La Lycéenne/Acte II

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 ; Musique de Gaston Serpette
Paul Ollendorff (p. 49-84).
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ACTE II

Une salle d’études du collège Marmontel. Le fond vitré donne sur la cour de récréations. Dans le fond à droite, entrée donnant sur la cour. À gauche de la porte, un rang de pupitres pour les élèves. Ces pupitres sont praticables et adhèrent les uns aux autres. À droite, premier plan, la chaire du maître d’études. À gauche, second plan, porte donnant sur les « Arrêts ». À gauche, premier plan, trois rangs de pupitres.


Scène première

DU TRÉTEAU, ALICE, BERTHE, AGATHE, GABRIELLE, CLARISSE, EMILIE, SOPHIE, ROSE.

Au lever du rideau, les élèves sont à leurs pupitres ; du Tréteau, à sa chaire, somnole.

Chœur.
–––––Entendez-vous ce bruit de ron, de ron, de ronflement ?
––––––C’est notre pion, sans plus d’histoire (Bis)
–––––––––Qui part pour la gloire.
––––––Il est certain qu’en ce moment,
–––––Notre pion pionce, pionce, pionce joliment.

Ronflements.

Alice.
––––––Chut ! taisons-nous, faisons silence,
––––––Et respectons sa somnolence.
––––––Parlons plus bas, parlons moins fort,
––––––N’éveillons pas le pion qui dort.[1]
Chœur.
––––Car on entend un bruit de ron, de ron, de ronflement.
––––––C’est notre pion, sans plus d’histoire (bis.)
–––––––––Qui part pour la gloire.
––––––Oui, c’est certain, pour le moment,
––––Notre pion pionce, pionce, pionce joliment.
[2]Gabrielle, apprenant sa leçon ; la tête dans ses mains.

Pluton, troisième fils de Saturne et d’Ops, régnait dans les enfers avec Proserpine.

Alice, jouant avec Berthe à pair ou impair.

Pair !

Berthe.

Cinq billes ! tu as perdu.

Alice.

Toujours ! j’ai la guigne ! Ah ! si je n’ai pas de veine en amour !

Gabrielle.

Pluton, troisième fils de Saturne et d’Ops, régnait dans les enfers avec Proserpine.

Clarisse tourne tranquillement la page du Gil-Blas.

Rose.

Dis donc, Clarisse, tu me prêteras le journal quand tu auras fini.

Sophie, impérieuse.

Non, tu me le donneras, à moi.

Rose.

Mais je l’ai retenu avant toi.

Sophie.

Qu’est-ce que ça me fait à moi ?

Rose.

Enfin, dis Clarisse ?

Clarisse.

Ah ! bien, tu sais, si Sophie le demande.

Sophie.
Là !
Rose, vexée.

Naturellement, c’est Sophie l’intombable, c’est tout dire, tu as peur de recevoir une raclée.

Sophie, se retournant brusquement vers Rose.

Ah ! et puis, tu sais, si tu n’es pas contente, je suis ton homme.

Rose, maugréant.

Oui, c’est bon, c’est bon.

Alice, jouant.

Impair !

Berthe.

Trois ! tu as perdu.

Alice.

Mais non, voyons « trois, » j’ai dit impair.

Berthe.

Oui, mais il y en a une qui est en agathe, ça compte pour deux !

Alice.

Ah ! bien, non, par exemple.

Berthe.

Tiens, tu ne voudrais pas !

Gabrielle.

Pluton, troisième fils de Saturne et d’Ops…

Alice, à Gabrielle.

Ah ! elle est assommante avec son troisième fils de Saturne ! (À Gabrielle.) Ne travaille donc pas comme ça, tu nous déranges.

Clarisse, lisant le journal.

Oh ! dis donc Sophie ! tu ne sais pas ! Le prince Stephano qui a lâché Emilie Colmar.

Sophie.

Oui, allons donc !

Clarisse.

Il l’a pincée avec le ténor Figeac.

Emilie, sursautant.
Figeac !
Sophie.

Ne dis pas ça, tu fais de la peine à Emilie.

Emilie.

Oh ! que c’est bête ce que tu dis là ! Je lui ai écrit une fois, il ne m’a pas répondu ! Ça été fini.

Alice.

Non, je ne joue plus avec toi, tu triches !

Agathe, fait claquer ses doigts.

M’sieur ! m’sieur !

Sophie.

Tais-toi donc, tu vas réveiller le pion !

Sophie, à Alice et Berthe.

Moi, à votre place, je lui demanderais des comptes de sa fatigue.

Alice.

Est-ce que ça nous regarde ?

Rose.

Oh ! avec ça qu’on ne voit pas qu’il n’a d’œil que pour vous… et vous de votre côté !

Berthe.

Quoi, de votre côté ?

Sophie.

Ça c’est vrai, par exemple…

Du Tréteau, se réveillant en sursaut.

Baccara ! (Toutes les élèves affectent de travailler.) Oh ! que je suis bête ! je rêvais que j’étais encore au cercle. Est-ce assez stupide… de m’être fait décaver comme ça de vingt-cinq louis ! Ah ! la dame de pique d’un côté ! la dame de cœur de l’autre ! je ne tiens plus debout. Eh bien ! voilà, tout cela n’arriverait pas si on avait voulu m’accorder ici la surveillance des dortoirs.

Agathe, faisant claquer ses doigts.
M’sieur !
Du Tréteau.

Quoi ? (Elle fait signe qu’elle veut sortir.) Oui, allez ! (Sortie d’Agathe.) Ah ! oui, la dame de cœur. (Descendant de sa chaire.) Celle d’hier, surtout avant le cercle… la petite du Jardin de Paris. (Il fait claquer sa langue.) Très chic ! Elle sera contente des vers que je viens de lui faire.

Si je vous disais pourtant que je vous aime,
Qui sait brune aux yeux bleus…

Quand je dis faire ! c’est du Musset. J’ai préféré copier, parce que c’est toujours mieux fait. Et puis moi, ça m’a toujours réussi de copier, c’est même comme ça que j’ai passé mon baccalauréat. Mademoiselle Sophie, travaillez donc, vous êtes là… la tête en l’air.

Sophie, avec élan.

Monsieur, je vous regarde.

Du Tréteau.

