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La Maison aux phlox/3/19

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Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 179-181).


Ô doux été…

Je sais bien de quoi nous parlerons, quand nous nous retrouverons cet hiver…

Un feu malingre, un feu de ville brûlera dans l’âtre autour duquel nos fauteuils feront cercle. Tout de suite songeurs, nous reverrons notre foyer d’ici, où tout un tronc d’arbre tient à son aise ; un tronc d’arbre apporté par la mer, écorcé, blanchi, et qui a séché à notre porte, un tronc d’arbre qui brûle capricieusement, avec des lueurs bleues, des lueurs jaunes, des lueurs vertes ; des lueurs fantaisistes comme des rêves.

Et nous reverrons les matins blonds sur la plage, les enfants courant vers la mer, les bras des nageurs battant l’eau dorée de soleil ; et les lentes et agréables promenades sur la grève allant de notre haute maison à votre chalet bas, nu-pieds sur le sable chaud si doux ; riant, plaisantant, ou commentant anxieusement le sort du monde, mais en nous sentant pleins de reconnaissance envers le Ciel qui nous protège encore.

Dans l’âtre de ville, la petite bûche de hêtre jettera soudain plus d’éclat. Gardant le silence nous continuerons notre promenade parmi ce qui sera devenu des souvenirs. Nous reverrons le sous-bois, le sentier feutré et moussu, où nous nous en allions en file indienne ; nous reverrons la mauvaise digue du barachois… Aurons-nous alors découvert ce que nous rappelle l’odeur des énormes poutres de pin qu’il faut enjamber ? Reverrons-nous, de l’autre côté de la lagune, la belle pente boisée qui mène au tennis ? Réentendrons-nous le choc des balles sur les raquettes, les cris de triomphe ou de colère des jeunes ? Ah ! le doux arôme qui se dégage des sapins chauffés par le jour ardent ! et l’aspect du ciel entre les troncs noirs, et de cette lointaine montagne bleu foncé qui s’appuie à l’horizon, et qui, en réalité, n’est que la mer au delà de la dune.

Nous reparlerons de tout cela. Notre bûche de ville pétillera de son mieux. Mais ce sera l’hiver. Il n’y aura probablement plus de fleurs dans les vases, et nous repenserons aussi aux jours où nous revenions de nos promenades les bras remplis de verges d’or, de grandes feuilles de sureau.

Puis le feu diminuera, s’éteindra. La soirée finira gaiement, je le sais, autour d’une tasse de café. Tout de même au fond de nous persistera le regret.

C’est que, seuls de l’été, les beaux tableaux subsisteront. Nous ne nous rappellerons aucun des contretemps ; ni les petites maladies des enfants, ni les bicyclettes brisées, ni les maillots de bain volés, ni les matins où il pleut quand nous désirons le beau temps, ni la vie terrestre ordinaire qui, dans le beau décor, nous atteint quand même de ses soucis, de ses nostalgies.

L’été, devenu le doux passé, aura rejeté tout cela. Il ressuscitera dans notre souvenir, film parfait illustrant le paradis que nous rêvons pour toujours.

Chandler, 31 août 1940.