La Lanterne (Buies)/La Lanterne N° 8

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(p. 93-105).


LA LANTERNE


No 8




La Minerve et le Nouveau-Monde se sont trouvés d’accord cette semaine. L’un et l’autre ont refusé d’insérer le rapport de l’Institut Inégal, parce qu’il a ouvert ses séances dans les salles de l’Institut-Canadien.

L’Ordre, quant à lui, a voulu des explications. On a donc choisi le plus éloquent, le plus persuasif des étudiants en droit, pour expliquer à l’Ordre qu’un institut légal avait pour objet l’étude et la discussion des lois, l’examen des questions de jurisprudence et la création d’un foyer de ralliement pour la jeunesse studieuse qui préfère aux cabarets les exercices préparatoires à la profession qu’elle embrasse.

L’Ordre, dit-on, s’est déclaré satisfait ; c’était pour se tirer d’affaire, une manière de dire qu’il n’avait pas compris. Ce qui effraie le Nouveau-Monde, c’est l’influence pernicieuse qu’exerceront sur l’esprit des jeunes gens leurs professeurs, presque tous membres de l’Institut-Canadien.

Ces professeurs sont messieurs A. A. Dorion, Joseph Doutre, Gonzalve Doutre, Kerr, Perkins, Geoffrion… et autres vauriens.

Ils commencent invariablement leur cours par ces paroles horribles : « Jeunes gens, vous êtes ici dans l’Institut-Canadien, — Pothier, page 210, chapitre Testaments. — Jeunes gens, encore une fois, rappelez-vous que vous êtes ici dans l’Institut-Canadien. — Cette question de jurisprudence ardue vient heureusement d’être réglée par le juge Berthelot siégeant en révision, lequel l’avait déjà décidée en première instance, mais il a fallu la confirmer ; pour cela on n’a pu mieux faire que de prendre le même homme, qui, du reste, a le bon goût de s’offrir lui même pour décider de ses décisions… — Jeunes gens, l’Institut-Canadien est un foyer ardent de libéralisme, — ces paroles tirées de Troplong, « Commentaires sur la vente, » indiquent suffisamment combien il est difficile de préciser les conditions de nullité des contrats…

Et ainsi de suite. Comment veut-on que les jeunes gens ne soient pas corrompus et les parents effarouchés ?

Le Nouveau-Monde demande si de tels professeurs ont une assez grande sûreté de doctrine pour ne pas fausser l’intelligence du disciple dans l’examen du civil et du religieux, du pouvoir spirituel et de l’autorité temporelle… celle-ci qu’il appelle extérieure.

Moi, je conseillerais de faire faire les cours de droit par des Jésuites. Alors, plus d’ambages, plus de discussions oiseuses ; doctrine sûre, claire et nette. D’autorité civile, point ; l’autorité religieuse serait tout. On enseignerait, par exemple, que le pape a seul le droit de gouverner les empires, que l’autorité de l’Église s’étend sur toutes les choses de ce monde, que tout pouvoir vient de Dieu, en ce sens que les hommes soumis à ce pouvoir sont des brutes et n’ont pas droit de le renverser quand il devient tyrannique, avili, corrompu, destructeur… »

Le Nouveau-Monde continue :

« Il existe plusieurs sociétés littéraires qui s’estimeraient heureuses de rendre au cercle légal le même service que l’Institut Canadien : ne serait-il point dès lors plus prudent et plus dans les véritables intérêts de l’Institut Légal qu’il en fût ainsi ? Sans compter que ce serait disposer favorablement le public en sa faveur, lui assurer les sympathies de la grande majorité de notre population et nous permettre d’applaudir sans réserve. »

J’admire que cet oison mitré n’est même plus capable de cacher son jeu. Et pourtant l’hypocrisie est son élément indispensable, sa condition d’existence.

Vous voudriez bien voir l’Institut Légal installé à l’Union Catholique, ou au Canadien-Français, ou, que sais-je encore ? Mordi ! vous vous ennuyez entre vous. Quand il vous arrive de vous réunir une fois en six mois, c’est pour dire tant de platitudes que vous avez mal au cœur les uns des autres.

Quelle fête ce serait pour vous si des jeunes gens venant de l’Institut Canadien allaient vous retremper ! Mais voyez le défaut du système. Au bout d’un an, il vous faudrait une nouvelle fournée d’élèves formés à l’Institut Canadien, car la première serait devenue complètement idiote.