Ah ! très bien, continuez !… (Remontant à sa chaire.) C’est curieux comme toutes les femmes se laissent prendre aux vers. Au fait, si, en post-scriptum, je lui demandais sa photographie. (Il ouvre la lettre et écrit.) Sois gentille, belle chérie… Envoie-moi ta photographie… Tiens ! c’est encore en vers… et ils sont de moi, ceux-là. (Ecrivant.) Photographie… Comment ça s’écrit photographie, (Répétant syllabe par syllabe.) pho-to-gra-phie combien d’h. (Haut, d’un air indifférent.) Qui est-ce qui sait comment s’écrit photographie ?

Alice, épelant.

P-h-o-t-h-o.

Du Tréteau.

T-h-o… c’est très bien, je voulais voir si vous le saviez. (Rire des élèves. Il écrit.) Voilà ! autant que possible il ne faut pas faire de fautes d’orthographe quand on écrit aux femmes ! elles conservent toutes les lettres. (Descendant de sa chaire.) Ah ! nous allons un peu réciter les leçons. Mademoiselle Alice ! (À part.) Elle est très gentille, la petite Alice !

Alice, se levant sans quitter sa place.

Monsieur ?

Du Tréteau, lui tapotant sur les joues.
Voulez-vous me réciter votre leçon, mon enfant ?
Alice.

Oui, monsieur

Elle récite.

Le vieillard et les trois jeunes hommes.
Un octogénaire plantait.
Passe encore de bâtir,
Mais planter à cet âge…

Du Tréteau, l’arrêtant.

C’est très bien ! Ça suffit, vous savez ! et comme je suis content de vous, je vais vous embrasser.

Il l’embrasse.

Plusieurs élèves.

M’sieur ! m’sieur ! moi je sais aussi ! je sais aussi !

Du Tréteau.

Bon ! bon ! tout à l’heure !… (À Berthe.) Mademoiselle Berthe. (À part.) Elle est très gentille, la petite Berthe. (Haut.) Votre leçon.

Berthe.

Je ne la sais pas.

Du Tréteau, sévère.

Vous ne la savez pas ! c’est très mal. Et moi qui pour vous encourager vous avais donné un baiser hier ! vous ne le méritez pas, rendez-le moi tout de suite !

Il tend la joue.

Berthe.

Voilà, monsieur.

Elle l’embrasse.

Du Tréteau.

C’est très bien. (Au public.) Eh ! bien, voilà, c’est un système à moi, ça ! On ne mène pas les jeunes filles comme les garçons, voyez-vous.

I

Je suis le pion des demoiselles,
Je suis galant, ferme à la fois,
Jamais de peines corporelles,
Grâce et douceur, voilà mes lois.
À la fillette que j’embrasse,
Je prouve que je suis content ;
Et lorsque l’on tombe en disgrâce,
C’est un baiser que l’on me rend.

Voilà comme on les rend gentilles,
Que c’est charmant ! Que c’est donc bon
D’être pion, (bis)
Dans un Lycé’ de jeunes filles !

II


Il faut avant tout être artiste,
Point terre à terre ni bourgeois,
Pour saisir le charme, — il existe ! –
De gouverner ces frais minois,
C’est un poste de confiance,
Tentant comme un fruit défendu !
Ne mords point, pas de défaillance
Malheureux, ou tout est perdu !
Tu ne mords pas, mais tu grapilles,
Que c’est charmant ! Que c’est donc bon
D’être pion, (bis)
Dans un Lycé’ de jeunes filles.

Rose.

Qu’est-ce qu’il a donc le pion, à parler comme ça tout seul ?

Émilie.

Il a peut-être des peines de cœur ?

Du Tréteau.

Mademoiselle Sophie, qu’est-ce que vous avez donc à plonger dans votre pupitre ? (Il va à Sophie.) Montrez un peu la cuisine que vous faites là-dedans.

Sophie.

Mais, m’sieur…

Du Tréteau, ouvrant le pupitre et en retirant une petite casserole.

Du chocolat ! Vous faites du chocolat ! C’est comme ça que vous vous préparez au baccalauréat !… Vous ne rougissez pas de votre gourmandise. (Il le goûte.) Tiens, il est bon, où l’achetez-vous ?

Sophie.
Je ne l’achète pas, m’sieur, je le chipe à maman.
Du Tréteau.

Bien, ceci dénote une nature économe ! C’est égal, je devrais vous punir ! Vous êtes gourmande. (Il avale une gorgée.) C’est un défaut, mais votre chocolat est bon, c’est une qualité, et comme les qualités font passer les défauts, je ne vous dirai rien pour cette fois (il vide le contenu de la casserole.), mais ne recommencez pas.

Sophie, avec dépit.

Naturellement ! Jamais vous ne me punissez ni ne me récompensez.

Du Tréteau.

Hein !… oui, c’est vrai !… Ça ne me dit rien ! (On entend la cloche qui sonne ; mouvement parmi les élèves.) Mesdemoiselles, c’est l’heure de l’exercice, allez chercher vos fusils en silence !

Toutes.

Ah !

Les élèves sortent toutes par la porte de droite.

Du Tréteau.

Et moi, je suis libre. (Il tire de sa chaire une cuvette qu’il place sur la chaise qu’il vient de quitter et se lave les mains.) Pendant que le sergent instructeur va les faire trimer, moi je vais pousser jusque chez Fernande, ou Anita ; je ne les trouverai peut-être pas ; j’irai chez Emilie ; tout ça c’est voisin. Pour mes fredaines, je centralise ; je prends une rue, c’est plus commode. (Aux élèves qui sortent en rang.) À droite, alignement ! (Les élèves exécutent les ordres.) Trois, quatre, cinq, sortez, numéro 7 rentrez ! oui… vous ! vous dépassez l’alignement, faites-moi disparaître tout ce qui dépasse.

Sophie.

Tiens, je ne peux pas ! C’est pas ma faute.

Du Tréteau.

Allons, ça suffit. Vous avez toujours de bonnes excuses à faire valoir.

Sophie.

J’aimerais mieux en avoir moins !

Du Tréteau.
Fixe !…

Scène II

Les Mêmes, LEMPLUMÉ, FINETTE.
Lemplumé, entrant.

Venez par ici, mademoiselle !

À la voix de Lemplumé, les deux dernières élèves s’effacent pour le laisser passer, puis se remettent dans l’alignement.

Finette.

Je proteste, c’est de l’arbitraire.

