La Maison aux phlox/3/18

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Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 175-178).


Finies, les vacances…

Joyeux, ils regardaient l’été étendu devant eux : deux mois et demi.

Soixante-dix-neuf jours ! Ils avaient pris la peine de les compter.

Mais tout de suite ils virent que les jours passaient vite, que les semaines passaient vite, et cela, quand pour une fois, personne ne désirait autre chose que le présent.

Le beau présent ! matins clairs, chauds, lumineux ; plongées rapides dans la mer transparente ; repas matinal et copieux, devant les fenêtres ouvertes sur la plaque d’argent éblouissante que jetait sur l’eau le soleil ; le soleil qu’ils avaient juste en face ; ils mettaient en riant leurs lunettes fumées et leurs visières et ils s’amusaient de ce voyage en bateau, qu’ils faisaient sans bouger de leur table.

Parfois ensuite, ils oubliaient qu’ils étaient devenus grands et ils bâtissaient dans le sable de la plage des forteresses ou des quais ; ou bien, ils bûchaient, ou flânaient, en regardant l’horizon d’où pouvaient toujours venir des navires.

À la moindre fumée aperçue de très loin, comme larrons ils se rejoignaient, et du même enthousiasme, enfourchant leurs bicyclettes, ils pédalaient rapides vers le quai. Le Miron L. ou le Méchin accostait ; ou quelque gros cargo venu pour la pulpe ; ils restaient auprès tout le temps du déchargement, et pour un instant ils cessaient de vivre uniquement dans le beau présent et désiraient partir pour un long voyage en mer…

Ou encore, qu’ils fussent dans la maison ou sur la plage, ils dressaient l’oreille comme de jeunes chiens, dès qu’un bruit de train se faisait entendre, et toujours ils couraient le voir passer. Un jour même l’aîné des deux fut invité à monter sur un petit bout de train de sable qui allait de Chandler à New Port, et revenait en reculant. Au retour il proclama avec exaltation que ce voyage en wagon découvert avait été le plus beau de sa vie, que c’était pour lui le seul moyen de vraiment voir et d’apprécier la Gaspésie…

Puis venaient les heures de midi, le second bain, le tennis… Et puis il y avait encore les fins de jour sans lampe, étendus devant le foyer où les bûches se consumaient, véritables châteaux en Espagne. Il y avait les visites chez les chers voisins, le phono qu’on leur laissait monter, les belles symphonies qu’ils choisissaient, et les rengaines amusantes dont ils ne se lassaient pas ; il y eut d’exceptionnel la pêche au saumon ratée, mais mouvementée comme une page de feuilleton, avec les douze milles de marche, la cueillette des noisettes, le passage à gué de la rivière… et les douces petites truites rapportées au bout d’une flexible branche… Et tous les jours il y eut la pêche aux moules, sur les rochers glissants, et les délicieuses promenades en forêts, et tout le temps, la mer.

Le beau bruit de la mer, les belles couleurs de la mer du matin, de la mer du midi, de la mer du soir ; il y eut la mer calme, satinée, il y eut la mer furieuse, la mer toute grise et blanche, la mer écumante qui léchait à chaque vague toute la plage, et la laissait couverte d’une mousse exactement comme une neige. Il y eut les bains dans ces vagues énormes, fouettantes qui lançaient soudain les baigneurs et les couchaient de gré ou de force, en plein sable. Il y eut des heures et des heures, inoubliables, splendides ; mais avec effroi, ils virent le calendrier des vacances s’épuiser ; et bientôt, le présent fut teinté d’angoisse, de regrets ; cinq jours encore, quatre, trois, deux…

— Et il est venu le sinistre matin, déclara le plus jeune tout navré.

Le train vient de les emporter vers le collège. Peut-être déjà sont-ils redevenus gais ? Mais la maison est grande, silencieuse et toute triste.

De trop belles vacances portent leur rançon ; de trop violents regrets.