Nos jeunes gens ont perdu l’ambition de l’aplatissement ; il en est qui sont restés avec vous ; ceux-là n’ont plus la force de se relever ; captifs endormis, ils regardent leurs chaînes d’un air hébété, ne sachant même plus qu’ils sont esclaves. D’autres s’agitent, mais ils retombent, vaincus par le poison que vous avez versé dans leur intelligence.

Ils font pitié à voir ; aussi je les regarde sans dédain. Caractères avachis, cœurs étiolés, fantômes sournois, on les aperçoit qui passent, l’œil terne, ne voyant plus d’avenir, bornés à l’ombre qui les entoure.

Une triste lassitude règne dans ces âmes abattues avant d’avoir pris leur vol. Partout ailleurs la jeunesse a des élans ; ici, elle n’a que des craintes.

Vous avez étouffé en elle la source généreuse du patriotisme et de l’abnégation. Cette soif de liberté et de lumière qui s’abreuve et s’augmente à la fois par l’absorption des grandes idées, qui seule est l’instrument du progrès humain, dont les désirs toujours croissants accusent l’intarissable fécondité de l’esprit, vous l’avez étouffée sous les capuchons de l’Union Catholique, comme on étouffe un feu dévorant que l’eau ne peut éteindre.

Non, vous n’aviez pas assez d’eau bénite pour nous noyer dans le marais. Il vous a fallu des ressources inouïes contre cette jeunesse livrée à vous sans défense, fréquentant vos collèges, ignorant que le monde partout marchait, tandis qu’elle seule reculait.

Nous étions autrefois un peuple fier, vigoureux, indomptable. Nous luttâmes un siècle contre la puissante Albion. Plus tard, vaincus, mais glorieux du passé, nous restâmes seuls, à l’écart, nourrissant l’âpre amour de la nationalité, grandissant et espérant.

Mais depuis un quart de siècle, nous rapetissons et nous n’espérons plus.

Si vous aviez fait des hommes, ces hommes eussent fait un grand pays, aujourd’hui libre, mais vous avez préféré enseigner l’obéissance, gardant pour vous le commandement ; et maintenant, façonnés à ce joug, nous sommes tellement avilis, tellement bafoués, que nous éprouvons comme une humiliation d’être appelés canadiens-français.

Dans ce pays qui compte 1,200,000 habitants, dont 300,000 à peine d’origine étrangère, quels sont les dominés, les méprisés, les incapables ? C’est nous.

Qui nous a fait un peuple sans caractère, sans opinions, sans idées, sourd et rebelle à l’enseignement ? C’est l’ignorance systématique dans laquelle le clergé nous a maintenus.

C’est l’évêque de Montréal, avec ses Jésuites attirés ici par l’odeur de la proie, et suivis bientôt par les prêtres de ce diocèse, âpres à la curée, acharnés aux bribes.

Les Jésuites, avec leur Union Catholique, avec leurs confréries, leurs pratiques bigotes, leur doctrine d’artifices, leur principe d’autorité qui ne fait que des hypocrites et des peureux ; avec leurs intrigues incessantes, leur humilité ambitieuse, leur flexibilité perfide, ont petit à petit fait entrer dans tous les cœurs le poison qui les nourrit. Partout chassés, exécrés, maudits, ici ils trônent, ils grandissent, ils règnent.

Dieu, dit l’Écriture, prit une poignée de boue, souffla dessus, en fit un homme et le lançant dans l’espace :

« Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ;
Trop indigne à mes yeux d’amour et de colère,
Tu n’es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide,
Qu’à jamais loin de moi le destin soit ton guide,
Et le malheur ta loi… »

Et l’homme, roulant d’abîme en abîme, plongeant d’espaces en espaces, défiguré, meurtri, repoussé comme un être hideux de tous les globes où il voulut mettre pied, vint échouer sur cette terre, dernière étape de sa déchéance.

Plus tard encore, tombant de faîte en faîte, précipité des sommets où son vol impuissant ne le soutenait plus, épave boueuse où il y avait une âme, l’homme, devenu chenille, s’aplatit sur la terre du Canada, sans regard pour mesurer les cieux dont il était banni, sans pensée pour mesurer sa honte.