Du Tréteau, saluant.

Monsieur le Proviseur.

Lemplumé.

Continuez, je vous en prie, n’interrompez pas l’exercice.

Du Tréteau, s’incline et commande.

Portez armes ! reposez armes ! présentez armes ! portez armes ! par le flanc gauche, gauche ! Par file à gauche ! marche !

Sortie des élèves et de du Tréteau.


Scène III

LEMPLUMÉ, FINETTE.
Lemplumé.

Voici votre classe, mademoiselle.

Finette.

C’est ça votre boîte ? Chouette !

Lemplumé.

Mademoiselle, veuillez parler autrement.

Finette.

Oui ! Eh bien ! je l’ai assez vue comme ça. Tout ça n’est pas sérieux, hein ? Je vous dis que je ne veux pas rester ici, moi. Rendez-moi à M’man.

Lemplumé.

Non, mademoiselle, c’est impossible.

Finette.

Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! ça va être gai ! Vous voulez me garder contre mon gré. Je vous préviens que tous les moyens me seront bons pour sortir d’ici. Ah ! vous voulez lutter, eh bien ! votre collège en verra de belles !

I
–––––––Moi je suis très bonne fille,
–––––––Franc comme or, cœur sur la main,
–––––––Mais faut pas qu’on me houspille
–––––––Ou bien je fais du potin !
–––––––C’est la paix que je vous offre,
–––––––Relâchez-moi, voilà tout,
–––––––Mais dame, si l’on me coffre,
–––––––C’est la guerre jusqu’au bout.

(Parlé.) Alors…

–––––––Va pour la bataille !
–––––––C’est toi qui l’auras voulu.
–––––––Fallait pas qu’y aille (bis) !
–––––––Zut, tant pis, turlututu !
II
–––––––En vain vous parlez en maître,
–––––––Je n’accepte pas vos lois,
–––––––Je ne vous prends pas en traître,
–––––––Une fois, deux fois, trois fois !
–––––––C’est une chose entendue,
–––––––Vous ne voulez pas céder,
–––––––C’est donc la guerre conclue,
–––––––Oui, vous voulez me garder !

(Parlé.) Eh bien !…

–––––––Va pour la bataille,
–––––––C’est toi qui l’auras voulu.
––––––––––––––Etc.
Finette.

Oui, c’est bon ! c’est bon ! Enfin vous ne direz pas que vous n’avez pas été prévenu.


Scène IV

Les Mêmes, Les Elèves.
Lemplumé.

Moi, je vous dis que vous obéirez. (Aux élèves qui rentrent.) Comment vous voilà revenues ! Eh bien ! et l’exercice ?

Sophie.

Monsieur, il n’y en a pas, l’instructeur n’est pas venu, il s’est foulé le pied.

Lemplumé.

C’est bien !… Voici une nouvelle camarade que je vous présente. (À Finette.) J’espère que le bon exemple de vos condisciples changera vos idées. Mesdemoiselles, soyez sages.

Il sort.

Finette.

Je ne suis pas une brebis de Panurge, moi.


Scène V

FINETTE, Les Elèves.
Alice.

Que je suis contente de te revoir

Finette.
Moi, je le serais si c’était ailleurs.
Berthe.

Et ton amour ?

Finette.

Il m’a conduite ici, mon amour. Quand verrai-je Apollon maintenant ?

Rose.

Comment t’appelles-tu ?

Finette, grincheuse.

Finette.

Rose.

Comme elle a l’air grincheux.

Alice.

Tu verras, tu seras très bien ici ! Et puis si tu as à écrire à ton Apollon, tu peux ! On fait mettre les lettres à la poste par les externes.

Sophie, très importante.

Alors il paraît qu’il y a une nouvelle. Arrive ici, toi, qu’on te voie.

Finette.

C’est à moi qu’elle parle comme ça ?

Alice.

Oui, mais ne dis rien, parce que c’est Sophie l’intombable ! Elle n’est pas commode.

Finette.

Ah ! bien, c’est ça qui m’est égal.

Sophie.

Eh bien ! dis donc, la nouvelle, tu n’entends donc pas quand on te parle ?

Finette.

Qu’est-ce qui vous faut, à vous ?

Sophie.

D’abord, il me faudra changer ce ton-là !… Arrive ici, tu sais, c’est pas aux nouvelles à faire les malignes, je te prends, moi.

Finette.
Comment ça ?
Sophie.

Eh bien, pour faire tout mon fourbi, comme on dit au régiment, tu me prêteras tes devoirs. Le matin tu me feras mon lit.

Finette.

Hein !… Oh ! mais, dis donc, t’as pas froid aux yeux ! Regarde donc, si je vais te le faire, ton lit.

Sophie.

Qu’est-ce que c’est ?

Alice.

Finette, je t’en prie, ne résiste pas !

Finette.

Oh ! mais il faudrait pas essayer de me mécaniser.

Rose.

Ça va chauffer.

Sophie.

C’est à moi que tu parles comme ça ! oh ! tu ne connais pas Sophie l’intombable.

Finette.

Intombable tant que tu voudras, il ne faudrait pas croire que tu me fasses peur.

Sophie.

Moucheron, va !

Finette.

Oh ! moucheron ! Paquet !

Sophie.

Paquet ! répète-le donc !

Finette.

Oui, je le répéterai, paquet ! paquet ! Paquet !

La lutte s’engage. Les élèves entourent les combattantes. Tumulte, cris dans lesquels on entend : hardi !… bravo

Toutes.

Bravo, bravo, Finette !

Le groupe se sépare et l’on voit Sophie à terre, terrassée par Finette, pendant que Sophie se relève furieuse.

Scène VI

Les Mêmes, SABOULOT, Un Garçon.
Rose.

Un ban à Finette !

Toutes.

Oui, une, deux, trois.

Finette, faisant des manières.

Mesdemoiselles, je vous en prie..

Entre Saboulot.

Toutes, faisant le ban en frappant dans les mains et sur la table.

Pan, pan, pan ! pan pan ! pan ! pan pan pan pan ! pan ! pan ! pan pan ! hip ! hip ! hourrah !

Saboulot, surgissant au milieu des élèves.

Mesdemoiselles, je suis très flatté de l’ovation que vous me faites

Toutes.

Qu’est-ce que c’est que celui-là ?

Finette, à part.

Saboulot !

