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La Machine à assassiner/10

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Raoul Solar (p. 93-114).
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X

UN COUP DE MARTEAU SUR LE CRÂNE DE M. BESSIÈRES, DIRECTEUR DE LA SÛRETÉ GÉNÉRALE

L’émotion causée par la « continuation des crimes de Corbillères » ne faisait que grandir. L’opinion publique était soulevée. Oubliant, naturellement, qu’elle avait été la première à exiger la condamnation à mort de Bénédict Masson, elle accusait maintenant la Sûreté, le parquet, la cour et le jury d’avoir, comme toujours, agi à la légère, sans preuves définitives !

Le pauvre relieur (c’est ainsi maintenant qu’on l’appelait dans les faits divers) avait été certainement victime d’une effroyable machination — on ne disait pas laquelle — mais, puisque les crimes continuaient, on ne pouvait plus douter de son innocence.

On se déchirait dans la grande presse ; la polémique la plus farouche mettait aux prises les « leaders » en renom ; la justice avait trouvé des défenseurs. On avait publié une interview du garde des sceaux. On fit grand bruit autour d’une déclaration du procureur de la République :

— Que les crimes continuent à Corbillères, disait ce haut magistrat, cela ne prouve rien en faveur de l’innocence de Bénédict Masson ! Cela prouve que Bénédict Masson a eu un ou des imitateurs, voilà tout ! Ce n’est pas la première fois qu’une épidémie de ce genre se manifeste dans une contrée où les esprits ont pu se trouver, en quelque sorte, suggestionnés par les événements !…

— Eh bien, s’il a eu des imitateurs, trouvez-les !… répliquait-on au procureur.

Je vous prie de croire qu’on les cherchait.

Nous avons dit que les inspecteurs de la Sûreté générale étaient « sur les dents ». Quant à leur chef, M. Bessières, on racontait déjà qu’il était question de le remplacer. Nous vous laissons à penser s’il fit bon accueil à l’huissier qui lui annonça, le matin où nous nous transportons dans ses bureaux, qu’un visiteur demandait à lui parler pour faire des révélations de la plus haute importance sur les crimes de Corbillères…

— Faites entrer ! s’écria-t-il.

Et en même temps, il appuyait sur un bouton de sonnette placé sous son bureau.

Tandis qu’on introduisait le personnage annoncé, un soi-disant « secrétaire » venait s’installer à une petite table où il y avait « tout ce qu’il faut pour écrire », quand on n’écrit pas à la machine.

M. Bessières, après avoir fait un signe discret à son employé, dévisagea le nouveau venu… c’était un vieillard.

Il était fort agité, congestionné, enflammé. Il regardait le chef de la Sûreté générale avec des yeux hagards. « Serait-ce un fou ? » se demanda aussitôt M. Bessières. Mais le visiteur lui parut d’esprit plus sain, en dépit de son agitation, lorsqu’il l’entendit déclarer tout d’une haleine :

— Monsieur le directeur, vous pouvez être tranquille ! la justice n’a point condamné un innocent. Il y a une raison pour que les crimes de Corbillères continuent, et cette raison, hélas ! je suis à peu près le seul à la connaître !

— Eh bien ! il faut me la dire, cher monsieur ! Prenez donc la peine de vous asseoir !

— Merci ! je ne puis pas rester assis ! Si vous saviez, monsieur le directeur, la nuit atroce que j’ai passée !

— Vous me raconterez cela tout à l’heure, cher monsieur, mais pour le moment…

— Tout !… je vous dirai tout. Toute la vérité. Il faut que vous sachiez… Il faut que le monde sache…

— La raison pour laquelle les crimes de Corbillères continuent ! précisa M. Bessières, qui ne redoutait rien tant que de voir cet homme excité se perdre dans des considérations personnelles ou étrangères à son sujet.

Le vieillard se pencha sur M. Bessières, ou plutôt projeta sur lui une tête où fulgurait la prodigieuse émotion de son âme en désordre, et sa bouche proféra :

— Les crimes de Corbillères continuent, monsieur, parce que Bénédict Masson n’est pas mort !

Le monde est un théâtre, la vie une comédie, souvent un drame, et les hommes des comédiens plus ou moins habiles, sifflés ou applaudis, mais toujours brûlés du désir d’attirer sur eux l’attention de leurs contemporains. On ne se doutera jamais de l’influence que certaines grosses affaires judiciaires peuvent exercer sur des esprits qui passaient jusqu’à ce jour pour bien « équilibrés… » Le hasard les a mis de « l’affaire ». Ils veulent briller au premier rang. Que n’inventeraient-ils point pour augmenter leurs petits rôles, donner plus d’éclat à leurs témoignages ?… M. Bessières était depuis trop longtemps de la partie pour n’être pas sur ses gardes. Tout de même, on a beau avoir pris l’habitude de ne s’étonner de rien, il ne s’attendait pas à ce coup-là !…

Évidemment, c’était une explication ! Les crimes de Corbillères continuaient parce que Bénédict Masson n’était pas mort !…

Il répondit au vieillard excité :

— Alors, vous avez trouvé cela, vous ?

