La Lanterne magique/90

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 138-139).
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Huitième douzaine

XC. — SCIENTIA

Déjà las de la lutte, émacié, pâle et jaune, l’artiste Paul Héras est étendu dans un grand fauteuil de tapisserie. Il sent que la maladie l’a touché de son doigt cruel, et pourtant il voudrait vivre, pour sa chère femme fidèle, et pour ses petits, qui ont besoin encore de la becquée. En face de lui, chevauchant une fumeuse, papillonne, bavarde et s’admire son médecin Guy de Macroton, jeune, évaporé, las, revenu de tout, serré, ficelé, charmant. Sa coiffure où, comme Caussidière, il a fait de l’ordre avec du désordre, est un chef-d’œuvre ; sa légère barbe voltige autour de son visage rosé ; son complet d’une étoffe tendre, dans laquelle courent des raies bleu tendre et d’imperceptibles raies d’un rouge rose, le font ressembler à une libellule. Guy fume un énorme, un invraisemblable cigare d’un jaune verdâtre qui, lui-même, semble fatigué par les veilles, et il regarde son malade avec une indifférence qui, à force d’intensité, devient touchante.

— « Eh bien ! cher ami, que pouvez-vous pour moi ? dit tristement Paul Héras.

— Peuh ! fait dédaigneusement le jeune praticien, entre nous, cher, l’hygiène, les soins, la distraction, voilà le fond de l’affaire ! Pourtant, si vous avez du goût pour une médication quelconque, ne vous gênez pas. Le bromure et le salicylate sont fort à la mode, et je connais de fort honnêtes gens qui sont fous des piqûres de morphine. Ou bien, avez-vous envie d’aller à quelques eaux thermales ? Oh ! mon Dieu ! n’importe lesquelles ; je ne suis pas là pour vous contrarier. Mais avant, de partir, vous viendrez à ma crémaillère ; on inaugure mon petit hôtel ! Oh ! cher, quel amour ! Pas un meuble. Rien que des tentures, des tapisseries, des éventails et des brûle-parfums. Et je reçois mes malades, non dans un cabinet de travail encombré de livres, mais dans un boudoir vert-pomme où il y a un aquarium en glaces roses, avec des poissons chinois : est-ce assez moderne ! Oui, vous verrez ! à moins que d’ici-là… Mais, au fait, pourquoi diable ne guéririez-vous pas ? Les maladies ne sont pas si méchantes qu’on les fait, et il n’y a pas de raison pour qu’elles ne se guérissent pas… si on les laisse tranquilles !