La Maquerelle de Londres/03

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La Maquerelle de Londres bandeau de début de chapitre
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CHAP. III.

Comment une jeune Dame, avec le ſecours d’une vieille Maquerelle, a pû jouïr de ſon Amant & tromper ſon vieil Epoux.


VOus ayant déja donné le Caractére d’une Maquerelle, & montré ſes raiſons pour avoir la préeminence dans l’art de l’impudicité ; je vais préſentement, par quelles fameux perfections elle peut y parvenir : & lorsque vous aurés vû ſa malice pour l’obtenir, & ſa patience à ſouffrir, vous conviendrés d’abord, qu’elle n’epargne aucune peine pour devenir méchante au ſuprême degré.


Il n’y a pas longtems, que dans le Weſt-d’Angleterre vivoit un vieux Gentilhomme, auquel la Providence avoit été trés propice, en lui accordant un bien conſiderable, de ſorte qu’il ne lui manquoit rien au dehors pour mener une vie auſſi heureuſe qu’il pouvoit le deſirer. Ce Gentilhomme étant encore garçon, avoit plus de biens que d’eſprit, & plus d’envie d’agir, que d’habileté pour parvenir à la perfection : Car rien ne pouvoit lui convenir mieux qu’une femme, qui devoit être jeune & belle auſſi. Car quoiqu’il étoit avancé en âge, il avoit cependant encore de jeunes inclinations, & ſe croyoit encore auſſi alerte & vigoureux qu’un jeune homme de 25. ans.


Vous pouvés bien vous imaginer, qu’un homme de ſon état ne pouvoit pas demeurer longtems ſans qu’on lui fit des offres, lorsque ſes intentions furent connuës : Car les richeſſes ont tant de charmes en elles-mêmes, que ſouvant ils aveuglent les parens, & font, qu’ils ſe trompent dans leurs propres interêts en diſpoſant de leurs enfans, qui ne conſiſtent pas tant dans les efforts qu’ils font de les marier avec des hommes riches, qu’avec ceux qui leur conviennent. On offrit à ce vieux paillard la fille d’un autre vieux Gentilhomme : elle étoit très belle, ſans cependant avoir beaucoup de bien ; mais ſentant bien, qu’il ne pouvoit pas s’attendre à ſon âge, a épouſé une grande beauté avec de grandes richeſſes ; il l’accepta volontiers. La jeune Demoiſelle n’étoit à beaucoup près ſi portée à conclure ce mariage que ſes parens, qui la ſollicitoient fort à cela ; & pour l’encourager, ils lui diſoient, que ſon vieil Epoux ne pouvoit pas vivre encore longtems, & qu’après ſa mort elle poſſederoit aſſés de biens pour épouſer un autre meilleur parti ; & que quoiqu’elle n’avoit pas alors beaucoup de ſoupirans, faute d’une fortune, qui repondit à ſa naiſſance & à ſa beauté : cependant lorsque le cas ſeroit ainſi changé, on ne pourroit manquer de lui faire des offres très avantageux. Ces raiſons engagerent cette jeune Demoiſelle à accepter le vieillard pour Epoux, & on celebra leur mariage.


Mais, comme je l’ai déja dit, notre vieux Gentilhomme avoit plus de deſir de --- que d’habileté, & la jeune Dame ſe contentoit moins de ſes deſirs, que de la bienveillance & des effets, auxquels elle avoit raiſon de s’attendre de la part d’un mari. Mais n’en voyant ni ſentant pas l’execution, elle ſe repantit bientôt de ce à quoi elle ne pouvoit apporter aucun remede.


