de prendre les résolutions suivantes :

« 1° La diète est dissoute. Aussitôt après cette publication, ses séances seront suspendues.

« 2° Toutes les résolutions prises par la diète sans être sanctionnées par nous sont déclarées nulles et non avenues.

« 3° Toutes les troupes et corps d’armée de la Hongrie et des autres pays, ainsi que ceux de la Transylvanie, obéiront au commandement du ban de Croatie, Slavonie et Dalmatie, lieutenant-feld-maréchal baron de Jellachich.

« 4° Jusqu’au rétablissement de la paix, la loi martiale est proclamée dans toute la Hongrie.

« 5° Le ban Jellachich est nommé commissaire-général de sa majesté, avec des pouvoirs illimités, pour toute la Hongrie. Toutes les autorités civiles, militaires et ecclésiastiques, ont à lui obéir comme à nous-même.

« Nous chargeons surtout notre commissaire-général de sévir avec toute la sévérité de la loi contre les meurtriers du comte Lamberg.

« Dès que l’unité de la monarchie sera rétablie, dès que toutes les nationalités auront sauvegardé leurs droits, et que les relations mutuelles de tous les pays réunis sous notre couronne seront établies sur des bases fortes et stables, la légalité sera réintégrée par la représentation de toutes les parties constitutives de l’empire.

« FERDINAND.

« ADAM RECSEV, président du conseil. »


La diète a répondu à ce manifeste en se déclarant assemblée nationale ; elle s’est établie en permanence ; elle a constitué, sous la dictature de Kossuth, un comité de salut public, et, le danger de la patrie faisant taire pour le moment tout autre sentiment chez cette nation belliqueuse, tout le monde a pris les armes et a marché contre l’ennemi.

Jellachich et son armée étaient restés quelques jours à Sthulweissenbourg. Il semble que le général croate ait hésité à ce point, incertain s’il marcherait sur Pesth ou s’il se rapprocherait de Raab et du haut Danube, pour établir ses communications avec l’armée autrichienne. Le bruit avait d’abord couru qu’il était arrivé jusqu’à Pesth et avait bombardé la ville. La nouvelle était peu vraisemblable, car, dans sa marche rapide, le ban n’a pu amener de la grosse artillerie. Bientôt après, au contraire, on a annoncé une grande victoire des Hongrois sur l’armée croate. Voici ce qui semble vrai jusqu’à présent.

Le ministre de la guerre Mezzaros a ramené cinq à six mille hommes de troupes du bas Danube ; les jeunes gens de Pesth, la garde nationale, les députés se sont réunis à ces troupes ; on y a joint des paysans porteurs de faux, et cette armée improvisée a marché bravement à l’ennemi. On l’a rencontré à quelques lieues de Sthulweissenbourg, près des marais de Velencze. La garde nationale a engagé le combat, et quelques pièces de canon qu’elle avait conduites avec elle ont maltraité les cuirassiers croates, qui ont été jetés dans les marais ; l’ardeur des Hongrois s’est fort exaltée de ce premier succès[4]. Il paraît qu’après cet engagement Jellachich a marché sur Raab, ou du moins l’a fait occuper par un corps de son armée, sans doute, comme nous l’avons dit, pour se mettre en communication avec Vienne et attendre les troupes impériales qui doivent le seconder, aujourd’hui qu’il n’est plus seulement le ban de Croatie, mais le lieutenant-général du roi de Hongrie.

Jellachich est un homme jeune encore, d’une taille plutôt petite ; il a. l’œil vif et martial ; des sourcils épais donnent à sa figure quelque chose de dur. Il a la physionomie mobile et un peu inquiète de la race slave, son attitude se ressent quelquefois de la fatigue que lui imposent ses rudes travaux ; mais la fermeté de son ame le soutient : il croit accomplir une mission sacrée. Des lettres interceptées par les Hongrois ont prouvé ce que nous avions supposé, c’est qu’au début de l’entreprise l’empereur l’avait plutôt désapprouvée. A toutes les défenses de l’empereur, Jellachich répondait avec une constance respectueuse : « Sire, je demande pardon à votre majesté, mais je veux sauver l’empire… Les autres vivront s’ils veulent, quand il sera tombé ; mais moi je ne vivrai pas certainement. » Il y a dans ces paroles une obstination tranquille et dévouée qui se ressent du voisinage et du fatalisme de l’Orient. Chose remarquable, et qui doit faire réfléchir les vieilles races européenne, au moment où s’engage la guerre des nationalités, les trois hommes de l’Autriche, à l’heure qu’il est, Windischgraetz, Radetzky et Jellachich, appartiennent tous les trois à la race slave.

