La Marocaine/Acte I

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Tresse (p. 1-36).

ACTE PREMIER

Une cour du palais d’Ottokar. — Au fond, des jardins. — À gauche, un pavillon, avec porte au second plan. — À droite, un pavillon plus étroit, et de grands palmiers, où est suspendu un vélum qui s’étend sur toute la longueur du théâtre.



Scène PREMIÈRE

SÉLIM, puis ATTALIDE.
SÉLIM, chantant du dehors.
SÉRÉNADE.
I
––––––Aux baisers de la nuit sereine
––––––Les fleurs s’entr’ouvrent sans effroi !
––––––Ô toi, qui des fleurs es la reine,
––––––Ma bien-aimée, apparais-moi !

Il entre en scène.

II
––––––Pour lutter, dans l’azur sans voiles,
––––––Contre les astres que je voi,
––––––Ô toi, la reine des étoiles,
––––––Ma bien-aimée, apparais-moi !

Entre Attalide du pavillon à gauche.

DUETTO.
ENSEMBLE.
––––––––––Ô chaste fête !
––––––––––Je te revoi,
––––––––––Doux tête-à-tête,
––––––––––C’est toi ! c’est moi !
––––––––––Soucis, tristesse,
––––––––––N’approchez pas,
––––––––––Quand je te presse
la
––––––––––Entre mes bras !
SÉLIM.

Tu m’attendais !

ATTALIDE.
––––––Toujours ! d’effroi l’âme agitée,
––––––Et tour à tour ivre d’espoir !
––––––À peine si tu m’as quittée,
––––––Que déjà je veux te revoir !
REPRISE DE L’ENSEMBLE
––––––––––Ô chaste fête !…
–––––––––––––Etc.

On entend au dehors la ritournelle d’une prière.

ATTALIDE.
––––––––––Écoute, frère,
––––––––Au minaret voisin,
––––––––––C’est la prière
–––––––––––Du muezzin !

Tous deux se prosternent.

LE MUEZZIN, au dehors avec le chœur.
––––––––––Courbons la tête
––––––––––Sous le ciel bleu !
––––––––Allah seul est Dieu,
––––––Et Mahomet est son prophète !
SÉLIM, se relevant, parlé.
Mais voici le jour, adieu !
ATTALIDE.

Me quitter si vite, et sans vouloir me dire ton nom ?

SÉLIM.

Que t’importe mon nom ?… Je t’aime !


Scène II

Les Mêmes, ACHMED.
ACHMED, entrant de droite.

Que vois-je ? Ma sœur !

SÉLIM.

Achmed !

ATTALIDE.

Mon frère !

ACHEMD.

En tête-à-tête avec un étranger ! En garde, misérable !

SÉLIM.

Allons !

Il se débarrasse de son burnous.

ACHMED.

Ciel ! (Tombant à genoux devant Sélim.) Sa Hautesse !

ATTALIDE, stupéfaite.

Sa Hautesse !

ACHMED.

Tu ignores donc ?… Elle ignore ?…

SÉLIM.
Elle ignore !
ATTALIDE.

Sa Hautesse !

ACHMED.

Eh oui ! ma chérie, un souverain… présomptif au moins !… Sélim, le neveu du pacha !

ATTALIDE.

Le neveu du pacha !

Elle tombe à son tour aux pieds de Sélim.

SÉLIM, la relevant.

Relève-toi, mon Attalide !… Oui, je suis le neveu du pacha… et tu seras ma femme !… mais pas un mot !… si mon oncle se doutait ?… il me tient serré, mon oncle.

On entend des cris au dehors.

ATTALIDE.

Ce bruit !…

ACHMED.

Les rues s’emplissent de monde.

SÉLIM.

Je n’ai pas un instant à perdre, si je veux rentrer incognito.

ACHMED.

Alors, au revoir, monseigneur !

ATTALIDE.

Au revoir, monseigneur.

SÉLIM.

Et à toujours, mon Attalide !

ACHMED, lui montrant la gauche.

Par cette petite porte, monseigneur… Couvrez-vous bien… les matinées sont fraîches !

SÉLIM.
À demain !
ATTALIDE.

À demain !

Sélim sort.

ACHMED.

Ah ! ma sœur, ma sœur, tu seras sultane !

ATTALIDE.

Sultane !… Ah ! ce n’est pas cela…

ACHMED.

Soit !… mais enfin, ça vaut toujours mieux que d’être marchande de dattes ! (Bruits croissant au dehors.) Mais les cris redoublent !

CRIS, au dehors.

Victoire !

ATTALIDE.

J’entends une marche guerrière…

ACHMED.

C’est le régiment de papa !

ATTALIDE.

Et ce cheval café au lait…

ACHMED.

Ce cheval… c’est papa !

ATTALIDE.

Papa qui revient de la guerre…

ACHMED.
Et qui revient victorieux !