Heureuſement, il arriva, que dans ſon voiſinage demeuroit une vieille & ruſée Maquerelle, qui avoit été depuis longtems accoutumée à préter ſes charitables ſecours à des Dames, qui tombent dans des inconveniens auſſi penibles & douloureux que ceux, où ſe trouvoit notre nouvelle mariée, dont elle avoit déja apperçû les inquietudes & les langueurs, cauſées par l’impuiſſance de ſon vieil Epoux : ce qui enhardit la vieille Maquerelle à prendre un tems convenable pour lui faire une viſite, & par ſes diſcours ſubtiles elle decouvrit la veritable cauſe du mécontentement de la jeune Dame, ſur quoi la Maquerelle lui tint le langage ſuivant :


„Madame, j’espére que vous-m’excuſerés, ſi je prens la liberté de vous declarer mes ſentimens pour vous, qui ne procedent que de la compaſſion, que j’ai pour vous, en voyant & admirant une ſi agréable jeuneſſe & une ſi grande beauté en vous, livrées à un homme, qui ne ſçait ni ne peut en faire uſage : Je ſens très bien, qu’une perſonne de votre âge & de votre gayeté ne peut que s’affliger de votre triſte état, dans l’idée d’étre mariée, & étre dans ce cas privée des avantages, qu’on en doit ordinairement tirer. Ç’eſt être comme Epouſe ſans mari, que d’avoir un homme, qui ne peut rien faire. Vous ſçavés, Madame, qu’il nous eſt ordonné de croître & de multiplier. Mais quelque fertile qu’un terrain ſoit, on ne doit pas s’attendre, qu’il produite aucune choſe, qui vaille, à moins qu’on y jette de la ſemence. Voilà, Madame, ce qui me fait prendre la hardieſſe de vous dire, que vous vous manqués à vous-même, & au but de votre création, ſi vous ne trouvés quelques moyens, à ce defaut, & à cette impuiſſance, dans lesquels votre mari ſe trouve, à cauſe de ſon grand âge. Je connois un Cavalier alerte, jeune, beau, bien fait, en un mot, qui eſt la plus belle fleure de la jeuneſſe la plus enjouée ; qui, j’en ſuis ſûr, ſe ſacrifieroit lui-même, & tout ce qu’il a pour ſervir une Dame dans les circonſtances facheuſes, où vous êtes, & j’ai tellement compaſſion de vos peines, que je ferois volontiers mon poſſible, pour les adoucir, & pour vous procurer la ſatisfaction, qu’exige votre jeuneſſe & votre grande beauté, & que votre mari ne peut vous donner.„


La Maquerelle ayant fini cette harangue, la jeune Dame lui dit, qu’elle lui étoit très obligée, de le part qu’elle vouloit bien prendre à ſon état infortuné, qui étoit le même qu’elle lui avoit repréſenté ; mais elle lui dit, qu’elle n’oſoit pas ſe ſervir du remede qu’elle lui propoſoit, 1) parce qu’il étoit criminel, 2) parce qu’elle y coureroit de grands riſques ; que ſon mari ſentant ſon impuiſſance, & ſon imbecillité, étoit très jaloux, quoiqu’elle ne lui en eût jamais donné le moindre ſujet, & que par conſequent toutes les tentatives, qu’on pourroit faire en cela, deviendroient très difficiles, qu’il vaudroit infiniment mieux de n’y pas ſonger, de crainte d’y échouer.


La vieille malicieuſe Maquerelle remarquant, que quoique la jeune Dame avoit mentionné le crime de ce qu’elle lui avoit propoſé, cependant elle n’inſiſtoit pas tant ſur cela, que ſur les hazards & les difficultés d’en faire la tentative, ce qui l’encouragea tellement par l’eſperance de réuſſir, qu’elle lui dit, quant au crime, vû les circonſtances, elle ne croyoit pas, qu’il y en eût aucun, parce que ſi elle pouvoit avoir eû de ſon mari cette bienveillance qu’il lui doit, elle ne l’auroit pas penſé à la chercher ailleurs ; & ſi c’étoit en quelque façon un peché, il n’étoit que veniel, qui pouvoit aiſement étre pardonné. Mais que par raport au dernieres circonſtances, touchant les risques, qu’elle y auroit à courir, à cauſe de la jalouſie du mari, c’eſt ce qu’il y a le plus à conſiderer : Car les vieillards, qui ne peuvent abſolument rien faire, ſont toujours les plus jaloux, & craignent ſans ceſſe, que d’autres ne ſuppleyont à leur défaut. Mais nonobſtant toute cette jalouſie, laiſſés moi le ſoin & le menagement de cette affaire, & quand il auroit les yeux d’Argus, nous le tromperont.


