La Lycéenne/Acte I

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 ; Musique de Gaston Serpette
Paul Ollendorff (p. 1-48).
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ACTE PREMIER

Le théâtre représente la salle à manger des Bichu. Le décor est à pans coupés. Portes, pan coupé de droite et de gauche. Salon dans le fond, que l’on aperçoit dans une glace sans tain. De chaque côté de la glace, baies communiquant avec le salon. (Salon et salle à manger illuminés.) Une grande table servie, au milieu de la scène. — À droite, premier plan, une table recouverte d’un tapis vert. À gauche, premier plan, une cheminée. Au lever du rideau, tout le monde est à table. On est au dessert, au moment des toasts. La gaîté règne à la table du repas.


Scène première

SABOULOT, ALEXANDRIN, BICHU, MADAME BICHU, FINETTE, BERTHE, ALICE, Invités, Invitées, FIRMIN.
Madame Bichu occupe le milieu de la table avec Saboulot à sa droite, Finette à sa gauche, Bichu lui fait vis-à-vis, le dos tourné au public. À la droite de Saboulot, Alice qui est voisine d’Alexandrin. Berthe, de l’autre côté, est séparée de Finette par un invité ; de chaque côté de Bichu, dos au public, invités et invitées. — Au lever du rideau, Alexandrin est debout à sa place, il est en train de porter un toast en vers… Il vient de terminer une période et tout le monde applaudit.
Tous.

Bravo ! Bravo !

Alexandrin, fort accent marseillais
––Toi, chaste et belle enfant, apporte à ton époux
––Ta candeur virginale et ton amour jaloux.
––Et toi, l’époux, tu sais, plus de batifolage !
––Adieu la courtisane avec le mariage !
––Il en est temps encore, mais il faut y penser…
––À partir de la noce, on ne peut plus nocer.
Tous.

Bravo ! Bravo !

Alexandrin, à madame Bichu.
––Et toi, sèche ta larme, ô ! mère de famille !
––Ne vas-tu pas pleurer d’avoir casé ta fille ?
––Tu peux avoir gros cœur de la quitter sitôt,
––Mais le mal n’est pas grand et dis-toi : "Ça le vaut !"
Tous, ahuris.

Hein ?

Alexandrin, reprenant rapidement.
––Ça le vaut, car le ciel, rien qu’en cette journée,
––Va de leurs deux destins faire une destinée,
––Aussi je n’ai qu’un vœu, quand je vois votre hymen ;
––Je vous dis : « Mes enfants, ah ! buvons au prochain. »
Tous.

Ah ! charmant, bravo !

Saboulot, se levant sans quitter sa place.

Ah ! mon cher poète, merci ! C’est très gentil ça !… un peu lugubre, par exemple… Vous êtes un peu pressé de boire à notre prochain mariage… Mais à part ça, c’est très bien.

Madame Bichu, minaudant.

Et comme on voit tout de suite que c’est en vers !

Saboulot.

Comme Victor Hugo.

Bichu
Eh ! mon Dieu, qu’est-ce qu’il a fait de plus, Victor Hugo ?
Saboulot.

Il a eu la chance de s’appeler Victor Hugo, voilà tout.

Alexandrin.

Voilà tout.

Saboulot.

Et vous vous appelleriez Victor Hugo, que vous seriez un très grand homme…

Alexandrin.

Enfin, n’est-ce pas qu’il y a là dedans un certain souffle ? Vous n’avez pas senti mon souffle ?

Saboulot.

Oh ! vous savez, de ma place… Est-ce que vous avez remarqué, madame Bichu ?

Madame Bichu.

Je suis très enrhumée.

Alexandrin.

Eh ! non, je veux dire que j’y ai mis un certain assent.

Saboulot.

Ah ! parbleu ! si je l’ai remarqué… l’accent du midi.

Alexandrin, à Finette.

Et vous, mademoiselle Bichu,… non, future madame Saboulot ?

Madame Bichu.

Finette, on te parle… Ne mets pas ton coude sur la table.

Finette, brutale.

Quoi ?

Alexandrin.

Ça vous a-t-il fait plaisir, ces vers que je vous dédie ?

Finette, même jeu.

Moi, je ne sais pas !… Je n’ai pas écouté.

Alexandrin, interloqué.

Ah ! vous ne…

Finette.
Non les vers, je trouve ça idiot, n’est-ce pas, Alice ?
Alice.

Oh ! oui !

Tous.

Ah !

Madame Bichu, vivement.

Finette… voilà une façon de répondre !

Finette.

Tiens, c’est lui, qui demande…

Madame Bichu.

Qui lui ?

Finette.

Eh ! bien… lui… Chose ! M. Alexandrin… Il me demande comment je trouve ses vers… Il n’a qu’à ne pas me le demander.

Madame Bichu.

En voilà une raison ! Quand un ami vous lit des vers qui vous ennuient, on doit dire : « Ah ! c’est charmant ! » Tu as vu comment nous avons tous répondu ! Excusez-la, monsieur Alexandrin… Elle a encore la simplicité de l’innocence.

Alexandrin.

Mais, madame Bichu, je vous en prie.

Bichu.

Elle sort à peine de la pension, ou elle a reçu une brillante éducation.

Alexandrin.

Ça se voit.

Finette.

Je sors même de plusieurs pensions. Je n’ai jamais fait que ça, moi, sortir de pension. Dès que j’y entrais, c’était bâclé… (Elle fait avec ses mains le signe de flanquer à la porte.) Ah ! je suis un tempérament !

Madame Bichu.
Finette !
Finette.

Il paraît que mon caractère est incompatible avec la discipline.

Saboulot.

Bigre !

Madame Bichu.

Finette, tu es insupportable, tu n’as pas besoin de dire ça au dîner du contrat.

Bichu, se levant.

Tenez, si vous voulez bien, nous irons prendre le café dans le salon voisin. (Appelant Firmin.) Monsieur ! monsieur !… avez-vous servi le café ?

Firmin.

On va le servir, monsieur. Je demande pardon à monsieur, si le service laisse un peu à désirer, mais j’avais commandé un maître d’hôtel d’extra, à la maison Bidoche, et il m’a fait faux bond ; alors !…

Bichu.

Mais comment donc monsieur, comment donc !…

Saboulot.

C’est votre domestique que vous appelez, monsieur ?

Bichu.

Oui, je lui dois des égards… Il donne un vernis littéraire à ma maison… C’est un ancien prix d’honneur de Charlemagne.

Saboulot, se levant et allant serrer les mains à Firmin.

Lui, allons donc ?… (À Firmin.) Mes compliments, mon cher.

Firmin.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Saboulot.

Prix d’honneur de Charlemagne, vous sortez de Charlemagne ? Moi aussi ! Ah ! que c’est cocasse ! Un copain ! En quelle année y étais-tu ?

Firmin.
En 59 et 60 !
Saboulot.

Mais moi aussi, l’année où Choquart… Tu as connu Choquart ?

Firmin.

Parbleu !

Saboulot, aux convives.

Il a connu Choquart, mes amis.

Tous.

Il a connu Choquart !

Saboulot, à Firmin.

L’année où Choquart s’est fait flanquer à la porte pour avoir introduit des petites dames dans le dortoir… Ah ! quelle nuit, hein ?

Firmin.

Ah ! hein ! tu y étais ?… Euh ! tu permets que je te tutoie ?

Saboulot.

Va donc, et qu’est-ce qu’il est devenu, Choquart ?

Firmin.

Il a fait son affaire ; il est agent des mœurs.

Saboulot.

Ah ! ce bon… Comment t’appelles-tu déjà ? Je te reconnais bien, mais c’est ton nom…

Firmin.

Firmin Badol.

Saboulot.

Comment, c’est toi Firmin Badol ? Oh ! bien, je ne t’aurais jamais reconnu. (Aux convives.) C’est Firmin Badol, je le reconnais très bien, ce crétin-là ; il avait tous les prix.

Le monde peu à peu quitte la table, les domestiques commencent à desservir.

