La Mirlitantouille (Lenotre)/Texte entier

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Librairie académique Perrin (p. ).

ÉPISODES DE LA CHOUANNERIE BRETONNE


LA
MIRLITANTOUILLE
par
G. LENOTRE

Ouvrage orné de gravures

quatrième édition


Librairie académique PERRIN et Cie.

LA MIRLITANTOUILLE



OUVRAGES DE G. LENOTRE


académie française, Prix Berger, 1902.


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La Guillotine pendant la Révolution, 25e édition.

Le Vrai Chevalier de Maison-Rouge, 27e édition.

Le Baron de Batz, 26e édition.

Paris Révolutionnaire, 42e édition.

Vieilles Maisons, Vieux Papiers, 1re série, 76e édition.

Vieilles Maisons, Vieux Papiers, 2e série, 67e édition.

Vieilles Maisons, Vieux Papiers, 3e série, 58e édition.

Vieilles Maisons, Vieux Papiers, 4e série, 46e édition.

Vieilles Maisons, Vieux Papiers, 5e série, 10e édition.

Bleus, Blancs et Rouges. Récits d’histoire révolutionnaire, d’après des documents inédits, 21e édition.

La Captivité et la Mort de Marie-Antoinette, 39e édition.

Le Marquis de la Rouerie et la Conjuration bretonne, 27e édition.

Tournebut ; la Chouannerie normande au temps de l’Empire (1804-1809), 27e édition.

Le Drame de Varennes. Juin 1791, 42e édition.

L’Affaire Perlet, 7e édition.

Le Roi Louis XVII et l’Énigme du Temple, 25e édition.

16 volumes in-8° écu.

Reliés amateur avec fers.

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Mémoires et Souvenirs sur la Révolution et l’Empire, publiés

avec les documents inédits, par G. Lenotre.

Les Massacres de Septembre (1792), 32e édition.

Les Fils de Philippe-Égalité pendant la Terreur (1790-1796), 20e édition.

La Fille de Louis XVI. Marie-Thérèse, Charlotte de France, Duchesse d’Angoulême (1794-1799), 27e édition.

Le Tribunal Révolutionnaire (1793-1795), 33e édition. Les Noyades de Nantes (1793), 28e édition.

Cinq volumes in-16 jésus.

Reliés amateur avec fers.

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La Femme sans nom, 15e édition.

Prussiens d’hier et de toujours, 1re série, 13e édition.
1 volume in-16

Prussiens d’hier et de toujours, 2e série, 7e édition.
1 volume in-16

Gens de la Vieille France. Rêveries pour le temps présent sur des thèmes anciens, 16e édition. 1 vol. in-16.

Martin le visionnaire (1816-1834), 13e édition. 1 vol. in-16.



G. LENOTRE

LA
MIRLITANTOUILLE
ÉPISODES DE LA CHOUANNERIE BRETONNE


PARIS
librairie académique
PERRIN ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, quai des grands-augustins, 35
1925
Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.



Il a été tiré de cet ouvrage
50 exemplaires numérotés
sur papier de Hollande van Gelder.

Copyright by Perrin et Cie, 1925.



À mes Amis

MARIE ET PAUL GUIBOURG,
en souvenir
de nos excursions dans le Penthièvre,
bien affectueusement,
G. L.

I

BOISHARDY

I


De tous les intrigants qui, au cours de nos diverses révolutions, se sont posés en sauveurs du pays, le plus entreprenant, le plus présomptueux, le plus effronté et le plus pernicieux, fut peut-être le comte de Puisaye.

De très haute taille, de figure régulière, de manières distinguées, voire imposantes, Joseph de Puisaye, cadet d’une famille noble du Perche[1], était de ces hommes qui, infatués de leur physique avantageux, se croient destinés à réussir dans toutes leurs entreprises. Aussi, certain de son mérite et impatient de parvenir, avait-il, dès l’adolescence, tâté de bien des choses : du séminaire d’abord, de l’armée ensuite ; mais, comme, au terme de son noviciat, on ne l’avait point sacré archevêque, comme, après six mois de régiment, il n’était pas promu maréchal de camp, il prit en dégoût les lenteurs hiérarchiques impertinentes à sa supériorité, rentra dans la vie civile et, par la grâce de sa belle prestance et de son nom brillant, épousa, en 1781, à trente-trois ans, la fille et unique héritière du marquis de Ménilles[2], très riche gentilhomme normand, possesseur d’un grand domaine et d’un magnifique et ancien château situé à trois lieues d’Évreux.