La jeune Dame ſe laiſſa bientôt perſuader, à faire ce à quoi elle étoit déja portée auparavant, & enſuite elle s’abandonna entiérement à la conduite de la vieille Maquerelle, qui lui dit, qu’elle alloit dire au Cavalier, qui avoit une ſi grande paſſion pour elle, que lui n’étoit pas dèsagréable ; & lui diroit de paſſer devant la porte pluſieurs fois le lendemain, afin qu’elle put le voir au travers des fenêtres de ſa chambre ; qu’après l’avoir conſideré, elles conſulteroient enſemble ſur les meſures, qu’il y auroit à prendre, pour ſe joindre enſemble. Etant convenu de ceci, la vieille Maquerelle prit congé de la jeune Dame, & alla chés le Galant, avec lequelle elle s’entendoit, lui diſant la capture, qu’elle avoit faire pour lui, lui ordonna de s’equipper de la maniére la plus avantageuſe qu’il pourroit, & de paſſer & repaſſer devant les fenêtres dans le tems marqué, & où il pourroit la voir.


Ce Galant fut tout de feu en apprenant cette bonne nouvelle, & prit la reſolution de ne rien oublier de ce qui pourroit de ſa part contenter la jeune Dame ; & pour y bien réuſſir & pour cet effet il s’habilla d’une maniére, qui ſurpaſſoit celle des plus beaux Galans de la ville, & ſe promena ſur la parade au tems marqué, & auquel la Dame fut auſſi très attentive de ſon côté, s’étant placée à la fenêtre, & toutes ces ſalutations amoureuſes furent faites & renduës de part & d’autre, autant que la diſtance de l’endroit pouvoit le permettre ; deſirant l’un & l’autre avec la même ardeur, de trouver l’occaſion d’éteindre leurs flammes mutuelles.


Mais cette entrevuë ne ſe fit pas avec une précaution aſſés grande pour ne pas être apperçû du vieillard, dont jalouſie inquiete le tenoit ſans ceſſe eveillé. Il s’apperçut des fenêtres de la chambre, où il étoit, les frequentes allées & venuës de notre amoureux Galant, & des regards, qu’il jettoit à meſure qu’il paſſoit auprès de la fenêtre de ſa femme : Ce qui fit craindre à notre bon homme, qu’il n’y eût quelque choſe de plus ordinaire dans ſes allées & venuës ſi ſouvent réiterées de la part de notre jeune Galant ; ce qui cauſa une ſi grande inquietude au vieil impuiſſant, qu’il prit la reſolution d’en decouvrir la ſource. Et ſans faire le moindre ſemblant de ce qu’il avoit apperçu, il affecta de paroître plus amoureux pour ſa femme, & d’étre de meilleur humeur que jamais. Elle, qui au contraire avoit grande eſperance de pouvoir jouir d’un autre, qui contenteroit ſes deſirs amoureux avec une égale vigueur, ſe comportoit à l’égard de ſon mari avec une indifference ſi étrange, qu’elle ne fit que le confirmer dans ſa jalouſie. Il lui dit, que le lendemain il devoit aller en campagne pour terminer quelqu’affaire, qu’il y avoit, & qu’il ſeroit forcé, malgré lui, de s’abſenter d’elle pendant quelque tems, en ajoûtant, qu’elle ne devoit pas le prendre en mauvaiſe part, & qu’il hâteroit ſon retour auſſitôt que ſes affaires lui permettroient. Il ne put rien dire alors à ſa femme, qui lui fut plus agréable, & elle eût même aſſés de peine à lui cacher la joye, qu’elle en reſſentoit, & même il s’en apperçût. Quoiqu’il en fut, pour la mieux deguiſer, elle lui dit, qu’elle regarderoit chaque jour de ſon abſence comme autant d’années ; & alors elle l’embraſſa, en le baiſant, avec une paſſion ſi diſſimulée, qu’elle penſa gâter tout, & avoit presque perſuadé le bon vieillard de ne plus penſer à ſon voyage prétendu.


