La Lanterne magique/72
C’est le samedi soir, après minuit déjà passé. Depuis le matin, la mère du Diable a travaillé comme un nègre, car c’est ce jour-là qu’elle a son grand tracas de ménagère. Elle a achevé de repasser et de plier son linge, et elle l’a rangé avec de l’iris dans les grandes armoires. Elle a récuré ses broches avec du sable, ses casseroles de cuivre jaune et de rosette avec du tripoli, ses casseroles de fer battu avec du blanc d’Espagne, et ensuite avec l’eau de sa lessive elle a lavé le pavé des salles, qu’elle a essuyé à mesure avec sa grosse éponge. Maintenant, elle s’occupe de son fils le Diable qui, bien qu’il soit fort vieux, lui fait toujours l’effet d’un enfant.
Elle l’a fait asseoir sur un petit escabeau, et elle lui peigne ses rouges cheveux avec un peigne de corail. Habituellement, le Diable subit cette opération avec la plus intime volupté ; mais cette fois, au contraire, il est agité par des tressaillements, et de longs sanglots s’échappent de sa poitrine convulsée. La vieille dame sait bien pourquoi ; c’est que son fils s’est épris sur le tard d’une mince diablesse verte, qui lui fait toutes les misères possibles.
— « Eh bien ! dit-elle, mon pauvre petit, cette cruelle Tara t’a donc donné encore bien du fil à retordre ?
— Ah ! maman ! » soupire le Diable, et en entendant ce doux mot qui caresse son vieux cœur, la dame sent au coin de son œil quelque chose comme un pleur qu’elle va verser. Elle ne le verse pas, parce que jamais ces gens-là ne pleurent ; mais enfin, pendant la millième partie d’une seconde elle a eu les affres, le chatouillement, l’espoir et la délicieuse illusion — d’une larme.