Ainsi nanti, et pour se rapprocher de la Cour, Puisaye achète une charge d’exempt dans la garde suisse du Roi, ce qui lui vaut le grade de colonel et la résidence de Versailles. Élu en 1789, député du Perche, il prend siège aux États Généraux parmi Nosseigneurs de l’ordre de la Noblesse ; mais il y figure sans éclat, ses opinions étant vacillantes et le classant parmi les modérés ; si bien que, la session close, il fait retraite à son château de Ménilles. La royauté abolie, Louis XVI mort, il ne reste à Puisaye que la situation modeste de capitaine de la garde nationale de son district ; mais il est né pour commander et, six mois plus tard, le voilà général d’armée. Les députés girondins, proscrits au 31 mai, se sont réfugiés à Caen ; ils vont soulever la province et marcher sur Paris, à la tête de tous les bataillons fédérés de la Normandie et de la Bretagne, révoltées contre la Terreur. C’est à Puisaye qu’est confié l’honneur de diriger l’avant-garde et d’entrer le premier dans la capitale. Il se met en mouvement le 14 juillet 1793, rencontre aux abords de Vernon les troupes révolutionnaires commandées par le suisse de l’église Saint-Eustache ; il prend ses dispositions de combat ; mais, au premier coup de canon, les deux armées lâchent pied ; celle de la Convention recule en désordre jusqu’à Versailles, tandis que le sauve-qui-peut des fédérés de Puisaye ne s’arrête qu’au delà d’Évreux. En vain le général improvisé tente-t-il de lancer sa cavalerie en reconnaissance ; il ne peut réunir que trois dragons… Cette bataille fameuse de Pacy-sur-Eure est plus connue dans les fastes militaires sous le nom de bataille sans larmes, parce que, dans les deux camps, les seules victimes furent quelques lourdauds éperdus que piétinèrent dans la bousculade des camarades plus ardents à la fuite.

Puisaye rentra à Caen ; il y fut mal reçu, la population dans l’épouvante se sentant menacée des représailles de la Convention implacable ; quand il insinua qu’il avait découvert une position inexpugnable où, avec six cents hommes, il se flattait de tenir en échec l’adversaire le plus aguerri, on lui fit comprendre sans détours que ses talents stratégiques n’inspiraient plus la moindre confiance : le seul service qu’on réclamât de lui était qu’il disparût au plus tôt. D’ailleurs tous les bataillons fédérés s’étaient déjà dispersés ; les députés girondins eux-mêmes, empruntant la blouse et l’équipement des gardes nationaux bretons, s’étaient mêlés à un détachement de volontaires du Finistère pour gagner, à la faveur de ce travestissement, un port de l’Océan où ils espéraient s’embarquer[3]. Puisaye jugea la partie perdue : il détacha de sa manche la tête de mort et les ossements en croix, insignes de son grade éphémère et partit, emmenant avec lui l’un de ses officiers d’ordonnance, le colonel Le Roy[4], et son médecin Focard qui lui servait d’aide de camp[5].

Où allaient-ils ? Eux-mêmes l’ignoraient. Puisaye avait de l’argent[6], et, le plus urgent était de gagner Rennes où un ami leur remit des passeports en blanc, signés de toutes les autorités[7]. Ils y inscrivirent des noms de fantaisie et continuèrent leur route. On était au 3 août 1793. Leur passage fut signalé à Gevezé, à Irodouër, à La Chapelle-Chaussée ; Puisaye cherchait, dit-on, grâce à la fausse personnalité que lui créait son passeport, « à se mêler dans les rangs des républicains[8] ». S’il y avait réussi, peut-être son histoire serait-elle celle d’un impitoyable terroriste… Le jeu lui parut périlleux, il l’abandonna et s’éloigna, toujours suivi de Focard et de Le Roy. Voyageant à cheval, par les landes et la forêt de Paimpont, ils atteignirent Plélan et se dirigèrent vers Ploërmel qui est à six lieues de là : Le Roy, originaire de cette ville, espérait s’y procurer un asile ; mais aucune porte ne s’ouvrit devant des proscrits si compromettants. Ils revinrent donc à Plélan, s’abritèrent durant trois jours dans un château inhabité[9] ; avertis par un billet anonyme, tombé du ciel, qu’il était temps de déguerpir, ils retournèrent à Ploërmel et y arrivèrent juste au moment où l’on affichait à la municipalité le décret mettant Puisaye et ses complices hors la loi : défense de les héberger sous peine de mort. Le Roy, découragé, quitta ses amis ; Puisaye et Focard restaient sans guide dans ce pays qui leur était inconnu, dont ils ne parlaient pas la langue et, par surcroît de disgrâce, signalés à tous les postes. Focard, à bout de forces, s’abandonnait ; Puisaye, tenace, gardait confiance en sa fortune ; sans but, tous deux reprirent, en pleine nuit, le chemin de Rennes ; leurs chevaux fourbus ne pouvaient plus les porter ; il fallait trouver un refuge avant le jour, ou c’était la mort.

