La Maîtresse du prince Jean (Willy)/05

La bibliothèque libre.
Albin Michel (p. 109-132).


V

PREMIÈRE NUIT D’AMOUR


Théâtre national de l’Odéon. Les coulisses. Pompiers, vagues bruits, vagues éclairages, et, là-bas, en un recoin, une espèce d’homme en bras de chemise qui se cire les souliers.

Assoupli par un long bain somptueusement additionné d’une eau de Cologne spéciale, conseillée par Maugis, toute la peau réjouie par le contact d’une flanelle neuve, d’un caleçon vierge et de deux chaussettes radieuses, Maurice Lauban fut introduit dans la loge de Gaëtane Girard. Ils se serrèrent la main avec beaucoup de cérémonie et échangèrent quelques propos d’une banalité parfaite. Voix et vocables élégamment quelconques, attitudes en rapport. Aucun mot, aucun geste qui pussent laisser pressentir que ces deux êtres corrects et, d’ailleurs différents par le sexe comme par l’âge, aspiraient à frotter fougueusement l’un contre l’autre leurs respectifs épidermes.

On eût cru plutôt qu’ils répétaient le Menuet ou quelque autre comédie fluette destinée à réjouir les invités de M. Arthur Meyer. Rien à craindre de la censure. Rien à couper.

L’actrice ferma quelques tiroirs, épingla son chapeau, se ganta, prit sa trousse où brinque-ballaient une dizaine d’objets d’or, dont un ouvre-lettres et un sifflet :

— Comme c’est pratique ! pensa Lauban. Avec ça, si nous recevons une épître en route ou si nous avons un chien à appeler…

Et il suivit Gaëtane qui, prompte, descendait déjà l’escalier aux dalles vétustes.

Dans la rue, elle s’arrêta net, regarda le ciel, puis le poète. À dessein d’établir une comparaison ? Il n’importe. Elle demanda :

— Où allons-nous ?

— Nous verrons bien. Prenons d’abord un fiacre.

— À votre gré. Je vous obéis.

Elle tâchait à se confectionner une physionomie et un accent espiègles, telle une jeune fille du grand monde qui va se promener avec son petit papa chéri.

Une fois réintégrés dans le sapin :

— Je vous obéis, redit-elle.

Or, son espièglerie changea. Certes, elle demeurait jeune fille, toujours ; mais il n’était plus question de petit papa.

Lauban l’attira contre lui et, à la clarté d’un réverbère qui se trouvait là par une délicate attention de la Providence, il la contempla un moment.

— Combien je vais vous aimer !… Oh ! comme vous êtes belle !

Elle avait tout de suite pâli — émue, sans doute, par la forte originalité des propos de Lauban — et, les dents serrées, souriait d’un exquis sourire sauvage.

— Je n’ai que deux yeux : ce n’est pas assez ! reprit-il.

Mais s’apercevant, soudain, que le sapin n’avait pas démarré, il passa par la portière une tête furieuse :

— Eh ! bien, cocher, qu’attendez-vous ?

— J’attends qu’vous m’disiez où qu’il faut vous conduire.


On eût plutôt cru qu’ils répétaient le Menuet.

— C’est vrai, murmura le poète en se retournant vers la comédienne, j’ai négligé de dire où nous allons. Voulez-vous que ce soit chez vous ?

Elle eut le geste de quelqu’un qui s’abandonne corps et âme. Et Lauban


… et, confortablement, l’assit sur ses genoux.


enjoignit au cocher :

— Au coin de l’avenue Victor-Hugo et de la rue des Belles-Feuilles.

Ensuite, reprenant dans ses bras Gaëtane, il recommença à la contempler. Mais il la voyait beaucoup moins bien parce que le réverbère n’était plus là pour tenir la chandelle, et il redit :

— Ce n’est pas assez de deux yeux pour vous admirer, mon amour !

Elle le baisa sur les lèvres :

— Voudriez-vous, questionna-t-elle, avoir deux visages, ou trois… ou quatre… comme certaines idoles du Musée Guimet ?

— Ah ! oui, le Capharnadieux… Ce ne serait pas encore suffisant, fit-il, en allongeant la bouche afin d’appâter un second baiser.

