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La Maison aux phlox/1/4

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Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 33-36).


Les Xixtes

Un peu anglais, un peu jersiais, un peu irlandais, mais surtout bohèmes, les Xixtes mènent la vie la plus heureuse, la plus insouciante, la plus libre du monde. Nul tracas ne vient jamais obscurcir leur ciel.

Pourtant, ils ont dix enfants, — achetés en dix ans de ménage. Leur maison est décolorée et leurs champs sont en désordre, mais ils possèdent aussi une vache, un cheval et une auto. Les couleurs de cette dernière sont peu brillantes, comme celles de la maison. Elle marche tout de même facilement, puisque l’aîné des garçons la démarre chaque fois que bon lui semble. À toute heure, il y monte, se met crânement à la roue, empile derrière lui cinq ou six de ses frères ou sœurs, et les promène sur le terrain tortueux, où nul chemin n’est tracé. On entend des éclats de rire pendant qu’il avance, recule, tourne, en dépit de la pente assez raide du champ. Et, l’heureux enfant ! Jamais ni son père, ni sa mère ne sortent pour s’opposer à ses jeux avec un jouet si coûteux et si dangereux. Beau temps, mauvais temps, l’auto d’ailleurs est dehors ; jamais elle n’entre dans la grange. Ainsi est évité l’inutile effort de l’en sortir.

Mais nulle enfance ne sera plus pittoresque, nulle ne sera plus douce que celle de ces petits. Du matin au soir, ensemble, ils jouent, chantent et s’amusent. Ils plantent des choux en français, dansent des rondes en anglais, manient la hache, la scie, la charrue, ce qu’ils veulent, et leur mère qui va et vient, le dernier-né sur les bras, passe, toujours souriante, jamais criarde, ni fâchée.

Naturellement, au village, les gens d’ordre trouvent à redire. Sur la terre des Xixtes, tout est cassé, paraît-il. Et le ménage n’est pas fait et les enfants sont vêtus à la diable ; la culotte de l’un est le lendemain celle de l’autre, les robes déteintes, trouées.

Mais la bonne humeur est le plus grand des biens et il faut avoir les défauts de ses qualités. Si madame Xixtes raccommodait bien le linge, lavait les planchers chaque fois qu’ils sont sales, comment pourrait-elle, quand son mari va sur les Caps faire les foins, tout laisser là et monter avec sa famille entière pour l’aider ? Tout le monde profite de l’événement. On ramasse des framboises. On dîne en plein champ. Le soir, pendant deux, trois jours de suite, on rentre en chantant, le père, la mère, les dix rejetons et autant de seaux de framboises dans la même voiture. Le cheval — le plus rapide et le plus joyeux de la paroisse, — traîne cette charge à fond de train, ayant aussi l’air de s’amuser, de rire.

Parfois, c’est en auto qu’au moindre prétexte, la famille va passer l’après-midi au bois. Pour les Xixtes, la vie est un continuel pique-nique. Quand ils reviennent, la Ford est décorée de feuillages, et elle résonne des chants nationaux de deux ou trois races !

Le souper au retour est une improvisation. Chacun s’en mêle. Une petite fille court au jardin potager, arracher quelques légumes. Un petit garçon descend au bout du champ, traire la vache dans un pot à eau. Ce pot à eau vous intrigue. Vous croyez que la vache ne donne pas assez de lait pour qu’on se serve d’un seau. C’est autre chose. Cette vache est stylée pour la maison, où la glace fait défaut, où tout le monde d’ailleurs adore le lait chaud. À n’importe quelle heure, au besoin, quelqu’un repart avec le même broc, et la bonne bête docile donne ce qu’on lui demande.

Les critiques ne manquent pas pour juger sévèrement une manière de vivre aussi discutable. Ils n’ont pas tort. Toutefois, si le bonheur consiste dans le contentement, la paix la joie continuelle ; si vous cherchez la chemise d’un homme heureux, allez chez les Xixtes. Elle y est.

Mais, une fois lavée peut-être perdrait-elle sa vertu !