Comme l’aube allait poindre, ils avisèrent, à l’entrée du bourg de Beignon, qu’ils avaient traversé la veille, une misérable auberge, dont l’écurie n’était pas fermée. Focard y plaça les chevaux sans être aperçu et constata qu’une porte laissée entr’ouverte, donnait accès à une soupente garnie de lits. Tout était silencieux dans la maison ; sans bruit, les fugitifs se couchèrent ; ils dormirent durant quatorze heures. Au réveil, en plein jour, nul des habitants de l’auberge ne semblait s’apercevoir de leur présence ; ils questionnèrent prudemment ; ils se trouvaient chez « de très braves gens » ; l’hôtelier, trop souvent molesté par les Bleus, avait « le cerveau dérangé » ; sa nièce tenait l’auberge ; elle eut vite discerné que les deux voyageurs étaient des proscrits ; elle les engagea à rester dans le pays ; le bourg, ainsi que la Bretagne entière, disait-elle, « tenait pour les royalistes » ; elle envoya les chevaux dans un endroit sûr ; elle conseilla à ses hôtes d’alléger leur équipement de tout vestige d’élégance et, par excès de prudence, elle leur procura un abri, plus isolé que son auberge, « à deux lieues de là, chez des métayers bien pensants ».

Ce répit ne fut pas pour Puisaye du temps perdu. Il put se procurer les gazettes ; Le Roy, terré aux environs, lui communiquait les nouvelles. Le vaincu de Pacy-sur-Eure apprit à connaître la Bretagne ; il sut que beaucoup de « bons prêtres » vivaient cachés à proximité de leur paroisse ; il se mit en rapport avec quelques-uns de ces ecclésiastiques, et connut ainsi que, dans la région de Fougères et de Vitré, un grand nombre de paysans, irrités par la persécution religieuse, étaient en insurrection et reconnaissaient comme chef un enfant de dix-sept ans, Piquet du Boisguy[10]. Puisaye partit, emmenant Le Roy et Focard. Parvenu sans malencombre aux confins du Maine, comme il traversait la forêt du Pertre, il découvrit, dans un épais taillis, une cabane abandonnée, ayant probablement servi d’abri à des prêtres traqués et il s’y logea avec ses compagnons. On se trouvait là, à l’écart de tout endroit habité ; le bourg du Pertre était distant d’une longue lieue ; mais en explorant la forêt, Puisaye constata qu’elle servait de refuge à un certain nombre de malheureux, réduits, comme lui, à vivre cachés. Il lia connaissance avec deux de ces robinsons, deux frères nommés de Legge, l’un ci-devant capitaine au régiment de Brie, l’autre prêtre réfractaire[11]. Ils contèrent comment, depuis plus de deux ans, un gentilhomme campagnard des environs d’Antrain, le marquis de la Rouerie, fort de l’approbation des princes émigrés, frères de Louis XVI, avait organisé une vaste conjuration dont les ramifications s’étendaient sur toute la Bretagne. Très ardent, très autoritaire, très aimé des paysans, la Rouerie s’était appliqué à choisir dans chaque paroisse un chef influent et résolu portant le titre de « capitaine ». Les chefs de cantons étaient « majors », les chefs de districts « colonels », les commandants d’un département « maréchaux de camp ». Ainsi s’étaient constitués les cadres d’une nombreuse armée recrutée parmi tous ceux, hobereaux ou villageois, qu’indignaient les nouveautés sacrilèges émanées des assemblées révolutionnaires. Le château de la Rouerie, transformé en arsenal, fournissait des fusils, de la poudre et même des canons ; pour communiquer avec ses partisans, le marquis avait établi des « lignes de correspondance » sillonnant tout le pays, depuis les côtes de Saint-Malo jusqu’au fond du Morbihan et assurant à ses émissaires, presque en chaque village, un abri et des affiliés accueillants. Le soulèvement général était imminent quand, au début de 1793, vendu au gouvernement par son plus cher compagnon, la Rouerie mourut de saisissement en apprenant l’exécution du Roi. Douze de ses complices, hommes et femmes, avaient été guillotinés, en juin, à Paris ; mais l’un des lieutenants du marquis était parvenu à soustraire la liste de ses officiers et le contrôle des compagnies de paroisse, de sorte que l’association, en sommeil depuis le décès de son chef, pourrait être en peu de temps tirée de sa léthargie, s’il se trouvait un homme assez hardi et assez autorisé pour assumer la succession de la Rouerie.

Ces révélations suggèrent à Puisaye un plan de salut : son existence est à la merci d’un hasard : la seule chance d’échapper à l’échafaud est la débâcle de cette révolution contre laquelle il s’est imprudemment mis en guerre. Pourquoi ne tenterait-il pas de l’abattre ? — Tout de suite, sa résolution est prise… Qu’un homme dont la tête est mise à prix, n’osant sortir du bois où il gîte, sans toit, sans soutien, sans autres amis que deux proscrits aussi compromis, aussi errant que lui, forme le dessein d’entrer en lutte contre un ennemi disposant des ressources de la nation la plus puissante du monde, voilà qui passe la vraisemblance : c’est pourtant ce que méditait de tenter Puisaye, tapi sous sa hutte de branchages. Sans doute se rémémorait-il le roman de sa vie lorsqu’il écrivait plus tard : « En révolution, si quelque chose a le droit d’étonner, c’est qu’il y ait des gens qui s’étonnent[12]. »