Scène III

Les Mêmes, Officiers, Serviteurs, puis OTTOKAR.
LE CHŒUR.
––––––––––Honneur et gloire
––––––––––Au grand vizir !
–––––––––Après la victoire,
––––Dans ses foyers on rentre avec plaisir !
CRIS.
––––––––––Vive Ottokar !
OTTOKAR, entrant.
COUPLETS.
––––––C’est moi le vizir Ottokar,
––––––Le visir Ottokar Oscar,
––––––De Maroc à Madagascar,
––––––Peuples, acclamez Ottokar !
I
––––––Hier à sept heures et quart,
––––––J’ai des Kabyles fait un car-
––––––-Nage si grand, que sur le car-
––––––-Reau j’en ai laissé plus du quart !
––––––J’ai mis leur armée au rancart,
––––––Et, succès doublement chicard,
––––––Jeté le grappin sur la car-
––––––-Gaison que je rapporte, car…
––––––C’est moi le vizir Ottokar…
ENSEMBLE.
ACHMED, ATTALIDE, LE CHŒUR.
––––––C’est lui, le vizir Ottokar,
–––––––––––Le vizir…
–––––––––––––Etc.
OTTOKAR.
––––––C’est moi le vizir Ottokar,
–––––––––––Le vizir…
–––––––––––––Etc.
II
––––––Quant à leur général de car-
––––––-Ton, blessé de deux coups de car-
––––––-Abine, j’ai vu qu’à l’écart,
––––––On l’emportait sur un brancard !
––––––Et moi, je reviens dans mon car-
––––––-Avansérail triomphant, car
––––––Sur mon destrier quand je car-
––––––-Acole chacun tremble, car…
ENSEMBLE.
––––––C’est lui, le vizir Ottokar…
–––––––––––––Etc.
OTTOKAR.
––––––C’est moi le vizir Ottokar…
–––––––––––––Etc.
ACHMED.

Ah papa ! tu as donc enfin gagné une bataille !

OTTOKAR.

Oui, j’ai enfin gagné une bataille !… Et maintenant, braves soldats, retirez-vous !… Que ceux d’entre vous qui ont des familles, aillent se reposer dans leur sein !… quant à moi, la voilà, ma famille… mon fils… ma fille… (Il les serre dans ses bras.) Au revoir, braves soldats !…

REPRISE DU CHŒUR.
––––––Peuples, acclamez Ottokar,
–––––––––––––Etc.

Le chœur sort sur la reprise.


Scène IV

ACHMED, ATTALIDE, OTTOKAR.
OTTOKAR.
Allons ! allons ! mes enfants, embrassons-nous !
ATTALIDE.

Mon père !

OTTOKAR.

Mes enfants !… Et tout le monde s’est bien porté en mon absence ?

ATTALIDE.

Oui, papa !

OTTOKAR.

Vous avez été bien sages, bien tranquilles ?

ACHMED.

Bien sages… oui !… bien tranquilles… non !

OTTOKAR.

Mes créanciers !… ils vous ont tourmentés, mes créanciers ?… Il a plu du papier timbré ?

ATTALIDE.

Hélas ! oui, papa !

ACHMED.

Je me suis permis d’en faire une liasse, que voici.

Il lui remet un gros paquet de papiers.

OTTOKAR.

Jamais je ne pourrai payer tout ça !… Embrassez-moi tout de même… j’ai pensé à vous, mes chers enfants, là-bas… dans les combats !

ATTALIDE.

Des souvenirs ?

OTTOKAR.

Oui, pour tout le monde !… Il y en a pour Achmed !… il y en a pour toi, ma fille ! J’ai fait porter dans tes appartements deux coffrets pleins de riches bibelots, glorieusement raflés sur le champ de bataille !

ATTALIDE.
Que vous êtes bon, mon père !
OTTOKAR.

Criblé de dettes… mais excellent père !… Va, mon enfant, va !

ATTALIDE.

À bientôt, mon père !

OTTOKAR.

À bientôt !

Attalide sort à gauche.


Scène V

OTTOKAR, ACHMED, puis MOKADIR, les Esclaves, puis FATIME.
ACHMED.
––––––Et pour moi, qu’est-ce qu’il y a ?
OTTOKAR.
––––––Tu vas voir mon garçon !

Appelant.

––––––Tu vas voir mon garçon ! Mokadir !

Paraissent, amenées par Mokadir, de jeunes esclaves kabyles.

LE CHŒUR DES ESCLAVES.
––––––––––Hélas ! hélas !
––––––Triste butin d’affreux combats,
––––––La chaîne aux pieds, les fers aux bras,
––––––Souffrez que nous pleurions tout bas !
OTTOKAR, parlé.

Eh bien !… mais il m’en manque une… la petite… Où est la petite ?…

FATIME, entre en se débattant contre Mokadir.

Laissez-moi !… je vous dis de me laisser !…

OTTOKAR.
Qu’est-ce que c’est que ça ?… De la résistance… obéis, esclave !
FATIME.

Esclave, moi ?…

COUPLETS.
I
––––––Esclave, soit ! je suis esclave,
––––––De par la conquête et ses droits !
––––––Mais une esclave qui vous brave
––––––En dépit de tous vos exploits !
––––––Voyez donc, mes yeux sont sans larmes,
––––––Et j’ai conservé ma gaîté !
––––––L’esclave qui garde ses armes
––––––Est bien près de la liberté ! .
––––––Esclave !… Allons, vous voulez rire !
––––––Avec ce sourire et ces yeux !…
––––––Permettez-moi de vous le dire,
––––––Les esclaves, c’est les messieurs !
II
––––––Parce qu’ils ont de hauts panaches,
––––––Parce qu’ils sont grands et vilains,
––––––Avec leur barbe et leurs moustaches
––––––Ces gaillards-là font les malins !…
––––––Ces guerriers, tes compatriotes,
––––––Quand ils viendraient par pelotons,
––––––Il suffirait de ces menottes
––––––Pour les jeter à ces petons !
––––––Esclave, moi !… Je vous admire !
––––––Avec ce sourire et ces yeux,
––––––Allons, papa !… vous voulez rire,
––––––Les esclaves, c’est les messieurs !
ACHMED.