Nous avons conduit ce récit jusqu’aux derniers événemens : c’est la guerre qui se chargera de conclure. Nous avons vu à Pesth l’anarchie et ses crimes, la dictature, le courage toujours ; à Vienne, le gouvernement, incertain d’abord, enhardi par les premiers succès de Jellachich, placé entre une armée jusqu’à présent fidèle et disciplinée et une population divisée qui a déjà fait deux révolutions ; — aux bords de la Drave, de nouvelles races, rudes, à demi barbares, mais énergiques, long-temps oubliées, demandant leur place et entrant dans cette lice confuse de peuples. — De tout cela que sortira-t-il ? Nous ne hasarderons aucune prédiction : nous avons voulu exposer des faits dont l’enchaînement se perdait dans les nouvelles de chaque jour. Nous estimons d’ailleurs que dans le chaos du monde, ce ne serait pas la preuve d’un esprit bien ordonné que de prévoir ce qui arrivera demain :

Fertur equis auriga.


E. DE LANGSDORFF.


P. S. Ces pages s’imprimaient quand arrivait à Paris la nouvelle de la troisième révolution de Vienne. On en lira les détails dans tous les journaux. Une partie du peuple s’est opposée au départ des troupes qu’on envoyait contre les Hongrois, demandant à grands cris un ministère national et la révocation du décret qui avait nommé le ban Jellachich commissaire royal en Hongrie. Une émeute sanglante a éclaté les 5 et 6 octobre ; la garde nationale s’est divisée ; une partie a marché avec les troupes, l’autre s’est jointe aux paysans armés de faux accourus sans doute de la frontière hongroise, qui n’est qu’à quelques heures de Vienne. Le ministre de la guerre, le vieux général Latour, d’une famille d’origine française, a été massacré avec les mêmes horreurs de cannibales que nous dénoncions tout à l’heure. L’assemblée paraît être dominée par la populace victorieuse, mais ne céder qu’à regret à la violence. C’est un 24 juin triomphant. Les troupes ont évacué la ville, qui reste livrée à la terreur. L’empereur a pu quitter le château de Schoenbrünn et gagner la forteresse de Linz, sur le haut Danube. Il se rapproche ainsi de l’armée de Radetzky et d’Inspruck, son premier refuge. On dit aussi que les députés bohèmes veulent le conduire à Prague. Dans les deux cas, la position de Jellachich, privé des secours sur lesquels il avait compté, reste fort compromise entre l’insurrection hongroise et la démagogie victorieuse à Vienne. La proclamation que l’empereur a laissée en partant, qu’elle soit son œuvre ou celle d’un autre, est d’une ame honnête et doit rester, parce qu’elle ne contient que des choses simples, dites avec l’accent de la vérité. C’étaient les peuples qui disaient autrefois aux rois la vérité ; que les peuples l’écoutent et l’apprennent à leur tour de ces rois.


Au château de Schœnbrünn, 7 octobre 1848.

J’ai fait tout ce qu’un souverain pouvait faire pour le bien ; j’ai renoncé au pouvoir absolu que m’avaient légué mes ancêtres. Au mois de mai, forcé de quitter le château de mes pères ; je suis revenu sans autre garantie que ma confiance dans mon peuple. Une faction, forte par son audace, a poussé les choses jusqu’à la dernière extrémité. Le pillage et le meurtre règnent à Vienne, et le ministre de la guerre est tué. J’ai confiance en Dieu et en mon droit ; je quitte ma capitale pour trouver les moyens de porter secours au peuple opprimé. Que ceux qui aiment l’Autriche et sa liberté se pressent autour de l’empereur ! »

  1. On trouve chaque année dans les décrets de la diète hongroise des dons patriotiques à côté desquels les souscriptions françaises ou même anglaises paraissent assez mesquines. En 1827, par exemple, pour l’académie nationale destinée à la propagation de la langue hongroise, voici quelques noms et quelques chiffres : le comte Széchény, 160,000 francs ; le comte Karoly, 125,000 francs ; le prince Bathiany, 150,000 francs ; les deux Esterhazy, 80,000 francs.
  2. Sthulweissenbourg est l’ancienne Albajulia, capitale des premiers rois de Hongrie. On y montre encore le tombeau et les reliques de saint Étienne, sur lesquelles les rois prêtent le serment au couronnement.
  3. C’est à la suite de ce combat que les malheureux frères Zichy, cousins de la princesse de Metternich, ont été, dit-on, massacrés par les paysans. On prétend qu’on avait trouvé sur eux des lettres de l’archiduchesse Sophie. Tout est encore obscurité dans ce nouveau crime, si ce n’est le crime même.
  4. C’est à la suite de ce combat que les malheureux frères Zichy, cousins de la princesse de Metternich, ont été, dit-on, massacrés par les paysans. On prétend qu’on avait trouvé sur eux des lettres de l’archiduchesse Sophie. Tout est encore obscurité dans ce nouveau crime, si ce n’est le crime même.