Finette.
V’là ses camarades à mon futur époux ! (À Saboulot.) Dites donc, puisque c’est un de vos amis, présentez-moi.
Saboulot.

Non, laissez donc… Vous savez, un ancien camarade, ça me rajeunit.

Finette.

Oh ! alors continuez !

Elle remonte vers Alice et Berthe.

Firmin.

Non, mais c’est drôle, je ne me rappelle pas du tout avoir connu de Saboulot.

Saboulot.

Comment, tu ne te rappelles pas mon nom ! Oh ! que c’est drôle ! Après ça, c’est peut-être parce que je m’appelais Briguet dans ce temps-là, c’était le nom de maman, je l’ai porté jusqu’à ma majorité. Après çà, maman m’a donné celui de mon parrain.

Firmin.

Ah ! Briguet, parfaitement ! Briguet qu’on avait surnommé l’huître parce que tu bâillais au soleil.

Saboulot.

Voilà. Eh bien, moi, tu vois, je me suis voué à l’enseignement. J’étais professeur de physique et de chimie au lycée de Lorient, mais à l’occasion de mon mariage, le ministre vient de me faire nommer à Marmontel, ce nouveau lycée de jeunes filles qu’on vient de construire. C’est un poste de confiance. Tu comprends, on ne peut pas livrer comme ça des jeunes filles. Il fallait un homme incapable…

Firmin.

Alors on t’a nommé !

Saboulot.

Comme incapable de toute idée de libertinage. Voilà !… Ah ! ce bon Badol ! ça me fait plaisir de te revoir. (Changeant de ton.) Et. maintenant que j’ai suffisamment sacrifié aux souvenirs du collège, reprenons nos rangs respectifs. Firmin, voulez-vous me faire le plaisir d’aller servir le café.

Firmin, ahuri revenant à son rôle.
Ah ?… Bien, monsieur.
Bichu.

Allons, la main aux dames.

Saboulot, offrant son bras à Finette.

Venez-vous, ma chère fiancée ?

Finette.

Si je veux venir ? J’irai bien toute seule.

Saboulot.

Parfaitement. (À part.) Elle est gentille, ma fiancée, mais elle est bigrement mal élevée.

Tout le monde gagne le salon du fond, sauf Finette et madame Bichu.


Scène II

MADAME BICHU, FINETTE.
Madame Bichu.

À nous deux ! Tu sais, toi, tu vas me faire le plaisir de te tenir mieux que ça… et d’être aimable avec ton fiancé.

Finette.

Ah ! Bien, il en verra bien d’autres, mon fiancé !

Madame Bichu.

Ça, après, ça vous regarde ! mais avant ton mariage…

Finette.

Il n’est pas encore fait, mon mariage !

Madame Bichu.

C’est ce que nous verrons. Tu n’as pas été prise en traître, n’est-ce pas !… Je n’aurais jamais fait ça moi, parce que les parents n’ont pas le droit de contrarier les inclinations. Aussi, je t’ai consultée ! Je t’ai dit : tu épouseras ce monsieur.

Finette.

Et je t’ai répondu : non.

Madame Bichu.

Et je t’ai fait un pinçon pour t’apprendre à répondre : « non » à ta mère. Tu vois bien que nous sommes d’accord.

Finette.

Oui, comme ça.

Madame Bichu.

Et puis, et puis, ton père et moi, nous voulons ce mariage. M. Saboulot est un savant… un universitaire… et ton père tient à voir sa fille dans l’université.

Finette.

Elle se passera de moi, l’université.

Madame Bichu.

Qu’est-ce que tu lui reproches à M. Saboulot ? C’est un professeur de physique.

Finette.

De physique, il ferait mieux d’en avoir un peu plus et de l’enseigner un peu moins.

Madame Bichu.

C’est un homme sérieux, raisonnable.

Finette.

Il est assez vieux pour cela.

Madame Bichu.

Quoi, vieux ! Ton père est son aîné et je suis bien sa femme.

Finette.

Il est chauve, il porte perruque.

Madame Bichu.

Comme tous les savants, il a le cheveu rare.

Finette.

Oui, alors il le met sous une housse. Je n’aime pas les housses sur les meubles.

Madame Bichu.

C’est bien ! Dis tout de suite que tu ne veux pas te marier, que tu veux coiffer sainte Catherine.

Finette.
Moi, je n’ai pas dit ça ! Seulement, j’ai pu rêver autre chose.
COUPLETS.
I.
––––––Tu connais, maman, le dicton
––––––Quand on parle du mariage :
––––––Ce n’est qu’un jeu, pas davantage,
––––––Un coup de carte, nous dit-on.
––––––Soit, mais c’est un jeu pour la vie !
––––––Ça vaut bien qu’on y pense un peu,
––––––Mets tous les atouts dans mon jeu…
––––––Si je dois risquer la partie.
––––––C’est comm’ça, c’est comm’ça
––––––Que je comprends le mariage.
––––––––Et voilà, et voilà
––––––Comme on est heureux en ménage,
––––––––Oui, voilà, voyez-vous ! (bis)
––––––––Comment on trouve un bon époux.
II.
––––––Quoi, je serais l’autre moitié
––––––De cette moitié ridicule.
––––––Ah ! maman, comprends qu’on recule…
––––––Moi, sa femme, ça fait pitié !
––––––Le premier point est de se plaire,
––––––Quand on veut un ménage heureux,
––––––Et l’on n’a qu’un couple boiteux
––––––Si les deux ne font pas la paire,
––––––C’est comm’ça, c’est comm’ça
––––––––––––––Etc., etc.
Madame Bichu.

Eh ! tu ne sais pas ce que tu dis ! Est-ce que tu peux savoir, à ton âge ?… Moi je te réponds que tu épouseras Saboulot.

Finette, colère.
Non, non, non, là.

Scène III

Les Mêmes, BERTHE, ALICE.
Berthe.

Ah ! tu es là, Finette ?

Alice.

Nous t’attendions au salon.

Finette.

J’allais venir, seulement c’est maman qui fait de l’autocratie.

Madame Bichu.

C’est elle qui est une petite sotte.

Alice, bas à Berthe.

Oh ! il y a de l’orage.

Madame Bichu.

Aussi colère qu’entêtée. Ma parole d’honneur, tu tiens de la mule et du dindon.

Finette, faisant la révérence.

Vous n’êtes pas aimable pour ma famille.

Madame Bichu, exaspérée.

Voilà comme elle me répond, ma fille… ma fille que j’ai été seule à porter dans mon sein ! Ecoute, je t’avertis que si tu n’épouses pas M. Saboulot, je te flanque sur-le-champ dans son collège. Oh ! tu as beau hausser les épaules, au collège Marmontel où tu resteras jusqu’à ta majorité.

Alice et Berthe.

À notre collège.

Finette.

Oh ! ça m’est bien égal !

Madame Bichu.

Eh bien ! c’est ce que nous verrons ! Je t’engage à réfléchir et je compte sur vous, Berthe et Alice, sur votre bonne influence, pour la ramener à la raison !

Alice et Berthe.

Oui, madame.

Madame Bichu.

Saboulot ou le collège !

Elle regagne le salon.


Scène IV

Les Mêmes, moins MADAME BICHU
Alice, allant vivement, ainsi que Berthe, à Finette sitôt le départ de madame Bichu.

Dis donc, j’espère que tu ne vas pas faiblir.

Berthe.

Si tu cédes, tu es perdue.

Finette.

Merci, mes amies, de me soutenir. Ah ! non, je ne faiblirai pas. Epouser Saboulot ! Ah bien, j’aimerais mieux prendre le voile toute ma vie, prendre le voile au collège, D’ailleurs, je me charge bien d’en sortir du collège. En attendant, mon mariage ne se fera pas.

Berthe et Alice.

Non !

Finette.

D’abord, je n’en ai pas le droit, mon cœur est pris, j’aime. (Prononcer j’eime.)

Berthe et Alice.

Toi ?

Finette, avec admiration,
Oui, un homme superbe ! C’est pas un homme de science, lui, c’est un homme de couleurs.
Alice.