— Cent yeux comme le prince Argus ?

— Ce serait encore trop peu.

Il souleva la comédienne et, confortablement, l’assit sur ses genoux. Puis, tout en la frôlant par ci, par là, d’une main convenablement dégantée :

— Oh ! n’avoir que deux yeux ! soupira-t-il. (Il tenait son développement). L’homme est rudement inférieur, sous ce rapport à l’araignée, qui en possède huit mille à ce qu’assure Swammerdamm. Qu’en pensez-vous ?

— De Svvaimncrdamm ? C’est, je crois, un naturaliste.

— Hollandais, oui, ma chérie !

— Eh bien, je pense que, pour un naturaliste, Swammerdamm est un nom exquis.

— Exquis, c’est le mot ! Et l’araignée ? Votre opinion sur l’araignée ?

— Vous le voyez bien. J’en aime les pattes.

— Plus exquis encore, s’émerveilla Maurice Lauban.

Et ses frôlements se multiplièrent, de délicieux frôlements, de petites choses divines faites dans le cou avec presque rien, avec deux doigts ou même un seul. Cependant, il n’était pas assis dans une position tout à fait naturelle : sa jambe droite portait à faux, et il en résultait une tension éminemment fâcheuse, avant-coureuse de la crampe. En revanche, Mlle  Girard se trouvait dans une situation si agréable, elle exprimait par de légères ondulations un si charmant bien-être que, de peur de la déranger, Maurice n’osait pas remuer la jambe. Et il souffrait beaucoup, énormément, de plus en plus, avec, seulement, pour se consoler, la satisfaction stoïque de se dire :

— Si nous n’arrivons pas bientôt, les muscles de mon infortunée guibole vont entrer dans ce que la langue médicale appelle : « l’état de tétanos ». Tétanos, un mot grec qui signifie : raide.

C’était raide, en effet.

Cependant, regardant vers l’une des portières, il essaya de reconnaître le site où, en ce moment, le fiacre roulait, guère plus vite, hélas ! que si on l’eût pris à l’heure :

Un trottoir, des boutiques closes, un bec de gaz, d’autres boutiques closes, un autre bec de gaz. Tout cela n’était pas extrêmement caractéristique. Un arbre, plusieurs arbres. Cela n’était pas extrêmement indicatif non plus. Il y a tant d’arbres à Paris ! Et, elle est véritablement aussi déplorable qu’inouïe, la ressemblance de ces arbres entre eux, quand on les considère d’une certaine distance, la nuit surtout.

Vexé, le jeune homme serra les dents. Ah ! la pauvre chose que la vie… ne pas pouvoir un seul instant goûter des délices complètes ! Ah ! les tourments de l’ignorance humaine… Ne pas même savoir en quels lieux on végète ! Se trouvait-on encore loin de la rue des Belles-Feuilles ? Sombre mystère. Toujours des boutiques closes, des arbres et des becs de gaz. Acre ironie ! Oui, décidément, ces becs de gaz uniformes, ces arbres et ces boutiques monotones se moquaient de ce jeune homme anxieux et mal assis. Il le comprit, ferma les paupières, et, sans cesser, même une seconde, d’interrompre le bien-être qu’avec un doigté prestigieux il dispensait au cou de Gaëtane, il se livra en silence à son tétanique destin.

— Vous ne parlez plus, constata la comédienne, mais j’entends battre votre cœur. Il est éloquent ; j’adore son style. J’adore également le style de vos gestes. Si vous tenez ce que vous promettez, vous allez me rendre folle.

Subitement, elle changea de ton :

— Nous arrivons. Laissez-moi…

Elle s’était dressée, se rajustait, baissait sa voilette ; Lauban, délivré, se regantait. En même temps, il s’appliquait à dégourdir sa jambe. Aïe ! au moindre mouvement, il lui semblait qu’on introduisait des poignards dans son mollet et des baïonnettes dans sa cuisse : un instant, de tout son cœur, il souhaita rendre lames.

— Faudrait me frictionner un peu, pensa-t-il.

