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La Légende d’un peuple/Hindelang

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La Légende d’un peupleLibrairie BeaucheminPoésies choisies, 1 (p. 273-276).

 
Il avait vingt-trois ans, une taille athlétique,
Un grand front qu’éclairait une âme poétique.
Son esprit et son cœur, rarement en défaut,
Plaisaient à tous.

Lorsqu’il monta sur l’échafaud,
Ses frères d’infortune et ses compagnons d’armes
Tombèrent à genoux et fondirent en larmes.
Lui leur fit ses adieux, souriant à demi ;
Puis il dit au bourreau :

                                  ― Je suis prêt, mon ami !


C’était un noble enfant de la mère patrie ;
Un enfant doux et bon. Un jour, l’âme meurtrie
Par un de ces chagrins qui brisent les plus forts,
Vaincu, désespéré, lutteur à bout d’efforts,
Ne pouvant arracher l’épine ensanglantée
Qu’en son cœur une main cruelle avait plantée,
Il avait essayé, pour tromper son ennui,
De mettre la distance entre sa peine et lui.

Et le nouveau René partit pour l’Amérique.
C’était juste au moment de la lutte homérique
Que nos pères, courbés sous un joug écrasant,
Transformant en épieu la faux du paysan,
Avaient, sous les regards de l’Europe surprise,
Pour défendre leurs droits vaillamment entreprise.

Le jeune homme entendit ce cri de liberté
Jusqu’au port de New-York par la brise porté.
Quoi ! des Français, luttant contre la tyrannie
Avec le désespoir d’un peuple à l’agonie,
À tous demanderaient vainement du secours !
Point de retard, pour lui les moments sont trop courts ;

Il arrive ; et, recrue à la hâte enrôlée,
L’arme au poing il se jette au fort de la mêlée !

C’était près d’Odeltown, où partout débordés
Les insurgés tentaient un dernier coup de dés.
Il fut l’un des géants de la lutte infernale,
Mais, blessé, quand survint la déroute finale,
Dans la fuite oublia de chercher son salut.
Hélas ! son dévoûment touchant ne lui valut
Qu’une tombe parmi nos martyrs patriotes.

Victimes des sabreurs ou des Iscariotes,
Les armes à la main et de sang encor chauds,
Les vaincus furent pris et jetés aux cachots ;
Et bientôt, sur son front livré sans résistance,
L’enfant sentit peser la suprême sentence...
Quand on le vit paraître, et gravir, calme et beau,
Sans un frémissement, le fatal escabeau :
― Grâce ! fit une voix qui partit de la foule.
― Grâce ? non pas ! dit-il ; il faut que mon sang coule.


Frères, dans l’avenir ce jour sera compté :
C’est dans le sang toujours que naît la Liberté ! ―

Et puis, pour défier la populace anglaise,
Le martyr entonna gaîment la Marseillaise.
Le chant, au mot Patrie, à sa lèvre expira.
Tu mourus, Hindelang, mais l’histoire dira
Que l’avenir n’a pas trompé ton espérance.
Et, s’il fallait du sang le plus noble de France
Pour arroser le sol où nos droits ont grandi,
Lorsque ton fier cadavre à peine refroidi
Fut étendu devant la foule agenouillée,
― Dors en paix, Hindelang ! ― la dette était payée !