Un nègre ?

Finette

Non, un peintre, un artiste ! Il s’appelle Apollon Bouvard. Je l’ai connu à la pension.

Berthe.

Vous aviez des garçons à votre pension ?

Finette.

Par exception. C’est lui qui peignait les fresques de la chapelle. Ah ! si vous aviez vu ça !

RONDEAU.
––––––Je le voyais à la chapelle,
––––––En l’air, étendu sur le dos,
––––––Et badigeonnant avec zèle
––––––La voûte à grands coups de pinceaux.
––––––Il était bien haut, mais qu’importe !
––––––Tout mon cœur monta jusqu’à lui…
––––––Et crac ! je m’épris de la sorte
––––––De ce bel homme en raccourci.
––––––Les yeux en l’air, avec extase,
––––––Je semblais implorer les cieux :
––––––« Non ; c’est lui qu’il faut que j’embrase. »
––––––Et je l’hypnotise des yeux !
––––––Qu’un regard peut être loquace !
––––––Rien qu’un coup d’œil, on s’est compris.
––––––Pan, dans l’orbite, de ma place,
––––––Et ça suffit, le voilà pris.
––––––Depuis ce moment, chaque messe
––––––Pour nous devient un rendez-vous ;
––––––Je l’aperçois même à confesse…
––––––Combien se confesser est doux !
––––––Et dès lors, le roman commence,
––––––Lui de là-haut, et moi d’en bas.
––––––Que nous importe la distance !
––––––En amour ça n’existe pas ! À Alice.
––––––Ah ! tiens, tâte mon cœur, ma chère !
––––––Sens-tu comme il bat du tambour ?
––––––Y’a pas ! Va te faire lan laire,
–––––––––––C’est l’amour ! (bis)
Alice

Il n’y a pas à dire, c’est l’amour. Mais alors vous n’avez jamais pu vous parler

Finette.

Pourquoi ça ?

Berthe.

Dame ! à la chapelle, à dix mètres de distance.

Finette

Oh ! nous avions trouvé un moyen : nous causions par signes. Il connaissait l’alphabet muet des pensionnats.

Alice.

C’est exquis !… l’amour télégraphique !

Berthe.

Nous aussi, nous avons un amour.

Finette.

Ah !

Alice.

Oui, nous avons le même. Notre pion au collège… Le vicomte Arthur du Tréteau, un jeune homme d’une élégance !

Berthe.

Et qui danse le Boston.

Finette.

Vraiment ! Et comment est-il pion ? Un revers de fortune ?

Berthe.

Non, du tout ! il est très riche.

Alice.

Mais comme il est aussi bachelier, il s’est fait nommer maître d’étude au lycée Marmontel par son oncle qui est ministre. Au moins, s’il trouve un beau parti, il aura le temps de l’étudier.

Berthe et Alice.

Ah ! le bel homme

Finette.

Comme Apollon

Ensemble.

Berthe et Alice.

Ah ! Arthur ! Finette. Ah ! Apollon !


Scène V

Les Mêmes, SABOULOT.
Saboulot, arrivant du salon.

Eh ! bien, belle Venus ?

Finette.

Quoi, Vulcain ?

Saboulot.

Oh ! le vilain petit caractère ! (À part.) En voilà une que je mettrai au pli. (Haut.) C’est comme ça que vous nous abandonnez ? Eh ! c’est ici le clan de la jeunesse.

Finette, légèrement gouailleuse.

Comme vous voyez, nous laissons les gens d’âge ensemble.

Saboulot, maugréant.

Les gens d’âge ! Les gens d’âge ! Elle a toujours l’air de me jeter mon âge à la figure.

Finette, brusquement et d’un air naïf.

N’est-ce pas, monsieur Saboulot, que vous êtes plus jeune que papa ?

Saboulot, interloqué.
Comment ! mais… oh !
Finette, à Alice.

Là, tu vois bien, Alice.

Alice, stupéfiée.

Hein ! oh ! mais qu’est-ce qui a parlé de ça ?… Mais non ! mais pourquoi me fais-tu dire ?… Oh !

Saboulot, à part.

Petites impertinentes ! (Haut.) J’ai quarante-cinq… deux ans… quarante-deux ans ! Mais on n’a que l’âge qu’on paraît.

Finette, bon enfant.

Cinquante-deux, alors !

Alice et Berthe éclatent de rire.

Saboulot.

Ce que ces petites m’agacent !… (À Alice et à Berthe.) Je crois qu’on vous cherchait au salon.

Alice.

Oui ! Autrement dit : allez voir là-bas si j’y suis. Allons viens, Berthe.

Elles sortent.

Saboulot, à part.

Elles sont agaçantes, mais intelligentes.


Scène VI

SABOULOT, FINETTE.
Saboulot.

Pourquoi êtes-vous toujours moqueuse ?

Finette, s’asseyant à gauche.

Il faut bien rire un peu, j’en aurai si peu l’occasion à l’avenir.

Saboulot, debout derrière la chaise de Finette.
Pourquoi ça ? Je vais vous faire une de ces petites existences ! Vous serez gâtée.
Finette.

Vous êtes un père pour moi.

Saboulot.

Un père, oui. (À part.) Elle a l’art de vous dire des choses désagréables.

Finette, brusquement.

Eh ! bien voyons ! Une fois mariés, qu’est-ce que nous ferons ? Moi, vous savez, j’aime m’amuser, je suis si légère !

Saboulot.

Ah !

Finette, très légèrement, ainsi que toute la suite.

Vous ne devez pas être léger, vous !

Saboulot.

Pas positivement.

Finette.

D’abord, nous irons souvent au théâtre.

Saboulot.

Pas trop. C’est d’un mauvais exemple. Quelquefois à l’Odéon. Et puis nous fréquenterons les concerts spirituels.

Finette, railleuse.

Oh ! vous savez que ça ne se gagne pas.

Elle gagne la droite.

Saboulot, entre ses dents.

Toujours aimable.

Finette.

Nous recevrons beaucoup. Des hommes surtout. J’ai toujours adoré la société des jeunes gens.

Saboulot.

Oh ! bien, vous avez bien tort. Dieu ! que vous avez tort !…

Finette.
Dès la pension, déjà. Je me suis fait mettre à la porte parce que j’entretenais une correspondance amoureuse avec un élève de Louis-le-Grand.
Saboulot, à part.

Ah ! Diable !… mais elle me fait frémir !

Finette.

Dansez-vous le Boston ?

Saboulot.

Le Boston ! Je connais bien ça comme ville, mais comme danse…

Finette.

Comment, vous vous mariez et vous ne savez pas le Boston ? Tenez, essayez ! C’est facile.

Saboulot

Mais…

Finette, faisant tourner Saboulot de force, tout en chantonnant le motif d’une valse.

Essayons, voyons !

Saboulot.

Oh ! qu’elle est ennuyeuse ! (Il tombe harassé sur la chaise de droite, à côté de la petite table.) Oh ! que ça va être agréable, le ménage dans ces conditions-là !

Il tire une cigarette de son porte-cigarettes et allume une allumette.

Finette, lui prenant la cigarette des mains.

Oh ! non, pardon ! Je désire que mon mari ne fume pas devant moi !

Saboulot ahuri a conservé son allumette enflammée ; Finette, tranquillement lui prend la main qui tient l’allumette et allume la cigarette qu’elle vient de retirer à Saboulot.

Saboulot, ahuri.

Ah ! bien, celle-là, elle est forte.

Il jette l’allumette.

Finette, va s’asseoir à gauche, puis les jambes allongées, les bras croisés, elle toise Saboulot de l’air le plus important.

Voyons, nous disons que vous dansez mal, bon ! Savez-vous chanter ?

Saboulot, se levant.
Moi, mais… (À part.) Ah ! çà ! ce n’est pas une femme, c’est un juge d’instruction.
Finette

Savez-vous des chansons comiques ?

Saboulot.

Des chansons comiques !

Finette.

Oui, enfin, des chansons rigolottes.

Saboulot.

Rigo…

Finette.

