La Leçon d’amour dans un parc (1920)/8

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy (p. 61-67).
◄  VII
IX  ►

VIII

arrivée de mademoiselle de quinconas et son installation. ce que jacquette apprend tout d’abord, du fait de sa gouvernante.


La gouvernante arriva un beau jour de septembre, à la tombée de la chaleur, dans un carrosse poudreux que le marquis avait envoyé, tout exprès, au-devant d’elle, jusqu’aux Ponts-de-Cé.

Les hôtes du château étaient cachés dans une grande pièce aménagée en lingerie, donnant sur la cour, afin d’avoir l’œil sur la Quinconas au moment où elle mettrait pied à terre. Seules, Ninon et madame de Châteaubedeau l’attendaient au salon. Le marquis s’avança dans la cour, en rejetant du coin de la semelle les marrons tombés, avec leur coquille épineuse à demi éclatée, dans les petites rigoles, entre les pavés ventrus ! et arrivé au porche d’entrée, il regarda sur la route de Saumur, la main en abat-jour et la figure grimaçante, à cause du soleil qui se trouvait bas, juste en face. On remarqua soudain qu’il rajustait sa perruque et faisait des pichenettes sur son jabot, d’où l’on augura que la voiture était en vue et que le marquis se souvenait du portrait avantageux que madame de Châteaubedeau avait tracé de la gouvernante.

Le bon Fleury, le cocher, eut, en faisant tourner les chevaux dans la cour, un clin d’œil qui en disait long sur l’effet que lui avait produit la voyageuse. Celle-ci était aussitôt par terre, très simplement, très vivement, avant que Foulques fût là pour lui présenter la main.

L’avis de la lingerie fut unanime : la nouvelle venue était quelconque. Cependant M. de la Vallée-Malitourne, — qui n’avait rien vu parce qu’on l’avait posté près de la porte, en sentinelle, — ayant ouvert, avec son ordinaire malchance, juste de façon à se trouver nez à nez avec mademoiselle de Quinconas, réapparut en se baisant le dessus de la main et disant que la nouvelle venue avait la bouche la plus affriolante. Son frère Chourie se précipitait et, simulant sur ses reins une jupe amplement rebondie :

« — Oh ! dit-il, la gouvernante fournit, sans doute, elle-même la mappemonde !… »

Il n’en fallait pas plus pour que celle à qui l’on trouvait du même coup d’aussi grandes qualités aux antipodes eût contre elle toutes les femmes présentes.

On lui donna les appartements de feu M. Lemeunier de Fontevrault, un peu surannés quant aux tentures mais spacieux et commodes, situés au rez-chaussée, vis-à-vis un petit parterre, au couchant, bien planté et tenu frais. Le marquis tint à l’y accompagner, pour lui faire honneur, cela va sans dire, et lui énumérer tout de suite et point par point ses instructions.

Jacquette, enorgueillie de valoir, à elle seule, un si grand remue-ménage, s’amusa seule dans le parterre, en attendant, après avoir vu Fleury dételer les chevaux. Elle marchait avec précaution dans les sentiers étroits garnis d’un sable fin soigneusement ratissé, entre les bordures de buis, puis jetait un regard en arrière pour voir la trace de ses chaussures, pareille à un semis de points d’exclamation. Elle piqua tout à coup dans le sol un de ses talons et tourna sur elle-même, comme un toton, fermant un œil toutes les fois qu’elle se heurtait au rayon de soleil qui venait par l’allée des fontaines et semblait mettre le feu aux panaches des marronniers. Ce rayon atteignit bientôt les vitres des appartements de la gouvernante, et Jacquette se plut à imaginer que l’ancienne chambre de M. Lemeunier de Fontevrault était bondée de pots de confitures de groseilles, et elle eût bien voulu y regarder de plus près ; mais c’était difficile. Alors elle trouva le temps long et s’ennuya.

Les pigeons exécutaient autour du château la dernière ronde du jour, et le parc entier retentissait du ramage des oiseaux. Puis tout cela s’apaisa d’un coup : les pots de confitures fondirent, la belle lumière s’envola, et tous les bruits avec elle. On pouvait distinguer le pas menu d’un chat qui se brûlait les pattes au bord du toit, en courant sur les rigoles de plomb échauffées.

Jacquette en revint toutefois à son idée, qui était de regarder par les fenêtres de la gouvernante, et elle appela, dans ce but, le chevalier Dieutegard qui s’en allait tout seul vers les bassins, en rêvant, au coucher du soleil, selon sa coutume. Jacquette le tenait en une estime particulière, parce qu’il affectionnait les étangs, les fontaines et le bord du fleuve, hantés, au dire de sa nourrice, par des génies redoutables, et elle le soupçonnait de commercer avec les fées.

Il interrompit sa promenade à la prière de sa jeune amie et pénétra dans le parterre en enjambant la clôture. Il s’agissait de descendre dans le fossé à demi comblé et de se dresser au long de la muraille, avec Jacquette sur les épaules à l’endroit où une giroflée croissait entre les pierres. La petite surprendrait ainsi mademoiselle de Quinconas ; on rirait de part et d’autre, et ce serait une jolie façon de faire un peu connaissance.

Le chevalier se prêta volontiers à ce caprice d’enfant, et Jacquette, ayant essuyé la semelle de ses souliers sur l’herbe du fossé, escalada le dos d’un habit feuille morte, qui était renommé pour fournir le ton exact des pensées du chevalier Dieutegard. L’habit se tendit : les petits pieds gazouillèrent sur la soie et s’établirent le plus fermement possible de chaque côté du col. Le chevalier serrait prudemment contre ses paumes les fins mollets de mademoiselle de Chamarante.

Tout d’abord, Jacquette ne vit rien que l’allée des fontaines, les marronniers et un petit bout de clocheton du colombier, qui se reflétait dans la vitre ; mais, en appliquant bien les mains sur chaque tempe, elle distingua les moulins brodés sur les tentures, puis du linge blanc, une robe au dossier d’une chaise, un guéridon portant la boîte à poudre, et soudain Thérèse, la femme de chambre, qui parut et disparut, tirant à soi le linge qui courait après elle, dans cette pièce assombrie, comme un fantôme. Un rai de lumière jaillit vivement et s’évanouit, mouvement d’une psyché, sans doute. Enfin il fut possible de reconnaître mademoiselle de Quinconas, tout au fond, sur la droite, quasi dissimulée par une grande ombre. Elle se prélassait dans la bergère à oreillettes, toute coiffée, mais la gorge nue, qu’elle garantissait pudiquement à deux mains, sans y parvenir, car elle l’avait forte ; puis, s’adossant au siège incliné, elle confiait à Thérèse le soin de tirer ses caleçons. À ce moment la grande ombre bougea, et le dos du marquis couvrit mademoiselle de Quinconas. Alors Jacquette vit de ses yeux et entendit de ses oreilles que la gouvernante souffletait vigoureusement Monsieur son père.

« — Êtes-vous satisfaite, mademoiselle ? » demandait sous elle, et sans penser à mal, le chevalier Dieutegard.

Elle le pria de la déposer à terre et, quand elle fut dans le fossé, lui raconta fidèlement ce qu’elle avait vu.

Il en fut chagrin.