La Maison de notre moi

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Magasin d’Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901
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LA MAISON DE NOTRE MOI



Nous pouvons avoir plusieurs maisons pour abriter notre corps, mais notre être n’a qu’une demeure en ce monde, et, chose bizarre, nous qui prenons tant de soin de ce qui nous appartient, nous qui entretenons si bien notre garde-robe et notre mobilier et veillons à la conservation de nos maisons de pierre et de briques, nous ruinons avec la plus parfaite insouciance cette maison de chair et d’os dans laquelle nous sommes condamnés à vivre. La bête, pourtant, a ses droits, et l’autre, ses devoirs envers la bête. Faute de les observer, celle-ci se fâche, et, trop souvent, se venge aux dépens de l’autre.

Notre ignorance, à cet égard, est quelque chose de phénoménal ; le moindre cheval ou chien de luxe a son hygiène, que nous observons scrupuleusement ; mais, quand il s’agit du premier de nos biens, les lois les plus élémentaires nous sont inconnues, ou, du moins, nous vivons comme si nous les ignorions.

Courir au médecin lorsque nous avons détérioré la merveilleuse machine humaine que nous sommes, ne répare pas les dégâts, qu’il n’eût tenu qu’à nous d’éviter. Or nous ne savons rien, ou presque rien, de l’entretien de cette machine, sinon, d’une manière générale, qu’il faut respirer, boire, manger, dormir, se baigner et prendre de l’exercice. Les Américains, plus soigneux que nous, ne le sont pas encore assez, si l’on en croit le docteur Gardner, dans la Revue Munsey.

Se nourrir, c’est donner au corps ce dont il a besoin et non ce qui plaît au palais. Plus nous nous rapprochons des choses telles que la nature nous les fournit, plus nous sommes dans le vrai à cet égard. Cuisine compliquée, sauces savamment épicées, mets de haut goût n’ont rien à voir avec nos véritables besoins. D’où le régime des viandes grillées et rôties, des légumes au naturel, des fruits crus ou cuits. Les céréales, qui sont par excellence la nourriture de l’homme, — blé, maïs, seigle, avoine, orge et riz, — doivent être consommées sous forme de bouillie, de gruau ou de pain complet, ce pain fait avec de la farine moins soigneusement blutée et que l’on a essayé, depuis quelques années, de mettre à la mode en France. La fine fleur de farine avec laquelle on confectionne le pain de luxe est dépourvue justement des éléments qui nous sont le plus indispensables, entre autres, des phosphates que réclament nos os, et il ne nous apporte plus guère que de l’amidon et du carbone, producteurs de chaleur et d’énergie ; nos os et nos muscles n’y trouvent plus leur compte. Pain complet, pain bis, pain de seigle, pain d’orge, à la bonne heure !

L’eau pure est la boisson idéale de l’homme. Encore faut-il, à l’encontre de toutes nos idées reçues, ne boire, ni pendant les repas, ni pendant la demi-heure qui précède et celle qui suit les repas. Ainsi éviterons-nous les dilatations de l’estomac et nous assimilerons-nous vraiment notre nourriture. Eau glacée, glaces et sorbets, loin d’activer la digestion, refroidissent la muqueuse stomacale et interrompent la production du suc gastrique. Prise en grande quantité, l’eau glacée est dangereuse et même mortelle. Le thé et le café ne sont point un aliment, et, considérés comme breuvages, l’espèce humaine se porterait infiniment mieux sans eux. Quant à l’alcool, ce devrait être un médicament et un médicament seulement ; la moins pernicieuse manière d’en absorber serait le pur whisky à très petites doses dans beaucoup d’eau, mais toutes les boissons alcooliques nous sont funestes.

Nous savons que nous ne pouvons vivre sans air ; mais, bon gré, mal gré, les habitants des grandes villes respirent de l’air qui a déjà passé par les poumons de plusieurs individus, sans compter les nombreux chevaux que nous côtoyons. De plus, la majeure partie de la vie des citadins s’écoule dans des chambres closes. De là l’urgence de donner de l’air à nos poumons pendant la nuit. Toute personne valide doit, avant de se coucher, ouvrir les portes et fenêtres de sa chambre à coucher et les laisser ainsi toute la nuit ; un rideau suffit pour empêcher les regards indiscrets. Qu’on ne craigne point les rhumes : les soldats en campagne, les chemineaux ne s’enrhument pas à la belle étoile. On s’enrhume dans des pièces surchauffées et sans ventilation. Pendant leurs sept à huit heures de sommeil, les citadins, bien couverts dans leur lit, introduiront de l’oxygène dans leurs poumons et répareront le mal causé pendant la journée.

Il est bien entendu que, pour ceux qui n’en ont point l’habitude, il faut un « entraînement » et qu’il ne conviendrait point de commencer en plein hiver par des fenêtres toutes grandes ouvertes.

Chaque soir, en se couchant, il faut procéder à un lavage à l’eau froide de la figure, des bras et des mains, des pieds et des jambes, et se frictionner avec une serviette rugueuse jusqu’à ce que la peau soit rouge. De même, le premier acte, au réveil, doit être de plonger le corps humain dans de l’eau froide, tiède ou chaude, selon l’âge et la force de l’individu. Un quart d’heure ou vingt minutes d’exercices convenables : haltères, poids et poulie, après ces ablutions, voilà le sûr moyen de réveiller la vigueur physique et mentale des êtres les plus surmenés.

Ce n’est pas tout : il n’est pas une personne sur vingt qui sache… respirer. La respiration ordinaire, inconsciente, est un mouvement musculaire involontaire, qui ne change que dix à treize pour cent de l’air de nos poumons. Pour le reste, nos poumons sont remplis d’air ayant déjà fourni son oxygène à notre sang et que réoxygènent faiblement les dix à treize pour cent d’air nouveau. Mais nous possédons d’autres muscles respiratoires, sous le contrôle de notre volonté, et grâce auxquels les poumons peuvent être presque entièrement remplis d’air. Rejetez les épaules en arrière, élargissez la poitrine, et, en même temps, abaissez le diaphragme et puis respirez longuement, profondément, retenez l’air dans vos poumons pendant quelques secondes et laissez-le s’échapper lentement… Tel est l’exercice qui doit être fait, à quelques minutes d’intervalle, quand nous nous promenons, par exemple.

Trois ou quatre mois de cet exercice suffisent pour développer le buste, élargir la poitrine et prévenir toute maladie dite de poitrine. Cette science de la respiration est, en outre, le principe fondamental d’hygiène permettant de se livrer à l’art du chant. Que de chanteurs — et de professeurs de chant hélas ! — ne s’en doutent point.

La question des vêtements est bien simple. Elle se réduit à ceci : dans tout pays dont le climat est variable ou froid, il faut porter de la laine sur la peau ; de la flanelle légère en été, plus épaisse en hiver, et se vêtir à son goût.

À cette hygiène, purement physique, il nous faut ajouter que, si notre corps a son influence sur l’autre, l’autre, à son tour, agit sur la bête humaine beaucoup plus que nous ne le croyons. Il a été démontré que nos passions, la colère, la jalousie, la haine, ont pour effet d’altérer les combinaisons chimiques dont notre corps est le laboratoire incessant. À nous donc d’entretenir notre santé physique par notre santé morale ; le vieil adage peut s’entendre : un esprit sain conservant un corps sain. Soyons vertueux par esprit de sécurité personnelle et d’égoïsme, l’égoïsme qui régit le monde !…

Jacques Lermont.