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La Maison aux phlox/4/2

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Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 204-206).


Printemps

Le soleil insistant, indiscret, trop matinal traverse les stores les plus épais, vous éveille. Dans la rue, les laitiers entrechoquent des bouteilles. Les grenouilles de l’étang voisin ont cessé de chanter.

Vous entendez plus loin le tramway heurter les rails avec une espèce d’allégresse. Impossible de songer à redormir. D’ailleurs, vous n’en avez plus envie. Tout de suite vous pensez  : mes muguets !

Ces muguets que vous aviez cru tués par l’hiver, et que soudain, après les dernières pluies, vous avez découverts, minces pointes perçant d’abord la terre et qui se déplient et montrent la grappe odorante déjà formée…

Vous descendez. Un vent chaud souffle doucement ; le sol humide, miraculeux, a fait dans la nuit des merveilles. Les lis, les iris ont grandi de façon incroyable ; les passeroses grossissent presque trop ; la bergamote embaume et progresse.

Depuis deux jours, vous pouviez cueillir pour votre table quelques violettes et des pensées. Ce matin, sous la boule de feuillage, cent violettes sourient de vous surprendre autant, bien ouvertes, d’un mauve tendre, petites mais combien belles ! Et de grandes pensées jaunes, violacées, vous regardent de leur beau visage de velours.

Et la pivoine ! Non, ce n’est pas possible ! Il y a une semaine, des pousses roses pointaient à peine ; aujourd’hui, vous pourriez déjà compter les boutons.

Votre inexpérience s’amuse, s’étonne de tout. Jamais vous n’auriez cru, pauvre citadine ignorante, que faire un jardin réservait de pareils délices.

Les cosmos ont levé d’un doigt.

Et les capucines, — qui, d’après l’enveloppe, ne doivent être semées qu’à la mi-mai, et que dans votre empressement vous avez risquées, — les capucines étendent une tige et deux minuscules feuilles bien reconnaissables.

Ô joie. Exaltation même !

Vous mordez le bâton acide d’une rhubarbe. Vous regardez avec contentement autour de vous. Votre jardin n’est pas grand, mais il est juché sur une terrasse et domine les alentours. Dans la rue en bas, un orme splendide, géant, déplie avec soin ses tendres feuilles. Des gazons frais lavés, piqués de tulipes, grimpent la colline boisée ; bientôt vous verrez à peine les maisons des autres. Au clocher de l’église proche la messe sonne. Allez. Vite.

Allez remercier du printemps, du printemps venu tout à coup, chaud comme l’été, un peu déconcertant. Mais tous les matins maintenant, vous descendrez et ferez ce tour de votre jardin ; rien ne grandira à votre insu ; tout vous remplira d’un émerveillement chaque jour renouvelé. Qu’importe un peu trop de chaleur…

Et dans la maison, les vases seront vivants, les vases deviendront des poèmes.

Et vous avez hâte de voir, — comme l’an dernier, — ce bol de cuivre éclatant, si beau, quand il déborde de rieuses, vives, chatoyantes, éclatantes capucines ; du jaune, de l’orangé, du rouge, du soleil, et tout cela doublé, illuminé par une grande glace !