— Monsieur, lui répliqua l’autre, qui paraissait de plus en plus énervé, je vais vous dire tout à l’heure ce que j’ai trouvé !…

— Oh ! je vous le dis d’avance, moi, ricana M. Bessières, vous n’avez pu trouver mieux. Songez donc !… réfléchissez donc un peu, cher monsieur !… (À propos, vous ne m’avez pas dit encore votre nom, mais c’est une formalité dont se chargera tout à l’heure mon secrétaire). Voilà donc où nous en sommes : Bénédict Masson n’est pas mort, mais il a été guillotiné…

— Non, monsieur !…

— Comment ! il n’a pas été guillotiné ?

— Si, monsieur !

— Alors, il est mort ?

— Non, monsieur !… Monsieur ! Monsieur !… laissez-moi vous expliquer !… Monsieur, ne vous en allez pas !… Monsieur, ne me prenez pas pour un fou !… Écoutez-moi !… Vous saurez tout !… et vous me rendrez ma fille !…

— Monsieur, je n’ai pas l’honneur de la connaître !… et j’ai un rendez-vous pressé !… Mais voici monsieur qui est ici comme un autre moi-même, à qui vous allez donner vos nom, prénoms et qualités, et qui ne vous refusera rien de ce qui peut vous être agréable !…

— Ma fille, monsieur !…

— Il vous la rendra !… Nous n’avons rien à vous refuser !

Là-dessus, M. Bessières, qui avait fait un certain signe à son pseudo-secrétaire, s’empressa de laisser le visiteur en tête à tête avec cet « autre lui-même »…

Le moment est venu de faire connaissance avec ce personnage qui a joué son rôle dans la coulisse de l’affaire Masson, coulisse que les pouvoirs publics ont volontairement laissée, depuis lors, dans une ombre plutôt inquiétante…

Cet agent était connu depuis plus de vingt ans dans tous les services de la police, Sûreté générale, Sûreté « tout court », Préfecture et même jusque dans les services de province, sous le nom de l’Émissaire. De son vrai nom, il s’appelait Lebouc : monsieur Lebouc… Et si l’on avait fait de M. Lebouc, l’Émissaire, ce n’était point un vilain jeu de mots. Voici comment M. Lebouc était devenu « le bouc émissaire » :

Cela remontait à certaine affaire politique qui avait quelque peu bouleversé le monde. Pour surveiller un personnage « en place » dont les agissements étaient soupçonnés redoutables en même temps que contraires à la conception normale d’une sainte justice, on avait besoin d’un agent sur l’intelligence et l’audace duquel on pût compter, mais que l’on pût aussi désavouer si les événements prenaient une tournure inquiétante pour les responsables d’une telle initiative.

M. Lebouc avait commencé jeune sur les bancs de la correctionnelle. Cependant, il n’avait pas l’âme vulgaire d’un coquin, tout au plus celle d’un arriviste… Après sa troisième expérience de la vie qui l’avait conduit comme les deux précédentes devant les juges, il estima qu’il avait choisi le mauvais chemin pour arriver…

Las d’être « arrêté », il se mit du côté de ceux qui « arrêtaient » les autres, de coquin, se fit croqueur, c’est-à-dire « indicateur »…

M. Lebouc se distingua tout de suite.

Ce n’était point l’infâme « casserole », ni le stupide « mouton ». Il avait des idées générales ; il avait reçu de l’instruction ; dans plusieurs affaires d’envergure, il adressa à ceux qui l’employaient des rapports qui furent remarqués autant par leur logique policière que par la forme littéraire qu’il savait leur donner. Enfin ! il avait du courage !…

Dans la circonstance que j’ai dite plus haut, on s’adressa à M. Lebouc, qui en fut très fier, mena sa mission à bien et mérita en tout la confiance de ses chefs. Le personnage visé était encore plus puissant que coupable et il avait des amis qui étaient décidés à tout pour le sauver. Ce fut M. Lebouc qui fut sacrifié et qui accepta son martyre, grassement payé, avec une humilité où tout le monde trouva son compte. On se priva de ses services pendant quelque temps ; mais, chaque fois que se présentaient des opérations délicates du genre de celle qui lui avait valu une si haute réputation dans la police, on songeait à M. Lebouc et on l’employait sous un autre nom. Un seul de ces noms finit par lui rester « entre gens au courant », celui de l’Émissaire.

M. Bessières avait eu l’occasion, au cours de sa brillante carrière, d’apprécier les qualités de « l’émissaire », son intelligence éveillée, sa discrétion absolue et surtout cette facilité souriante avec laquelle il était toujours prêt à se laisser « désavouer ».