Mais cette opération risquait de le rendre grotesque. Au demeurant, il n’avait plus le loisir de se frictionner. Le fiacre s’était arrêté tout à coup. Gaëtane agita sa trousse d’or.

— Eh bien ! l’ami Pierrot, nous voici chez nous, dit-elle avec une impatience flatteuse.

— Ah ! nous y voici ? Quel bonheur ! râla-t-il en se mettant debout.

Il posa son talon sur le marchepied, et il crut que l’effectif complet des légions infernales, armé de lances, se ruait tout entier dans sa jambe. Des sécrétions variées résultèrent de cette torture ; larmes aux yeux et sueurs froides le long de l’échine. Un cri — probablement affreux — gonfla sa gorge, faillit éclater ; mais, courageusement, il le ravala : un homme, qui allait cocufier en la personne du prince Jean toute une lignée de preux, ne pouvait décemment se montrer inférieur, devant la souffrance physique, à de tels héros. Même, une fois sur la chaussée, il se régenta jusqu’à sourire en offrant élégamment la main à la comédienne, afin de l’aider à descendre de voiture. Elle piqua droit vers la marquise de son hôtel, tandis qu’il réglait le cocher. Celui-ci, content du pourboire, eut une ignoble contorsion de réjouissance brutale qu’il aggrava de ce souhait cynique :

— Bien de la volupeté, bourgeois !

Sans répondre, les sourcils serrés, Lauban rejoignit Mlle  Girard.

— Vous boitez, mon ami Pierrot !

— J’ai un pied endormi.

— Si ce n’est que le pied…

Elle ouvrit la porte, la referma derrière eux. Enseveli soudain dans des ténèbres opaques, le poète, pour achever de dégourdir sa jambe, fit un pas, deux pas, au hasard. Il donna du front contre un objet dur, et cette fois, il ne ravala rien du tout. Il cria :

— Tonnerre de sort !

— Chut ! souffla la comédienne en allumant une petite bougie pas plus grosse que le petit doigt (qui est celui du cœur).

— Je me suis fendu la tête.

— Si ce n’est que la tête…


Le cocher eut un souhait cynique :
— Bien de la volupeté, bourgeois !

Et, à la précaire clarté de la bougie minuscule, Gaëtane présenta un jeu de physionomie que le jeune homme jugea incongru, sinon libidineux.

— C’est sérieux. Je me suis fait bigrement mal ; tenez, c’est contre ce porte-manteaux, j’ai failli…

— Chut ! fit-elle encore. Vous avez failli réveiller mes gens.


Vous voyez ! ça saigne !

« Ses gens ». Ce mot-là fut un baume apaisant à la blessure, d’ailleurs infime, de Maurice. Seule, l’amie d’un prince peut s’exprimer ainsi, avec ce ton aristocratique. Et Lauban sourit avec béatitude en songeant que, pour la corne passagère que venait de lui infliger un porte-manteaux sans doute payé par Monseigneur, il allait généreusement lui en octroyer une belle paire — de cornes, à Monseigneur — et durable ; « Ceci paiera cela. »

— Pas de bruit, je vous en supplie, insista Gaëtane… Suivez-moi.

Elle parlait très bas, un index devant la bouche et s’avançait sur la pointe des pieds. Ils traversèrent un vestibule où deux grands vases bleus, éperdument quelconques, arrondissaient des panses orgueilleuses, sous le prétexte insuffisant qu’ils venaient de Sèvres. À droite, une galerie ornée de tambours de basque. (Veine ! pensa Lauban, on va jouer à la pelote !) Puis un escalier aux balustres dorés, au tapis de pourpre.

— Foulons la pourpre !

Ils la foulèrent en silence, parvinrent au premier étage. En face, une superbe porte :

— Ce doit être là.

Ce n’était pas là. Quelques prudentes enjambées vers la gauche. Une autre superbe porte :

— Alors, ce doit être là.

C’était là. À la suite de Mlle  Girard, le poète s’insinua dans un cabinet de toilette qui, tout de suite, lui parut aussi vaste que somptueux. Il avisa une immense glace, et, tandis que Gaëtane haussait sa petite bougie vers un luxueux candélabre à gaz, il alla se mirer avec une hâte fiévreuse : 

— Ah ! bien, chuchota-t-il, je me suis artistement arrangé. Là, à cinq centimètres à peine de la tempe !… J’aurais fort bien pu me tuer.