Elle est gentille… celle-ci !

OTTOKAR.

Je crois bien qu’elle est gentille !

FATIME, à Ottokar.

Qu’est-ce donc que ce petit bonhomme-là ?

OTTOKAR.
C’est mon fils.
FATIME.

Allons donc !

OTTOKAR.

Pourquoi, allons donc ?

FATIME.

Parce que… je le regarde… je vous regarde… enfin, qu’est-ce que vous voulez ? ça m’étonne !

OTTOKAR, furieux.

A-t-on jamais vu une esclave ?… Dans le rang, mademoiselle, dans le rang !… il m’en faut quinze !… y’en a-t-il quinze ? numérotez-vous !

LES ESCLAVES, se numérotant.

Une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze.

OTTOKAR.

Quinze !… C’est bien ! procédons au partage. On ne peut pas partir pour la guerre, sans qu’un tas de gens vous disent : « Ottokar vous savez, si vous faites une razzia… pensez à moi !… » J’avais emporté une liste… Où est-elle ma liste ?… Ah ! la voilà !

ACHMED.

Pardon… papa.

OTTOKAR.

Mon enfant ?

ACHMED.

Vous m’avez dit tout à l’heure que vous aviez rapporté quelque chose pour moi.

OTTOKAR.

Oui, mon enfant… te voilà grand, et je crois le moment venu de t’organiser un petit harem !… Tu peux en prendre deux dans le lot.

ACHMED.
Ah ! une seule, papa, une seule, une seule, (Montrant Fatime.) et je te tiens quitte de l’autre, celle-là !
OTTOKAR.

Désolé, mon cher enfant, mais je ne peux pas te la donner, celle-là.

ACHMED et FATIME.

Parce que ?

OTTOKAR, à Fatime.

Parce que vous êtes réservée à de plus hautes destinées.

FATIME.

Lesquelles, seigneur ?

OTTOKAR.

Je vous expliquerai cela tout à l’heure, ma mignonne.

FATIME.

C’est que je vais vous dire : je connais les lois de la guerre ; je suis votre esclave… je dois obéir, vous pouvez faire de moi tout ce qui vous plaira…

OTTOKAR.

Voilà de bons sentiments !

FATIME.

Mais enfin, esclavage pour esclavage, j’aimerais autant un bon petit maître, bien gentil… et il est gentil comme tout, votre fils !

ACHMED.

Tu l’entends, papa, tu l’entends !…

OTTOKAR.

Non ! je n’entends pas, et je renouvelle ma proposition : deux à choisir dans le lot.

ACHMED.

Une seule : celle que j’ai dit !

FATIME.
Très-gentil, décidément !
OTTOKAR.

Tu ne l’auras pas.

ACHMED.

Eh bien ! je n’en veux pas d’autre !

OTTOKAR.

Eh bien ! tu n’en auras pas du tout ! Qu’est-ce qui m’a donné des enfants gâtés comme ça ? tu n’en auras pas du tout ! Aussi bien, j’en ai plus promis que je n’en ramène !… Où ai-je encore fourré ma liste ?… ah ! la voilà… Mohamed-Yusuf, deux ! Sidi-Liban, trois ! Le cadi, quatre ! L’aga, cinq ! Mourzouk-Effendi, douze !… douze !… douze !

FATIME.

Il y a des gens d’une indiscrétion !…

OTTOKAR.

Ne m’en parlez pas ! 3 et 2 font 5, et 3-8, et 5-13, et 12-25, vingt-cinq… et je n’en ai que quatorze !…

FATIME.

Quinze !

OTTOKAR.

Quatorze !… j’ai dit quatorze !… parce qu’il y en a une qui est à part.

FATIME.

Laquelle ?

OTTOKAR.

Toi… tu restes ici, toi !

ACHMED.

Mais alors, papa…

OTTOKAR.
Toi, je te charge de la distribution… voici la liste… tu feras une réduction proportionnelle… c’est environ 50 pour 100.
ACHMED.

Vous pourriez bien envoyer Mokadir.

OTTOKAR.

Non, il faut du tact… beaucoup de tact… Allons, voyons, sois gentil !…

ACHMED.

Eh bien ! soit, je consens… mais papa… la petite, là, nous en recauserons…

OTTOKAR.

Eh bien ! oui ! nous en recauserons.

ACHMED.

Ah ! papa, ça me ferait un si gentil petit commencement de harem !

OTTOKAR.

Nous verrons ça… mais en route !… en route, les esclaves, en route !


Scène VI

OTTOKAR, FATIME, MOKADIR, par moments.
FATIME.

Je ne serais pas fâchée de savoir, général, quelles sont ces hautes destinées ?…

OTTOKAR.

Tu vas le savoir ! (Appelant.) Mokadir ! le café, et mon chibouk !

FATIME, lui approchant une table et un siège.

Pardonnez… je suis votre esclave… c’est à moi de vous servir !

Mokadir apporte le café.
OTTOKAR.

Voici une docilité qui m’enchante.