Ce fut sa dernière chute.

La malédiction divine était accomplie. L’homme n’était plus rien.

Depuis trois mois, je marche avec ma Lanterne et n’ai pas encore vu un homme. Ici il n’y a que des masques, et nous n’avons d’égal à notre hypocrisie que notre lâcheté.

Hier encore, c’était mon éditeur qui refusait d’imprimer plus longtemps la Lanterne. Pourquoi ? On a dit à son prote que s’il continuait de le faire, on lui enlèverait l’impression de l’Écho du Cabinet de Lecture paroissial. Et il a cédé. Oui, il a cédé, messieurs. Et cet homme se croit libre cependant.

Mais fussé-je imprimeur et dussé-je y perdre toutes mes presses, tout mon matériel et toutes mes cases, j’aurais encore gardé une poignée de vieux caractères pour les jeter au visage de celui qui eût osé me faire une pareille menace.

Oui, nous sommes asservis et courbés. Mais pour nous rendre tels, certes il a fallu nous en donner outre mesure l’exemple, il nous a fallu des maîtres comme ceux qui, dans leur épouvante de la Lanterne, ont trouvé pour la combattre ce moyen, l’enlèvement d’un maigre patronage à un imprimeur !

Et ils savaient que cet imprimeur obéirait ! …

L’autre jour, c’étaient deux gamins à qui j’avais donné des Lanternes à vendre. L’un d’eux m’avait toujours bien servi ; cette fois il s’est sauvé. Sans doute il a rencontré un prêtre qui l’a menacé de l’enfer s’il me rapportait le prix de sa vente. Et pourquoi pas ? Un autre gamin avait bien eu l’ordre d’un prêtre de brûler les Lanternes qu’il avait reçues de moi.

Il y a des gens apostés dans les rues qui menacent de la police mes petits vendeurs ; on leur a fait toutes les misères imaginables ; l’un d’eux fut presque entraîné de force l’autre semaine chez le curé de Bonsecours.

Et voilà mes ennemis ! Ils ne disent rien, ils n’osent souffler mot devant moi qui, chaque semaine, les provoque et les expose sans relâche, mais ils font peur à des enfants de douze ans !!

Allons ! attaquez-moi donc, moi qui suis un homme, ou bien défendez-vous. Prenez-moi en face, tel que je m’offre. Il me semble que je vous présente un front contre lequel vous pouvez porter vos coups.

Mais non ; terribles dans l’ombre, effrayants par le mystère, vous n’êtes rien devant la résistance.

Il a suffi qu’on se montrât une fois pour ne plus savoir où vous trouver.

Nous n’avons pas toujours été un peuple flétri ; mais nous fûmes toujours un peuple d’enfants, tondable, exploitable à discrétion, et tondu et exploité.

Qu’on en juge par cette page écrite en 1685 par un diplomate envoyé de France au Canada, une page qui jamais n’a paru dans aucune de nos histoires, et que j’ai trouvée dans une bibliothèque de Paris :

« Le curé de Montréal empêche de penser au jeu, aux dames et à tout plaisir honnête ; il refuse la communion à des dames pour un pontage de couleurs. Il a des espions partout et vous fulmine du haut de la chaire. Le gouvernement n’oserait sans mêler… Les prêtres persécutent jusque dans le domestique et l’intérieur des maisons. Ils ont toujours les yeux ouverts sur la conduite des femmes et des filles… Pour être bien dans leurs papiers, il faut communier tous les mois. Chacun est obligé de donner à Pâques un billet à son confesseur. Les prêtres font la guerre aux livres ; il n’y a que les volumes de dévotion qui vont tête levée ; tous les autres sont défendus et condamnés au fou.

