La Jeunesse blanche (1913)/Lune consolante
LUNE CONSOLANTE
Souvent, pendant les soirs d’absence et d’abandon,
J’ai contemplé la Lune au visage si bon ;
On eût dit dans le ciel une aïeule indulgente
Inclinant son beau front que la vieillesse argente,
Qui, dans la mort du jour et dans la mort du bruit,
En silence écoutait les plaintes de la Nuit !
Et voyant se pencher ce pâle et doux visage
Affectueusement sur le grand paysage,
Je lui disais :
Ô toi, rendez-vous vaporeux,
Le rendez-vous des yeux séparés d’amoureux ;
Ile du souvenir dans la mer des nuées
Où les âmes d’amants qui sont exténuées
Se rejoignent de loin dans le soir qui s’endort ;
Lune qui réunis comme une cage d’or
Les regards éloignés d’un couple qui se pleure
Et qui le fait en toi se retrouver une heure,
Toi, la blanche immortelle, oh ! dis-moi donc combien
Ma vierge absente souffre à te regarder bien !
Dis-moi qu’elle est aussi, pleurante, à sa fenêtre ;
Dis-moi qu’elle m’appelle aussi ; fais-moi connaître
Tout ce que dans le ciel fait monter son émoi ;
dis-moi qu’elle est encor à te parler de moi
En déroulant là-bas ses tresses parfumées…
Mais la Lune a gardé ses lèvres d’or fermées.