…lottes. J’aime ce qui est gai et je veux voir s’il y a quelque profit à tirer de vous.

Saboulot.

Mon Dieu, j’en apprendrai. Autrefois, j’en savais une, Le Cannibale et l’Horizontale, mais c’est contraire à mes habitudes.

Finette, se levant.

Eh ! bien, nous les changerons vos habitudes. Et le cheval ? Montez-vous à cheval ?

Saboulot.

À cheval ? j’y suis monté une fois… sur un âne. Mais comme ça avait l’air de le contrarier, je n’ai pas insisté.

Finette.

Bon, nous monterons tout de même. Je me marie pour faire ce que je veux.

Saboulot.

Mais sapristi ! On ne se marie pas pour faire de l’équitation.

Finette, passant à droite,

Oh ! d’ailleurs, si ça vous ennuie, j’ai quelqu’un qui m’accompagnera.

Saboulot.

Qui ?

Finette
Oh ! quelqu’un qui m’aime depuis longtemps. Il me plaît beaucoup !
Saboulot.

C’est trop fort ! Vous venez me dire ça, à moi ?

Finette.

Vous allez être mon mari ; je ne dois pas avoir de secrets pour vous.

Saboulot

Elle est paralysante !

Finette.

Si vous saviez comme il est tendre… et entreprenant ! Oh ! mais, plusieurs fois, j’ai dû le remettre à sa place.

Saboulot.

À la bonne heure !

Finette, bien nette.

Je lui ai dit : « Jamais rien avant mon mariage ! »

Saboulot.

Hein ! mais c’est effrayant !

Finette, elle s’assied à droite.

Heureusement qu’une somnambule, une tireuse de cartes, m’a prédit que je l’épouserais en secondes noces… dans deux ans.

Saboulot.

Comment ! la somnambule… elle a dit…

Finette, bien calme.

Oui, j’ai encore deux ans, veuvage compris.

Saboulot, se montant peu à peu.

C’est trop fort ! Le nom de ce scélérat !

Finette, jouant le drame.

Oh ! je ne peux pas !

Elle se lève.

Saboulot, même jeu.

Son nom !

Finette.

Oh ! C’est affreux, ce que vous me demandez là !

Saboulot, même jeu.
Son nom !
Finette.

Mon Dieu, je sais pas. Oh ! mais, vous me jurez que, lorsque vous le verrez, vous ne lui direz rien ?

Saboulot, même jeu.

Oui, bien ! c’est entendu. Son nom ?

À ce moment on aperçoit à travers la glace sans tain Alexandrin qui pérore avec un invité.

Finette, apercevant Alexandrin.

Eh bien ! c’est… c’est… c’est Alexandrin.

Saboulot.

Alexandrin !

Finette, à part.

Tant pis ! c’est le premier nom qui m’est venu.

Saboulot.

Alexandrin ! ce poètuscule, ce Victor Hugo de cuisine.

Finette.

Ah ! non, croyez-moi, si j’étais vous, je ne m’épouserais pas. (À part.) Il doit être un peu dégoûté.


Scène VII

Les Mêmes, ALEXANDRIN.
Saboulot.

Ah ! je comprends maintenant pourquoi il buvait à un prochain mariage. Il pensait aux cartes, à la somnambule !

Alexandrin, descendant.

Il y a peut-être des cigares de ce côté.

Finette et Saboulot.

Lui !

Alexandrin.

Ah ! vous voilà, mon cher…

Saboulot, entre ses dents.

Mon cher ! Son cher.. ! il m’appelle son cher. Tartuffe, va !

Finette.

Ah ! ça va être drôle. Je les laisse !

Elle se sauve.

Saboulot.

Eh ! bien, oui, monsieur, c’est moi, votre cher. C’est du fond du cœur, n’est-ce pas, monsieur, que vous dites ça ?

Alexandrin.

Ah ! bien sincèrement, ce cher bon ! Et, vous savez, je fais des vœux pour que ça dure un bon temps, heing !

Saboulot.

Oui, au moins deux ans ! N’est-ce pas ? C’est deux ans qu’on a prédit… veuvage compris ! Il y a donc des gens qui croient aux somnambules ?

Alexandrin, étonné.

Oh ! mon Dieu ! il y en a qui croient, et d’autres qui ne… (À part.) Pourquoi me parle-t-il de somnambules ?

Saboulot.

Et après ça, ils viennent vous tendre la main. Cette main qui devrait rougir de mentir de la sorte. Oh ! monsieur !

Alexandrin, même jeu.

Certainement, oui… (À part.) Il est évident que je ne suis pas au courant de la conversation. (haut.) Vous ne savez pas où sont les cigares ?

Saboulot, marchant sur lui les yeux dans les yeux.

Il s’agit bien de cigares. Avez-vous lu Héloïse et Abélard ?

Alexandrin, comprenant de moins en moins.

Loïse et Abélard. Pourquoi me parlez-vous de Loïse et d’Abélard.

Saboulot.

Eh bien ! Fulbert moi, monsieur ! le chanoine Fulbert,… retenez bien cela… je n’en dirai pas davantage, moi, Fulbert, je lui couperai les oreilles.

Alexandrin.

Euh ! Tous mes compliments !… non, mais qu’est-ce que ça me fait, tout ça !

Saboulot.

Ah ! mais, je suis comme ça, moi ! Fulbert ! vous entendez ? les oreilles.

Alexandrin, à part.

Hein ! le pauvre, le mariage le détraque !

Ils regagnent le second salon.


Scène VIII

Bouvard, seul, entrant du fond à droite.

M’y voici ! mon cœur bat ! Il bat comme un coucou !… C’est osé, Cupidon me protège. Ah ! l’ingrate, elle se marie, malgré ses promesses, malgré ses serments !… Oh ! mais il faut que je la voie ; que je lui parle,… que je lui jette sa perversité au visage, et alors ! et alors oui, on va peut-être me flanquer à la porte ! Car enfin, je ne suis pas invité, je ne les connais pas, moi, tous ces gens-là. Heureusement que dans les soirées de contrat, on se connaît très peu. Alors le côté de la mariée me croira du côté de l’époux, et le côté de l’époux… enfin, vice versa, comme on dit dans le higlife.


Scène IX

BOUVARD, FIRMIN
Bouvard.

Ah ! un monsieur en habit noir. Tournure distinguée, ce doit être le père. (À Firmin.) Monsieur est sans doute l’heureux père de la mariée ?

Firmin, une boîte de cigares à la main.

Hein !… Non monsieur, non.

Bouvard.

Le fiancé, peut-être ?

Firmin.

Non, monsieur.

Bouvard.

Quelque invité sans importance ?

Firmin.

Pas davantage !… Je suis le maître d’hôtel.

Bouvard.

Le maître d’hôtel !… Vous avez un hôtel ?

Firmin.

Non, maître d’hôtel. Vous n’avez pas l’air de savoir ce que c’est qu’un maître d’hôtel.

Bouvard.

Si !… vous êtes larbin, quoi ?

Firmin, offensé.

Larbin !

Bouvard, vivement.

Je vous fais mes excuses si je vous ai pris pour vos maîtres. Je n’ai pas voulu vous blesser.

Firmin.

Mais, pardon, si vous ne les connaissez pas, comment se fait-il que vous soyez ici ?

Bouvard.

Ah ! voilà. Que vous dirai-je !