Les gouvernements politique, civil, ecclésiastique et militaire ne sont, pour ainsi dire, qu’une même chose en Canada, puisque les gouverneurs-généraux les plus rusés ont soumis leur autorité à celle des ecclésiastiques. Ceux qui n’ont pas voulu prendre ce parti s’en sont trouvés si mal qu’on les a rappelés heureusement. J’en pourrais citer plusieurs qui, pour n’avoir pas voulu adhérer aux sentiments de l’évêque et des jésuites, etc., ont été destitués de leurs emplois, et traités ensuite à la Cour comme des étourdis et des brouillons. (Frontenac)

Les gouverneurs-généraux, qui veulent s’avancer ou thésauriser, entendent deux messes par jour et sont obligés de se confesser une fois en 24 heures. Ils ont des ecclésiastiques à leurs trousses qui les accompagnent partout, et qui sont à proprement parler leurs conseillers. Alors les intendants, les gouverneurs particuliers et le conseil souverain n’oseraient mordre sur leur conduite, quoiqu’ils en eussent assez de sujet, par rapport aux malversations qu’ils font sous la protection des ecclésiastiques, lesquels les mettent à l’abri de toutes les accusations qu’on pourrait faire contre eux.

On nomme les gens par leur nom à la prédication, on défend sous peine d’excommunication la lecture des romans et des comédies. Les Jésuites et les Récollets s’accordent aussi peu que les Molinistes et les Jansénistes. Les premiers prétendent que les derniers n’ont aucun droit de confesser.

Le gouverneur-général ne peut se dispenser des Jésuites pour faire des traités avec les gouvernements de la Nouvelle Angleterre et de la Nouv-York, non plus qu’avec les Iroquois.

Les Conseillers du Conseil Souverain ne peuvent vendre, donner ou laisser leurs charges à leurs héritiers ou autres, sans le consentement du roi. Ils consultent les prêtres ou les Jésuites, lorsqu’il s’agit de rendre des jugements sur des affaires délicates ; mais lorsqu’il s’agit de quelque cause qui concerne les intérêts de ces bons Pères, s’ils la perdent, il faut que leur droit soit si mauvais, que le plus subtil et le plus rusé jurisconsulte ne puisse lui donner un bon tour. Plusieurs personnes m’ont assuré que les Jésuites faisaient un grand commerce de marchandises d’Europe et de pelleteries du Canada… Les gentilshommes ont bien des mesures à garder avec les ecclésiastiques, pour le bien et le mal qu’ils peuvent recevoir indirectement. L’évêque et les Jésuites font trouver des partis avantageux aux filles nobles. Un simple curé doit être ménagé, car il peut faire du bien ou du mal aux gentilshommes dans les seigneuries desquels il n’est pour ainsi dire que missionnaire, n’y ayant point de curés fixes en Canada. Les officiers entretiennent aussi avec eux de bonnes correspondances, sans quoi ils ne pourraient se soutenir. »

À ceux qui m’accusent d’exagération, je demanderai s’ils ont lu les choses dont je parle, et si l’exagération peut venir de moi qui ne fais que signaler et commenter des faits.

Si cela ne suffit pas, je répondrai à ceux qui me reprochent encore d’attaquer sans relâche le clergé, par les citations suivantes de la Gazette des Campagnes, où l’on verra que mes écrits sont d’une infinie douceur et d’une extrême modération, comparativement aux moyens et au langage dont les organes ultras se servent sans trêve et sans détour contre nous.

« La révolution, dit la Gazette, c’est la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu, » (comme si l’homme ne tenait pas ses droits de Dieu même !) « Faire des lois, sans tenir compte de la suprême autorité de Celui à qui tout est soumis, parce que rien n’existe que par lui ; faire de la politique, en mettant absolument de côté les intérêts spirituels des individus et des familles, seuls intérêts que la vraie politique doit favoriser, puisque les gouvernements n’existent que pour aider des âmes à se sauver…


Cependant, Dieu ne veut pas laisser périr le monde sous les griffes de Satan, car le nombre des élus n’est pas encore complet. Il ne le laissera qu’un peu de temps sous la puissance de ce prince des ténèbres, et ensuite il le délivrera. Il est tout probable même que cette délivrance ne s’opérera qu’après les crises les plus terribles.

De même qu’aux jours où le Fils de l’homme parut sur la terre, les possédés étaient violemment agités au moment où il commandait à l’Esprit immonde de sortir de leurs corps, de même aussi le monde actuel passera par les convulsions de l’agonie lorsque Satan lâchera prise. Il faut du sang et du sang à flots pour expier les crimes dont ce monde s’est rendu coupable envers Dieu et son Église.