En voilà plus qu’il n’en faut pour expliquer la présence dans les bureaux de la rue des Saussaies d’un homme qui aurait été autrefois « la perle » de la rue de Jérusalem…

M. Lebouc resta seul, plus d’une heure, en tête à tête avec cette espèce de fou dont M. Bessières l’avait chargé, d’un signe, de le débarrasser au plus tôt.

Pendant ce temps, le chef de la Sûreté générale était descendu, par les couloirs intérieurs qui faisaient communiquer ses bureaux avec le ministère de l’intérieur, chez le ministre, où se trouvait justement le garde des sceaux. Il ne fut parlé là que de l’affaire qui occupait Paris : celle de Corbillères. La séance fut chaude. Quand M. Bessières remonta et qu’il se trouva en face de M. Lebouc, il dit :

— Eh bien ! vous vous êtes débarrassé du fou ?

— Il vient de partir ! répondit l’agent ; mais il reviendra.

— Comment, il reviendra ?…

— Oui !… Je lui ai dit de revenir ce soir, à six heures !

— Ah çà ! vous plaisantez !

— Vous savez bien, patron, que je ne plaisante jamais !… Cet homme est peut-être un fou, mais je n’en suis pas sûr !… C’est mon système !… Dans notre métier, patron, il ne faut jamais être sûr de rien !… En tout cas, il était intéressant de l’entendre… Ce vieillard agité n’est ni plus ni moins que l’horloger de la rue du Saint-Sacrement-en-l’Île, le père Norbert, dont la fille a été trouvée dans la petite maison de Corbillères…

— Eh bien ?…

— Ah ! eh bien ?… eh bien !… c’est difficile à dire… c’est un bonhomme dont j’ai déjà eu à m’occuper lors de l’affaire, de Bénédict Masson… un homme qui s’occupe de problèmes mécaniques tout à fait exceptionnels… Il a inventé une sorte d’échappement à roues carrées… Enfin, que vous dirais-je ? Ses confrères racontent que, depuis des années, il cherche le mouvement perpétuel !…

— Il en a bien l’air !…

— Oui !…

— Et alors ?…

— Et alors, il raconte… il prétend…

— Quoi ?…

— Il faut que je vous dise encore, patron !… C’est l’oncle d’un certain Jacques Cotentin, qui n’est pas le premier venu à l’École de médecine… Il est prosecteur là-bas !… Paraît que c’est un sujet pas ordinaire du tout non plus, celui-là !… Enfin j’ai téléphoné pour être plus sûr !…

— À qui avez-vous téléphoné ?

— J’ai téléphoné au professeur Thuillier…

— Pourquoi ?…

— Pour savoir !… pour savoir ce qu’il fallait penser du prosecteur…

— Mais enfin, où voulez-vous en venir ?

— Le professeur Thuillier m’a répondu textuellement qu’il tenait ce Jacques Cotentin dans la plus haute estime !… qu’il le considérait comme une des gloires futures de la chirurgie et comme le continuateur des Carel et des Rockefeller ! Vous savez, Rockefeller ?…

— Oui !… Carel, Rockefeller, connu !… font revivre les tissus, raccommodent les vivants, etc…

— Eh bien ! patron, paraîtrait que Jacques Cotentin raccommode aussi les morts !…

— Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Est-ce que vous « déménagez », vous aussi ?

— Non ! patron ! pas avant que vous m’ayez trouvé un autre appartement… Faut que vous sachiez même une chose…

— Parlez, ou laissez-moi tranquille !

— J’ai voulu être sûr de ce détail-là !…

— Quel détail ?

— Oh ! un détail qui a son importance ! Vous savez que la Faculté, après l’exécution de Bénédict Masson, a réclamé sa tête ?

— C’est dans la règle !…

— Mais vous ne savez pas où l’on a porté sa tête ?

— À l’école !

— Non ! chez l’horloger !…

— Chez l’horloger !… Qu’est-ce qu’un horloger peut bien…

— Pardon !… Le prosecteur habite chez l’horloger !

— Ah ! oui…

— Écoutez !… tout cela est bien extraordinaire !… Ce n’est pas moi qui vous contredirai !… Mais, par principe, moi, j’écoute toujours, parce que, par principe, je ne suis jamais sûr de rien !… Eh bien ! voilà ce qu’il m’a raconté, le vieux… Il aurait fabriqué un automate !…

— Un automate ?…

— Oui, un automate !… Ne me regardez pas comme ça, patron, ou je n’aurai jamais la force de continuer…

— Continuez, Lebouc ; je ne vous regarde plus !…

— Mais vous continuez à m’écouter ?

— Pour vous faire plaisir !… Allons, sortez-moi votre histoire… Le fou a inventé un automate…

— Oui ! un automate dont le prosecteur a habillé l’armature intérieure d’un réseau de nerfs !…

— Quoi ! de nerfs ?… des cordes à violon ?…

— Non ! non !… de nerfs ! de vrais nerfs humains !…

— Vous êtes malade !… Comment vivraient-ils, ces nerfs ?