Saboulot, au garçon.

Voulez-vous aller prévenir le proviseur que M. Saboulot, le nouveau professeur de physique et de chimie vient d’arriver.

Le Garçon.

Oui, monsieur !

Il sort.

Toutes.

Le professeur de physique !

Saboulot.
Mesdemoiselles, je suis votre… (À part.) Mâtin, les jolies filles ! (Haut.) Je suis votre nou… nou… je suis votre veau… votre nouveau professeur. (À part.) Tout ce beau sexe pour un homme seul ! (Haut.) Votre nouveau professeur de physique.
Rose.

Je crois qu’il bégaye.

Saboulot.

Je ne vous cacherai pas que je suis disposé… (Regardant Emilie.) Elle a de jolies dents, celle-là. Que je suis disposé. (Brusquement, aux élèves qui l’entourent.) Eh ! ne m’entourez pas comme ça, vous m’étouffez ! Allons ! En dehors du rayon, n’est-ce pas ? (À part.) C’est vrai !.. tous ces yeux à la fois… si je ne veux pas me laisser dominer. (Haut.) Allons, regagnez vos places, je vous prie, mesdemoiselles.

Les élèves regagnent leurs places.

I
––––––Certes, je suis bien à l’abri
––––––De Cupidon et de sa flèche,
––––––Et je puis braver sans souci
––––––Frimousse provocante et fraîche.
––––––Ne cherche plus à m’enflammer,
––––––Ma pauvrette, je t’en défie !
––––––On ne peut pas plus m’allumer
––––––Qu’une allumette de la Régie.
Bis.
II
––––––Toutefois il ne faudrait pas
––––––Pousser les choses à l’extrême
––––––Et l’on a vu, dans certains cas,
––––––Brûler ces allumettes même ;
––––––Car si vous la jetez, parbleu,
––––––Dans le foyer d’un incendie,
––––––Vous risquez de mettre le feu
––––––À l’allumette de la Régie.
Bis.
Saboulot, apercevant Finette qui lui tourne le dos.

J’avais prié qu’on allât s’asseoir. Je parlais pour tout le monde. (À Finette.) Mademoiselle, je dis cela pour tout le monde… Eh ! vous, là ! oui, la petite demoiselle !

Finette, se retournant.
Quoi ?
Saboulot.

Finette !… Elle !… (Sardonique.) Ah ! ah ! ah ! à ton tour Saboulot, à toi le beau rôle !

Finette, au public.

Et dire que c’est à cause de cette vieille perruque que je suis sous clé.

Saboulot, à part.

Je ne veux même pas avoir l’air de la connaître. (Haut.) Veuillez vous asseoir.

Finette, d’une voix flutée.

Flûte !

Saboulot, interdit.

Voilà !… c’est très bien !… (Il arpente la scène avec importance.) Je lui donne des ordres !… elle ne les exécute pas ; mais je lui donne des ordres tout de même. (Haut.) Mesdemoiselles, nous allons commencer le cours.

Alice, à Berthe.

Un écarté, Berthe !

Berthe.

Un écarté, soit !

Elles mettent un dictionnaire devant elles pour cacher ce qu’elles font, et jouent.

Saboulot.

Et c’est pour vous, mesdemoiselles les assises, que je le commence, mon cours, car, pour mademoiselle, je ne m’en occupe pas plus que si elle n’existait pas.

Finette, entre ses dents.

Oui, mon vieux, t’as raison ; car en fait de cour, t’as pas été heureux avec moi !

Saboulot.

Mademoiselle, je ne vous adresse pas la parole, je parle à ces demoiselles.

Finette.

Ah ! bien !

Saboulot, aux élèves.

Quant à mademoiselle elle peut s’obstiner à rester au piquet au milieu de la classe, je ne m’aperçois même pas qu’elle est là.

Finette.
C’est bon, on l’a entendu.
Saboulot.

Mais là, pas du tout ! (À part,) je la martyrise !

Finette.

Au fait, il a raison, je vais m’asseoir.

Elle va s’asseoir au premier banc, à côté d’Alice.

Saboulot.

Ainsi, mademoiselle s’est assise, je n’y ai même pas fait attention. (À part.) Je veux qu’elle le voie bien. (Haut.) Mes chères élèves, je commencerai par le commencement !

Finette, assise la tête dans son pupitre.

Oui, M. de la Palisse.

Saboulot.

Vous dites ?

Finette, se levant et l’imitant.

Je parle à ces demoiselles.

Elle s’assied.

Saboulot.

Ah ! bon… La physique est la science…

Berthe, jouant à l’écarté.

Cœur !

Saboulot, les voyant jouer.

Qu’est-ce qu’elles font là !

Elles jouent à l’écarté (Au moment où Alice s’apprête à jeter sa carte.) Mais non, mademoiselle, vous devez répondre à la couleur. (Il jette les cartes à mesure.) Cœur, atout, atout et atout.. vous ne savez pas jouer à l’écarté, mon enfant (Continuant son cours.) La physique est la science des choses naturelles.

Rose

M’sieur, alors l’amour, c’est de la physique ?

Saboulot.

Jamais de la vie !

Sophie.

Pourtant, m’sieur, c’est une chose naturelle.

Saboulot.

Il y a des gens qui le disent… Mais c’est de la philosophie. (Avec intention, à Finette.) Il n’y a guère que la femme qui fasse de l’amour une question de physique. (Finette fait des cocottes.) Je perds mon temps, elle fait des cocottes (À Finette.) Mademoiselle, quand je donne la leçon, je vous prierai de ne pas faire, ce que j’appellerai par euphémisme, à cause de ces jeunes filles, des demoiselles en papier.

Finette.

Flûte !

Saboulot.

Voilà ! (À part.) Ma parole, elle a presque l’air de se moquer de moi… (Clarisse lui envoie une boulette de. papier mâché.) Qu’est-ce qui m’a lancé cette boulette de papier mâché ? Mademoiselle, là-bas, c’est vous, je vous ai vue.

Clarisse.

Moi, m’sieur ?

Saboulot.

Vous serez privée de récréation pendant deux jours.

Clarisse.

Oh ! m’sieur, vous n’êtes pas galant !

Saboulot.

Vous oubliez que je suis votre professeur.

Clarisse.

Et vous, que je suis une femme. On doit tout passer aux femmes.

Toutes.