FATIME, après lui avoir donné son chibouk.

Combien de morceaux ?

OTTOKAR.

Neuf… (Pendant que Patime met les neuf morceaux dans la tasse.) Exquise… elle est exquise !… Fatime !…

FATIME.

Général…

OTTOKAR.

Tu n’es pas une esclave ordinaire… Fille du général Tamarjin, à qui je viens d’administrer une formidable raclée, tu as droit à des égards particuliers !… Tu y as droit, de par ta naissance, et de par ta beauté !

FATIME.

Général…

OTTOKAR.

De par ta beauté !… Sais-tu que tu es crânement gentille ?

FATIME.

On me l’a dit quelquefois à Mabrouck !

OTTOKAR.

Eh bien ! je te le répète, à Maroc ! tu as une petite façon, bizarre et drôlette, d’être délicieuse !… et j’ai l’intention de t’attacher spécialement à ma personne !

FATIME.

Je vous suis bien reconnaissante, général.

OTTOKAR, à part.

Exquise… elle est exquise ! (Haut.) Prends un petit carreau, et viens t’asseoir ici… à côté de moi !

FATIME.
Jamais, général !… je suis votre esclave… et il n’appartient pas à une esclave…
OTTOKAR.

Il appartient à une esclave d’obéir à son maître… Viens t’asseoir là, près de moi…

FATIME.

J’obéis.

Elle s’assied assez loin de lui.

OTTOKAR.

Plus près.

FATIME, rapprochant le carreau.

Soit !

OTTOKAR.

Plus près encore !

FATIME.

Ah ! non !

OTTOKAR.

Ah ! si !

FATIME.

Ah ! non ! non !… non !… Mettre des morceaux de sucre dans votre tasse… allumer votre chibouk… vous chanter des petites chansons de mon pays… tant que vous voudrez, tout cela !… mais il ne faudrait pas vous faire des idées fausses sur mon compte !

OTTOKAR.

Des idées fausses ?…

FATIME.

Certainement !… vous vous dites : Voilà une petite Kabyle qui a été trimbalée dans les camps, livrée à tous les hasards de la guerre, et qui, par-dessus le marché, vous a un petit air assez… Ça, je sais bien, j’ai un petit air assez…

OTTOKAR.
Et même très…
FATIME.

Eh bien ! ça ne prouve rien du tout, ça, général, ça ne prouve absolument rien !

DUETTO.
OTTOKAR.
––Quoi ! vraiment ?
FATIME.
––Quoi ! vraiment ? Rien du tout !
OTTOKAR.
––Quoi ! vraiment ? Rien du tout ! Cet air-là ?
FATIME.
––Quoi ! vraiment ? Rien du tout ! Cet air-là ? Croyez-moi !
OTTOKAR.
––Ce minois ?
FATIME.
––Ce minois ? Sur l’honneur !
OTTOKAR.
––Ce minois ? Sur l’honneur ! Et ces yeux ?
FATIME.
––Ce minois ? Sur l’honneur ! Et ces yeux ? Sur ma foi !
––––––Tout ça ne prouve rien de rien !
OTTOKAR.
––––––Eh ! bien, c’est bon ! eh ! bien, c’est bien !
I
OTTOKAR.
––––––Donc, pour les mœurs et la tenue.
––––––Ma charmante, à toi le pompon !
FATIME.
––––––Parole, je suis ingénue
––––––Comme un petit, petit poupon !
OTTOKAR.
––––––Et malgré que ta destinée,
––––––Souvent, dans les camps s’écoula ?
FATIME.
––––––Malgré ça, telle je suis née,
––––––Et telle aujourd’hui me voilà !
ENSEMBLE.
OTTOKAR.
––––––Elle le dit, je suis sans doute
––––––Désormais sur sa pureté !
––––––Puisqu’elle a gardé toute, toute,
––––––Toute son ingénuité !
FATIME.
––––––Car sur ce chef soyez sans doute,
––––––De mon enfance il m’est resté
––––––Toute, toute, absolument toute,
––––––Toute mon ingénuité !
II
FATIME.
––––––Faite pour des chances diverses,
––––––J’accepte le sort inégal !
OTTOKAR.
––––––C’est une veine, en tes traverses,
––––––D’avoir sauvé le principal !
––––––Faut-il que je me désespère
––––––Pour un revers inattendu ?
OTTOKAR.
––––––Si tu perdis jusqu’à ton père,
––––––Tu n’as pourtant pas tout perdu !
ENSEMBLE.
FATIME.
––––––Et sur ce chef soyez sans doute,
––––––––––De mon enfance,
––––––––––––––Etc.
OTTOKAR.
––––––Elle le dit, je suis sans doute,
––––––––––––––Etc.
OTTOKAR.

Eh ! eh !… il ne me déplaît pas de retrouver toute… toute… absolument toute !… Alors, comme ça, aucun jeune Kabyle, à la cour de ton prince… ni sous la tente de ton père…

FATIME.

Ah ! bien ! j’aurais voulu voir !

OTTOKAR.

Eh ! eh !… il ne me déplaît toujours pas… Et nos Mamelucks… cette soldatesque entreprenante, dont les généraux sont impuissants quelquefois à refréner les passions ?

FATIME.

Pas davantage !

OTTOKAR, très-affriolé.

Eh ! eh ! eh ! eh !

FATIME.

