Aller au contenu

La Légende de Gayant/Notes

La bibliothèque libre.
Lucien Crépin (p. 31-35).


NOTES.




(1) Les Gaulois furent un peuple courageux jusqu’à l’imprudence. L’histoire affirme qu’après avoir répandu la terreur sur leur passage, en descendant le Danube, ils osèrent tenter en Grèce de s’emparer du temple de Delphes ; mais, repoussés, moins par leurs ennemis que par un orage épouvantable, ils eurent aussi leurs Thermopyles. Alors, ils entrèrent en Asie, où Nicomède acheta leurs secours. Mais de tels hôtes étaient dangereux. C’est ainsi qu’on voit nos Gaulois puissants dans l’Asie-Mineure, établis sur les ruines de Troie, se mêler aux querelles des successeurs d’Alexandre, et leur imposer ou les soutenir de leurs armes.


(2) Presque toutes les histoires de France témoignent de ces compositions, entre les élèves des écoles, auxquelles Charlemagne présidait, dispensant ensuite le blâme ou l’éloge, les récompenses ou les admonestations. Puis, pour l’intelligence de tout le passage, nous citerons textuellement quelques lignes de M. J. Michelet : « Pendant que Charlemagne disserte sur la théologie, rêve l’empire romain et étudie la grammaire, la domination des Francs croule tout doucement. Le jeune fils de Charlemagne, dans son royaume d’Aquitaine, ayant, par faiblesse ou justice, restitué toutes les spoliations de Pépin, son père lui en fit un reproche ; mais il ne fit qu’accomplir ce qui avait déjà lieu de soi-même. L’ouvrage de la conquête se défaisait naturellement ; les hommes et les terres échappaient peu à peu au pouvoir royal, pour se donner aux grands, aux évêques surtout, c’est-à-dire aux pouvoirs locaux qui allaient constituer la république féodale. »

(Michelet, Hist. de France au moyen-âge, t. I.)


(3) Ce chant est tout d’invention. Dans ce morceau, où nous faisons pressentir le siège de Paris que les Normands firent peu de temps après, nous avons tâché d’imiter le chant de mort du Roi de la mer :

« Nous avons frappé de nos épées dans le temps où, jeune encore, j’allais vers l’orient apprêter aux loups un repas sanglant, et dans ce grand combat où j’envoyai au palais d’Odin tout le peuple d’Helsinghie.

« Nous avons frappé de nos épées dans cinquante et un combats. […]

« Les heures de ma vie s’écoulent : c’est en riant que je mourrai. »

(Traduction de M. Augustin Thierry.)


(4) « Cy s’arrêtent les dicts et cronicques fidèles, » c’est-à-dire : ici finit la légende que nous avons adoptée ; ici finit le récit du vieux conteur, que nous avons imaginé être traduit par l’aïeule. Lui faire raconter toute l’histoire de mémoire, c’eut été admettre une impossibilité. Simuler un vieux manuscrit est de notre droit ; car qui peut prouver qu’avant la magnifique invention de l’imprimerie il ne s’est pas égaré mille écrits divers, et que ce manuscrit, relatant un haut fait si commun lors de l’invasion des Normands, n’exista pas ?

À ce propos, nous pensons qu’il est temps de dire que les documents soi-disant historiques qui nous sont parvenus sur le géant douaisien, ne sont nullement fondés. À peine affirme-t-on la date où sa fête commença. Nous avons consulté les recherches de M. le conseiller Quenson qui a peu ajouté aux travaux antérieurs de M. Duthilloeul ; et rien n’est venu éclairer l’obscurité où se perd la naissance de Gayant. Ce que nous avons remarqué, c’est que l’Église, en accaparant toutes les fêtes, a englouti toutes les légendes dans la mer des miracles et des panégyriques de ses saints, lesquels ont pendant longtemps fait ombre sur les héros.

Gayant est-il simplement l’ostensoir ou joyau de la corporation des mandeliers, comme le pense M. Quenson ? ou bien, est-il un héros antique que quelque loi ancienne et perdue aurait déjà proscrit des fêtes, comme le firent des mandements qui, grâce à leur date peu éloignée, ou grâce à l’imprimerie, nous ont été conservés ? Là est la question insoluble. On dit aussi que S. Maurand sauva la ville de Douai d’une surprise, tentée par l’amiral Coligny, et que, par l’effet d’un miracle du saint, le sonneur, qui se refusait presque à sonner matines pour éveiller les fidèles, sonna sans le vouloir l’alarme et le tocsin.

À travers cette fable, ne devine-t-on pas les efforts des Espagnols catholiques pour faire tourner à leur profit quelque dévoûment inconnu, attendu que l’amiral étant protestant, on ne devait le vaincre qu’à l’aide d’un miracle ? Voilà qui rend presque probable l’hypothèse d’un héros populaire et ancien que les Espagnols ont voulu éclipser par l’image de S. Maurand. Au reste, la date de 1494, assignée à la première apparition du géant dans les fêtes, prouve qu’il est antérieur au miracle.

Il est vrai qu’on a dit longtemps que Charles-Quint, « pour amener tous ses sujets à fraterniser entre eux, et neutraliser l’humeur inquiète des Flamands, institua comme en Espagne des fêtes publiques, dans lesquelles il introduisit de hautes poupées, semblables à notre géant. » M. Quenson doute de cette assertion, d’après le grand nombre d’édits de Charles-Quint contre « le nombre, le luxe et la débauche de ces fêtes. » Le savant conseiller dit que la tolérance est le seul fait que l’on puisse accepter.

D’après ces assertions, nous oserons dire plus : nous dirons que, remarquant l’esprit d’opposition que tous les peuples subjugués font à leurs dominateurs, nous croyons que ce fut un trait lancé sur Charles-Quint, ou du moins sur les Espagnols, de représenter dans leurs fêtes quelque Douaisien plus grand, plus fort, et peut-être plus brave qu’eux.

C’est donc notre opinion tout entière que nous avons exprimée dans ces vers :

Que dis-je ? À leur amour, pour donner un symbole,
Imitant avec art la coutume espagnole,
Ils firent un héros-géant, grand mannequin,
Sorte de trait plaisant lancé sur Charles-Quint
Qui, petit et rusé, très-dévot, mais peu brave,
Par droit d’hérédité tenait la Flandre esclave.

Ceci posé, que le héros qu’ils ont représenté soit historique ou non, que nous importe, quand personne ne peut nier ni affirmer ! Une croyance populaire semble probable, nous la jugeons plus propre à la poésie que tout autre sujet : avons-nous tort de l’accueillir ?

À propos de la Henriade, le poète a dit : « Au reste, ce poème n’est pas plus historique qu’aucun autre. »

Un poème n’exige donc que de la vraisemblance. C’est pourquoi nous terminerons en disant que quand nous ferons de l’histoire, nous écrirons en prose et nous nous engagerons à être vrais. Jusque-là… !

Henri Sureau.


N. B. Pour les autres détails de la fête, costumes, etc., nous renvoyons à l’Hermite en province et à l’ouvrage de recherches de M. le conseiller Quenson ; ces descriptions ont été faites trop souvent pour que nous en grossissions inutilement notre ouvrage.




IMPR. ADAM D’AUBERS, À DOUAI.