Plus loin, parlant des cataclysmes terribles qui ont eu lieu récemment au Pérou, en Californie, en Italie, en Suisse, la Gazette ajoute :

Ces formidables ébranlements devraient nous donner beaucoup à réfléchir. Notre globe entre en convulsions parce qu’un immense désordre règne dans les mœurs et les intelligences ; il gémit sous le pouls des iniquités des hommes ; il s’agite, impatient qu’il est de voir arriver le moment où l’Esprit sanctificateur viendra renouveler la face de la terre.

Et l’on voudra que je me taise maintenant ! on voudra que je ne répète pas, sur tous les tons et sous toutes les formes, que tant que l’éducation sera entre les mains du clergé, nous ne pourrons sortir de la honteuse infériorité où nous croupissons, et que nous ne pouvons que former tôt ou tard un peuple de crétins, foulé aux pieds sur notre propre sol, parias d’un monde que nous ne comprendrons pas, pendant que les races étrangères, nous poussant du pied, se réserveront à elles seules les magnifiques destinées de notre continent !

Si les prétendus libéraux qui foisonnent partout, et qui passent leur temps à se plaindre en redoutant le remède, me laissent seul à lutter contre cette théocratie qui nous a paralysés et abrutis, tant pis pour eux.

Je ne puis que me sacrifier à leur avancement, en leur réservant ma pitié.

Il a été question dernièrement d’attirer en Canada une émigration française.

Je ne vois pas pourquoi les Français, qui ont aboli la dîme chez eux depuis quatre-vingts ans, s’amuseraient à venir la payer ici, ni ne vois-je comment nous conserverions des étrangers, quand nous ne pouvons même pas garder ceux dont le Canada est la patrie.

Du reste, personne ne désire une émigration française ; les Anglais n’y tiennent pas, le clergé tient à ce qu’elle ne vienne pas, et nous ne tenons qu’à ce à quoi tient le clergé.

Le Haut-Canada, lui, demande que l’émigration afflue sur son sol, à quelque nationalité, à quelque religion qu’elle appartienne.

Ce n’est pas là le seul exemple d’intelligence, de libéralité et de sentiment du progrès que nous donne cette province-sœur, depuis qu’elle a le bonheur de ne plus être traînée avec nous à la remorque du monde.

Elle a réduit à un chiffre insignifiant le sens électoral et les conditions d’éligibilité ; elle vient de refuser toute subvention du gouvernement pour les écoles sectaires, consacrant ainsi le principe de la séparation absolue de l’Église et de l’État, et elle est sur le point d’adopter un système d’éducation supérieure universitaire, c’est-à-dire libre.

À propos de M. Havin, directeur politique du Siècle de Paris, le grand prêtre, comme on l’appelle, les journaux canadiens ont tous reproduit avec emphase et triomphe, d’après un petit article arrangé pour la circonstance par un journal clérical de France, que M. Havin était mort administré et tout prêt à être lancé dans l’autre monde, après avoir confessé ses erreurs.

Or, le fait, le fait véritable, est que M. Havin est mort d’une congestion cérébrale qui a duré huit jours sans qu’il pût reprendre ses sens, sans qu’il pût même reconnaître personne, malgré les efforts répétés de Mme Havin, qui, malade elle-même, s’était fait porter auprès du moribond.

La forte constitution de M. Havin a lutté huit jours durant contre la mort ; mais le cerveau avait cessé de fonctionner.

La Minerve elle même se charge de nous apprendre que M. Havin, pris d’une fièvre mortelle à la suite d’un échec électoral, a été jusqu’à sa mort dans un délire continu, pendant lequel il ne cessait de répéter « cinq cents voix de majorité, cinq cents voix de majorité ! »

Si c’est là la confession de M. Havin, je comprends qu’on l’ait promptement absous.

Il m’est venu une réflexion. Si j’enseignais une doctrine, il me semble que j’aurais honte de recruter des adhérents parmi ceux que leur esprit affaibli met hors d’état de rien juger ni comprendre. Je ne me targuerais pas, au contraire je rougirais de ces conversions in extremis qui ne prouvent qu’une chose, c’est que l’homme, à l’heure de la mort, est un être passif, incapable de lutter contre les obsessions, en proie le plus souvent à des terreurs imaginaires dont il se moque dans l’exercice plein de ses facultés, mais, qu’à l’heure de la mort, il n’a plus l’énergie de repousser, n’ayant même plus celle d’exprimer un désir.