Il jeta son chapeau sur un siège, et, s’approchant vivement de la comédienne :

— Vous voyez, ça saigne !… Un travers de doigt plus bas et, mon amour, j’étais f…

— Égoïste ! dit Gaëtane.

Elle ébaucha un geste négligent, presque dédaigneux. Puis, elle affecta de s’apitoyer :

— Pauvre chérubin !

Ensuite, baisant la mince égratignure qu’il exhibait complaisamment, tête penchée :

— Pour vous guérir, murmura-t-elle… Et à présent que vous êtes guéri, reprenez vite votre chapeau.

— Mon chapeau ?

Il eut un regard singulier ou un ahurissement inexprimable se combinait avec une indicible épouvante.

— Comment, déjà ?

— Est-il enfant ! s’amusa-t-elle.

Et, en un sourire très rassurant, l’accent à peine théâtral :

— Non, mon petit poète chéri ; ah ! mais non, je ne te renvoie pas encore. Je serais volée plus que toi.

Comme il ne se décidait pas à reprendre son chapeau, ce fut elle qui le prit et le lui posa gentiment sur la tête en même temps qu’elle invitait avec de doux gestes conspirateurs :

— Par ici.

Ils passèrent dans une pièce attenante :

— Que vois-tu ?

— De l’ombre dit-il. Elle est auguste et solennelle.

— Elle est aussi nuptiale. Te voici dans la chambre de Madame, ô Chérubin ! Et voici le lit.

Il supposa que, romanesque, elle souhaitait être prise sans se dévêtir et


— C’est une idée. Je chaufferai le lit, chevrota-t-il.


dans l’ombre. Il l’étreignit d’une poigne robuste.

— Ô joie !

Mais elle s’échappa avec cette promesse :

— À tout à l’heure !

Elle revint pour expliquer, très grave :

— J’ai un décorum à garder. Le décorum ! le mot, la chose sont stupides, je le sais. Je n’y puis rien : ma vie est ainsi faite… Chaque soir, en rentrant je sonne ma femme de chambre afin qu’elle me déshabille. Je vais la sonner et…

— Et, interrompit-il d’une voix curieuse et inquiète, est-ce qu’elle vous déshabille longtemps ?

— Ça dépend des soirs. Ce soir, je tâcherai qu’elle se dépêche. Vous, ne vous impatientez pas. Soyez sage.

— Comme un mage d’Épinal. Vous n’avez rien à me donner à fabriquer en vous attendant ?

— Mais si. Couchez-vous.

— C’est une idée. Je chaufferai le lit, chevrota-t-il.

— Je n’osais pas le dire.

Et elle sortit tranquillement de la chambre dont elle referma la porte.

— « Je n’osais pas le dire ! » se cabra Maurice Lauban resté seul dans l’obscurité. C’est ça, elle n’osait pas me dire qu’elle me prenait pour une bassinoire !

Tant de complications préliminaires commençaient à l’agacer un peu. Mme  Péruwels faisait moins de façons : v’lan ! les lunettes ici, v’lan ! le pantalon rouge là. Et, sans plus de formalités, on arrivait tout de même à la petite secousse en quoi se résolvent — quelque place qu’occupent dans la société les partenaires — toutes les entrevues amoureuses d’ici-bas.

Au fond, sans qu’il se l’avouât, la mauvaise humeur de Lauban provenait surtout d’un trac imprécis, mais réel, conséquence logique de la différence que sa naïveté établissait entre les femmes entretenues par des personnages de sang royal et le commun des mortels. Convenait-il de manier celle-là, créature d’élite, comme celles-ci ? N’allait-il point paraître « manquer d’usages » et se déconsidérer aux yeux de Gaëtane ?