Qu’est-ce qui vous prend, maintenant, à vous ?

OTTOKAR, de plus en plus affriolé, la lutinant.

Eh ! eh ! eh ! eh !

FATIME.

À bas les pattes, général !… À bas les pattes !…

OTTOKAR, piqué.

Eh ! dites donc, vous ?

FATIME.

Plaît-il ?

OTTOKAR.

Mon temps est précieux.

FATIME.

Ne le perdez pas, alors.

OTTOKAR, marchant sur elle.
C’est ce que je vais faire.
FATIME.

N’approchez pas !

OTTOKAR.

À d’autres ! Assez marivaudé comme ça ! Tu es mon esclave… et j’ai tous les droits sur toi !

FATIME.

Oh ! tous…

OTTOKAR.

Tous… tous… absolument tous… comme tu dis ! et je te veux pour mon harem.

FATIME.

Jamais de la vie !… vous êtes trop laid !

OTTOKAR.

Prends garde !

FATIME.

Trop vieux !

OTTOKAR.

Prends garde ! prends garde !

FATIME.

Oh !

OTTOKAR, s’approchant d’elle.

Sais-tu ce que c’est que la violence ?

FATIME.

Parfaitement.

OTTOKAR, s’approchant toujours.

Eh bien ! alors…

FATIME, lui donnant un soufflet.
Eh bien ! alors, en voilà, de la violence !…

Scène VII

Les Mêmes puis MOKADIR.
OTTOKAR.

Un soufflet !…

FATIME.

Pardonnez-moi, ça m’a échappé !

OTTOKAR.

Un soufflet !… sur ma joue !… la joue d’un général victorieux…. (Appelant.) Mokadir ! Emmène cette esclave, et qu’on la mette dans les cuisines, avec les petits négrillons ! C’est sa place, les cuisines… et ça lui apprendra ! allez…

FATIME.

Ne me touchez pas ! ne me touchez pas !… J’y vais… je vais dans les cuisines, j’y vais gaîment même !… avec vos négrillons !… parce que, si laids qu’ils soient, ils sont encore moins laids que vous !… Hou !… Hou !… mais ne me touchez pas ! ne me touchez pas !

Elle sort à gauche, suivie de Mokadir.


Scène VIII

OTTOKAR, seul, puis la suite de Soliman, puis SOLIMAN, puis SÉLIM.
OTTOKAR, seul.

Moins laids que moi ? Tu es bien dégoûtée, mon ange ! mais les choses sont mieux ainsi ! Elle m’aurait émoussé, cette petite… et un général émoussé n’est plus bon à rien ! Voyez Annibal ! Allons ! allons ! n’y pensons plus ! hum ! hum !… C’est fait !… Ottokar je te recouvre !… Je t’ai recouvré ! Assez lanterné ! Je cours chez le pacha ! (Rumeurs au dehors.) Mais ces rumeurs !… ces cris !… cette garde !… C’est Soliman !… Soliman lui-même.

LE CHŒUR, entrant.
––––––––Peuple, prosternez-vous !
––––––––Marocains à genoux !
––––––––Et qu’un cri d’allégresse,
––––––––Saluant Sa Hautesse,
––––––––Acclame chaudement
––––––––Le pacha Soliman !

Entre Soliman.

OTTOKAR.
––Sa Hautesse chez moi !… l’héritier du Prophète !
SOLIMAN.
––––––Eh ! oui, c’est moi, ton souverain,
––––––Je viens à la bonne franquette,
––––––Ma vieille, te serrer la main !
COUPLETS.
I
––––Eh ! oui ! je suis le grand, le seul, l’unique,
––––Le vrai pacha superbe et bon garçon !
––––Mais exiger la marque de fabrique,
––––Et se garer de la contrefaçon !
––––––––En avant la musique !
––––––C’est pas du faux, c’est pas du zinc,
––––––Jarret d’acier et cœur de bronze,
––––––Digne héritier de Mamhoud onze,
––––––Je suis le pacha Soliman vingt-cinq !
LE CHŒUR.
––––Il est le pacha Soliman vingt-cinq !
SOLIMAN.
II
––––Solidité, confortable, élégance,
––––Comme l’amour c’est de toutes saisons !
––––Ça peut partout braver la concurrence,
––––Et ce n’est pas cousu dans les prisons !
––––––––… Ni à la mécanique !
––––––––––C’est pas du faux…
––––––––––––––Etc…
TOUS.

Vive Soliman !

OTTOKAR.

Ah ! soleil de l’Orient ! Candélabre du Maroc ! Girandole…

SOLIMAN.

Relève-toi, Ottokar ! Je le sais gré de ton humilité, mais relève-toi ! J’ai voulu t’honorer d’une visite, pour te témoigner toute ma satisfaction de la victoire éclatante que tu viens de remporter sur les armées de mon cousin et ami, l’émir de Mabrouk.

OTTOKAR.

Hautesse !

SOLIMAN, à la foule.

Car, messieurs… holà ! mon sténographe !… (Un sténographe s’avance, et écrit sous sa dictée.) Oui, messieurs, hier, pas plus tard qu’hier, notre grand vizir exterminait les Kabyles de Tamarjin !…

OTTOKAR, le soufflant.

Plus du quart est resté sur le carreau !

SOLIMAN.

Plus de moitié est restée sur le carreau… Le général Tamarjin a été blessé…

OTTOKAR, même jeu.