Il était trop madré pour ne pas discerner, dès le début de cette téméraire partie, que son jeu manquait d’atouts : aucun titre à se poser en mandataire des Princes ; ceux-ci, bien probablement, ignoraient qu’il existât ; son nom, d’ailleurs, au jugement des purs royalistes, était celui d’un traître, puisque Puisaye, gentilhomme et officier de la garde du roi, avait servi la cause des Girondins régicides ; aux Bleus, il paraissait tout aussi méprisable, comptant parmi ceux que l’on appelait, dans le jargon de l’époque, les « restes impurs de l’infâme fédéralisme ». Par surcroît d’achoppement, il n’était pas breton, tare irrémédiable aux yeux de quiconque est né dans le pays qui s’étend de Cancale au Croisic et d’Ingrandes à Ouessant. Il rusa : s’étant attaché un homme du pays, Laurent, d’une fidélité candide et quasi dévotieuse, il enrôla, par l’intermédiaire de ce serviteur, une fille de vingt-deux ans, matoise et intrépide[13] ; cette luronne affrontait audacieusement tous les périls ; elle traversait chaque jour les postes de l’armée républicaine et ne fut pas une seule fois suspectée. Bientôt, grâce aux insinuations de cette acolyte bien stylée, la rumeur s’infiltra dans la région que, au fond de la forêt du Pertre, vivait un personnage mystérieux, — le comte Joseph, — un proscrit de marque, un prince du sang royal peut-être… Ses générosités accroissaient son prestige ; il distribuait l’argent sans compter, laissant croire qu’il disposait de sommes inépuisables « en raison de ses relations avec l’empereur d’Autriche et le roi d’Angleterre ». La mystification eut son plein effet sur les paysans révoltés, épris de légendes, et dont le nombre s’était augmenté, au printemps, de tous les réfractaires à la levée de 300.000 hommes décrétée par la Convention. Outre les bandes dont dispose le jeune Boisguy, autour de Fougères, il y a, aux environs de Laval, celle de Jean Cottereau, dit Jean Chouan, celle de Jambe d’Argent dans la Mayenne, celle de la Vache noire que commande Courtillier, dit Saint Paul, et quelques-uns de ces groupements obéissent à un certain Monsieur Jacques, ancien officier de la garde du Roi. Car, pour dérouter les dénonciateurs, ces révoltés ont adopté des sobriquets : Sans peur, Cœur de lion, Monte à l’assaut, Brave la mort, Sans quartier ; sur un ordre ils prennent le fusil, s’embusquent, harcèlent les Bleus, tracassent les acheteurs de biens nationaux et les prêtres « sermentés », puis le coup fait, ils se dispersent, rentrent chez eux, reprennent la charrue ou l’outil habituel, leur nom légal, et cette double personnalité les fait insaisissables.

Puisaye projetait de rallier ces éléments disséminés et d’en être le chef. Ses premières propositions à Boisguy furent reçues froidement ; une autre démarche auprès des généraux vendéens n’eut pas meilleur succès. C’était à la fin d’octobre 1793, époque où l’armée royale de Vendée, repoussée de son territoire, émigrait en masse sur la rive droite de la Loire[14]. Troupeau lamentable de combattants affamés et ralentis dans leur marche par une longue suite de femmes et d’enfants piétinant pêle-mêle dans la boue, de charrettes portant des blessés livides et des vieillards épuisés ; par deux fois elle passa à proximité de la forêt où Puisaye se tenait reclus sans qu’il se décidât à la rejoindre ; mais le désastre des Vendéens le servit : beaucoup quittaient la colonne et s’enfonçaient dans les bois pour échapper aux poursuites des Bleus. La forêt du Pertre en reçut un grand nombre. Le comte Joseph les accueillit comme dans son domaine : à certains officiers il offrit de partager l’abri de sa hutte ; aux hommes il enseignait le moyen de se terrer en creusant des fossés qu’on recouvrait de branches et de gazon. Il enrégimenta ainsi un assez important contingent de soldats armés qu’il destinait à former sa garde. Chaque fosse, — ou loge, — contenait sept hommes dont l’un commandait aux six autres ; sept fosses composaient un cantonnement ; sept cantonnements une division. Les approvisionnements ne faisaient pas défaut, les paysans de la région amenant en grande quantité au campement de la forêt leurs bestiaux et leurs grains pour les soustraire aux réquisitions des républicains. La troupe de Puisaye se renforçait donc de jour en jour quand, à l’aube du 29 novembre 1793, les Bleus pénètrent dans la forêt, marchent droit à la cabane où dort le comte Joseph, aux côtés de son médecin Focard, de son ami Le Roy et de trois officiers royalistes. Fusillade : deux des officiers sont tués ; Puisaye et Le Roy se sauvent, en chemise, et disparaissent dans l’épaisseur du bois, traînant Focard, grièvement blessé, qu’ils abandonnent dans un taillis. Le malheureux ne tardera pas à être pris ; son aventure se terminera à Rennes, sur l’échafaud révolutionnaire.