–––––––Vous voyez une victime
–––––––De l’amour et de ses traits !
–––––––De l’amour et de ses traits !
–––––––Sous mes pieds s’ouvre un abîme,
–––––––Qui m’engloutit à jamais.
–––––––J’aime, j’aime, peine extrême,
–––––––Mais vous n’y comprenez rien.
–––––––Pauvre ami, l’on souffre bien,
–––––––On souffre bien quand on aime.
––––––––––––Ah ! Ah !
–––––––L’amour, mon pauv’ garçon, vrai là,
–––––––Si vous n’avez pas connu ça,
––N’en tâtez, tâtez, tâtez pas, oui-dà,
––C’est un bon conseil que j’vous donne là.
––––––––––Oh ! là, oh ! là,
––––––Oh ! la la, que ça fait mal là.
ENSEMBLE.
Bouvard.
L’amour, mon pauv’ garçon, vrai là,
Si vous n’avez, n’avez pas connu ça,
N’en tâtez, tâtez, tâtez pas, oui-dà,
C’est un bon conseil que je vous donne là.
Firmin.
L’amour, mon bon monsieur, vrai là,
J’ n’ai jamais, jamais connu ça,
Et je m’en moque, moque moq’ oui-dà,
Merci tout de même de c’ conseil-là.
Bouvard.
II
–––––––J’étais heureux et tranquille,
–––––––Tête libre et cœur content,
–––––––Je me croyais,… imbécile !
–––––––À l’abri du sentiment.
–––––––Ah ! ne dis jamais : fontaine
–––––––Je ne boirai de ton eau,
–––––––C’est aussi bien yes que no
–––––––La preuve, voyez ma peine,
REFRAIN.
––––––L’amour, mon pauv’ garçon, oui-dà,
––––––––––––––Etc.
Firmin.

Oui, mais ce n’est pas ça que je vous demande. (Tout en desservant la table du fond.) Vous dites que vous ne connaissez personne ici. Alors vous n’êtes pas invité ?

Bouvard, à part.

Aïe, ça y est ! Il va me flanquer honteusement à la porte. (Haut.) Mon Dieu, oui et non, je ne suis pas positivement invité, je le suis sans l’être, par dessus le marché, quoi… Je suis en extra.

Firmin, dressant la tête.

En extra !… Comment ! c’est vous, c’est l’extra !… Ah ! bien, mon ami, je ne comptais plus sur vous. Je vous avais commandé pour six heures.

Bouvard, ahuri.

Vous m’attendiez ?

Firmin.

Dame !

Bouvard.

Eh ! bien, je ne l’aurais jamais cru.

Firmin.

Ça m’a l’air d’un flâneur. Vous savez, je dirai à la maison Bidoche à quelle heure vous êtes arrivé.

Bouvard.

Ah ! (Au public.) Eh bien ! c’est ça qui va l’intéresser, la maison Bidoche !

Firmin, allant à lui et tirant son porte-monnaie.

Et vous ne mériteriez pas que je vous donne dix francs, mais comme je vous en ai compté quinze sur mon livre…

Il lui donne l’argent.

Bouvard.

Comment, on est même payé !

Firmin, il remonte à la table.

Tenez, vous allez me donner un coup de main tout de suite. Comment vous appelez-vous ?

Bouvard.

Bouvard. Apollon Bouvard.

Firmin.

Apollon ! Ce n’est pas un nom ; je ne peux pas vous appeler comme ça.

Bouvard, naïvement.

Appelez-moi, Phoebus, c’est la même chose.

Firmin.

Non, vous vous appellerez Auguste ; c’est plus courant.

Bouvard.

Auguste ?… Pourquoi Auguste ?… Après ça, si ça peut vous être agréable. (Naïvement fat.) On peut ne pas m’appeler Apollon, ça se voit tout de même.

Firmin, lui tendant la boîte de cigares ouverte.

Tenez. (Bouvard croit que Firmin lui offre un cigare, plonge la main dans la boîte.) Non ! vous passerez les cigares.

Bouvard, ahuri.

Ah !… Moi, il faut que…

Firmin.

Eh ! bien oui ! quoi ?

Bouvard.

Ah ? bien… bien, bien, bien, bien ! c’est une drôle d’idée !… Dites-moi, vous connaissez bien M. Bichu ?

Firmin.

Parbleu ! puisque c’est mon patron.. Et je peux dire que c’est un ami pour moi. Attendez !

Il prend dans la boîte cinq ou six cigares qu’il met dans sa poche.

Bouvard.

Qu’est-ce que vous faites ?

Firmin, bon enfant.

J’attache le grelot ; sans ça, on n’ose pas entamer.

Bouvard.

C’est égal, vous qui vous dites l’ami du patron, lui chiper comme ça ses cigares !…

Firmin, piqué.

Pardon, comme domestique, je suis dans mon rôle, comme ami, je suis dans mon droit… (Remontant à la table dont il saisit l’extrémité de droite.) Aidez-moi donc à porter cette table dans la pièce voisine.

Bouvard.

Encore ! Ah ! il m’embête !

Firmin.

Vous dites ?

Bouvard.

Rien, voilà ! (À part.) À quoi en suis-je réduit, mon Dieu ! (Il pose sa boîte à cigares sur la table recouverte du tapis vert, et va ensuite aider Firmin à transporter la table dans la pièce voisine.) Diable, c’est lourd !

Firmin, tout en transportant la table.

Allons donc ! un gaillard comme vous !… Là, de cette façon nous pourrons placer la table verte pour la lecture du contrat.

Bouvard, laissant tomber lourdement la table et gagnant le milieu de la scène.

La lecture du contrat !… Il me retourne le poignard dans la plaie !…

Firmin, de la coulisse, à Bouvard qu’on n’a pas cessé d’apercevoir.

Eh bien ! qu’est-ce qui vous prend ? Venez donc m’aider.

Bouvard.

Voilà, voilà !

Il achève de transporter la table.

Firmin.

Là ! Et maintenant, portez la petite table au milieu, et passez les cigares.

Bouvard.

Oui ! Bon ! (À part.) Quelle scie !

Il va chercher la table, et la porte au milieu de la scène. Le jeu de scène doit être fait de façon à ne pas voir Finette qui entre, et à ne pas en être vu.


Scène X

FINETTE, BOUVARD.
Finette, arrivant du côté gauche.

Saboulot est furieux, mais il ne renonce pas.

Bouvard.

Là, la table est placée.

Finette.

Lui !

Bouvard.

Vous ! Elle !

Finette.

Ah !

Elle s’évanouit dans ses bras.

Bouvard

Ah ! mon Dieu ! je vais appeler.

Finette, se remettant.

Non, n’appelez pas !

Bouvard

Finette !

Finette.

Apollon !

DUO.
Finette.
––––––––Quel bonheur !
Bouvard.
––––––––Quel bonheur ! Quelle joie !
Finette.
––––––––C’est le ciel qui l’envoie.
Bouvard.
––––––––Te sentir près de moi !
Finette.
––––––––Me sentir près de toi !
Bouvard
––––––––Est-ce un rêve ?
Finette.
––––––––Est-ce un rêve ? Est-ce un songe ?
Bouvard.
––––––––Alors qu’il se prolonge !
Finette.
––––––––Est-ce-lui ?
Bouvard.
––––––––Est-ce-lui ? Est-ce toi ?
Finette.
––––––––Est-ce lui que je voi !
Bouvard.
––––––––Pinçons-nous !
Finette.
––––––––Pinçons-nous ! Pince-moi !
Bouvard.
––––––––Ah ! point de sortilège !
Finette.
––––––––Que Dieu qui nous protège
–––––––––Fasse que ce soit lui !
Bouvard.
––––––––Commençons !
Finette
––––––––Commençons ! Allons-y !

Ils se pincent.

Ensemble
––––––––––––Heing !… aïe !
Bouvard, se frottant le bras.
––––––As-tu senti ?
Finette, se frottant le bras.
––––––As-tu senti ? Oh ! la la ! oui !
Bouvard.
––––––––Certes oui. C’est bien toi.
Finette.
–––––––––––C’est bien lui.
Ensemble.
–––––––––––Mon Dieu, merci !
–––––––––––Quel bonheur !
–––––––––––Quelle joie !
––––––––C’est le ciel qui t’envoie.
––––––––Te sentir près de moi !
––––––––Me sentir près de toi !
Bouvard.
–––––––––––Certes, oui.
Finette
–––––––––––Certes, oui.
Bouvard.
–––––––––––C’est bien toi !
Finette.
–––––––––––C’est bien lui !
Ensemble.
–––––––––––Mon Dieu, merci !
–––––––––––C’est bien toi,
–––––––––––Certes oui !
–––––––––––C’est bien toi ?
–––––––––––Oui, merci !
–––––––––Mon Dieu ! merci !
Bouvard.