— Eh bien ! ils baigneraient dans un liquide qui ne serait autre que le sérum dont Rockefeller se sert pour entretenir indéfiniment la vie des tissus !… et qu’ils auraient soumis, en plus, à l’action du radium !

— Vous m’impressionnez, Lebouc !… et alors ?

— Et alors, c’est bien simple ! il ne manquait à leur machine qu’un cerveau !… Ils lui ont collé celui de Bénédict Masson !…

Nous ne pouvons, pour rendre à peu près l’effet produit par cette déclaration sur l’état d’esprit de M. Bessières, que nous servir d’une expression assez usagée dans tous les milieux, du haut en bas de la société, comprise de tous sans que l’on sache du reste pourquoi : M. le directeur de la Sûreté générale en resta « comme deux ronds de flan » !…

Puis, quand il eut repris le cours de sa respiration :

— C’est vous, dit-il, qu’il faut faire enfermer, mon ami !

— Peut-être !

— Oh ! sûrement !…

— J’ai toujours fait ce que l’on a voulu ! En attendant, les crimes de Corbillères continuent !…

— Eh ! je le sais fichtre bien !… Allez donc leur raconter, en bas, l’histoire de la poupée du vieux ! Si ça pouvait les dérider !… « Le Premier » et le garde des sceaux ne sont pas à prendre avec des pincettes !… je viens de subir une petite séance !… Pendant ce temps-là, je vois que vous ne vous embêtiez pas, ici !… Non, mais dites donc, l’Émissaire ! est-ce que vous vous moquez de moi ?… Vous avez dit à cet énergumène de revenir à six heures !…

Oui !… à cause de sa fille !… Car enfin, ça, c’est un fait !… on lui a volé sa fille !…

— Qui, on ?…

— Eh bien ! la poupée !…

— Son automate lui a volé sa fille !…

— Qu’il dit !… Calmez-vous, patron !… Il n’y a pas de quoi se fâcher !… Il n’y a qu’à en rester ahuri comme moi, ou à en rigoler !… Après tout, si vous voulez que nous parlions d’autre chose…

— Allez ! Lebouc… allez !… c’est peut-être vous qui avez raison !… Il faut toujours écouter les enfants et les fous, bien qu’il n’y ait rien de plus menteur au monde !… mais il suffit quelquefois d’un mot pour vous faire entrevoir la bonne piste !… Je vous écoute…

— Non ! ce n’est pas moi que vous écoutez ! c’est le vieux… Voilà ce qu’il raconte : le Bénédict Masson, comme on le sait depuis le procès, était amoureux de sa fille Christine… Le prosecteur, n’ayant rien trouvé de mieux, puisqu’il lui fallait un cerveau pour mettre dans son automate, que d’y glisser celui qu’on lui apportait à Melun, c’est-à-dire celui de Bénédict Masson, il s’est produit ceci, qui est, en somme, assez logique : le premier geste de l’automate, dès qu’il a donné signe de vie, a été d’emporter Christine… Paraît qu’il s’est jeté dessus comme un sauvage !…

— Je ne ris pas, Lebouc, je ne ris pas !… mais je sens que je deviens abruti de vous entendre me raconter sérieusement des choses pareilles !…

— Je vous parle sérieusement, patron, parce que, depuis bien longtemps, rien ne me fait plus rire, et aussi à cause d’un certain détail qui a bien son importance… Avant de se sauver avec la Christine, la poupée a laissé un mot sur la table… un mot que le vieux a apporté ici… le voilà !… Ce n’est pas long, ce qu’il a écrit : « Je suis innocent ! »

— Bravo ! voilà pour le moins une idée fixe, ou je ne m’y connais pas !…

— Patron !… nous avons d’autres papiers de Bénédict Masson… sur lesquels il a écrit : « Je suis innocent ! »… J’ai fait apporter ici le dossier que nous avons fait venir de Melun depuis que l’affaire de Corbillères, que nous croyions si bien enterrée, ressort de terre, c’est le cas de le dire… les voici !… Eh bien ! comparez !…

— Voyons, Lebouc… En admettant même que ce soit la même écriture… ce qui reste à démontrer… vous n’allez pas me faire croire que ce papier ne date pas d’avant sa mort… Lebouc, vous allez prendre votre retraite, mon ami !…

— Oui, patron ! Une fois de plus, une fois de moins !…

— Vous avez voulu vous payer ma tête, n’est-ce pas ?

— Je suis trop pauvre ! fit Lebouc.