Dépisté, Puisaye va reprendre la vie nomade ; du moins marche-t-il maintenant entouré d’une garde de chouans résolus ; il rayonne autour de Rennes, tente même de s’emparer par surprise de la ville, sans succès ; on le voit avec sa troupe, parfois forte d’un millier d’hommes, à Beignon, sur la route de Ploërmel, là même où il a trouvé son premier gîte en Bretagne, à Concoret dans le Morbihan, à Maure, à Bain, à Liffré ; il séjourne fréquemment au château du Plessis, près de Vern, cherchant, non sans déconvenues, à se mettre en relations avec les insurgés royalistes qui pullulent dans la région ; et tout à coup le hasard lui confère enfin la suprématie si obstinément convoitée. Une femme lui remit, certain jour de janvier 1794, des dépêches officielles arrivant d’Angleterre et adressées au commandant en chef des armées royales de Bretagne. Ces dépêches étaient apportées de Jersey par un ancien agent de la Rouerie, Noël Prigent, maraîcher à Saint-Malo, qui, depuis deux ans, à la barbe des gardes-côtes et de la douane, assurait, avec une impunité surprenante, les communications entre les royalistes bretons et les îles anglaises. Cette fois il était chargé de transmettre aux chefs vendéens, qu’il croyait trouver maîtres de Granville, l’assurance d’un prochain concours de l’Angleterre et de l’arrivée imminente de la flotte britannique.

Retardé dans son voyage, apprenant, au débarqué, que l’armée vendéenne s’était depuis longtemps repliée et se traînait maintenant au delà de Nantes, brisée, dispersée, sur le point d’être anéantie, Prigent se trouva fort embarrassé du courrier dont il était porteur. Il entendit parler de ce grand personnage qui, sous le nom de Comte Joseph, se dérobait mystérieusement au fond des bois ou dans les landes et passait pour être en Bretagne le plus actif représentant des Princes exilés : il lui fit tenir les dépêches anglaises, et Puisaye, par la lecture de ces lettres, destinées à d’autres, apprit, le premier, que le cabinet de Londres se montrerait disposé à soutenir, dans certaines conditions, l’effort des insurgés de l’Ouest et à concourir au rétablissement de la monarchie légitime. La possession d’une si grave et décisive communication centuplait sa propre importance ; il passait de l’humble rôle de mouche du coche à l’enivrant emploi de grand diplomate, et aussitôt il fut à la hauteur de sa tâche : bien persuadé que le gouvernement britannique ne soutiendrait jamais une cause perdue, il décida, tout d’abord, de le convaincre que le désastre de l’armée vendéenne n’était pas, pour le parti royaliste, un coup mortel, les Bretons, secrètement enrégimentés, n’attendant qu’un signal pour se soulever en masse et jeter bas la République. Il importait surtout de présenter aux ministres du roi George un projet d’action économique permettant de réaliser la contre-révolution sans qu’il en coûtât un schelling à l’Angleterre ; et c’est alors que Puisaye conçut ce séduisant et déloyal stratagème, qui lui fut personnellement très profitable, mais ne lui valut point la gloire.

Il partait de cet axiome que la Révolution, en gageant ses assignats sur les propriétés volées aux Princes, au clergé et aux émigrés, émettait de la fausse monnaie. Le propriétaire injustement dépossédé ayant le droit de reprendre son bien par tous les moyens en son pouvoir, il en concluait que les Princes, les émigrés et le clergé étaient seuls désignés pour mettre en circulation un papier-monnaie honnêtement et solidement gagé. Il se proposait donc d’établir à Londres une vaste imprimerie « d’assignats royaux », absolument semblables aux assignats de la Nation, sauf un signe secret, perceptible aux seuls initiés[15], et qui permettrait de déclarer ce papier-monnaie remboursable en numéraire, à l’exclusion de tout autre, dès la restauration de la monarchie. Cette conception ruinerait indubitablement le crédit de la République et la mettrait à merci en quelques semaines. À ce titre, elle ne déplut pas ; d’irréprochables gentilshommes, susceptibles sur le point d’honneur et qui auraient individuellement mieux aimé mourir que faire tort d’un liard au plus avéré fripon, goûtèrent fort cette ruse de guerre[16]. On était, il est vrai, au printemps de 1794, la terreur faisait rage ; pas une ville où l’échafaud ne fût en permanence, et la proposition de Puisaye s’adressait à des hommes que la ruine, les deuils, la persécution réduisaient au désespoir et qui s’accoutumèrent à le considérer comme leur chef en raison même de l’audace et de la nouveauté de ses projets.