Elle ! c’est elle ! Vous ! c’est vous ! toi ! c’est toi ! je ne sais plus si nous nous tutoyons, ou si nous nous vouvoyons !

Finette.

Je ne sais pas. Nous n’avons jamais causé que par signes…

Bouvard.

Ah ! malheureuse ! c’est donc vrai que tu te maries ! Et qu’est-ce que tu épouses ! Quelle est la chose ; quel est l’objet que tu épouses ? Un homme, bien sûr, un vulgaire homme !…

Finette.

Ah ! ne m’en parlez pas !

Bouvard.

Et voilà un être que j’ai aimé !… un être pour qui j’aurais donné ma vie !… Si elle m’appartenait !… Mais ma vie est à Dieu !… et je n’ai pas l’habitude de disposer des choses qui ne m’appartiennent pas.

Finette.

Ah ! je souffre autant que vous, et j’ai plus besoin d’appui que de reproches. Ah ! si seulement vous aviez un peu de fortune !

Bouvard, la repoussant.

C’est vous qui me parlez ainsi !… C’est vous qui êtes capable de pareils calculs !… Mais est-ce que j’y regarde, moi, à la fortune ?… Je n’en ai pas, moi. Mais du moment qu’il y en a un des deux qui en a, c’est tout ce qu’il me faut.

Finette.

Mais ce n’est pas pour moi que je vous demande ça, c’est pour papa.

Bouvard.

Ah ! papa !… Voilà le grand mot, papa !

Finette.

Il ne me donnera jamais à un peintre sans clientèle.

Bouvard.

Eh ! bien, je lui vendrai mes tableaux, à papa. Si vous saviez comme c’est pénible aujourd’hui. Dire que j’en suis réduit à faire des silhouettes pour cent sous au Jardin de Paris. Le monde est si peu artiste !… Un tableau magnifique, verni, encadré, ignifugé,… on m’en a refusé deux cents francs… et encore on m’a demandé de le signer Trouillebert.

Finette.

Ah ! travaillez, monsieur Bouvard ! Si vous pouviez seulement n’obtenir que la première médaille au salon, ce serait une promesse pour l’avenir.

Bouvard.

Mais, sacristi ! l’argent ne fait pas tout… et votre père est bien assez riche. Après tout, quelle est donc la fortune de votre prétendu ?

Finette.

M. Saboulot ! oh ! lui, c’est autre chose. D’abord il a une tante qui est très riche. Et puis, surtout, c’est un savant, un professeur de physique… et comme papa n’a jamais pu avoir son brevet de grammaire, il croit que ce mariage le posera.

Bouvard.

Et c’est vous qu’il sacrifie !… Encore une victime de la science !

Finette, railleuse.

Oh !… ne dites pas de mal de Saboulot… il a des qualités. Il paraît qu’il chante « Le cannibale et l’horizontale !… »

Bouvard.

Eh bien, voilà un plaisir qu’il faudra que je me paie.

Finette.[1]

Chut ! papa !

Bouvard, pour se donner une contenance, prend la boîte à cigares.


Scène XI

Les Mêmes, BICHU.
Bichu.

Eh bien, qu’est-ce que tu fais là ? Tout le monde te réclame au salon. Est-ce que c’est ta place, ici, avec les domestiques ?

Bouvard, embarrassé.

J’étais en train d’offrir à Mademoiselle…

Bichu, haussant les épaules.

Des cigares !… Non, ma fille ne fume pas. (Passant entre Bouvard et Finette.) Tenez, donnez-m’en un ! (Bouvard approche la boîte, Bichu choisit un cigare.) Du feu !

Finette, à part.

Il le prend pour un domestique ! pauvre Apollon !

Bouvard va poser la boîte dans laquelle il prend également un cigare, puis allume une allumette qu’il présente à Bichu, après quoi il s’allume lui-même.

Bichu.

Eh ! bien, qu’est-ce que vous faites ?

Bouvard, s’allumant.

Il paraît que ça s’appelle attacher le grelot.

Bichu, ahuri.

Vous fumez le cigare ?

Bouvard.

Je vais vous dire… ça dépend, jamais chez moi.

Bichu.

Ah !

Bouvard.

Non, ça laisse une odeur infecte… et puis, pour vous tenir compagnie…

Bichu.

Eh bien, dites donc, ne vous gênez pas ! Voulez-vous jeter ça !

Bouvard, jetant son cigare.

De grand cœur. C’est un infectados, un deux soutados. Ça ne vaut rien !

Bichu.

Occupez-vous donc de votre service… ou j’irai me plaindre à la maison Bidoche.

Bouvard.

Encore ! Ils ont donc tous la manie de raconter leurs histoires à la maison Bidoche.

Bichu.

Allons, viens, Finette !

Finette.

Oui, papa.

Avant de partir, elle envoie un baiser à Bouvard. Bouvard le lui rend.

Bichu, qui s’est retourné pour voir le baiser de Bouvard.

Et je vous prie de ne pas me faire de singeries dans le dos. Joli, le personnel de la maison Bidoche !


Scène XII

BOUVARD, puis FIRMIN et CARLIN.
Bouvard.

Est-il ours, le papa Bichu… mon futur beau-père !

Firmin, portant un plateau de rafraîchissements.

Tenez, par ici, Monsieur.

Carlin, une serviette sous le bras.

Voulez-vous dire que Maître Carlin, le notaire, est à la disposition de ces Messieurs ?

Firmin.

Parfaitement, Monsieur. (À Bouvard.) Tenez, vous, vous allez passer les rafraîchissements.

Bouvard.

Oui, c’est bon, posez-les là !… (Firmin sort.) Il m’ennuie, avec sa manie de me faire faire le ménage.

Carlin, saluant Bouvard.

Monsieur.

Bouvard, saluant.

Monsieur ! hum ! hum ! Monsieur fait partie de la noce ?

Carlin.

Mon Dieu, monsieur, oui et non. J’en suis comme je suis, de tant d’autres… par profession.

Bouvard.

Je vois ce que c’est, vous êtes comme moi ? vous êtes en extra.

Carlin, souriant complaisamment.

Voilà, comme vous dites, Monsieur… Nouvellement établi à Paris où mon père m’a acheté une charge. J’ai choisi cet état parce qu’il est essentiellement tranquille, et étant timide de ma nature…

Bouvard, brusque.

Oui, c’est bon !… Comment vous appelez-vous ?

Carlin, timidement,

Céleste Carlin.

Bouvard, même jeu.

Bon. Eh bien ! vous vous appellerez Antoine.

Carlin, interloqué.

Comment ! mais, pardon…

Bouvard, très net.

Vous vous appellerez Antoine !… Je m’appelle bien Auguste.

Carlin, timide.

Ah !… Oui, monsieur.

Bouvard.

Ici, c’est l’usage, quand on est en extra.

Carlin.

C’est spécial à Paris, sans doute, parce qu’en province, où j’étais…

Bouvard, brusque.

C’est l’usage.

Carlin, 'timide.

Oui, Monsieur.

Bouvard, lui indiquant la table.

Tenez, déposez votre serviette là… (Lui mettant le plateau dans les mains.) Et maintenant vous allez passer, les rafraîchissements. C’est bien votre tour.

Carlin.

Mais, Monsieur, comme notaire…

Bouvard.

On vous donnera dix francs, allez.

Il boit une des consommations.

Carlin.

Mais qu’est-ce que vous faites ?

Bouvard.

J’attache le grelot ! Allez !

Carlin, timide.

Oui, monsieur. (Il emporte le plateau.) Oh ! J’aime mieux le notariat en province.

Il sort par le fond à droite.


Scène XIII

BOUVARD puis BICHU, MADAME BICHU, SABOULOT, FINETTE, ALEXANDRIN, ALICE, BERTHE, Les Invités, puis CARLIN
Saboulot, arrivant de gauche,

Messieurs, mesdames, si vous voulez venir par ici, pour la lecture du contrat.