Légèrement blessé !

SOLIMAN.

Mortellement blessé !

OTTOKAR.
Quinze prisonnières !
SOLIMAN.

Quinze cents prisonniers !

OTTOKAR.

Cinquante chevaux !

SOLIMAN.

Cinquante mille chevaux !

OTTOKAR.

Et dix canons…

SOLIMAN.

Et dix millions de canons… sont le trophée de cette éclatante victoire ! Le général Ottokar a bien mérité de la patrie ! (au sténographe.) Est-ce écrit ? Courez !… Cette dépêche au Moniteur du Maroc ! (À lui-même.) Ça fera bien, dans le Moniteur… mon peuple commençait à murmurer, ça fera bien !… (À ottokar, bas.) Toi, écoute donc, qu’est-ce qu’il y a de vrai dans tout ceci ?

OTTOKAR, bas.

Sauf une légère exagération…

SOLIMAN, idem.

Ça me regarde, les exagérations… mais la victoire ?

OTTOKAR, idem.

C’est vrai, la victoire !

SOLIMAN, bas.

Bien vrai ?

OTTOKAR, idem.

Vous douteriez ?…

SOLIMAN.

Si je doute !… Avec ça que c’est la première fois que mes généraux m’auraient fourré dedans ?

OTTOKAR.
Oh ! Hautesse !
SOLIMAN.

Toi le premier ! L’année dernière, ce même Tarmarjin t’avait administré une danse abominable.

OTTOKAR.

Dans le grand désert !

SOLIMAN.

Qu’est-ce que tu m’écrivis ?…

OTTOKAR.

Que j’étais victorieux ! C’était si loin, on peut s’y tromper !

SOLIMAN.

Je ne dis pas, on le peut ! Mais après, quand les ambassadeurs vinrent pour traiter… il y a eu des malentendus… Moi, je me croyais victorieux, j’avais des exigences… et puis pas du tout… il a fallu composer… c’est très désagréable, très désagréable !

OTTOKAR.

Cette fois, Votre Hautesse peut être certaine…

SOLIMAN.

Je peux avoir des exigences ?

OTTOKAR.

Vous pouvez…

SOLIMAN.

Alors, c’est bien ! laisse-les venir, les Kabyles ! Oh ! oh ! qu’ils viennent !… C’est tout ce que je voulais savoir. Adieu ! merci des renseignements, et adieu !… (À Sélim qui entre.) Tiens ! mon neveu ! Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

SÉLIM.

Mais, mon oncle, je savais vous y retrouver.

SOLIMAN.

Eh ! bien… partons ensemble !… (Il revient.) Ah ! mais j’oubliais quelque chose de très important !… Puisque, décidément, tu as été victorieux, je te dois une récompense, et je veux te la donner éclatante !

OTTOKAR.

Un yatagan d’honneur ?

SOLIMAN.

Allons donc ! Tu en as eu un pour avoir été battu !

OTTOKAR.

Une gratification ?

SOLIMAN.

Je n’ai pas le sou ! mais écoute : Tu possèdes une fille.

OTTOKAR

Oui, sire, Attalide, une créature adorable !

SOLIMAN.

Eh bien ! que dirais-tu, ô mon grand vizir, si de cette adorable créature je faisais mon épouse ?

SÉLIM, à part.

Ciel !

OTTOKAR.

L’épouse de Votre Hautesse ? Ma fille, l’épouse…

SOLIMAN.

Oui, qu’en dirais-tu bien ?

OTTOKAR.

Ah ! vous êtes le meilleur, le plus magnanime, le plus étonnant des potentats !

SOLIMAN.
Eh bien ! je le suis ! C’est ainsi que je prétends honorer ta victoire !… Je suis résolu à épouser Attalide dès ce soir. Dans une demi-heure, j’enverrai Huzka, mon maître des cérémonies et le colonel de mes janissaires, mon fidèle Huzka, avec une escorte imposante chercher ma… ta… notre Attalide.
SÉLIM.

Mais, mon oncle…

SOLIMAN.

Sélim a raison !… une escorte imposante, ce n’est pas assez. (À sélim.) Tu vas attendre Attalide, et tu la conduiras à mon palais.

SÉLIM.

Moi !

SOLIMAN.

Toi !… Et maintenant… gardes… esclaves… peuple, en route, en route ! (Revenant encore, à Ottokar.) Mais c’est bien vrai, hein, la victoire ?

OTTOKAR.

Tout ce qu’il y a de plus vrai !…

SOLIMAN.

Qu’ils viennent donc, les Kabyles ! non, mais qu’ils viennent !

Sortie générale sur la reprise :

––––––––––C’est pas du faux…
––––––––––––––Etc.

Scène IX

OTTOKAR, SÉLIM, puis ATTALIDE.
OTTOKAR.

Il est assommant avec ses défiances ! J’en arrive à douter moi-même ! Est-ce que je n’aurais pas battu les Kabyles ? Mais si, mais si !… (Appelant.) Attalide ! (À Sélim.) Vous allez la voir !… Elle est charmante, et absolument digne des hautes destinées qui l’attendent !

SÉLIM.
Sans doute… mais si son cœur n’était pas libre ? si un autre amour… ?
OTTOKAR.

Un autre amour !… Attalide ! élevée dans la retraite la plus sévère !.. Mais la voici… la voici !