Quoi ! voilà une vérité incontestable, révélée ; voilà un enseignement qu’on appelle divin, et on ne peut le persuader qu’à des mourants qui ne comprennent pas ?

Voilà un homme qui se sera moqué de vous pendant soixante ans, qui vous aura confondus dans toutes les polémiques, et vous triompherez de le voir pendant cinq minutes résigné à vous entendre, parce qu’il ne sait même pas ce que vous lui voulez !

Vous êtes donc à bout de moyens pour que votre doctrine, pour que votre voix n’aient d’ascendant qu’au milieu des râles !

Lorsque John Surratt, poursuivi pour complicité dans l’assassinat de Lincoln, échappa à la police américaine, il vint se réfugier à Montréal. Un prêtre de l’évêché, M. Lapierre, le prit sous sa garde et le cacha deux mois dans une maison de cette ville. Menacé d’être découvert, il le confia aux soins du curé de Belœil, M. Boucher, qui le garda, renfermé dans une chambre de son presbytère, pendant plus d’un mois, après quoi il le conduisit, travesti, transformé, à bord du Peruvian qui partait pour l’Europe.

En route, Surratt raconta tous ces détails au docteur McMillan, de Sweetsburg, en qui il croyait trouver un complice ou un protecteur, puisque le curé Boucher le lui avait recommandé. Mais arrivé à Liverpool, McMillan alla dénoncer Surratt, qui réussit à s’échapper encore, comme on sait.

Revenu au Canada, McMillan raconta ces faits, comparut même en cour à Washington, où il donna les plus minutieux détails qu’il avait appris de la bouche même de Surratt. Alors, M. l’abbé Boucher écrivit contre lui des articles dans la Minerve, où il le qualifiait de parjure, d’homme sans honnêteté, de médecin exerçant une pratique criminelle…

M. McMillan fit aussitôt faire une enquête qui ne tarda pas à le laver des odieuses accusations que M. le curé avait imaginées pour le besoin de sa cause, et il fit de plus condamner le dit M. le curé à 200 dollars de dommages-intérêts pour calomnies.

Si le docteur McMillan était tel qu’on le représentait, M. le curé Boucher eût pu lui fournir des cas de source non équivoque, dit la rumeur : car il parait que ce curé en a fait de jolies à Belœil.

Étant allé l’an dernier à Portland avec deux autres curés du diocèse de Montréal, habillés en laïques et portant de faux noms, au moment où il s’amusait le plus avec ses joyeux camarades qui s’étaient complètement déboutonnés, n’a-t-il pas la déveine de tomber nez à nez avec une jeune fille qu’il avait très-intimement connue, et qui se trouvait alors servante de l’hôtel où étaient descendus saintement les trois curés pour faire des conversions, c’est-à-dire pour changer les bouteilles pleines en bouteilles vides.

Comment ! s’écria-t-elle, c’est vous, M. le curé, c’est vous, ici, dans cet attirail… ah ! elle est bonne !…

— Moi, M. le curé ! Qui ça… qu’est-ce,… que… vous, mais… je… ne suis pas… soyez cert… ah !

Et le lendemain, de fort bonne heure, M. le curé décampait, tel qu’il appert en détail, fort au long, dans le procès de Surratt qui a eu lieu dernièrement à Washington, M. le curé Boucher étant témoin ; procès que j’ai en ma possession, imprimé très bellement, en 2 volumes, petit in-octavo, couvert bleu, sans indulgences y attachées, car il n’y a que des vérités dedans.

Ces deux volumes m’ont été envoyés par le gouvernement de Washington, avec lequel je suis en relations très-suivies, et je les déclare authentiques.

Maintenant, M. le curé Boucher ou M. l’abbé Lapierre, n’importe, voudront-ils bien me rendre le service de faire faire une petite enquête sur tout ce que je dis là ?


CORRESPONDANCE


M. le Rédacteur

J’arrive du comté de Verchères, où j’ai passé quelque temps pour les affaires d’une certaine maison de notre ville. Figurez-vous ce que j’y ai vu. Il paraît que M. Desautels, curé de Verchères, (quelques-uns l’appellent Monseigneur, je ne sais diable pas pourquoi), étant dernièrement en Europe, tout épris d’amour pour ses bons habitants, se serait passé la fantaisie de leur acheter un saint de cire. Il est aussi vieux que Notre Seigneur, dit-on. Arrivé avec son trésor à Varennes, les habitants le refusent, vu que leur paroisse est sous le patronage du beau sexe. Grande consternation ! On verse des pleurs. Le curé s’aperçoit de sa sottise.