L’un des premiers qu’il s’attacha appartenait à une antique et noble famille ; c’était le chevalier de Tinteniac, romanesque et touchante figure : au début de sa carrière, brillant officier aux chevau-légers, puis de la marine royale, ardent au plaisir, il a aimé, il a joué ; de retentissants duels et de mauvaises affaires ont compromis son avenir ; sa famille l’a renié ; la Révolution venue, enrôlé dans l’état-major de la Rouerie, puis émigré en Angleterre, il continue à servir la cause royale ; en août 1793, il débarque, un soir, sur la côte de Saint-Malo, marche jusqu’au matin dans la campagne, parcourt cinquante lieues en cinq nuits, passe la Loire à la nage, se présente aux chefs vendéens. Un si tenace dévouement de la part de cet inconnu étonne ; Tinteniac est reçu avec méfiance ; il confesse qu’il cherche à expier par quelque action d’éclat « les fautes de sa jeunesse ». Il retourne à la côte, s’embarque, aborde en Danemark, pousse jusqu’en Westphalie à la recherche du comte d’Artois dont il veut prendre les instructions. Le voici, de nouveau en France ; il se met aux ordres de Puisaye. Il a trente ans ; il est de petite taille, mais d’une figure séduisante qu’éclairent des yeux pleins de franchise et de bravoure. Par son active entremise, il rallie à Puisaye le chevalier de Silz, chef d’une légion du Morbihan, puis un ancien officier de la Rouerie, le comte de Lantivy, puis encore un paysan chef de bande, Jean Jan, que rendirent fameux son intrépidité et sa haine farouche des Bleus, et aussi un petit hobereau des environs d’Auray, au nom encore obscur et qui s’appelle Georges Cadoudal ; d’autres enfin qui seront marquants, Guillemot, Saint-Régent, Mercier la Vendée. Malgré leur dispersion, Puisaye correspond régulièrement avec tous ; il est parvenu à rétablir et à amplifier ces lignes de communication clandestine créées par la Rouerie et le long desquelles un émigré arrivant de la côte ou un émissaire porteur de dépêches sont certains de rencontrer, de distance en distance, refuge sûr dont la porte est toujours ouverte, hôte discret, guides et, en cas de besoin, assistance toute dévouée. C’est dans un de ces abris que, sans le savoir, est entré Puisaye au début de son séjour en Bretagne.

Pour qui débarque, par exemple, dans le golfe de Saint-Brieuc, à la plage d’Erquy, la première maison de correspondance est à Nantois, tout près des ruines du château de Guémadeuc ; la seconde à la Villegourio, d’où la piste se dirige vers la Villeneuve, au nord de Lamballe ; là, dans la maison d’une dame Kerverso est une belle « cache » pratiquée sous une passerelle reliant le grenier à un bâtiment de service : quand on presse une cheville, l’une des planches de ce pont rustique « se coule », — « si, en la poussant, elle ne vient pas tout de suite, c’est signe qu’il y a quelqu’un dedans, car la cache se ferme de l’intérieur à l’aide d’un crochet assez fort », au dire d’un dénonciateur anonyme qui connaît manifestement, pour s’y être blotti, la cachette de la Villeneuve[17]. À Quessoy, la station suivante est chez « les filles du Gage ». — « Lorsqu’elles voient la troupe arriver, elles affectent beaucoup de politesse et, pendant ce temps-là, elles font disparaître ce qu’elles veulent dérober aux recherches[18]. » De Quessoy, on oblique vers Bréhand : refuges à la Ville-Louët et au manoir de Boishardy ; puis, sans traverser Moncontour, la piste gravit les pentes du Mené et atteint la Mirlitantouille, hameau de deux maisons situées à trois cents pas de la crête de la colline ; de ces deux maisons l’une est abandonnée, dans l’autre la fille Plé et son père tiennent cabaret. La Mirlitantouille est au carrefour de quatre chemins : celui de Moncontour, celui de Plœuc par Plémy, conduisant à la forêt de Lorges ; celui de Collinée et celui de Loudéac. De la lande immense qui commence à cet endroit et qui monte aux crêtes du Mené, la vue s’étend au loin sur les deux versants de la montagne : au nord, vers Saint-Brieuc, c’est la région de Moncontour, bien cultivée, couverte de vergers et de prairies ; au sud, vers le Morbihan, pas un hameau, pas une maison n’apparaissent, rien que des bois et des landes ; à l’horizon, une longue ligne sombre d’épaisses forêts. Tracé parmi les ajoncs et les genêts d’or, les bruyères rousses et les robustes blocs de granit qui, çà et là, percent le sol, le chemin des chouans gagne les sommets du Mené, le Bel Air, puis la Butte à l’Anguille où se trouve une maison de correspondance : l’endroit est redouté ; Jean Villeneuve, — surnommé Jean de la Butte, — le seul habitant de ce désert, égorge, dit-on, les voyageurs qu’il soupçonne bien munis d’argent et enfouit leurs corps dans la lande[19]. De cette hauteur la piste descend sur Saint-Gilles-du-Mené, et à travers un pays âpre, couvert de bois, coupé de ravins profonds, elle passe au manoir de Bosseny où les émissaires royalistes sont assurés d’un bon accueil ; elle se dirige ensuite vers la hutte d’un sabotier de Saint-Vran, du nom de Jacques Lacroix, pour gagner Ménéac et la sombre forêt de La Nouée, domaine de Saint-Régent, dit Pierrot, l’un des plus actifs adversaires de la République. Il vit dans les bois ; il a sa « loge » à droite du chemin qui va du village de La Nouée au Pas-aux-Biches ; il circule sans appréhension ; on le voit souvent au Questel, en Pleugriffet, où il mange ; il est habituellement vêtu d’une pelisse de hussard, jaune et garnie d’hermine, d’un pantalon de peau, d’un gilet moucheté couleur café[20] ». C’est un homme de très petite taille, — quatre pieds, quatre pouces[21], — d’aspect malingre, « en raison d’une balle qu’il a reçue dans le côté gauche », avec un visage maigre, le nez long et effilé, les yeux bleus et vifs, d’ailleurs très courtois, très doux et d’un enjouement inaltérable.