Oui, oui.

Saboulot.

Je ne dis pas. Mais alors, on ne lance pas du papier mâché ! Voyez-vous des gens bien, voyez-vous madame votre mère lancer des boulettes de papier mâché ?

Clarisse.

Maman ne me dit pas ce qu’elle fait.

Saboulot, faiblissant.

Elle est gentille aussi… (Haut.) Allons ! passe pour cette fois, mais n’y revenez plus.

Toutes.
Ah !
Finette.

J’ai assez d’être assise, je vais me dérouiller les jambes.

Elle arpente la salle à grands pas.

Saboulot, la regardant.

Non, mais ne vous gênez pas !

Finette.

Vous voyez ! c’est ce que je fais.

Saboulot, avec affectation.

Je voudrais bien savoir quelle est cette jeune fille qui se permet toutes ces licences. Comment vous appelez-vous, mademoiselle ?

Finette, à mi-voix.

Moi ? Faites donc pas l’imbécile !

Saboulot.

Hein ?

Finette.

Vous ne me connaissez pas ! Eh bien ! je vais vous donner de la mémoire. (Aux élèves.) Finette Bichu, fiancée en rupture de bans… devait épouser un magot.

Saboulot, la faisant passer.

Assez ! Assez !

Finette.

Un instrument à mathématiques, une boîte à chiffres.

Saboulot.

Assez, assez ! (Aux élèves.) Mesdemoiselles, bouchez-vous les oreilles ! (À part.) Elle va trop loin.

Finette.

Et ce magot, cet instrument à mathématiques, je le nommerai.

Toutes.

Nomme-le !

Saboulot.

Non, non. (Aux élèves.) Mesdemoiselles je vous donne campo ! sortez toutes ! (À part.) Quelle bavarde, mon Dieu, quelle bavarde !

Les élèves, sortant.
Nomme-le !

Scène VII

FINETTE, SABOULOT
Finette.

Ah ! ah ! il paraît que vous me reconnaissez maintenant.

Saboulot.

Oui, Finette, je vous en supplie, pas de bruit, pas de scandale

Finette.

Et voilà, monsieur, comment d’un seul mot je fais tomber toute votre arrogance ! Vous canez, monsieur.

Saboulot.

Finette !

Finette.

Ah ! tenez, vous me faites pitié ! Voilà bien les hommes ! Des mouches !

Saboulot.

Mais enfin, qu’est-ce que je vous ai fait ?

Finette.

Il le demande ! Mais sans vous, est-ce que je serais ici ?… C’est à vous que je dois ma réclusion.

Saboulot.

Eh bien ! si vous voulez, vous pouvez être libre. Dites un mot à vos parents.

Finette, avec intérêt.

Quoi ?

Saboulot.

Que vous m’aimez !

Finette, sursautant,

Moi ! jamais !

Saboulot.

Oh ! étrange chose que la vie !… J’aurai fait fi des femmes qui m’ont aimé et il faut que ce soit celle que j’aime qui me repousse.

Finette, avec un air de doute.

Vous avez été aimé, vous ?

Saboulot.

Certes ! et discrètement, sans qu’on me le dise.

Finette, railleuse.

Ah ! bon !

Saboulot.

C’étaient des femmes du monde !

Finette, même jeu.

Ne les compromettez pas.

Saboulot.

Jamais !… Ah ! Finette, pourquoi ne m’aimez-vous pas ! nous aurions pu être si heureux dans le petit appartement que je nous avais fait meubler faubourg Poissonnière. Ah ! que je suis malheureux !

Soupir de Finette.

Saboulot.

Vous soupirez ? Oh ! dites-moi que je puis au moins espérer.

Finette.

Oh ! on peut toujours espérer.

Saboulot, il se met à ses genoux.

Oui ? Ah !… et vous m’aimerez… hein ! oh ! aimez-moi ! dites !

Finette.

Qui sait !… si vous y mettez du vôtre. (À part.) Non, mais c’est qu’il croit que c’est arrivé. (Indiquant la perruque.) Oh ! mais d’abord je ne veux pas vous voir avec cette vilaine chevelure. Enlevez ça, dites !

Saboulot, embarrassé.

Mais c’est à moi.

Finette.

Oui ? Eh bien ! faites-m’en cadeau !

Saboulot.
Hein !
Finette.

Oui, j’aime mieux la tête nature ! Enlevez ça, voyons.

Elle lui retire son toupet qui découvre un crâne magnifiquement chauve sur la partie supérieure.

Saboulot.

C’est que je suis un peu ras en-dessous. On aperçoit les élèves, la figure collée aux vitres.

Finette.

Ah ! comme je vous aime déjà mieux comme ça. (Lui caressant la tête.) Ah ! c’est doux, c’est lisse ! Vous avez dû mettre du pilivore.

Saboulot.

Oui, oui ; précisément.

Finette.

Alors maintenant, je voudrais vous voir avec des cheveux, des cheveux à vous… Oh ! tu laisseras pousser tes cheveux, dis, Joseph ?

Saboulot.

Oui, certainement… Ah ! Finette, que je suis heureux !

Finette.

Et alors… le jour où tu auras tous tes cheveux… je serai ta femme.

Saboulot.

Hein !

Les élèves, qui se sont formées en monôme, viennent, sur la pointe des pieds, rejoindre Finette qui prend la tête du monôme et toutes décrivent en éclatant de rire, des arabesques derrière Saboulot qui reste tout le temps en vue du public. Elles remontent ainsi, défilant entre la première et la deuxième rangée des pupitres, et viennent former le demi-cercle autour de Saboulot.

Saboulot.

Je suis joué !

Les élèves.

Ah ! ce caillou ! Ah ! ce caillou !

Saboulot.

Ça n’est pas vrai ! Je me suis fait tondre.

Finette, brandissant la perruque.
Et voici la coupe.
Saboulot, furieux.

Rendez-moi ça !… Rendez-moi ça ! (Les élèves je rejettent la perruque de l’une à l’autre.) Ah ! c’est comme ça !… je consigne toute la classe jusqu’à nouvel ordre. (Il regagne la chaire hors de lui et s’assied dans la cuvette.) Ah ! mon Dieu !

Finette.

V’lan ! dans la cuvette !

Les élèves, riant.

Ah ! ah ! ah !

Saboulot.

Je suis trempé ! Où me changer ?