La jeune Dame ne manqua pas auſſitôt de faire ſavoir ces bonnes nouvelles à la Maquerelle, qui en fut très contente, & promis d’en donner avis à ſon Enamerato, qui reſſentit une joye inexprimable de ſon bonheur, qui s’approchoit : & jusque là les affaires allerent au contentement de leurs deſirs reciproques.


Le jour du départ du mari étant venu ; il ſe leva de grand matin, & avec toutes plus grandes careſſes feintées de part & d’autre il prit congé de la Dame : Mais ayant fait un ou deux milles, il entra chés un de ſes amis, où il laiſſa ſon cheval & ſes domeſtiques, & revint ſeul vers la nuit dans ſa maiſon.


La vieille Maquerelle ayant eû avis de la jeune Dame, que ſon mari étoit parti, elle en avertit auſſitôt le Galant, & lui ordonna de ſe tenir prêt le même ſoir à une heure marquée, & qu’il iroit & viendroit devant la porte du logis, jusqu’à ce qu’on l’y fit entrer ; ce qu’il promit de faire fidèlement, & en conſequence il ſe trouva à ſon poſte.


La Dame avoit fait préparer un repas pour bien traiter ſon Amant, avant d’entrer dans ſes amoureux engagemens ; & étant ſur le point de le faire entrer, ſon mari, qui s’étoit caché pendant quelque tems auprès de la maiſon, devant laquelle il voyoit le Galant ſoupçonné aller & venir, entra ſubitement dans la maiſon, & y trouvant un magnifique repas tout prêt, il ne douta pas, que ce ne fut pour lui. Il fait appeller vîte ſon Epouſe, & lui demanda, que ſignifioient ces préparatifs, & pour qui ce banquet étoit préparé ? La jeune Dame ſurpriſe & confonduë du retour ſi peu attendu de ſon mari, ne ſçavoit, que lui repondre. Mais reprenant un peu courage, elle lui dit auſſi bien qu’elle le pût, qu’elle étoit reſoluë de le ſurprendre, ayant appris qu’il avoit changé de ſentiment, & qu’il devoit revenir le même ſoir, croyant lui-même la ſurprendre à ſon tour. Son intention étoit de le bien regaler. Cette reponſe, auſſi plauſible qu’elle sembloit, lui parût entiérement fauſſe ; c’eſt pourquoi la prenant par l’epaule, avec un air colerique : Non, infidèle proſtituée, lui dit-il, une telle reponſe ne te peut excuſer ; je ne ſuis pas fait pour être trompé. J’ai vû ce paſſionné debauché ſe promener devant ma maiſon, pour lequel ce Feſtin étoit préparé ; & ſi j’avois eû ſeulement des armes, je lui auroit donné un autre regal que celui que tu lui avois deſigné. Mais puisque ta paſſion eſt ſi chaude, je m’en vais voir, ſi je ne pourrai pas la guerir. En diſant cela, il la traîna hors de la maiſon, la dépouilla toute nuë, & enſuite il la fit entrer dans un étang, qui étoit auprès de la cour, où il la lia avec des cordes à un pillier, qui étoit placé au milieu, en lui diſant, que de ce même ſoir jusqu’au lendemain matin il eſperoit, qu’elle ſeroit un peu plus rafraichie ; tandis qu’elle lui proteſtoit ſon innocence, en le priant de la relacher. Et l’ayant laiſſé dans cette triſte & froide condition, il renferma les domeſtiques dans leurs chambres, qu’il ferma avec des clefs, dont il prit poſſeſſion, après quoi il ſe renferma dans ſon apartement. Son Galant fatigué de ſe promener ſi longtems devant la porte, & ſurpris de ce qu’on ne l’avoit pas fait entrer, alla trouver la vieille Maquerelle pour en ſçavoir la raiſon, dont elle fut auſſi mortifiée que lui ; mais ayant eû une clef de la jeune Dame, au moyen de laquelle elle pouvoit entrer en tout tems par une porte de derriere, elle lui dit d’attendre, pour lui faire ſon rapport de ce qui s’étoit paſſé dans la maiſon ; ayant ouvert la porte, qui conduiſoit dans la cour, où étoit l’étang, elle vit auſſitôt la Dame, qui étoit dedans dans le même état, où ſon mari l’avoit laiſſée ; & approchant d’elle, elle lui demanda à haute voix la cauſe de ſon malheur.


