La Maquerelle de Londres/02

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La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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CHAP. II.

Des Maqueraux, & Maquerelles ; ce qu’ils ſont : avec un Dialogue, entre une Fille de Joye, & une vieille Maquerelle, un Maquerau, & un Prodigue, touchant la préeminence.

Dans la maiſon, où regne le peché, j’entens celles où l’impudicité domine, il s’y trouve d’autres Inſtrumens de Lubricité, outre les Maquerelles, & les filles debauchées : Car quoique la Maquerelle ſoit celle qui tient la maiſon, il y en a encore cependant d’autres qui en dépendent, qui procurent des filles de joye pour d’autres hommes. Les Seconds ſont ceux qui ſont principalement employés au dehors, pour amener des pratiques & leurs procurer celles qui veulent ſe proſtituer, & parmi ces derniers, il s’en trouve d’une eſpece aſſés denaturée & ſi inhumaine, qu’ils proſtituent leurs propres Epouſes, à d’autres hommes pour en jouir : Comme, par exemple, il eſt arrivé depuis peu, que deux hommes entrerent pour ſe rafraichir dans une maiſon, qu’ils croyoient honnête ; mais auſſitot que la bouteille fut miſe ſur la table, il ſe preſenta devant eux une creature, qui leur fit immediatement entendre ce qu’elle vouloit, leur deſignant la maiſon, dans laquelle ils étoient entrés. L’un d’eux la prit par la main, & commença à ſe rendre fort familier avec elle, & s’aperçût, qu’il en pourroit tirer quelques faveurs, ce à quoi il tendoit. Mais ſon compagnon s’apercevant, qu’il vouloit ſe l’approprier ſeul, il commença à faire tapage, à frapper, & à appeller d’une étrange maniere ; ſur quoi le maitre de la maiſon monta d’abord, ſouhaitant de ſçavoir, de quoi il étoit queſtion. Quoi impudent faquin, lui dit-il, n’avés vous qu’une fille de joye dans la maiſon, pour me laiſſer ainſi les mains vuides, comme un nigaud, tandis que mon compagnon commerce avec une autre ? Le Maquerau voyant cet homme ſi fort en colere, mon bon Monſieur, lui dit-il, tranquiliſés vous, je vais en bas, & je ferai monter ma femme pour vous contenter, ce qu’il fit immediatement, & ſuivant ſa promeſſe. Ceux que l’on appelle Panders, ſont dans un ſtrique ſens, ceux qui ſont toujours dans la maiſon, dont ils ont le menagement. Ce ſont ceux-ci qui amenent les Rodeurs avec les filles de joye, & qui les ſervent pendant qu’ils commettent leurs impudicités.


Ces freres d’iniquité, avec le reſte de la maiſon de debauche, eurent une grande querelle, touchant la Superiorité ; chacun d’eux vouloit être le chef. Je vous donnerai ci-après Un detail de leurs differens raiſonnemens, & enſuite je vous montrerai encore plus de leurs mauvais tours. La Preſidente étoit une debauchée, & ainſi elle menageoit ſa cauſe.


La Debauchée. Perſonne ne peut ſans impudence, & ſans une grande injuſtice, me conteſter le premier rang entre nous tous ; car c’eſt moi qui procure tout ce qu’il faut dans la maiſon pour vivre ; ç’eſt moi qui expoſe ma carcaſſe, qui plus eſt avanture mon ame, & tout pour gagner honnêtement mon pain. Oui, Monſieur Maquerau, malgré vos railleries, je dis honnêtement mon pain, ou ma vie : Car je ne trompe perſonne, au contraire je paye ce que je reçois, & ne fais uſage que de ce qui m’appartient, ce que perſonne ne peut me diſputer. Et je crois, qu’il vaut mieux pour moi, & que je hazarde moins en gagnant ma vie avec mon — que de voler le bien d’autrui. Outre cela je ne ſouffre pas, que qui que ce ſoit ait à faire avec moi, à moins que je ne le veuille, & ne couche avec moi à moins que je ne l’aime ; je ne fixe aucun prix, mais je prens ce qu’on me donne volontairement, c’eſt pourquoi on ne peut proprement m’appeler P--ain, car celles qu’on nomme ainſi, font leur marché avant que d’entrer en beſogne, ce que je ne fais jamais : Et par conſequent voyant, que je vous maintiens tous, vous devés me reconnoitre pour votre chef, & me donner la préeminence ; car vous vivés tous du ſang, qui coule dans mes veines ; & ſi ma beauté n’attiroit pas les hommes, vous ne pourriés pas tous tant que vous étes gagner de l’eau pour laver vos mains, & ſeriés auſſi pauvres que des Rats d’Egliſe.

