La Légende dorée/Saint Gilles

La bibliothèque libre.
La Légende dorée (1261-1266)
Traduction par T. de Wyzewa.
Perrin et Cie (p. 490-492).
CXXVIII


SAINT GILLES, ABBÉ
(1er septembre)


Gilles, athénien, était de famille noble, et avait étudié, dès l’enfance, les lettres sacrées. Un jour, comme il se rendait à l’église, un malade, couché sur une place, lui demanda l’aumône. Gilles lui donna sa tunique ; et dès que le malade la revêtit, il guérit. À la mort de ses parents, Gilles abandonna au Christ tout son patrimoine. Il guérit un jour, par sa prière, un homme qui venait d’être mordu par un serpent. Il guérit aussi un possédé qui, se tenant dans l’église, troublait de ses cris les autres chrétiens. Mais bientôt, craignant les dangers de la faveur humaine, Gilles s’enfuit secrètement au bord de la mer. Il aperçut là des matelots qui allaient périr dans une tempête : il pria et aussitôt la tempête s’apaisa. En reconnaissance de quoi les matelots, apprenant qu’il voulait aller à Rome, s’offrirent à l’y emmener gratuitement avec eux.

Mais en arrivant à Arles, Gilles s’y arrêta, et demeura deux ans avec saint Césaire, évêque de cette ville, où il guérit une femme atteinte de fièvre depuis trois ans. Puis, ayant soif du désert, il s’éloigna secrètement d’Arles, et vécut longtemps en compagnie de l’ermite Veredôme, dans un endroit où, en sa faveur, Dieu voulut bien faire cesser la stérilité du sol. Mais, comme le bruit de ses miracles se répandait partout, Gilles, craignant de nouveau les dangers de la louange humaine, quitta son compagnon et s’enfonça encore dans le désert, où il eut le bonheur de trouver une grotte auprès d’une source. Il y eut pour nourricière une biche qui, à de certaines heures, venait lui donner son lait.

Or, un jour, les fils du roi, qui chassaient par là, virent cette biche et la poursuivirent avec leurs chiens. Effrayée, elle se réfugia aux pieds de saint Gilles. Et celui-ci, étonné de ses cris, sortit de sa cellule et entendit les chasseurs. Il demanda alors à Dieu que fût sauvée la bête qu’il lui avait donnée pour nourricière. Et en effet aucun des chiens n’osait s’approcher de la biche. La nuit étant proche, les chasseurs s’en revinrent chez eux. Et le lendemain, de nouveau, ils durent rentrer chez eux sans avoir pris la biche. Ce qu’apprenant, le roi se rendit sur les lieux avec l’évêque et une foule de chasseurs. Et comme, de nouveau, les chiens refusaient d’approcher, un des chasseurs, par accident, blessa d’une flèche le saint, qui demandait grâce pour la biche. Après quoi les chasseurs se frayèrent un chemin jusqu’à la grotte, aperçurent un vieillard en habit monacal avec une biche étendue à ses pieds. Le roi et l’évêque s’avancèrent alors vers lui, lui demandèrent qui il était, d’où il était venu, comment il avait pu arriver à un endroit aussi sauvage, et enfin par qui il avait été blessé. Puis, lui ayant demandé pardon de cette blessure dont ils étaient cause, ils lui donnèrent des remèdes pour la guérir, en même temps que de nombreux présents. Mais le saint ne voulut même pas jeter les yeux sur les présents ni sur les remèdes. Bien plus, sachant que la vertu devenait plus parfaite dans la maladie, il pria Dieu de ne plus recouvrer la santé aussi longtemps qu’il vivrait.

Le roi, cependant, lui fit de fréquentes visites, pour recevoir de lui l’aliment spirituel. Et toujours il lui offrait des trésors, et toujours le saint refusait de les accepter. Il. conseilla enfin au roi d’employer plutôt ces trésors à construire un monastère, où serait pratiquée dans toute sa rigueur la discipline monastique. Et le roi suivit son conseil ; mais, quand le monastère fut construit, il insista par ses prières et ses larmes pour forcer saint Gilles à en devenir l’abbé[1].

La renommée du saint parvint jusqu’au roi Charles, qui le manda près de lui et le reçut avec déférence. Il lui demanda, entre autres choses, de vouloir bien prier pour que lui fût remis un très grand péché qu’il avait commis jadis, et qu’il n’osait avouer à personne, pas même au saint. Et le dimanche suivant, pendant que Gilles, célébrant sa messe, priait pour le roi, un ange lui apparut qui déposa sur l’autel une feuille où était écrit que, grâce à ses prières, le péché du roi se trouvait pardonné. Et l’on dit aussi que, sur cette feuille, une main céleste avait ajouté que quiconque invoquerait saint Gilles pour la rémission d’un péché, obtiendrait cette rémission, pourvu seulement qu’il ne commît plus le même péché. Gilles porta la feuille au roi, qui se repentit humblement. Puis le saint reprit le chemin de son monastère. Et à Nîmes, en passant, il ressuscita le fils d’un des chefs de la ville, qui venait de mourir.

Peu de temps après, prévoyant que son monastère allait être saccagé par les ennemis, il se rendit à Rome, et obtint du pape, pour son église, un privilège, ainsi que deux portes en bois de cyprès où se trouvaient sculptées les images des apôtres. Après quoi, ayant confié ces portes au Tibre, et les ayant recommandées à la conduite divine, il retourna vers son monastère ; et, sur le chemin, à Tiberon, il guérit un paralytique. Et quand il revint à son monastère, il trouva les portes qui l’attendaient dans le port. Après avoir rendu grâces à Dieu, il les dressa au seuil de son église, tant pour l’ornement de celle-ci que pour qu’elles fussent le témoignage du pacte accordé au monastère par la curie romaine.

Enfin, comprenant par révélation que le jour de sa mort approchait, il en informa ses frères et leur demanda de prier pour lui. Et quand il se fût endormi dans le Seigneur, bien des personnes affirmèrent avoir entendu des chœurs d’anges transportant son âme au ciel. Cette mort eut lieu en l’an du Seigneur 700.

  1. À Saint-Gilles-du-Gard, entre Arles et Lunel, sur le petit Rhône.