Helas ! dit la Dame, vous m’avés ruinée pour jamais ; vos pernicieux & damnables conſeils m’ont précipité dans un abîme de miſéres ; vos yeux ſont témoins de la disgrace & de la calamité, où ils m’ont reduit : & qu’elle en ſera la fin, je l’ignore. Pourquoi, dit la Maquerelle, vous n’avés pas vû votre Galant, à moins que vous n’en euſſiés quelqu’autre que celui que je vous avois deſtiné. Non, non, reprit la Dame, j’avois tout préparé pour ſa reception, & dans le même moment que j’allois le faire entrer, mon mari eſt entré, & m’a ſurpris ſans m’y attendre, & voyant le banquet, que j’avois fait préparer, il s’eſt mis dans une ſi grande colére, qu’il en a agi avec moi auſſi cruellement que vous le voyés. He bien ! dit la Maquerelle, ſi c’eſt là tout, prenés courage, nous trouverons les moyens de rendre la pareille à votre mari : & ſi vous voulés ſeulement me laiſſer faire, ce jaloux radoteur ſera du nombre de la grande confrérie avant demain matin. Votre ami m’attens chés moi ; je me mettrai à votre place, vous mettrés mes habits, & vous irés le trouver. Divertiſſés-vous avec lui juſqu’à ce que vous ſoyez contente, & revenés après me trouver.