Attalide entre.

ATTALIDE.

Vous m’appeliez, mon père. (Elle aperçoit Sélim.) Ah ! Sélim !

Elle se jette dans ses bras.

SÉLIM.

Chère Attalide !

OTTOKAR.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Ah bien ! pour une fille que j’ai élevée dans la retraite la plus sévère !… Qu’est-ce que c’est que ça, mademoiselle… ?

ATTALIDE.

Ça ?… Je vais vous le dire !

COUPLETS.
I
––––––––C’est mon amoureux !
––––Mon petit papa, je vous le présente,
––––Les traits sont charmants, la mine est plaisante,
––––Le cœur à la fois tendre et valeureux,
––––Et je vous promets d’être obéissante.
––––Si vous me donnez à mon amoureux !
II
––––––––C’est mon amoureux !
––––Je l’aurais aimé, pauvre et sans noblesse ;
––––Il a de grands biens, et c’est une altesse,
––––Et pour un papa le choix est heureux !
––––Vous ne sauriez trop louer ma sagesse,
––––Faites bon accueil à mon amoureux !
SÉLIM.

Et maintenant, vous savez tout ! Voulez-vous livrer votre fille ?

ATTALIDE.
Me livrer ? À qui ?
SÉLIM.

Au pacha, mon oncle, qui prétend faire de toi sa douze cent quatorzième épouse !

ATTALIDE.

Plutôt mourir !

SÉLIM.

Vous l’entendez ?

OTTOKAR.

Oui, je l’entends, et cet ordre du pacha, que j’allais exécuter avec une satisfaction sans mélange…

SÉLIM.

Vous renoncez à l’exécuter ?

OTTOKAR.

Oh ! non, mes enfants, je l’exécuterai ! mais la satisfaction n’y sera plus !

ATTALIDE.

Vous auriez cette barbarie ?

SÉLIM.

Cette barbarie !… et cette témérité !… parce que vous me connaissez !… J’aime Attalide !… on ne me l’enlèvera pas impunément !… Je peux être pacha, moi aussi.

OTTOKAR.

Oh ! votre oncle est encore vert.

SÉLIM.

C’est possible ! Mais voilà bientôt dix ans qu’il est sur le trône, et le peuple commence à murmurer.

OTTOKAR.

Je sais ça par mes rapports de police ! C’est un peuple singulier ! Il est attaché à la monarchie… mais pas aux monarques !

SÉLIM.
Je n’aurais donc qu’un signe à faire…
OTTOKAR.

Pour régner ! C’est encore vrai !

SÉLIM.

Savez-vous alors quel serait le premier acte de mon gouvernement ?

OTTOKAR.

Vous m’enverriez le cordon fatal !… Mais votre oncle aussi me l’enverrait… et entre les deux cordons… que faire, mon Dieu !… que faire ?… (On entend des cris à gauche, au dehors, et un bruit de soufflets.) Mais qu’est-ce que c’est encore ?


Scène X

Les Mêmes, FATlME.
FATIME.

C’est moi ! J’en reviens, des cuisines ! et je les ai giflés, vos négrillons ! parce que ce n’est pas ma place… Je suis fille de général, seigneur… et non pas de cuisine.

OTTOKAR.

Eh bien ! attends un peu… je réglerai ton compte tout à l’heure… mais d’abord au plus pressé ! Tu seras sultane !

ATTALIDE.

Jamais !

OTTOKAR.

De la résistance ! Ah ! mais tout le monde me résiste aujourd’hui… Mon fils, ce matin ! cette esclave, tout à l’heure ! et ma fille, à présent ! Va revêtir tes vêtements de cérémonie.

ATTALIDE.
Jamais ! jamais ! jamais !
FATIME.

Ah ! que c’est laid de faire pleurer sa fille !

OTTOKAR.

Tout à l’heure, toi, tout à l’heure !

FATIME, à Attalide.

Ne pleurez pas, allez ! Il fait sa grosse voix comme ça, mais il n’aura pas le cœur…

OTTOKAR, furieux.

As-tu fini ?… as-tu fini ?…

FATIME.

Je commence à peine ! (À Attalide.) Tenez bon ! tenez bon !

ATTALIDE, montrant Sélim.

C’est lui que je veux épouser !… c’est lui !

SÉLIM.

Donnez-la moi, je vous en supplie… donnez-la moi !

FATIME.

Donnez-la lui, voyons, donnez-la lui !

OTTOKAR.

Mais le pacha qui me la demande, et veut l’épouser aussi !

FATIME.

Oh ! le pacha lui-même ?…

SÉLIM.

Il ne peut pas l’aimer… Il ne l’a jamais vue !

FATIME.

Jamais vue ?… jamais vue ?… Attendez donc… attendez donc !… j’ai une idée !

OTTOKAR.

Quelle idée ?

FATIME.

Ça ne vous regarde pas ! Venez, mademoiselle, vous épouserez celui que vous aimez, et votre papa n’aura rien à craindre ! Vous serez heureuse, et moi aussi ! Venez ! venez vite ! J’entends la musique du cortège, pas un instant à perdre !…

OTTOKAR.

Mais…

FATIME.

Mais laissez-nous, et ne craignez rien !

OTTOKAR.

Je ne comprends pas !

SÉLIM.

Ni moi non plus.