A cette harangue le Maquerau repond ainſi.

Le Maquerau Vous allés trop vite Mademoiſelle Minx, & vous êtes un peu trop prevenuë en votre faveur : Car quoique ce ſoit mon devoir de ſervir, cependant c’eſt moi qui vous procure à tous du credit & de la reputation. Je me promene dans les ruës d’une maniere galante, ſi propre, ſi bien parfumé, que tous ceux que je rencontre me donne le haut du pavé, comme ſi j’étois une perſonne de qualité : Et lorsque quelqu’un entre ici, il eſt charmé de ma belle maniere de le recevoir & de mes agréables diſcours. Mon aimable preſence en attire beaucoup dans la maiſon, outre ceux de notre connoiſſance ; de ſorte que je puis aſſurer, que je ſuis le Soutien du Logis. Si je ne vous attirois pas des Cavaliers chés vous, que deviendriés vous ? Vous pourriés reſter les bras croiſés, & être obligés de vous gratter les ---les.

Ce diſcours irrita tellement Pander, qu’il y repondit avec beaucoup de chaleur de la maniere qui ſuit.


Pander. Toi petit maitre fanfaron, crois-tu, que je me croye au deſſous de toi ? Non, il faut que tu ſaches, que je ſuis plus que toi ; nous éprouveront immediatement, quel eſt celui qui eſt le plus utile de nous deux : Eſt-ce que tous ces Meſſieurs ne me confient pas leurs ſecrets ? Eſt-ce que je ne garde pas la porte ? Eſt-ce que je n’examine pas tout ? Ainſi ne dois-je pas être regardé comme le plus utile & le meilleur ? Outre cela je fournis à nos filles des Galans de leurs temperamens, & qui leurs conviennent le mieux, & dans tous les cas épineux qui arrivent, ne me demande-t-on pas mon avis, & en le donnant eſt-ce que je n’ai pas double profit. Quand je reſte au Logis, c’eſt ſeulement pour faire un Ane de toi, pendant que tu en es ſorti, car tandis que tu ne gagnes qu’un Shilling au dehors, j’en gagne 5. à la maiſon : & je ſuis ſur, que ſi je la venois à quitter, tous nos chalans l’abandonneroient bientôt. Car je ſuis le ſeul, pour lequel les gens, qui nous frequentent, ont le plus de veneration. C’eſt pourquoi je crois meriter, à juſte Titre, la préférence ſur vous tous.


La vieille dam--ble Maquerelle, ayant écouté attentivement tous ces diſcours, ſe mit enfin à éclater de rire de toutes ſes forces, & après avoir employé en cela toutes ſes foibles & riſibles facultés, leur fit cette reponſe.