L’étape suivante est à la Ville-Bouquet, en Guégon, près de Josselin ; puis on va à Kerdaniel, vieille gentilhommière percée de caches et voisine de souterrains ; les chefs royalistes s’y réunissent quelquefois. Non loin de là, au passage de la Claye qui coule au fond d’un ravin à pic, est « la maison du Roc », ferme proprette, juchée sur un promontoire de rochers gris ; un grand sapin signale de loin ce refuge, le plus renommé de toute la Bretagne ; là habite la veuve Lohezic, la mère aux chouans, bonne femme qu’on dit riche et qui prodigue ses gâteries aux partisans de la « bonne cause[22] », La dernière station de la route est Camezon[23], à quelque cent toises du Pont-du-Loc. On est là dans la région dont Georges Cadoudal est le maître et quand il fixe sa résidence à Grandchamp, se trouve toujours à Camezon un de ses agents pour recevoir hommes et dépêches[24].

On bornera à ces indications sommaires la description de cette voie clandestine ; elle était la plus fréquentée de la Bretagne mais non la seule : une autre, également très suivie, bifurquait de la première à Ménéac vers le cap Fréhel et la baie de la Fresnaye, lieux propices aux débarquements ; elle passait par Plumaugat ; les chouans s’y hébergeaient soit chez Pierre Ballu, où ils étaient à peu près sûrs de trouver « un bon prêtre » en cas qu’ils voulussent se confesser, soit chez « la nommée Robinault », sœur de Saint-Régent. — « Cette fille, écrit un espion de police, professe des opinions fanatiques et on lui attribue le massacre de vingt militaires[25]. » Une autre route de correspondance se dirigeait vers Rennes et Paris ; une autre atteignait les bords de la Loire, aux environs de Savenay, se prolongeait dans la Vendée et, par le Blésois, le Berry et le Bourbonnais, permettait de gagner la Suisse sans trop mauvaises rencontres[26]. Quant aux courriers, comme ils effectuaient de longs trajets, ils adoptaient les plus rustiques travestissements, témoin ce Pierre Olivier, du village de La Nouée, qu’on voit souvent, revenant du bois, chargé d’un gros fagot dans lequel sont cachés ses papiers et ses
armes, ou cet autre, nommé Molard, de Plumieux, qui, lorsqu’il porte la correspondance, « a toujours deux formes derrière le dos et son tablier sur le ventre, comme un cordonnier qui va à sa journée[27] ». Sans cesse ces facteurs arpentent les chemins entre le Morbihan et la côte de Saint-Brieuc ou de Saint-Malo ; leur service est presque régulier : — « C’est une véritable poste qui rivalise avec celle du gouvernement et arrive à faire mieux qu’elle » ; d’où, en décembre 1795, cette plainte du district de Josselin à l’administration départementale : — « les Chouans reçoivent leur courrier deux et trois fois par semaine et les républicains une fois seulement par décade[28] ! »

Cette organisation créée par la Rouerie[29], servit grandement les ambitieux desseins de Puisaye ; il fut aidé aussi par l’indéniable séduction de sa prestance et de sa parole ; son aplomb fit le reste. Dès le printemps de 1794 on le voit se parer du titre de général qu’il s’est à lui-même décerné. Il parlera bientôt des pouvoirs à lui confiés par les Princes, frères de Louis XVI, bien avant que ceux-ci, — dont l’un est à Vérone et l’autre à Arnheim, — aient entendu parler de lui. L’été ne sera pas écoulé qu’il signera général en chef, sans soulever aucune protestation ; voilà comment, en moins d’un an, ce proscrit, ce condamné à mort, cet hors la loi parvint à conquérir la Bretagne, de toutes les provinces la plus hostile à ce qui n’est pas autochtone. Aux royalistes, très nombreux, mais sans lien, un chef était indispensable ; aucun d’eux ne présentait alors assez de surface pour prendre le pas sur les autres qui, probablement, n’y auraient pas consenti ; cet inconnu s’offrait, semblait s’imposer, on l’accepta, sans l’acclamer : il y eut toujours une sorte d’antipathique réserve dans la soumission des Bretons à Puisaye ; mais bien des préventions tombèrent du jour où, par l’intermédiaire de Tinteniac, il eut rallié Boishardy.