Scène XI

OTTOKAR, SÉLIM, HUZKA, Soldats, Peuple, puis ACHMED.
LE CHŒUR.
–––––––Faveur que chacun jalouse,
–––––––Nous venons pompeusement
–––––––Quérir la nouvelle épouse
–––––––Du sublime Soliman !
HUZKA.
––Je viens chercher, seigneur, la sultane nouvelle,
––Pour la conduire au trône où le pacha l’appelle !
SÉLIM.
––––––Vous l’allez voir, rassurez-vous !
HUZKA.
––––––Votre Attalide ?
OTTOKAR.
––––––Votre Attalide ? Elle s’apprête ;
––––––Elle fait un bout de toilette,
––––––Qui soit digne de son époux !
HUZKA.
––––––Je vous en supplie, hâtons-nous !
ACHMED, entrant.
––Ces clairons ?…ces tambours ?… ces soldats ?… ce cortège ?…
OTTOKAR.
––––––––Mahomet nous protège !
––Ta sœur, en ce beau jour, épouse Soliman !
HUZKA.
––Grand vizir, on nous fait poser indignement !
––––––––Votre fille ?
SÉLIM.
––––––––Votre fille ? Un moment !
OTTOKAR.
––Ma fille ?…

Scène XII

LES MÊMES, FATIME, avec un turban et un grand voile, ATTALIDE.
FATIME.
––Ma fille ?… Me voilà !
OTTOKAR.
––Ma fille ?… Me voilà ! Fatime !
ACHMED.
––Ma fille ?… Me voilà ! Fatime ! Oh ! ciel ! que vis-je !
OTTOKAR.
––––––Est-ce un impair ?
ACHMED.
––––––Est-ce un impair ? Est-ce un prodige ?
SÉLIM.
––––––––Tais-toi !
ATTALIDE.
––––––––Tais-toi ! Tais-toi !
FATIME.
––––––––Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !
OTTOKAR.
––Il y va de nos jours !
ACHMED.
––Il y va de nos jours ! On s’est moqué de moi !
OTTOKAR, bas à Fatime.
––––––––Sois prudente !
FATIME, bas à Soliman.
––––––––Sois prudente ! Soyez calme !
––––––––Pour le genre, à moi la palme !
ACHMED, bas à Fatime.
––M’abandonner ainsi ?…
FATIME.
––M’abandonner ainsi ?… C’est le sort ! mais, crois-moi,
––Rien ne pourra jamais me séparer de toi !
HUZKA.
––––––Allons, madame, il faut partir !
––––––Du pacha c’est le bon plaisir !
FATIME.
––––––Eh bien ! allons, peuple, soldats !
––––––Acclamez-moi, suivez mes pas !
COUPLETS.
I
––––––Je suis sultane, et par Allah !
––––––C’était de tout temps ma marotte !
––––––Pas plus haute encor qu’une botte,
––––––Souvent je fis ce rêve-là !
––––––Mais le rang suprême où j’aspire,
––––––J’en veux user, croyez-le bien,
––––––Plus pour le bonheur de l’empire,
––––––Ô mes amis, que pour le mien !
––––Car de mes sujets je serai la mère,
––––Et tous mes enfants crieront sur mes pas :
––––« C’est une sultane comme on n’en vit guère,
––––» C’est une sultane comme on n’en vit pas !»
II
––––––Laissant d’ailleurs au grand vizir
––––––Le souci de la politique,
––––––Dans ma cour j’aurai pour tactique
––––––De faire régner le plaisir !
––––––Et l’histoire rendant hommage
––––––Au règne heureux qu’on vous promet,
––––––Dira plus tard qu’il fut l’image
––––––Du paradis de Mahomet !
–––––––––Car de mes sujets.
––––––––––––––Etc., etc.
HUZKA.
––Et maintenant partons !
OTTOKAR.
––Et maintenant partons ! Mettons-nous en chemin !
––Qu’on l’accompagne, amis, jusqu’à son palanquin !

Fatime est emmenée par les femmes.

CHŒUR.
––––––Sonnez, clairons, sonnez, cymbales,
––––––Tonnez, tamtams, roulez, tambours !
––––––Au bruit des marches triomphales
––––––Tonnez encor… roulez toujours !
ACHMED, bas à Ottokar.
––––––De Soliman crains la vengeance !
OTTOKAR.
––––––Pardi ! je suis dans de beaux draps !
SÉLIM.
––––––Croyez à ma reconnaissance !
OTTOKAR.
––––––Amour, amour, tu nous perdras !
––––––Quand tu nous tiens, adieu prudence !
LES TROIS AMOUREUX.
––––––Soyez béni, petit papa,
––––––Pour mériter votre indulgence,
––––––Chacun de nous vous aimera,
––––––Et Mahomet vous bénira !
REPRISE DU CHŒUR.
––––––––––Sonnez, clairons,
––––––––––––––Etc.
FATIME, revenant sur un palanquin porté par quatre serviteurs.
––––––––––Qu’Allah me damne !
––––––––––Je suis sultane !
––––––––––Criez : Vivat !
CHŒUR.
––––––––––Crions : Vivat !
FATIME.
––––––––––Le diadème,
––––––––––Le rang suprême,
––––––––––Tout ça me va !
LE CHŒUR.
––––––––––Tout ça lui va !
REPRISE.
–––C’est une sultane comme on n’en vit guère…
––––––––––––––Etc.

Rideau.