La Maquerelle. Je ne puis m’empecher de rire, d’entendre tous ces ſots raiſonnemens, touchant la pretenduë préeminence. Ils voudroient être tous les maitres, cependant ils n’ignorent pas, qu’ils ſont tous mes ſerviteurs ; ils ſe vantent de ceci, & de cela, parlent de leurs grands profits, & oublient, que je ſuis le ſoutien de la maiſon, & que leurs gains & eux-mêmes dependent de moi, & de mon bon plaiſir. Dites moi, je vous prie, Meſſieurs, de qui depend cette maiſon ? J’eſpere, que vous la regardés comme étant la mienne ; & je ſuis ſûre d’en avoir achetté tous les meubles ; & toute fois vous raiſonnés comme ſi je n’avois rien à faire, ni à pretendre ici, au lieu que vous auriés été obligés de mandier votre pain, il y a déja longtems, ſi je ne vous avois pas pris à mon ſervice. Et vous Mademoiſelle Minx, parceque vous êtes un peu jolie, vous commencés à devenir orgueilleuſe, ſans conſiderer, que ſi je ne vous avois pas preferée dans la ſituation, où vous êtes, vous auriés été obligée de laver les ecuelles, & de frotter les meubles & les appartemens ailleurs. N’eſt-ce pas moi qui vous ai achetté ces beaux habits, & qui vous ai mis dans le bel equipage, où vous êtes ? Helas vous étiés qu’une pûre novice dans l’art de pecher, jusqu’à ce que je vous euſſe donné de ſi belles Leçons, qui vous ont miſe en ſi beau chemin. Vous avés oublié, combien grande étoit d’abord votre modeſtie, & les peines, que je me ſuis données pour vous engager à laiſſer un Cavalier vous prendre dans le Tu quoque ; & maintenant que je vous ai inſtruite aſſés bien pour gagner votre vie, vous commencés à vouloir me mépriſer. Et vous M. Pimp. n’étiés vous pas un pauvre miſerable avant d’entrer dans mon ſervice ? Dites-moi, s’il vous plait, qui eſt-ce qui auroit eû des égards pour vous dans les haillons, ou guenilles, où je vous ai trouvé ? Maintenant que je vous ai bien habillé, & fait un homme de vous, vous voudriés m’impoſer des loix. Oui da ! mais j’y mettrai ordre pour l’empecher ; & ſi vous ne vous connoiſſés plus vous-même, je n’ai pas oublié, qui vous êtes : Bien plus voilà votre frere Pander auſſi, qui ne vaut pas mieux que vous, & qui ne peut pas dire, quand il eſt bien, parce que je lui paye ſes gages dans ſon poſte, veut auſſi devenir mon maître, & voudroit tout gouverner ; mais je vous ferai ſçavoir, qu’il y a deux mots dans ce marché. Je crois ſçavoir mieux, que vous tous, ce qui appartient le mieux dans cette maiſon, j’y ai été élevée dans ma jeuneſſe ; & j’ai paſſé moi-même mon tems dans les plaiſirs ; mais n’en ayant plus la force à cauſe de mon âge & de mes foibleſſes, j’avois tant d’affection pour ce metier, que j’en ai entretenu d’autres pour le continuer ; & c’eſt pour cette raiſon, que je dois avoir plus d’experience en cela qu’un autre, & ſi vous ne voulés pas tous me reconnoître pour votre Supérieure & Maîtreſſe de tout, je ſçais ce que j’aurai à faire.


La vieille Maquerelle ayant fini ſon diſcours, & impoſé ſilence à tous ces arrogans, il ſe trouva préſent un petit Maître Prodigue, qui avoit diſſipé presque tout ſon bien, & qui avoit été longtems un chalant de cette maiſon, & qui enfin crût devoir profiter de cette occaſion, pour lui rapeller ſon merite, & commença à parler de la maniere ſuivante.


Le Prodigue. Je m’apperçois, que vous avés tous l’ambition d’avoir la Supériorité ; mais pour vous parler franchement, il n’y a perſonne qui la merite mieux que moi : car dires tout ce qu’il vous plaira, c’eſt caqueter en vain.


Vous ſavés le vieux Proverbe : Les diſcours ne ſont que des raiſonnemens, mais c’eſt l’argent qui fait tout. Et je ſuis ſûr, que j’ai tout dépenſé le mien pour vous maintenir tous : & pour cette raiſon, quand vous aurés dit tout ce que vous pouvés dire, qu’auriés vous fait, & que feriés vous encore, ſi je ne vous avois pas fourni de l’argent ? Si moi tel que je ſuis, j’abandonne votre maiſon, vous ſerés obligés d’aller vous faire pendre. C’eſt moi qui contente & ſatisfait la P-.-ain, & qui paye le Maquereau & ſon camarade : Quant à vous, Mademoiſelle la Maquerelle, tout ce que vous dites vous appartenir, ne vient-il pas de moi ? car vous n’avés ni maiſon, ni terres, ſur lesquelles vous pouvés compter ; & c’eſt moi qui vous maintient tous. Et puisque c’eſt moi qui fais toute cette depenſe, il eſt juſte, que vous me reconnoiſſiés tous pour votre Maître : votre propre interêt parle en ma faveur. C’eſt pourquoi il eſt inutile d’en dire d’avantage.


Le Prodigue ayant fini ſa harangue, ils convinrent tous, qu’il valoit mieux pour eux de ſe maintenir enſemble, puisque leur interêt étoit commun entr’eux : que par conſequent chacun devoit garder ſon poſte, & reconnoître la Maquerelle pour ſa Superieure, & le jeune Prodique pour leur Bienfaiteur.