Lugubrement vautré sur le lit, il l’entendait rire, parce que, peut-être, sa femme de chambre la chatouillait. Qui sait ? c’est peut-être de lui qu’elle riait ? Au fond, il se pouvait fort bien qu’elle le crût un peu bête. Dame ! elle s’était aperçue qu’il avait un pied endormi. Puis, il lui avait bonnement montré la plaie qu’il s’était faite au front. Oui, décidément, elle devait le croire bête, bête comme un couplet du revuiste Henri de Gorsse. Pour la rendre bête à son tour, il avait envie de perpétrer quelque extravagance énorme, par exemple de pénétrer soudainement dans le cabinet de toilette et de réclamer d’un ton sévère :

— Où donc a-t-on mis mon bonnet de nuit, sacredieu ?

Heureusement, il se ravisa :

— Ah ! ça, mais je ne suis qu’une brute !… La dernière des brutes. ! Je devrais délirer de joie et je ne songe qu’à un scandale imbécile. Et je blasphème, qui plus est ; j’établis des comparaisons entre la mère Péruwels et Mlle  Girard ! Comme si la maîtresse d’un prince du sang pouvait se donner eu deux temps, trois mouvements, ainsi qu’une simple tenancière d’hôtel borgne ! Je ne suis pas seulement la dernière des brutes, je suis un misérable ! Et, par-dessus le marché, je me permets de faire le malin : je remâche des aphorismes de moraliste prétentieusement insane sur l’identité, à tous les étages de la société, de la « petite secousse » terminale. Mais, que diable ! il y a petite secousse et petite secousse. Avec la


Faute de distraction plus relevée, il commença
à délacer ses souliers.


maîtresse d’un prince, dans ce décor, la petite secousse doit être, est, forcément… grande, colossale, princière enfin. Tiens ! je me dégoûte moi-même ! car je ne suis pas seulement un misérable, je suis surtout un idiot ! Seulement…

Rageur, il se dressa et serra les poings :

— Seulement, si Mlle  Girard savait à quel point il urge que je lui touche deux mots touchant mon affaire, au lieu de rigoler avec sa femme de chambre elle s’empresserait de l’envoyer à l’ours.

Il écouta, n’entendit rien :

— Elle l’a envoyée à l’ours.

Il écouta encore et perçut deux voix de femme, l’une impérative, l’autre servile :

— Elle ne l’a pas envoyée à l’ours…

Pour tuer le temps il entreprit de délacer ses souliers. Quand il les eut délacés, il les ôta. Ce divertissement fut court. Alors, il remit ses souliers, les relaça, puis recommença à les délacer.

La niaiserie de cette occupation le calma d’abord, puis l’attendrit, et — c’était un tic chez lui quand il avait un peu mal aux nerfs — il se dit que la vie ne valait pas grand’chose, inférieure même à une incongruité de lapin. Il prit en pitié soi-même, d’abord — commisération bien ordonnée… — ensuite tous les mortels :

— Tous les mortels sont infortunés. Même dans les aventures qui, à vue de nez, paraissent les plus heureuses, il s’insère une kyrielle d’incidents désagréables, une foultitude de farces tristes. Pour m’aider à jouir d’une créature princière, mon ami Smiley s’est délesté de cinquante francs. Il en a souffert. Et Gabrielle-aux-lourds-cheveux a souffert également en passant tout un après-midi à me choisir des dessous sortables, puis à les porter, en personne, hôtel de Fontenoy. Quant à Mlle  Girard, en dépit de ses rires de tout à l’heure, pourquoi ne pas être persuadé qu’elle souffre, elle aussi ? Évidemment, elle aimerait mieux s’abandonner en mes bras qu’aux mains de sa femme de chambre. Évidemment, itou, au lieu de dévêtir sa maîtresse, cette femme de chambre préférerait roupiller. Pauvres gens ! Or, ces pauvres gens se résignent. Qu’est-ce que tu veux, mon brave Maurice ! il te faut les imiter : ôte pour la dixième fois tes souliers avec patience, et remets-les avec philosophie.

Comme il se formulait cette conclusion résignée, la porte s’ouvrit brusquement : Gaëtane entra dans la chambre et, en même temps qu’elle, une clarté gracieuse et une adorable senteur.

— Chérubin, voilà votre femme…


… et, en même temps qu’elle, une clarté gracieuse…

Et Chérubin, les yeux agrandis par la concupiscence, cessa de se divertir avec ses souliers.