Les élèves, le poussant vers les « arrêts »

Tenez, par là ! (On l’introduit ; une fois dedans, Finette met le verrou.) Enfermons-le !


Scène VIII

Les Mêmes, moins SABOULOT.
Finette.

En voilà un sous clé ! Et voilà comment on fait les révolutions. Ah ! mesdemoiselles, si vous le vouliez, c’est vous qui feriez la loi ici.

Les élèves.

Comment cela ?…

Finette.

Tenez, puisque nous sommes seules, eh bien ! conspirons ! Nous allons faire un meeting

Les élèves.

C’est cela ! un meeting ! un meeting !

Finette, montant à la chaire.

Je m’accorde la parole !… Oui, mesdemoiselles !…

Rose.
Appelez-nous lycéennes.
Finette.

Oui, lycéennes, il ne tient qu’à vous d’être maîtresses ici. Mais regardez !… À quels adversaires avons-nous affaire ? À des hommes ! Qu’est-ce que c’est que ça, des hommes ?

Toutes.

Hé ! Hé !

Finette.

Il n’y a pas de hé ! hé ! Qu’est-ce qui fait la force de nos chefs, c’est notre faiblesse. Oui, lycéennes, relevez la tête, vous représentez le nombre, par conséquent, vous êtes la force.

Toutes.

Oui, oui.

Finette.

Que nous manque-t-il ? nous avons des armes ! que risquons-nous ? nous ne sommes pas majeures.

Toutes.

C’est vrai !

Finette.

Si vous le voulez, ce soir, nous serons seuls maîtres ici.

Les élèves.

Bravo ! Bravo !

Alice.

Je propose de nommer Finette chef de la conspiration.

Les élèves. Adopté ! Bravo !

Finette, descendant de la chaire.

Ah ! me voilà chefesse !

Les élèves.

Vive Finette !

Chœur.
–––––––Lycéenne, prépare-toi !
–––––––Bientôt l’heure sera sonnée
–––––––Où tu pourras faire la loi
–––––––En conquérant tout ton lycée.
–––––––Marchons ! Renversons tout à bas,
–––––––Et toutes femmes que nous sommes,
–––––––Prouvons qu’on ne nous conduit pas
–––––––Ainsi que l’on conduit des hommes.
Finette.
––––––––Chahut, chahut, chahut !
–––––––Viv’ les vac’, à bas l’bahut !
––––––––––Plus de philo,
––––––––––Plus de rhéto.
–––––––Mort aux math’ et mort au bac.
Chœur.
––––––––Chahut, chahut, chahut !
––––––––Viv’ les vac’, à bas l’bahut !
–––––––Mort aux math et mort au bac.
––––––––––Pions dans l’sac
––––––––––Et sac à l’eau !
–––––––––––Chaud ! Chaud ! Chaud !
Toutes.

Vive Finette !


Scène IX

Les Mêmes, BOUVARD.
Bouvard, arrivant du fond sans avoir été vu des élèves.

Pardon, mesdemoiselles !

Toutes, effrayées se sauvent.

Ah !

Finette.

Eh ! bien, c’est comme ça que vous filez à la première alerte ! (Apercevant Bouvard.) Apollon, toi ! c’est retoi !

Bouvard.
C’est remoi !
Finette.

Lycéennes, la séance est levée, vous pouvez vous retirer !

Reprise du chœur.

––––––––––Chahut, chahut !
––––––––––––––Etc.

Sortie.


Scène X

BOUVARD, FINETTE.
Bouvard.

À la bonne heure, vous ne vous ennuyez pas ici !

Finette.

Apollon ! vous, dans ce collège ! Quelle imprudence !

Bouvard.

Ah ! j’ai cru que je n’arriverais jamais jusqu’ici ; j’avais un cocher épouvantable ; nous avons fait une de ces courses incohérentes : non, on ne le croirait pas !…

CHANSON INCOHÉRENTE.
––––––J’aperçois un fiacre qui passe,
––––––Je lui fais signe, hop ! et j’y grimpe,
––––––Mais, si ce n’est pas de la guigne,
––––––Son carcan n’allait pas du tout.
––––––––––Pan pan, pan pan,
–––––––––Pan pan, pan pan pan,
––––––––––Pan pan, pan pan,
–––––––––Pan pan, pan pan pan.
––––––Le cocher qu’était tout novice
––––––Ne connaissait pas son chemin.
––––––Au lieu d’aller où je lui dis,
––––––Il me dirige à Charenton,
––––––––––Pan, pan, pan pan,
––––––––––––––Etc.
––––––Sur le quai, grand rassemblement.
––––––Il nous faut rebrousser chemin.
––––––C’est une foule qui regarde
––––––Ce qu’on pouvait bien regarder.
––––––––––Pan pan, pan pan !
––––––––––––––Etc.
––––––Mon cocher fait donc volte face,
––––––Vient un tramway qui nous culbute,
––––––Et comme c’est nous les plus faibles,
––––––C’est nous que l’on fourre en fourrière.
––––––––––Pan pan, pan pan !
––––––––––––––Etc.
––––––Voilà comment j’ai pris l’ parti
––––––De faire route sur mes jambes !
––––––Morale : quand on est pressé,
––––––Il ne faut pas prendre de fiacre.
––––––––––Pan pan, pan pan !
––––––––––––––Etc.
Finette.

Mais pour pénétrer dans le collège, comment avez-vous fait ? Le concierge vous a laissé entrer ?

Bouvard.

Oui, j’ai payé de toupet ! Je lui ai dit : « Me voilà ! je ne suis pas en retard ? » Il m’a répondu : « Mais je ne crois pas, monsieur » ; et je suis passé ! Ce n’est pas plus malin que ça.

Finette.

C’est parfait. Et maintenant qu’est-ce que vous allez faire ?

Bouvard.

Ah ! bien voilà ! je viens vous le demander.

Finette.
Comment, vous venez me le demander ?… Mais ça me paraît indiqué Vous allez m’enlever !
Bouvard.

Vous enlever !

Finette.

Evidemment ! et une fois dehors… je vous suis partout, je me compromets avec vous.

Bouvard.

Je ne vous dis pas ; certainement, je suis très flatté, mais c’est que ça relève des tribunaux, ça !

Finette.

Ah ! Apollon, vous ne m’aimez pas !