— Lebouc, vous n’avez qu’une façon de me faire oublier vos plaisanteries de mauvais goût… Vous allez partir pour Corbillères !… Je vais vous donner tous pouvoirs !… Peut-être, après tout, que Bénédict Masson était innocent !… tant pis pour ces messieurs de la justice !… Moi, je m’en fiche, après tout, de la place Vendôme !… Vous allez me dénicher le ou les coupables !… Ne craignez rien !… je suis là pour vous soutenir, Lebouc !…

— Ah ! quant à cela, patron, je compte bien sur vous !…

— Vous pouvez !… Qui est-ce qui vient encore là ? Entrez !

L’huissier s’avança d’un air mystérieux et dit à voix basse :

— Monsieur le directeur, c’est une personne qui n’a pas voulu dire son nom et qui m’a chargé de vous remettre ce pli de la part de M. l’avocat général Gassier !…

M. Bessières décacheta vivement et lut :

« Mon cher directeur, je vous envoie un de nos amis à propos de l’affaire de Corbillères… Il vous racontera des choses intéressantes… écoutez-le jusqu’au bout. M. Lavieuville est sain de corps et d’esprit ! »

— Eh bien ! ça nous changera ! Quelle drôle de recommandation ! fit entendre M. Bessières… Et il lança le mot sur le bureau de l’«Émissaire».

— Ah ! dit Lebouc, c’est Lavieuville !… L’horloger a justement parlé d’un Lavieuville…

— Faites entrer ! commanda le chef de la Sûreté générale.

Un homme à figure chafouine, et tout grelottant dans un pardessus d’occasion, les souliers maculés d’une boue neigeuse, se présenta, les épaules courbées, le front humble, les yeux obliques :

— Messieurs !… commença-t-il, je vous demande pardon de me présenter dans cet état, mais depuis que l’on m’a volé ma petite voiture…

— Asseyez-vous, monsieur !… vous m’êtes recommandé par M. l’avocat général Gassier…

— Sans quoi je n’eusse jamais osé venir vous trouver !… je vous demande la plus grande discrétion… c’est une question de vie ou de mort ! Monsieur, je suis monsieur Lavieuville, marguillier à Saint-Louis-en-l’Île… j’avais une petite voiture automobile à conduite intérieure…

— Pardon !… monsieur !… pardon !… M. l’avocat général Gassier me dit que vous désirez me parler à propos de l’affaire de Corbillères !…

— Justement, monsieur le directeur, nous y sommes ! Ma voiture m’a été volée par Bénédict Masson !

— Alors, c’est une vieille histoire, monsieur, et je crois qu’il est un peu tard pour la lui réclamer !

— Eh ! monsieur, ce n’est pas une si vieille histoire que cela ! Elle ne date pas de huit jours !

— Mais, monsieur, vous oubliez que Bénédict Masson a été exécuté il y a plus de trois semaines…

— C’est bien pourquoi je viens vous trouver, monsieur ! Ce qui m’arrive est inimaginable, et sans M. l’avocat général Gassier, à qui j’ai tout raconté, preuves en main, je n’eusse jamais osé, je vous le répète, venir vous trouver…

M. Bessières leva les bras au plafond, se laissa tomber sur un siège, se prit la tête dans les mains en proie à une fureur sombre qu’il parvint cependant à dompter et il jeta au visiteur, d’une mâchoire féroce :

— Parlez, monsieur, je vous écoute !…

— Eh bien, monsieur, je dois vous dire que j’ai une femme de ménage, Mme Langlois…

— Bien, monsieur, Mme Langlois…

— Qui va quelquefois, le soir, prendre sa camomille chez Mlle Barescat, mercière…

Mlle Barescat, parfait !

— En compagnie de notre chaisière, Mme Camus, et de l’herboriste, M. Birouste…

Mme Camus, M. Birouste. Vous n’oubliez personne  ?

— Monsieur, je n’étais pas à cette petite réunion amicale chez Mlle Barescat.

— Alors, pourquoi m’en parlez-vous ?

— Parce qu’elle a la plus grande importance pour ce j’ai à vous dire… Mme Langlois, ma femme de ménage, est bien malade, monsieur le directeur…

— Croyez, cher monsieur, que je le regrette bien sincèrement…

— C’est d’autant plus regrettable que, si elle avait été mieux portante, elle m’eût accompagné jusqu’ici… Mlle Barescat et Mme Camus, elles, vont mieux, mais elles ont peur d’engager leur responsabilité et n’osent sortir de chez elles… Quant à M. Birouste, il n’a pas quitté le lit depuis cette effroyable aventure…

— De quelle aventure parlez-vous ? de la vôtre ou de la leur ?

— C’est la même, monsieur, seulement elle a eu deux actes : le premier s’est passé chez Mlle Barescat, pendant sa camomille. Il faut vous dire que Mme Langlois faisait autrefois le ménage de Bénédict Masson !

— Et il ne l’a pas assassinée ?