La jeune Dame, qui avoit été extremement troublée, d’avoir manqué dans ſon entrepriſe, & du cruel traitement de ſon mari, & voyant, que tout cela pouvoit ſe faire, elle ſuivit cet avis. La Maquerelle s’étant promptement déshabillée, delivra la jeune Dame, & prit ſa place dans l’étang, pendant qu’elle fût chés la Maquerelle, où elle trouva ſon Galant, qui la prit d’abord pour la Maquerelle à cauſe de ſes habits ; mais il étoit très content de cette mépriſe : & ayant appris l’état des affaires, ils employerent galamment leur tems, & ſe crurent très obligés à la vieille de cette nouvelle invention, qui leur avoit procuré cette entrevuë, tandis qu’elle faiſoit une rude pénitence, & qu’elle ſouffroit plus de peines pour leur avoir procuré du plaiſir, qu’ils ne le ſavoient alors. Car le vieillard non content de s’étre revangé ainſi de ſa femme, pour lui avoir voulû faire porter les cornes, il étoit reſolu de la punir encore d’avantage. Pour cet effet il ſort de ſon lit, va auprès de l’étang, où il l’appella mille fois Pu--ain : Ne t’ai-je pas pris, prèsque toute nuë, lui dit-il, ſans exiger la moindre dot de toi, & dans la penſée, que tu ſerois une épouſe fidèle & obligeante, & que tu te comporterois auſſi bien qu’une honnête dame ? Eſt-ce la recompenſe, que tu me rends impudente & miſerable debauchée ? Dis moi, qui t’as conſeillé de commettre un tel crime ? La Maquerelle, à qui tout cela s’adreſſoit, quoiqu’il croyoit, que ce fût ſa femme, n’oſa pas repondre un ſeul mot, & prit la reſolution d’en faire autant jusques à la fin ; ce qui le mit dans une ſi grande colére, qu’il dit : Quoi eſt-ce que je ne merite donc pas une reponſe ? Je ferai un exemple de toi pour toutes les Ga--ces, qui abuſent des bontés de leurs maris, & tirant ſon couteau de ſa poche, il s’avance auprès d’elle, & lui coupe le nez, qu’il lui jetta au viſage. Maintenant, P--ain, lui dit-il, prends cela pour la recompenſe, & fais-en un préſent à ton favori. Ayant dit cela, il retourna dans ſon lit, laiſſant la vieille dans cette miſerable condition. Mais peu de tems après, la jeune Dame, après s’être contentée avec ſon bon ami, & après avoir prit congé de lui, elle retourna auprès de l’étang, pour reprendre ſa place, & relever la pauvre Maquerelle, qui lui raconta ce qui lui étoit arrivé depuis ſon départ, de ce dont la jeune Dame fût plus troublée que la Maquerelle même, & ſongeoit déja à ſe ſauver de ſon ſanguinaire Epoux. Mais la vieille, étant une vieille ruſée, lui fit le diſcours ſuivant : „ Il eſt vrai, lui dit-elle, que cet accident eſt tombé malheureuſement ſur moi ; mais puisqu’il n’y a plus de remede, je veux m’en vanger. Mais ſi vous voulés ſuivre mon conſeil, pour votre propre bonheur, c’eſt qu’auſſitôt, que je vous aurai quittée, vous vous plaigniés avec une voix forte de la cruauté de votre mari, d’avoir abuſé & mal traité ſon Epouſe chaſte & innocente, en lui coupant ſon nez, & en détruiſant ainſi votre beauté ; & alors en priant toutes les Puiſſances celeſtes, comme Protectrices de votre chaſteté, de vouloir bien vous rendre votre nez & votre beauté d’une maniére miraculeuſe ; & immediatement après redoubler votre voix, comme pour les remercier de vous avoir accordé votre demande ; ce qui paſſera pour un miracle, & prouvera tellement votre innocence, qu’on ne la ſoupçonnera jamais plus après. Enſuite, j’eſpere, que vous me recompenſerés des peines, que j’ai endurées pour vous :” ce que la jeune Dame lui promit d’executer fidèlement. La Maquerelle retourna après chés elle pour ſe faire penſer, après avoir laiſſé la jeune Dame auſſi bien garrotée qu’auparavant.

La vieille ne fût pas plutôt partie, que la Dame pouſſa un grand ſoupir, & commença à ſe plaindre de la maniere ſuivante : „O malheureuſe femme ! malheureuſes par deſſus toutes les autres femmes ! malheureuſe d’avoir perdu ſans ſujet l’amitié de mon Epoux, dans lequel j’avois placé tout mon bonheur ! malheureuſe d’avoir perdu ma reputation par lui ! malheureuſe d’avoir été plus cruellement &, ignominieuſement traitée par lui, que ſi j’avois été une debauchée publique ! d’avoir mon nez ainſi coupé, & d’avoir ma beauté defigurée, & tout cela ſans raiſon : que peut-on trouver de plus barbare en lui, ou qui puiſſe me rendre plus infortunée ? Mais, vous Puiſſances celeſtes !” (ajouta-t-elle d’un ton plus élevé, afin que ſon mari puiſſe l’entendre, ce qui arriva auſſi,) „s’il y a quelques Puiſſances, qui protegent la chaſteté, & qui prennent la defenſe de l’innocence, jettés les yeux ſur moi, dont vous connoisſés la droiture, & entendés les priéres : Si je me ſuis écartée des regles les plus ſtrictes de la vertu & de l’honneur, & rompuë en aucune maniére les liens du mariage, dans lequel je ſuis entrée, que toute votre plus grande colére tombe ſur moi. Mais ſi j’ai conſervé ma chaſteté ſans tache, ni jamais fait du tort à mon mari, ſeulement en penſée, gueriſſés mon viſage defigurée, rendés moi ma beauté perduë par mon nez coupé ſi injuſtement, comme un temoignage inconteſtable de mon innocence.”

