La Lanterne magique/91

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Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 140).
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Huitième douzaine


XCI. — LA PETITE AMIE

Comme le poète Raoul Tavan avait encore trois sous, il a acheté un petit pain très bien cuit, parfaitement brûlé, et dans la boîte de cuivre du charcutier, brillante comme le bouclier d’Ajax Télamonien, il a choisi une saucisse brûlante ; puis il a savouré dans la rue, en se promenant, ce confortable repas. Maintenant, pour goûter le plaisir de la buverie, il s’est installée devant une fontaine Wallace, et il tend la tasse de fer sous le clair filet d’eau qui coule. Mais dans ce filet d’eau irisé par un rayon de soleil, a soudainement paru, mince, anémique, bien parisienne, pâle et souriante avec des yeux battus, une petite Naïade, un peu honteuse de ses souliers de plomb, qui murmure et souffle au poète de belles gammes de rimes. Raoul Tavan boit la tasse d’eau et s’en va, réconforté, heureux, maître du monde, (car il a dans sa poche de quoi faire une très petite cigarette !) cependant qu’à travers les trous de ses souliers tout déchirés et riants, une brise errante caresse et rafraîchit délicieusement ses pieds légers.