S’il eut pris une sainte, tout allait bien. On vend le saint à la paroisse de Verchères pour $200, c’est-à-dire que le curé de Verchères l’a acheté. Il a pris l’argent dans la caisse publique pour le payer. Il doit rembourser par des quêtes qu’il fera… On progresse, on progresse, que diable ! J’espère bien que, dans quelques années, chaque paroisse aura sa demi-douzaine de saints des deux sexes. Dites donc, à présent, qu’on ne vit pas bien en Canada. J’ai cependant observé dans le comté de Verchères une chose qui me fait croire que l’ombre des saints ne donne pas à manger ; car il se fait là une émigration effrayante vers la Nouvelle Angleterre. Lors de mon séjour dans le comté, chaque steamer emportait des familles entières du côté des États-Unis, pays que la Providence a maudit en le comblant de richesses.

Un Voyageur

Derniers détails sur le saint importé à Varennes.

Il s’appelle St Vital : il est parfaitement ciré, et il a déjà fait un miracle.

Une brave femme, souffrant d’un œil, est allée lui frotter le mollet avec un bouquet, puis s’est passé le bouquet sur l’œil.

Elle en a éprouvé un grand bien.

Je prédis à St Vital qu’il paiera avant longtemps et au centuple ses frais de transport et d’installation.

RECTIFICATION

Dans le No 4 de la Lanterne, j’ai dit que le collège Morrin, de Québec, avait été fondé moyennant un legs de 8000 dollars laissé par le docteur Morrin.

C’est beaucoup plus de 8000 dollars qu’a légués le docteur Morrin. Mais cela n’empêche pas que le legs a été fait par un protestant. Jamais le collège ne se lavera de cette tache originelle.

Les protestants, voyez-vous, je ne peux pas les voir en face.

Si le legs avait été fait à une institution catholique, oh alors ! c’était différent, tellement différent que c’eût été comme s’il n’y avait pas eu de legs du tout.

À ceux qui nient le progrès, je répondrai par cet extrait de Chamfort.

« La loi de Moïse condamnait à mort la femme adultère ; chez les Égyptiens, on lui coupait le nez ; par la loi Julia, chez les Romains, on lui coupait la tête ; aujourd’hui, en France, quand une femme est surprise en flagrant délit, on se moque de son mari. »

Dans cinquante ans, on fouettera le mari que sa femme aura trompé. Dans cent ans, on le pendra ; à moins que les femmes d’alors consentent à ne plus tromper leurs maris, ce qui serait absurde.

Creusons la terre, éternel tombeau des plus fières espérances. Qu’y trouvons-nous ? des néants entassés, sépulcres sur sépulcres, hécatombes du temps qui seul ne vieillit point. Voilà ce dont est faite la terre qui nourrit l’homme, lui-même une ruine vivante.

St Pacifique a seul échappé à cet anéantissement. Pétris d’une argile surhumaine, ses os ont défié les vers qui s’acharnèrent en vain sur son immortelle carcasse, destinée à embaumer des châsses dans la nuit des siècles.

Que vous faut-il pour être plus frais trois cents ans après votre mort qu’à l’instant où vous sortez d’un bain parfumé, les lèvres encore humides de l’élixir du docteur Mathieu ?

Avoir été dangereusement malade et revenir promptement à la santé, ce qui constitue un miracle certifié par votre médecin qui, ne comprenant rien à votre maladie, ne peut expliquer une guérison qu’il a tout fait pour rendre impossible : voir en songe des anges et des madones vous apparaître dans des nuages célestes, avec des couronnes à la main (ceci démontre que les anges ont des mains, car dès lors que Dieu vous envoie des visions bienheureuses, il est à supposer qu’il est sincère et vous fait voir les choses telles qu’elles sont) ; être tous les matins dans un endroit exposé de l’église, vous frappant bruyamment la poitrine et poussant des gémissements ; faire un voyage dans les Indes où tous les pays sont encore idolâtres ou mahométans, malgré que François-Xavier en ait converti cinquante-neuf ; assassiner comme Beauregard, si vous voulez mériter des Lettres Pastorales et être appelé un des élus du Seigneur, parce que vous serez mort en prononçant le nom de Jésus et en donnant des petites images à votre frère ; mentir, calomnier effrontément et sans mesure, pourvu que vous ayez les mains jointes et les yeux levés vers le ciel…