Scène XI

Les Mêmes, puis LEMPLUMÉ.
Voix de Lemplumé.

N’est-ce pas, mon ami, vous apporterez les instruments de chimie pour le cours ?

Finette.

Ah ! mon Dieu !

Bouvard.

Qu’est-ce que c’est ?

Finette.

Le proviseur ! Je l’avais oublié ! Cachez-vous ! Bouvard se précipite où est enfermé Saboulot.

Finette.

Non, pas par là ! il y en a déjà un ! Merci, ils se mangeraient !

Bouvard, se cache sous la rangée de pupitres du fond.

Là !… on ne me voit pas ?

Lemplumé, entrant.
Je vous demande pardon… (À Finette.) Tiens, où est donc le professeur de physique et de chimie ?
Finette, embarrassée.

Je ne l’ai pas vu, monsieur le proviseur.

Lemplumé.

Comment, vous ne l’avez pas vu ? Mais alors… (Apercevant Bouvard à quatre pattes sous la table.) Eh ! mais le voilà ! Eh ! qu’est-ce que vous faites là, monsieur ?

Bouvard, embarrassé.

Je vous attendais, monsieur le proviseur.

Lemplumé.

À quatre pattes sous la table ?

Bouvard.

Je vais vous dire, en attendant, j’inspectais la classe.

Lemplumé.

À quatre pattes.

Bouvard.

J’ai la vue un peu basse.

Lemplumé.

Je vous demande pardon si je vous ai fait attendre, mon cher collègue.

Bouvard, se relevant.

Oh ! (À part.) Cher collègue, c’est donc un peintre.

Lemplumé.

C’est aujourd’hui que vous commencez votre cours de physique et de chimie.

Bouvard, interloqué.

Ah ?

Lemplumé.

Comment cela, ah !

Bouvard.

Non, je veux dire « Ah ! oui. » Vous ne m’avez pas donné le temps de finir. (À part.) Est-ce qu’on va me mettre partout, comme ça, à toutes les sauces ?

Lemplumé.

Mais où sont donc les élèves ? Elles devraient être en classe.

Bouvard.
Quand elles m’ont vu, elles se sont retirées discrètement.
Lemplumé, à Finette.

Voulez-vous les appeler, mademoiselle.

Finette.

Eh ! là-bas ! eh !… oui, vous, venez.

Rentrée progressive des élèves.

Lemplumé, à Bouvard.

Hum ! beau temps, aujourd’hui !

Bouvard.

Oui, mais chaud, chaud, chaud, chaud, très chaud… (À part.) C’est drôle comme on est bête quand on n’a rien à se dire. On le sait bien qu’il fait chaud. Eh ! bien, non !


Scène XII

Les Mêmes, Les Élèves, Le Garçon.
Lemplumé, aux élèves.

Veuillez regagner vos places. Qu’est-ce que c’est que ces manières d’aller se promener quand vous voyez arriver votre professeur ?

Les Elèves

Quel professeur ?

Le Proviseur.

Chut ! regagnez vos places.

Le garçon apporte la table chargée des instruments de chimie, cuves, cornues, bocaux, éprouvettes, etc., et la place à la droite de la porte d’entrée.

Lemplumé.

Et maintenant, monsieur, voulez-vous commencer votre cours ?

Bouvard.

Hein ! moi ! il faut que…

Lemplumé.

Je vous en prie.

Bouvard, à part.

Ah ! non, il abuse, il devient indiscret. (Haut.) Alors, vous croyez qu’il faut que…

Il monte à sa chaire.
Lemplumé.

Eh ! bien, naturellement.

Bouvard.

C’est que je vais vous dire… je suis très timide… et dame ! tant que je n’ai pas commencé mon cours, je n’ose pas.

Lemplumé.

Précisément, commencez-le.

Bouvard.

Ah ! Oui, mais voilà ! tant que je n’ose pas, je ne le commence pas.

Lemplumé.

Alors, ça peut durer longtemps ! Faites-vous violence, voyons !… Un peu de physique, allez !

Bouvard
Un peu de physique, allez ! un peu de physique, allez ! S’il croit que c’est commode ! c’est que je n’ai que de faibles notions. (Haut.) Enfin allons-y, va pour la physique, puisqu’il le faut.

Les élèves écoutent avec attention, le proviseur s’installe.

Bouvard

Mesdemoiselles, je vais faire devant vous aujourd’hui, quelques expériences de physique. (Descendant de la chaire.) Quelqu’un aurait-il un mouchoir propre à me prêter et une pièce de cent sous ?

Lemplumé et Les Élèves.

Hein ?

Bouvard, demandant à Lemplumé.

Monsieur le Proviseur, s’il vous plaît ?

Lemplumé, lui remettant son mouchoir et une pièce de cinq francs.

Voilà ! mais je ne vois pas…

Bouvard.

Laissez-moi faire. Vous voyez cette pièce de cinq francs ? hop ! disparue. (Il l’escamote.) Eh ! bien, elle est au bout de votre nez, monsieur le Proviseur.

Il retire la pièce du nez du Proviseur.
Toutes.

Ah ! bravo !

Lemplumé.

Mais pardon, vous vous trompez de physique, celle-là n’est pas dans le programme.

Bouvard.

Pardon, si, c’est dans le nouveau programme. (Continuant.) Cette pièce de cent sous, je la mets dans ce mouchoir. Elle y est bien. Eh bien ! regardez, une,… deux,… trois,… disparue ! (Il déploie le mouchoir, la pièce tombe sur le parquet.) Et voilà ! c’est manqué. (Il ramasse la pièce.) Je la remets dans le mouchoir ; monsieur le proviseur, veuillez compter jusqu’à dix, à haute voix. (Il couvre la pièce du mouchoir qu’il serre immédiatement au-dessous de la pièce.) Veuillez couper le mouchoir, mademoiselle. (Une élève coupe. – Au proviseur qui continue à compter et qui a atteint vingt ou vingt cinq.) Quand vous serez à dix, vous vous arrêterez ! (Aux élèves.) Là, vous voyez bien ce trou dans le mouchoir !

Les Elèves.

Oui, oui.

Bouvard.

Vous le voyez, monsieur le proviseur !

Lemplumé, inquiet.

Mais c’est mon mouchoir.

Bouvard.

