La Légende des sexes, poëmes hystériques/Danaé

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DANAÉ

À Paul et Gustave Philippart.



L e soleil meurt : Hesper flambe.
Le soleil meurt : Hesper flambe.La tour d’Argos
Est de bronze massif et ses murs sont bien clos.
Trente Achaïens, héros de haute et forte taille,
Casqués et cuirassés comme pour la bataille,
Le javelot au poing et le glaive au côté,
Veillent, gardiens jurés d’une virginité.
Donc, Acrise a bâti dans la voûte sonore
Un cachot que Phoïbos Hékébolos ignore :
Quinze verrous d’airain que l’on ferme à secret
En défendent l’entrée à l’Eros indiscret.

C’est là que Danaé, l’Argienne aux nattes blondes,
La fille aux languissants regards, aux fesses rondes,
Sans amour, à vingt ans, se déflore et languit.


« — Oh, vivre ainsi loin d’eux, loin du ciel, loin du bruit !
Vénus, je veux aimer ! » Et débordant de sève,
Elle tord sur le lit, complice de son rêve,
Les longs et chauds ennuis de sa lourde vertu.


Elle a senti le soir, et son cœur a battu.
« — Seule une nuit encor, hélas ! » Elle soupire.

Car c’est, l’heure d’aimer ! C’est l’heure où le Satyre
Poursuit par les bois sourds et les sentiers ombreux
La Dryade qui rit et fuit vers l’antre creux.
C’est l’heure où le soleil se penche sur la terre ;
L’heure où les myrtes blancs de Gnide et de Cythère
Aux chansons des baisers mêlent des chants d’oiseaux ;
L’heure où le vent lascif caresse les roseaux,
Tout plein de voluptés et de senteurs de roses.
C’est l’heure de l’amour ! C’est le réveil des Causes !

— « Seule encor ! » Danaé se pleure dans la nuit.
Mais, là haut, l’œil d’un dieu la guette et la poursuit.
Elle a mis dans ses mains son beau front qui s’incline :
Elle songe aux raideurs de la chair masculine ;
Aux grands boucs qu’elle a vus courir parmi les prés,
Serrant la chèvre en rut contre leurs dards pourprés,

Aux taureaux traversant le flanc des vaches rousses,
Et par élans fougueux, par bonds et par secousses,
Devenant tout d’un coup semblables à des dieux !
Elle songe aux assauts de l’amant radieux,
Aux muscles étreignant le baiser qui s’y plonge,
Au frottement qui brûle et qui noie ! Elle songe…

Silence ! Elle s’endort les deux bras grands ouverts…

pleut de l’or, il pleut !

pleut de l’or, il pleut !Des plafonds découverts,
Le scintillant métal miroite et tombe en pluie.
Et la vierge, les yeux fermés, mais éblouie,
Voit passer dans le bleu des gouttes de soleil.
C’est bien de l’or : il pleut ! À travers son sommeil
Elle rit à la blonde averse. Goutte à goutte !
Or, azur ! Que c’est beau ! Comme il pleut ! Elle écoute :
Chaque perle en passant siffle gaîment dans l’air,
Et dans le cœur qui bat son crépitement clair
Fait chanter un écho qui vibre avec sa chute.

L’orage étincelant grossit. Chaque minute
Verse par milliers les belles larmes d’or.

Le flot torrentiel se presse. Encor ! Encor !
Le sol a disparu. L’or coule, l’or ruisselle.
Rien que de l’or ; de l’or partout. L’or s’amoncelle :
Ici, là. Sur le sol, la couche et les coussins ;
Sur elle : sur le front, les bras, le cou, les seins ;
Sur les flancs arrondis, sur le ventre qu’il baise ;
La poitrine se gonfle et palpite. L’or pèse,
Lourd, massif, étouffant, sur ce corps endormi.
Il s’échauffe, — il s’anime…

Il s’échauffe, — il s’anime…Ô Pan ! Il a frémi.
Les molécules d’or se cherchent et s’unissent.
C’est comme un cœur qui bat. Les formes s’arrondissent.
Il prend un corps ! Il prend une âme…

Il s’échauffe, — il s’anime…Un homme ? Un Dieu ?
Qu’importe, puisqu’il vit, que sa lèvre est en feu,
Et que son bras musclé sait étreindre une femme.
Il vit, il sait ! Il a la vigueur et la flamme !
C’est un être viril : la Vierge l’a compris !
C’est le mâle rêvé qui l’assiège… Oh, ces cris !
Elle ouvre ses genoux, ses baisers, tout son être.

L’or brûlant se raidit, se tend… L’or la pénètre…

Zeus ! Au fond ! Zeus, plus loin ! Le Dieu peut ce qu’il veut.


Il pleut ! Mais ce n’est plus de l’or ! Il pleut ! Il pleut !