Ayant fini ſa priére, elle garda le ſilence pendant environ un demi quart d’heure, & comme ſi ſon nez lui avoit été miraculeuſement rendu, elle recommença à crier plus haut : „O vous Puiſſances immortelles ! qui connoiſſiés ma chaſteté immaculée, quoique ſouffrante, & qui venés de la recompenſer, acceptés en mes très humbles actions de graces ; car par ce miracle, que vous venés d’operer en moi, mon mari reconnoîtra ſûrement mon innocence, & je ſuis ravie de ce que je ſerai en état, au dépens de tant de ſang repandu, & après tant de peine, que j’ai endurées, de lui faire voir qu’il m’a injuſtement mal traitée, & quel eſt l’amour, que j’ai pour lui. Oui, vous Puiſſances d’en haut, qui avés prouvé ſi merveilleuſement mon innocence, vous êtes témoins de mon amour pour lui, nonobſtant ſa cruauté, pour laquelle je vous demande humblement pardon, parce qu’il l’a fait par un excés de rage, & qu’il l’a exercée ſur celle qu’il croyoit infidèle.” Alors élévant ſa voix beaucoup plus fort, elle appelle ſon mari, diſant : „Deſcendés, mon amour, & voyés & ſoyés convaincû d’avoir fait une ſi grande injuſtice à votre fidele Epouſe.”

Le vieillard, qui ne dormoit pas dans ſon lit, & qui avoit entendu tout ceci, ne ſçût qu’en penſer. Il étoit ſûr d’avoir coupé ſon nez, & de lui avoir jetté au viſage ; mais il n’étoit pas aſſés credule pour croire, qu’il fût remis, & s’imagina au contraire, que c’étoit quelque tour, qu’elle vouloit lui jouer pour être relâchée. Quoiqu’il en fût, puisqu’elle l’appelloit pour voir & ſe convaincre lui-même, il prit la reſolution de voir la verité du fait ; pour cet effet il deſcendit avec une chandelle, qu’il approcha d’elle, & l’apperçut, que ſon viſage étoit ſain & entier, de ce dont il fût ſi ſurpris & confondu, qu’il commença à craindre, que le Ciel, qui venoit d’operer un tel miracle, en la guériſſant, ne fit éclater ſa vengeance ſur lui, pour le punir de ſa rage & de ſa cruauté, & pour cet effet il la relacha immediatement, & conduiſit dans ſon lit. „O tu es l’innocence même !” (s’ecria le cocu transporté de joy) „Peus-tu me pardonner l’injuſtice, que je t’ai fait à ce pris.” „Oui, mon cher Epoux,” (repondit la malicieuſe P--ain) „puisque le Ciel a écouté ma priére, & prouvé mon innocence, je pardonne tout le monde, & toi principalement.” Après quoi ſon mari lui promit ſolemnellement, qu’il ne ſeroit jamais jaloux d’elle, quelque fût ſa conduite.


Delà on peut voir, comment, par les intrigues d’une vieille & maligne Maquerelle, une jeune Dame eſt devenuë criminelle, & un vieux radoteur un jeune cornard ; & auſſi de quelle maniere elle peut menager tous les évenemens pour les faire réuſſir dans ſes pernicieux deſſeins.