Pas encore, monsieur !… mais au train des choses, cela pourrait bien arriver un jour ou l’autre !… Voilà pourquoi je suis chez vous, monsieur !… et pourquoi M. l’avocat général Gassier…

M. l’avocat général Gassier s’est moqué de vous, monsieur, et je ne comprends pas…

— je ne pense pas que M. l’avocat général Gassier se soit moqué de moi, interrompit sans s’émouvoir M. Lavieuville, et si vous ne comprenez pas, monsieur le directeur, c’est que vous ne m’écoutez pas !… J’en reviens à la camomille chez Mlle Barescat… Mme Langlois, qui faisait le ménage de Bénédict Masson, faisait aussi celui du bonhomme Norbert, l’horloger !

— Elle fait donc tous les ménages de l’Île-Saint-Louis, cette brave dame ?…

— Non ! monsieur le directeur, mais elle sait à peu près ce qui se passe dans tous les ménages et elle est fort instructive à entendre… dans le cas qui nous occupe, elle entretenait ces dames d’une sorte de personnage qui habitait clandestinement chez l’horloger et qu’elle avait pris pour un mutilé de la guerre, pour un amoché comme on dit de nos jours. Le neveu du bonhomme Norbert, le prosecteur Jacques Cotentin, qui est, m’a dit M. l’avocat général Gassier, une espèce de génie, donnait ses soins à ce soi-disant mutilé… Or… ne vous étonnez de rien, monsieur le directeur… Vous comprenez que si M. Gassier m’a envoyé à vous… Eh bien ! ce soi-disant mutilé, aux derniers renseignements, serait tout simplement un automate !…

M. Bessières bondit comme s’il avait été un automate lui-même obéissant à quelque ressort caché…

Tout simplement ! s’écria-t-il… Et qu’entendez-vous par les derniers renseignements ?

— Ceux qui m’ont été fournis par mon ami M. Gassier, à qui j’avais raconté mon aventure, et qui a fait faire une enquête personnelle, d’où il a déduit lui-même que nous avions toutes chances pour avoir affaire à un automate !

— Ah ! vraiment ?… Ces messieurs du parquet de la Seine ont fait, de leur côté, leur petite enquête… réfléchit tout haut M. Bessières en se rasseyant avec un étrange sourire…

— Ils ne vous le cachent pas, monsieur, puisque ce sont eux qui, officieusement, si j’ose dire, m’ont donné le conseil de venir vous trouver !…

— Oui ! oui… continuez, cher monsieur Lavieuville, vous commencez à devenir intéressant !… Décidément ces messieurs de la justice ont l’esprit de corps et pratiquent la solidarité !… Mais je n’aurais jamais imaginé…

— Je continue… Le soir de la camomille, il arriva qu’au moment même où ces dames parlaient entre elles de ce soi-disant mutilé… la porte s’ouvrit et quelle ne fut pas leur épouvante en voyant apparaître le mystérieux personnage tout couvert de sang et portant dans ses bras Mlle Christine Norbert évanouie… je ne vous dépeins pas la scène !… vous interrogerez Mme Langlois… Sachez que c’est là que cette espèce de monstre mécanique donna à sa captive les premiers soins que nécessitait son état et il s’enfuit, sans avoir dit un mot !…

— Ah ! ah ! l*automate ne parle pas !…

— Non, monsieur !… il ne parle pas !… mais il entend très bien !…

— Vous me rassurez !…

M. Birouste, l’herboriste, rentre, affolé, chez lui !… Horreur ! Il y retrouve le terrible visiteur, toujours soignant Christine Norbert !… De plus en plus épouvanté, notre herboriste se sauve par une fenêtre… C’est alors que moi, à peu près à la même heure, c’est-à-dire vers les six heures et demie du matin, je sortais de l’église de Saint-Louis-en-l’Île, où je venais d’assister à l’office divin, et je m’apprêtais à monter dans ma petite auto à conduite intérieure quand ledit personnage me renversant, jetait dans ma voiture sa victime, me dépouillait de mes vêtements et par cela même des quinze mille francs qui étaient dans mon portefeuille, me jetait son manteau, mettait en marche et disparaissait du côté de la rive gauche… M. Gassier a pu savoir depuis que la voiture avait pris le chemin de Pontoise… là, on ne la retrouve plus !… Mais avant de disparaître, le bandit s’était arrêté chez le restaurateur Flottard, chez qui il commettait je ne sais quel attentat !… Flottard s’était défendu en lui plantant dans le dos un énorme couteau de cuisine, ce dont le personnage en question n’eut même pas l’air de s’apercevoir !… Retenez bien ceci, monsieur le directeur !… Il ne saigna même pas !… Comme, d’un autre côté, M. Gassier venait d’avoir certains renseignements des plus précis touchant les travaux particuliers de l’horloger et du prosecteur, qui employaient un garçon d’amphithéâtre nommé Baptiste, que l’on interrogea et que l’on finit par faire parler en le menaçant de la justice, M. Gassier émit cette idée que l’on pourrait très bien avoir affaire, comme je vous le disais tout à l’heure, à un automate !…

— Compris !… Oh !… j’ai compris, monsieur le marguillier… Vous pourrez même dire à M. l’avocat général Gassier que je n’ai eu aucune difficulté à comprendre !… mais qu’est-ce que vient faire Bénédict Masson là dedans ?…

— Eh bien, voilà, monsieur le directeur… Après l’exécution, on avait apporté au prosecteur la tête de Bénédict Masson !…

— Je sais !… je sais !… Tenez ! monsieur le marguillier.