Généralement ce sont les vieilles filles qui ont les meilleures méthodes de sainteté. Arrivées à cinquante ans, elles ont une aversion insurmontable pour les amours mondains et ne veulent plus être les épouses que de Jésus-Christ. C’est pour elles qu’on a imaginé spécialement la neuvaine à Sainte Thérèse dans ce style : Premier jour. « Notre très-aimable Seigneur. Deuxième jour. Notre très-miséricordieux Seigneur. Troisième jour. — Notre très-aimant Seigneur. Quatrième jour. — Notre très-doux Seigneur. Cinquième jour. — Notre très-bon Seigneur. Sixième jour. — Notre très-libéral Seigneur. Septième jour. — Notre très-amoureux Seigneur. Huitième jour. — Notre bien aimé Seigneur. Neuvième jour. — Notre très-cher Seigneur. »

Au 19e siècle, époque de civilisation et de mœurs adoucies, il n’est plus nécessaire, pour être saint, de se flageller, de porter des cilices, d’attendre dans les déserts qu’un corbeau vous apporte un pain tous les jours (ces corbeaux étaient plus forts que ceux du Canada), ou enfin de rester planté sur une colonne pendant soixante-huit ans, comme St Siméon stylite, le jeune.

« La vertu n’est pas une fâcheuse, dit le révérend père Lemoine, dans son livre de la Dévotion Aisée ; il y a eu des saints pâles et mélancoliques ; ceux d’aujourd’hui sont d’une complexion plus heureuse ; ils ont abondance de cette humeur douce et chaude, de ce sang bénin qui fait la vie. »

Ainsi, soyez d’humeur douce, soyez bien docile et soumis, un des 99 moutons ; ayez le sang et l’esprit bénin, dites en parlant des prêtres : « notre digne clergé qui a fait tant de sacrifices pour… s’enrichir, » mais gardez-vous, gardez-vous de n’être pas amoureux fou des Jésuites.

Un autre bon moyen, c’est de réciter tous les jours trois ou quatre pages du « Rosier de Marie » ; récitez de préférence la page où vous lirez ceci : « Marie est une beauté très-ancienne (ce qui est le contraire des autres créatures qui, en devenant anciennes, perdent leur beauté). Elle a existé en Dieu, éternellement. Le Seigneur a vu que la chair et le sang de Marie passaient dans l’humanité de son Verbe et seraient divinisés dans sa personne, et que, dans un vrai sens, elle ne serait plus distincte de son Dieu. Marie fut l’objet, de la part d’Adam et d’Ève, d’une grande dévotion, et ils la transmirent à leurs enfants. Les hommes spirituels lui rendirent un culte d’amour, dès les premiers âges du monde. »

Quand on est pénétré de ces vérités, on a toutes les connaissances nécessaires pour être un rédacteur de l’Ordre.

Le Nouveau-Monde dit : « La créature tend à se mettre à la place de Dieu pour satisfaire les convoitises qui la dévorent. »

Donc Dieu est rempli de convoitises.

Et plus loin. « La société est constituée sur le principe chrétien ; c’est-à-dire l’homme à la base, et Dieu au sommet. »

Mauvaise construction, mon ami ; le sommet écrasera la base ; ça ne pourra jamais tenir. Gare là-dessous.

Quelques personnes bienveillantes disaient l’autre jour : Vous verrez Buies à son lit de mort, comme il changera !

Je souhaite que ces personnes n’aient pas raison ; mais j’envisage un destin horrible. Je mourrai, je le crains, comme j’aurai vécu… en tirant le diable par la queue.

Je ne conseille pas à tout le monde de mourir, ni surtout de vivre de cette façon-là.

La Gazette des Campagnes, journal qui fait de l’agriculture catholique, annonce à ses abonnés qui paieront avant le 30 novembre, qu’elle leur enverra en prime un paquet d’avoine.

C’est ça. L’an prochain, elle leur enverra une botte de paille. La Gazette des Campagnes comprend qu’il faut être franc avec ses abonnés et leur témoigner les égards qui leur sont dus.