La Lanterne en vers de couleur/Trahison
La Lanterne en vers de couleur, (p. 10).
TRAHISON
Sonnet, c’est un sonnet.
Plus suant qu’un fellah, plus rouge qu’une fraise,
Le foulard à la main, je courais le marché
Lorsque je t’aperçus, majestueux, obèse,
Melon insoucieux dans la paille couché !
Le soleil te cuisait, et tu te crevais d’aise,
Et tes côtes saillaient, monstre au sol arraché,
Comme les durs biceps de l’Hercule Farnèse,
Ou comme un sein flamand par Rubens ébauché !
Tu me stupéfias ! — Puis j’abordai ton maître.
Longtemps, de part et d’autre, en juif, on t’insulta ;
Mais je fis briller l’or… et le lâche accepta !
Et le soir, au moment où mon plat allait être
Un autel inondé des flots de ton sang pur,
L’acier grinça trois fois : — « Il n’est pas assez mûr !! »