— Je m’appelle monsieur Lavieuville…

— Monsieur le marguillier Lavieuville, je sais tout ce que vous allez me dire… encore une chose que vous pourrez répéter à M. Gassier. Vous allez me dire que le prosecteur a mis la cervelle encore toute chaude de Bénédict Masson dans la boîte crânienne de son automate.

— Oui ! monsieur le directeur. Vous y êtes. C’est épouvantable !

Là-dessus M. Bessières se leva, il ne ricanait plus. Il donna un coup de poing formidable sur son bureau, ce qui fit sursauter M. Lavieuville…

— Alors, vous allez me faire croire que vous croyez cela, vous ?

— Nous avons les preuves en main ! fit M. Lavieuville, un peu pâle et en se reculant prudemment…

— Qui ? nous ?

— Pardon, moi ! Pour rien au monde M. l’avocat général Gassier ne doit être mêlé à cette affaire !…

— Ah ! je crois bien !… il ne le désire pas, n’est-ce pas ?…

— Il ne s’en est occupé que par amitié pour moi, mais sa situation officielle…

— Compris ! Il peut être tranquille… Mais dites-lui aussi que ce n’est pas la Sûreté générale qui prendra sur elle de lancer sur le monde une histoire pareille !… Alors, vous avez des preuves, cher monsieur Lavieuville

— Oui, monsieur, les voici !… Si cet affreux automate ne parle pas, il écrit !…

— Ah ! oui !… et avec l’écriture de Bénédict Masson, naturellement !

— Monsieur, vous devinez tout !… C’est en effet avec l’écriture de Bénédict Masson que le mystérieux personnage a tracé les lignes que voici sous les yeux épouvantés de Mlle Barescat, de Camus, de Mme Langlois et de M. Birouste, après l’exécution de Bénédict Masson : « Silence, si vous tenez à la vie !… » et voici d’autres petits mots tracés toujours, le même soir ou plutôt la même nuit, quelques heures avant l’attentat qui me concerne, par le même personnage dans la chambre même de M. Birouste ! Enfin voici l’attestation de trois experts assermentés auxquels M. Gassier a fait soumettre ces papiers en même temps que des documents de la main de Bénédict Masson produits au procès. Ils concluent tous trois qu’il n’y a aucun doute à avoir !… que c’est la même écriture et que c’est le même individu qui l’a tracée !…

C’était au tour de M. Bessières d’être maintenant un peu pâle… Il se leva, les sourcils froncés, les lèvres frémissantes…

— Voulez-vous me laisser ces documents, monsieur ?

— J’y vois d’autant moins d’inconvénient, répondit M. Lavieuville, que je sais que M. Gassier en a fait prendre les photographies…

Et comme M. Bessières se taisait et restait debout, il comprit que la séance était terminée…

— Je vous laisse également mon adresse, monsieur le directeur, si, par hasard, vous aviez besoin de moi…

— Oh ! monsieur… vous entendrez parler de nous !… lui répliqua M. Bessières, c’est bien la moindre des choses que nous essayions de vous faire rentrer en possession de votre auto et de vos quinze mille francs !…

M. Lavieuville salua et s’en alla, dissimulant sous un sourire de commande le mécontentement où il était de cette réception… Il s’attendait à tout, excepté à cette ironie de glace sous laquelle il entrevoyait une pensée singulièrement hostile.

La porte ne fut pas plus tôt fermée sur le marguillier que M. Bessières éclata.

— Ah ! je ne marche pas ! s’écria-t-il en s’avançant sur M. Lebouc, qui jusqu’alors n’avait pas bronché derrière son écritoire, sur laquelle il était resté penché, prenant hâtivement des notes. Non ! ils ne m’auront pas ! je vous en fiche mon billet, Lebouc !… Tout cela est un coup monté par ces messieurs du parquet !… Tous ces gens-là se tiennent et sont prêts à se lancer dans l’affaire la plus absurde pour sauver la face de Thémis !… C’est toujours la même histoire !… Nous la connaissons !… Il n’y a pas si longtemps que nous avons vu un monsieur haut gradé, mais plein d’une astuce primaire, mettre une jupe, une voilette et une paire de lunettes pour sonder les arcanes d’une affaire où il était question de sauver les grands principes !… La poupée ne date pas d’hier !… Dans la naïveté têtue de son âme, l’homme à la voilette croyait passer inaperçu !… Gassier, derrière son automate, est un imbécile !… Il dit que la poupée est muette ; ça n’est pas vrai ; elle crie : « Ne touchez pas aux grands corps de l’État !… Ne touchez pas à la justice !… Ne touchez pas aux ponts et chaussées !… Ne touchez pas… » Et pendant ce temps-là, nous, de la police, on nous sacrifie !…

— Oui, monsieur acquiesça M. Lebouc.

