La Marche d’Arthur
VIII
LA MARCHE D’ARTHUR
— DIALECTE DE CORNOUAILLE —
La popularité dont jouit en Bretagne le nom d’Arthur est un des phénomènes les plus curieux de l’histoire de la fidélité bretonne. Ce nom, primitivement porté par une divinité guerrière, le fut, au sixième siècle, par un chef illustre, mort en défendant sa patrie, et auquel on attribua plusieurs des vertus surhumaines de son homonyme adoré. Les pères invoquaient le dieu en allant au combat ; les fils chantèrent l’homme déifié, le jour de la bataille. Ni la défaite ni l’exil ne purent faire oublier Arthur aux Bretons. Sa renommée magique, traversant la mer avec eux, reçut en Armorique une vie toute nouvelle : il y devint, comme il était dans l’île de Bretagne, un symbole armé de la liberté nationale ; et le peuple, à toutes les époques, depuis le sixième siècle jusqu’à nos jours, y répéta, en les adaptant aux circonstances, les traditions et les bardits dont il était le sujet. Ainsi, toutes les fois qu’une guerre se prépare, on voit, en signe avant-coureur, l’armée d’Arthur défiler à l’aube du jour au sommet des Montagnes-Noires, et l’on y répète encore le bardit suivant, qui s’est retrouvé, après douze cents ans, dans la bouche des Bretons armés pour défendre leurs autels et leurs foyers. Je l’ai appris d’un ancien chouan de Leuhan, qui l’a souvent chanté, m’a-t-il dit, en marchant à l’ennemi, dans les dernières guerres de l’Ouest.
Allons, allons, allons au combat ! allons parent, allons frère, allons fils, allons père ! allons ! allons ! allons tous ! allons donc, hommes de cœur !
Le fils du guerrier disait à son père un matin : — Des cavaliers au sommet de la montagne !
Des cavaliers qui passent montés sur des coursiers gris qui reniflent de froid !
Rangs serrés six par six ; rangs serrés trois par trois ; mille lances brillant au soleil.
Rangs serrés deux par deux, suivant les drapeaux que balance le vent de la Mort.
Neuf longueurs d’un jet de fronde depuis leur tête jusqu’à leur queue.
C’est l’armée d’Arthur, je le sais ; Arthur marche devant au haut de la montagne.
— Si c’est Arthur, vite à nos arcs et à nos flèches vives ! et en avant à sa suite, et que le dard s’agite ! —
Il n’avait pas fini de parler que le cri de guerre retentit d’un bout à l’autre des montagnes :
— « Cœur pour œil ! tête pour bras ! et mort pour blessure, dans la vallée comme sur la montagne! et père pour fils et mère pour fille !
« Étalon pour cavale, et mule pour âne ! chef de guerre pour soldat, et homme pour enfant! sang pour larmes, et flammes pour sueurs ! « Et trois pour un, c’est ce qu’il faut, dans la vallée comme sur la montagne, jour et nuit, s’il se peut, jusqu’à ce que les vallées roulent des flots de sang.
« Si nous tombons percés dans le combat, nous nous baptiserons avec notre sang, et nous mourrons le cœur joyeux.
« Si nous mourons comme doivent mourir des chrétiens, des Bretons, jamais nous ne mourrons trop tôt ! »
Cette dernière strophe, dont les généreux sentiments forment un étrange disparate avec le reste de la pièce et qui y a sans doute été ajoutée par une voix moderne, a dû contribuer à sauver de l’oubli la Marche d’Arthur. Elle était toujours répétée trois fois par les chanteurs, qu’elle enthousiasmait. Les autres ne leur offraient probablement qu’un sens vague ; la lettre et l’esprit sont si loin de la manière de parler et de penser d’aujourd hui ! Rien n’empêche de croire, comme on l’a prétendu, que le chant a passé du dialecte cambrien dans le dialecte armoricain, au septième siècle, à la séparation de l’un et de l’autre peuple. La pièce offre effectivement plusieurs tournures grammaticales elliptiques, un grand nombre d’expressions étrangères au dialecte du continent et la forme ternaire et allitérée des poèmes bardiques gallois. J’ajouterai que les connaisseurs s’accordent à trouver à la mélodie, qui est éminemment énergique et martiale, un caractère tout particulier d’antiquité.