La Lanterne magique/87

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 135-136).
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Huitième douzaine

LXXXVII. — IDYLLE

Les oies marchent en troupeau, irrégulièrement, levant leurs becs orangés, ébauchant des mouvements dont elles ont tout de suite oublié la cause, et faisant des plans chimériques pour passer à travers les haies bien bouchées. Derrière elles, dans le plein soleil, cuite, fauve et superbement éclairée, vient la petite gardeuse d’oies, vêtue de frustes haillons bleus et droite comme un I, sans rien de ce qui fait la visible gloire de la femme, et cependant noble et hiératique par la simplicité même de sa construction.

Elle est si mince et si droite qu’elle pourrait servir de thème à un I, pour un de ces journaux à images qui commencent leurs articles par des lettres ornées. Ses pieds nus brillent dans le sable de la route, jaunes comme des topazes ; elle sourit vaguement de ses lèvres sans couleur, et elle fixe sur les bêtes ses yeux surnaturellement clairs et profonds comme un pâle ciel. Elle pousse les oies au blanc plumage, initiale et majestueuse elle-même comme une oie, et devant elle, comme pour célébrer sa beauté enfantine, de dessus un tas de cailloux érigé par l’administration des ponts et chaussées, une alouette s’envole et monte dans l’air charmé, en modulant éperdument sa jolie chanson triomphale !