N’ayez pas peur, je vous le remettrai dans le même état ! (Aux élèves.) Vous voyez un mouchoir avec un trou ! Je vais vous en remettre un sans trou. Pour ça, je le mets dans ma poche, je le retire. (Il retire son mouchoir qui est d’une autre couleur que celui du proviseur.) Eh bien ! il n’y a plus de trou !

Quelques Elèves.

Mais ce n’est pas le même mouchoir !

Bouvard.
Mais je n’ai pas dit que ce serait le même mouchoir. J’ai dit qu’il n’y aurait plus de trou. Si les mouchoirs étaient pareils, on n’y aurait vu que du feu. C’est pas la peine de débiner le truc.
Lemplumé.

Mais alors, mon mouchoir à moi !

Bouvard, le tirant de sa poche.

Le voici, monsieur le proviseur.

Lemplumé, le déployant.

Eh ! bien, il est joli ! je vous remercie.

Bouvard.

Oui, mais vous avez une pièce de cent sous.

Lemplumé.

Parbleu, c’est ma pièce !

Bouvard, remontant à la chaire.

Maintenant, par quoi pourrais-je bien continuer ? (Retirant la calotte que le proviseur a sur la tête.) Vous voyez cette calotte ?

Lemplumé, rattrapant sa calotte.

Non, assez de physique comme cela ! Ça coûte trop cher, faites plutôt de la chimie, tenez !

Le garçon apporte la table de chimie au milieu de la scène face aux élèves.

Bouvard, inquiet.

De la chimie ?

Lemplumé.

Oui.

Bouvard.

De la chimie ? Avec toutes ces petites fioles-là…

Lemplumé.

Dame !

Bouvard, à part.

Diable ! diable ! diable ! c’est que je n’aime pas jouer avec ces machines-là.

Lemplumé.

Eh ! bien allez !

Bouvard, à part.
On ne sait pas ce qu’il y a là dedans, et c’est comme ça qu’il arrive des accidents… (Haut.) Ça n’est pas dangereux au moins ?
Lemplumé.

Quand on sait s’y prendre, non, parbleu !

Bouvard.

Il est rassurant ! avec ça, il n’a pas l’air de s’y connaître plus que moi… (Haut.) Eh bien ! voilà. (Prenant un des bocaux.) (Au proviseur.) Approchez-vous, M. le proviseur. (À part.) Au moins s’il arrive quelque chose, j’aime autant qu’il soit là. (Reprenant.) Eh ! bien, voilà ! Vous voyez bien, cette machine-là, ce liquide… et puis cet autre-là ? Eh ! bien, voilà ! quand on les met ensemble… vous allez voir ce que ça fait, nous allons voir ce que ça fait. (Il verse le contenu des deux fioles dans une cuve.) Faites bien attention ! (Une grande détonation se produit, tout le monde sursaute ; quant à Bouvard, terrifié, il saute en l’air, pivote sur lui-même, n’ayant plus la tête à lui.) Là, voilà !… J’en étais sûr ! C’est stupide, ces choses-là !

Lemplumé.

Aussi, vous êtes d’une maladresse !

On entend du bruit dans la pièce où est enfermé Saboulot.

Finette.

Allons bon, Saboulot qui s’impatiente là-bas.

Lemplumé.

Qu’est-ce qui fait ce bruit-là ? (Le bruit redouble, on entend « Ouvrez ».) Il y a quelqu’un d’enfermé là-dedans.

Il va ouvrir.

Finette.

Nous sommes flambées.

Lemplumé.

Sortez, monsieur.

Il tire Saboulot.


Scène XIII

Les Mêmes, SABOULOT.
Saboulot, en caleçon.
Ne me tirez donc pas comme ça !
Lemplumé.

Un homme déshabillé. (Aux élèves.) Sortez, mesdemoiselles, allez au jardin, (Les élèves à l’exception de Finette sortent avec des petits cris de poules effarouchées en se cachant les yeux, tandis que Lemplumé couvre Saboulot de son corps. – À Saboulot.) Qui êtes-vous monsieur, quelle est cette tenue ?

Saboulot.

C’est moi ! Pendant que mon pantalon séchait, je me suis endormi, quand tout à coup une explosion épouvantable !

Lemplumé.

Et que venez-vous faire ici

Saboulot.

Mais je viens faire le cours à ces demoiselles.

Bouvard.

Il vient faire la cour à ces demoiselles, vous l’entendez ? c’est un don Juan, un vilain don Juan. Chassez-le, monsieur le proviseur.

Saboulot, reconnaissant Bouvard.

Hein ! l’en-tout-cas dans cette maison, le pseudo-notaire, c’est lui qu’il faut chasser !

Bouvard.

Me chasser, moi ?…

Lemplumé.

Chasser M. Saboulot ?

Saboulot.

Eh ! Saboulot, c’est moi ! lui est Apollon Bouvard, un galantin qui vient pour enlever cette jeune fille.

Lemplumé.

Hein !

Bouvard.

Eh bien ! oui, là, c’est vrai, je suis Apollon Bouvard ! Et après ?…

Lemplumé.
Quelle audace ! Je vais vous faire mettre à la porte.
Finette.

À la porte lui ? faudrait voir ça. (Aux élèves.) Aux armes !

Les élèves reviennent armées.

Lemplumé.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Finette.

Il y a que vous êtes nos prisonniers.

Les élèves présentent leurs baïonnettes au proviseur et à Saboulot.

Lemplumé.

Une révolte !

Finette.

Et maintenant ! oui, monsieur est Apollon Bouvard, et je pars avec lui ! Vous pourrez le dire si on vous le demande.

Toutes.

Vive Finette

Tout le monde reprend le chœur de la Lycéenne.

––––––––Chahut, chahut chahut !
––––––––Viv’ les vac’, à bas l’ bahut !
––––––––––––––Etc.

Les élèves marchent sur le proviseur qui se débat, Bouvard lui met le panier à papiers sur la tête. Le rideau tombe sur la fuite de Finette avec Apollon.


Rideau.



  1. Premie banc (indications prises de l’avant-scène) Alice, Berthe, Sophie, deuxième banc, Clarisse, une élève, Rose ; troisième banc, Gabrielle, Agathe, deux élèves. Au banc du fond, d’autres élèves.
  2. Toutes les élèves doivent animer le dialogue qui sait par des rires, des interruptions, des gestes, des boulettes lancées, des plaisanteries faites par les unes aux autres, etc.