— … On nous a fait danser comme des pantins !… Ces messieurs ont bien tort d’inventer des automates ! Ne leur suffit-il pas de tirer nos ficelles !… Eh bien, j’en ai assez ! Vous l’avez entendu, le marguillier envoyé par l’avocat général ? Ç’a été sa première phrase : « Vous pouvez être tranquille, monsieur, la justice n’a pas condamné un innocent ! » Ah ! voyez-vous, tout est là, Lebouc !… Mettez-vous bien cela dans la tête : « La justice ne peut pas condamner un innocent ! ».

— Non, monsieur !…

— Si, monsieur !… ce sont des choses qui arrivent, et ça ne me regarde pas !… Je fais ce que je peux, j’apporte des faits, à la justice de prendre ses responsabilités !… Eh bien ! elle prendra celle-là, je vous le jure !… Ce n’est pas la Sûreté générale qui ressuscitera Bénédict Masson ! Ils ont des experts, qu’ils les produisent eux-mêmes ! N’est-ce pas, Lebouc ?

— Oui, monsieur !

— Eh bien ! qu’est-ce que vous pensez de tout cela, vous ?

— Je pense que ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait d’interroger au plus tôt le prosecteur lui-même, ce Jacques Cotentin qui, d’après M. le professeur Thuillier, fait revivre indéfiniment, avec son sérum, les tissus, les nerfs et même les cerveaux !

— Encore un farceur !…

— Ce n’est pas l’avis de M. le professeur Thuillier !

— Après tout, vous avez raison, Lebouc ! C’est le plus simple !… Tâchez de me trouver cet homme-là au plus tôt, et amenez-le-moi !

— Monsieur, j’ai justement beaucoup de chances de le trouver à Corbillères, où vous m’envoyez !…

— Comment cela ?

— L’entrée de M. Lavieuville, et aussi, il faut bien le dire, monsieur le directeur, l’état d’esprit dans lequel vous vous trouviez, ne m’a pas permis de vous rapporter jusqu’à la fin les propos un peu extravagants de l’horloger…

— Vous êtes modeste, monsieur, dans vos qualificatifs.

— Mon système, monsieur le directeur, est de ne point juger les propos, mais de retenir les faits ! Eh bien ! un fait m’a frappé dans ce que m’a dit ce vieillard excité. C’est que, dans leurs recherches, le prosecteur et lui ont été conduits à Corbillères par les événements, ont pénétré dans la demeure de Bénédict Masson, y ont relevé les traces terribles du passage de la poupée et le peignoir ensanglanté de la pauvre Christine Norbert, qu’ils n’ont pas plus retrouvée, elle, que l’on n’a retrouvé les premières victimes de Bénédict Masson !

— Et vous ne me disiez pas cela, Lebouc ?

— Monsieur, mon système est de procéder par ordre…

— Et le prosecteur ! Où est-il ? Je veux voir tout de suite le prosecteur !…

— L’horloger m’a dit qu’il l’a laissé là-bas, en proie au plus grand désespoir, car cet homme aime Christine Norbert au moins autant que la poupée, du reste !…

— Autant que la poupée !…

— Je veux dire autant que Bénédict Masson l’aime lui-même !…

— Lebouc ! mon ami Lebouc, si vous voulez que je ne devienne pas fou sur-le-champ, sautez dans une auto, courez à Corbillères et ramenez-moi le prosecteur coûte que coûte, de gré ou de force !

— Bien, monsieur ! je vous rappelle que l’horloger, qui est retourné à son domicile de l’Île-Saint-Louis en attendant vos ordres, doit revenir ici ce soir à six heures.

— Ce soir, à six heures !… Ne vous en occupez pas !… je vais le faire chercher tout de suite !… Allez, Lebouc !… ah ! surtout ! pas un mot de tout ceci !…

— Entendu, monsieur le directeur ! vous pensez bien !…

— Pas une ligne dans les journaux avant que j’aie éclairci cette affaire !…

— Monsieur le directeur peut compter sur ma discrétion !…

« L’Émissaire » s’en alla… M. Bessières, qui suait à grosses gouttes, se laissa tomber dans son fauteuil, les membres ballants, la tête inclinée sur l’épaule, les yeux ronds roulant dans leurs orbites avec cet air fatal, désespéré et stupide qu’a le bœuf à l’abattoir, après le premier coup de maillet qui ne l’a point tout à fait privé de vie… mais qui déjà l’a conduit aux portes du néant…