Bichu.

Où est-il le notaire ? (Apercevant Bouvard qui est debout devant la petite table.) On m’a dit qu’il était ici. (Haut, allant à Bouvard.) Eh ! Quoi, est-ce que ce serait vous ?

Bouvard, qui ne comprend pas.

Est-ce que ce serait moi ? Evidemment, c’est moi. (À Part.) Qu’est-ce qu’il a ?

Bichu.

Oh ! Monsieur, que d’excuses… pour ma méprise de tout à l’heure.

Bouvard, très aimable.

Oh ! Monsieur, les méprises, ça arrive même aux gens intelligents.

Bichu.

Vous allez nous lire le contrat, hein ?

Bouvard, ahuri.

Moi ? (Apercevant Finette qui lui fait signe que oui.) Ah ! Si vous voulez.. Après tout, si ça peut leur être agréable.

Tout le monde se place. Bouvard est assis devant la table, face au public. Bichu à sa gauche, Saboulot à sa droite. À la gauche de Bichu, par ordre, madame Bichu et Finette tout à fait au premier plan ; debout derrière Finette, Alexandrin, à la droite de Saboulot. Berthe et Alice, les autres invités sont groupés dans cet ensemble.

Bichu.

Messieurs, mesdames, veuillez vous asseoir. (À Bouvard.) D’abord, je vous présente ma fille, la future.

Finette salue.

Bouvard, saluant.

La victime.

Bichu.

Comment ?…

Bouvard, se reprenant.

Non ! C’est un terme de métier.

Bichu, présentant Saboulot.

M. Saboulot, le fiancé.

Bouvard.

Ah ! Parfaitement !… (Sérieusement gouailleur.) Je croyais que c’était monsieur son père.

Saboulot.

Hein !

Bouvard, à peine.

Le voilà donc, l’objet… le grotesque… qui chante « Le Cannibale et l’Horizontale ».

Carlin, arrivant du fond.

J’en ai assez de passer les rafraîchissements. Il n’y a personne par là… (Voyant Bouvard à sa place, le contrat en main.) Eh bien, qu’est-ce qu’il fait donc à ma place ? (Bouvard, surgissant à sa gauche.) Pardon, monsieur !

Bichu, brusquement.

Taisez-vous donc !

Carlin, ahuri.

Ah !… Oui, monsieur.

Il va s’asseoir dans le fond.

Bichu.

Et tâchez donc de rester debout !

Carlin, même jeu.

Ah ! Oui, monsieur.

Bichu.

En voilà des manières ! (À Bouvard.) Monsieur, quand vous voudrez.

Bouvard.

Voilà ! (il ouvre le contrat.) Voyons, qu’est-ce qu’il raconte, ce machin-là ?… (Subitement.) Ah ! Pardon !…

Il se lèvre et fait à Finette une série de signes muets avec les mains.

Finette, en réponse aux signes de Bouvard.

Oui !

Etonnement général.

Madame Bichu.

Quoi, oui ? Pourquoi dis-tu oui ?

Saboulot.

Et pourquoi lui faites-vous des signes ?

Bouvard

Ce sont des signes cabalistiques ! Ça se fait toujours aux contrats… et on doit répondre : oui.

Madame Bichu, à Bichu.

Tiens, il me semble que ça ne se faisait pas de notre temps, dis, Dulcissime ?

Bichu.

Non, Galathée.

Saboulot.

Oh ! alors, c’est mon tour, vous allez m’en faire aussi !

Bouvard.

Comment donc !…

Tous deux se lèvent et Bouvard fait des signes à Saboulot.

Finette, après avoir suivi les signes.

Crétin !

Elle rit sous cape.

Saboulot, avec conviction.

Oui !

Bouvard.

c’est très bien. Ils se rasseyent.

Carlin, arrivant à la droite de Bouvard.

C’est égal, c’est extraordinaire ! Je vous ferai remarquer, monsieur…

Saboulot, brusquement.

Oh ! mais il est embêtant, cet animal-là ! Vous n’allez pas vous taire ?

Rumeurs parmi les invités.

Carlin, très intimidé.

Ah ! oui, monsieur.

Alexandrin, à demi-voix à Finette.

Eh bien, êtes-vous un peu émue mademoiselle ? Hein !

Saboulot, ayant vu le jeu d’Alexandrin.

Il lui a parlé bas, il a du toupet. (Il va à Alexandrin, et lui dit à mi-voix.) Vous ! Quand vous serez l’amant de ma femme, je vous tuerai !

Alexandrin, ahuri.

Hein ! il déménage.

Saboulot, regagne sa place, à Bouvard.

Allez, maître !

Carlin.

Mais alors, qu’est-ce que je viens faire ici ?

Un petit temps.

Bouvard, sentencieux à Saboulot.

Accusé, levez-vous !

Tous.

Hein ?

Saboulot, se levant.

Moi ! accusé, comment ?

Bouvard, même jeu.

Vous jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?

Carlin, timidement.

Mais, pardon, mon cher ami, vous vous trompez. Nous ne sommes pas ici…

Bichu, brusquement, se levant,

Ah ! mais dites donc, en voilà assez ! Vous n’allez pas lui apprendre…

Tout le monde s’est levé contre Carlin.

Carlin, de plus en plus ahuri.

Ah ! oui, monsieur.

Il lève au ciel des yeux désespérés ; on se rassied.

Bouvard.

Comment vous appelez-vous ?

Saboulot, debout.

Saboulot, Joseph !

Bouvard.

Joseph, ça ne m’étonne pas.

Saboulot.

Joseph, Alphonse !

Bouvard.

Joseph, Alphonse ! Faudrait s’entendre, cependant ! Joseph et Alphonse, c’est contradictoire ; on est Joseph ou Alphonse !

Saboulot.

Cependant !…

Bouvard.

Eh bien, faisons une moyenne, mettons Eugène… Eh bien ! Saboulot Joseph, plus Alphonse, égale Eugène… Mettez-vous là, au milieu. (Saboulot très ahuri, gagne le milieu de la scène.) Et maintenant, chantez-nous « Le cannibale et l’horizontale ».

Tous.

Hein !

Bouvard.

C’est un usage, maintenant… À la signature du contrat, le mari doit chanter « Le Cannibale et l’Horizontale ».

Saboulot.

Elle est raide, celle-là !

Bichu.

Mais je n’ai jamais vu ça.

Bouvard.

Vous, parbleu ! Il y a vingt ans que vous êtes marié, vous êtes en arrière. (À Saboulot.) Allons, voyons !

Saboulot.

Mais jamais de la vie !

Bouvard.

Soit ! alors, le mariage est nul.

Il fait mine de replier ses papiers.

Tous.

Ah !…

Saboulot, vivement.

Hein ! non ! Eh là ! attendez ! Comment, alors, sérieusement ?

Bouvard, très sérieux.

Est-ce que j’ai l’air d’un monsieur qui plaisante ?

Saboulot.

Non ! c’est curieux ! Eh bien ! je n’aurais jamais cru ; enfin, puisqu’il le faut !… Mais, dites donc, c’est encore de la chance que je l’ai appris… hein ! c’est ça qui est un pressentiment. Voyez-vous ! sans ça, on aurait dû reculer le mariage. Eh bien, soit !

Saboulot chante.

Le cannibale et l’horizontale.
––––Un cannibal’ dans la Cannibalie…
––––Dans la Cannibalie, un cannibal’ !
––––Se dit un jour, avant d’quitter la vie,
––––Je veux croquer un’belle horizontal’
–––––––––C’est l’cani, cana,
–––––––––C’est l’cani, cana.
––––C’est le can’, le cannibale,
––––Qui croqu’ra l’hori, qui croqu’ra l’hora,
––––Qui croqu’ra l’horizontale.
––––Mmiam ! mmiam ! mmiam ! mmiam ! mmiam !

Parlé avec un soupir.

Triste !

II
––––On fit venir l’horizontal’ de France,
––––De France, on fit venir l’horizontal’.
––––Le cannibal’ se dit : quelle bombance,
––––J’vais la gober, se dit le cannibal’
–––––––––C’est l’cani, cana, (bis)
––––C’est le can’, le cannibale,
––––Qui goba l’hori, qui goba l’hora,
––––Qui goba l’horizontale.
––––Mmiam ! mmiam ! mmiam ! mmiam, ! mmiam !

Parlé.

Triste !

III
––––Il la goba tell’ment, le cannibale,
––––Le cannibal’, tell’ment il la goba,
––––Qu’quand il voulut manger l’horizontale,
––––Le cannibal’ n’avait plus d’estomac…
–––––––––C’est l’hori, l’hora, (bis)
––––C’est l’hori, l’horizontale,
––––Qui claqua l’cani, qui claqua l’cana
––––Qui claqua le cannibale.
––––Mmiam ! mmiam ! mmiam ! mmiam ! mmiam !

Parlé.

Gai !

Tous, riant.

Bravo ! Bravo !

Bouvard, après la chanson.

Eh bien ! Voilà !… Qu’est-ce que vous voulez ? C’est un usage !… C’est un usage… pour montrer à la femme jusqu’à quel point son mari peut se rendre ridicule.

Saboulot.

Hein !

Bouvard, parcourant le contrat.

Voyons un peu. Devant nous, maître Carlin, notaire.

Carlin

Présent !

Bichu, à Carlin.

Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie-là ? Voulez-vous vous taire !

Carlin.

Ah ! Oui, monsieur. (À part, avalant une des consommations.) Ma foi, je vais attacher le grelot, moi aussi !

Bouvard, lisant.

Ont comparu : d’une part, le sieur Saboulot, Joseph, Alphonse, âgé de cent quarante-sept ans

Saboulot, vivement.

Comment ! Cent quarante-sept ans.

Bouvard.

Non, pardon, c’est une barre que j’ai prise pour un un. Non, 47 ans. Comment, vous n’avez que 47 ans ?… Oh ! Comme vous êtes abîmé pour votre âge !

Saboulot, vexé.

Eh bien ! dites donc, est-ce que ça vous regarde ?

Bouvard, continuant la lecture.

Et la demoiselle Finette Bichu, âgée de 17 ans… 17 ans ! (À Saboulot.) Vous n’avez pas de honte.. une enfant.. une enfant à peine nubile.

Saboulot.

Ah ! mais, il m’ennuie !

Finette, futée.

Qu’est-ce que c’est que ça, nubile ?

Madame Bichu.

Rien, c’est du latin.

Bouvard.

C’est comme qui dirait l’âge de raison ; l’âge de raison, où l’on commence à faire des bêtises.

Bichu.

Quel drôle de notaire !

Bouvard, à Saboulot.

Vieillard libidineux !

Saboulot, impatienté.

Ah ! mais ! Vous savez !

Bouvard.

Passons aux apports. Voyons un peu ce que vous apportez en dot. (Lisant.) Le futur apporte à la communauté son traitement de professeur (Parlé.) C’est pas lourd ça. (Lisant.) Il apporte en outre une tante très riche et très âgée ! (À Saboulot.) Ah ! ah ! vous jouez du cadavre, vous.

Saboulot, se montant.

Ah ! ça ! dites donc, est-ce que cela vous regarde ?

Bouvard.

Silence ! on n’interrompt pas la loi. Au tour de la fiancée, maintenant. (Lisant.) La future épouse apporte en dot quatre cent mille francs. (À Saboulot.) Mazette, vous faites une affaire, vous ! (À Finette.) Vous savez, mademoiselle, il fait une affaire… C’est dégoûtant !

Saboulot, éclatant.

Ah ! mais j’en ai assez, et ça va finir !

Bouvard.

Vous dites ?

Tout le monde s’est levé.

Saboulot.

Ah ! C’est que la moutarde me monte au nez ! Je lui casserai la figure, à maître Carlin !

Carlin, qui a gagné le devant de la scène, son plateau toujours à la main et qui se trouve à la hauteur de Saboulot.

À moi ! Oh ! mon Dieu, pourquoi ? Oh ! ne faites pas ça !

Saboulot, furieux.

Qu’est-ce que vous voulez, vous ? Qui est-ce qui vous parle ?… Est-ce vous, qui vous appelez maître Carlin ?

Carlin.

Mais oui !

Tous.

Hein !

Carlin.

Maître Carlin, notaire, pour lire le contrat quand vous serez disposé.

Tous.

Le notaire

Saboulot.

Mais, alors, lui ! Qui est-il ?

Bouvard.

Pincé !

Finette.

Ah ! mon Dieu !

Bouvard, embarrassé.

Je vais vous dire… Je suis ce qu’on appelle un en-tout-cas. N’est-ce pas, on a des ombrelles quand il fait beau et des parapluies pour quand il pleut… et puis, il y a les en-tout-cas, qui servent à tout. Eh bien, je suis un en-tout-cas.

Bichu.

Ah ! Mon Dieu ! C’est peut-être un filou…

Grand mouvement parmi les invités.

Saboulot.

Il faut le chasser… Sortez !…

Bouvard.

Ne me touchez pas !…

Saboulot, à Carlin.

Monsieur le notaire, vous êtes officier ministériel ? Arrêtez-le…

Carlin.

Pardon, je ne suis pas commissaire.

Tous.

À la porte ! À la porte !

Finette, s’interposant.

Qu’on le touche donc !

Tous.

Quoi !

Finette.

Monsieur est M Apollon Bouvard ! C’est lui que j’aime ! (Elle prend le contrat et le déchire.) Et je serai sa femme, ou à personne !

Tous.

Ah !

Bichu.

Quel scandale !

Madame Bichu.

Dès demain, tu entres au Lycée.

Finette.

Que m’importe ! Apollon, je t’aime !

Bouvard.

Oh ! Ma Finette, je t’adore !

ENSEMBLE.
Finette.
Oui, c’est toi, que j’aime,
Oui, c’est toi, que j’aime,
Les fers, la mort même
Ne me font plus peur.
Tu m’as retrouvée,
Me voilà sauvée.
C’est toi, viens sur mon cœur !
Bouvard.
Oui, c’est moi, je t’aime.
Oui, c’est moi, je t’aime.
Malgré l’effort même
D’un démon moqueur,
Je t’ai retrouvée (bis)
Te voilà sauvée (bis)
C’est moi, viens sur mon cœur.
Berthe et Alice.
Quelle audace extrême !
Quelle audace extrême !
J’en ris en moi-même.
Je ris de bon cœur,
C’est un vrai bonheur.
Tous les autres.
Quelle audace extrême !
Quelle audace extrême !
Sors à l’instant même !
Affreux ravisseur.
Ah ! C’est une horreur !

On les sépare.

Bichu.
––––––Arrêtez-le !
Saboulot.
––––––Arrêtez-le ! Qu’on le fusille !
Tous.
––––––Quelle aventure !
Madame Bichu.
––––––Quelle aventure ! Oh ! Dieu ! ma fille !
Tous.
––––––––––Partez, partez !
––––––––––Sortez, sortez !
––––––––––Ah ! quelle audace !
––––––––––Houst ! qu’on le chasse.
––––––––––––Partez,
––––––––––––Sortez !
––––––Oui, qu’on le fiche, fiche, fiche,
––––––Fiche, fiche, fiche, fiche,
––––––Eh ! oui, qu’on le fiche à la porte !
Bouvard.
––––––Et je m’en fiche, fiche, fiche,
––––––Fiche, fiche, fiche, fiche,
––––––J’ai son amour et je l’emporte.
ENSEMBLE.
Tous.
Oui, qu’on le fiche, fiche, fiche !
Bouvard.
Et je m’en fiche, fiche, fiche.
Bouvard.
––––––Point d’obstacles à nos amours (Bis.)
Finette, montrant Saboulot.
––––––À lui, jamais !
Bouvard.
––––––À lui, jamais ! À toi, toujours !
REPRISE DU CHŒUR.


Rideau.




  1. Finette, Bouvard, Bichu.