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Quoique sa renommée soit demeurée purement locale, Boishardy[30] reste une de ces attachantes figures qui, parmi la froide phalange des morts dont l’Histoire recueille les noms, semblent garder quelque chose de la chaleur entraînante et de la pathétique sympathie dont surabonda leur vie fougueuse. Il était beau ; de taille moyenne mais naturellement élégante, il avait des traits réguliers, le regard ouvert, des cheveux châtain clair, donnant à sa physionomie martiale un aspect de douceur que ne démentait pas son caractère[31]. Sa courtoisie, sa franchise, sa générosité et aussi la simplicité de ses manières lui gagnèrent l’affection des paysans de la région de Moncontour où était situé, dans la paroisse de Bréhand, son manoir héréditaire, simple gentilhommière, plus ferme que château, entourée d’un potager et de vergers, mais à laquelle une tour du xve siècle, coiffée en poivrière et de hautes et vastes pièces prêtaient assez noble allure[32].

Boishardy était fils d’un ancien mousquetaire, mort en 1767. Lui-même, lieutenant au Royal-Marine, devenu bientôt le 60e régiment d’infanterie, se trouvait en 1792, en garnison à La Rochelle ; il y prêta le serment civique, mais il se démit peu après et revint en Bretagne, appelé par le marquis de la Rouerie qui lui confia le commandement de la division des Côtes-du-Nord[33]. Boishardy avait alors trente ans ; il recruta activement ; costumé en paysan, en « marchand d’œufs », il courait les foires, endoctrinant les villageois ; son éloquence était si persuasive « que l’on quittait tout pour l’entendre[34] ». La Rouerie mort, Boishardy ne désarme pas ; on est au printemps de 1793 ; la Convention vient de décréter la levée des 300.000 hommes ; avec une témérité insolente, il ameute les gas de Bréhand ; debout sur le mur du cimetière, il les exhorte, se met à leur tête ; il est vêtu « d’une veste de cultivateur », il porte un fusil sur l’épaule, des pistolets sont à sa ceinture. Sa troupe grossit en route de tous les jeunes gens qui répugnent à servir « les régicides », ceux de Meslin, de Coëtmieux, de Pommeret, de Quessoy, de Plaintel ; il les passe en revue à la lande du Gras, qui domine Meslin, marche sur Pommeret « pour y chercher le rôle des conscrits et le mettre en pièces » ; puis il se poste sur le grand chemin de Lamballe à Saint-Brieuc, attaque, au pont sur l’Évron, la diligence qui porte le courrier de Paris, disperse à coups de fusil la garde nationale de Lamballe qui s’oppose mollement à sa marche. Dans la nuit il rentrait victorieux à Bréhand. L’événement mit en grand émoi les autorités du chef-lieu ; on assurait que Boishardy, sur un simple appel, avait réuni pour ce coup d’essai quatre mille paysans suffisamment armés. En groupant toutes les forces dont disposaient les autorités du département, on n’aurait pas mis en ligne pareil nombre d’hommes.

Il fallait sévir : or Saint-Brieuc comptait parmi son tribunal, deux magistrats mal disposés à composer avec les rebelles : le président Leroux de Chef du Bois, — qui se nommait maintenant Leroux, tout court, — homme sévère et sombre, d’autant plus désireux de réprimer toute tentative contre-révolutionnaire que, acheteur de biens nationaux, il arrondissait un domaine aux portes de Tréguier ; — et l’accusateur public, Besné de la Hauteville, — qui lui aussi, depuis peu, signait démocratiquement Besné, sans plus, — républicain renommé pour son intégrité dont il ne cessait de faire étalage. Écrivain d’une prolixité redoutable, il submergeait les ministres et les comités d’un déluge de protestations, de flatteries, voire de conseils ou d’admonestations, certain que son patriotisme éclairé lui procurait des vues lumineuses sur la situation politique générale et sur celle de la Bretagne en particulier[35]. Il se vante à tout propos « d’avoir secoué, le premier, le joug de la tyrannie, proclamé la République dès 1791 ! » et fondé une loge maçonnique, modestement intitulée loge de la Vertu triomphante. Il signe ces élucubrations Besné, vétéran de la Révolution[36]. Ce magistrat modèle approchait, en 1793, de la cinquantaine[37]. De taille presque gigantesque[38], il avait les yeux bruns et renfoncés, le nez gros et rouge, le teint fortement couperosé ; il couvrait son crâne chauve d’une perruque marron[39]. Sans fortune et père de treize enfants, il pratiquait, pour améliorer ses maigres émoluments, des trafics assez inquiétants : ainsi on vit, non sans étonnement, cet accusateur public se poser en avocat de certains prévenus ; ou bien, quoique ardent démagogue, il se déclarait adjudicataire de propriétés d’émigrés comme prête-nom de familles nobles désireuses de racheter secrètement leurs biens confisqués[40]. Ce cumul louche effarouchait les honnêtes administrateurs du département ; mais comment soupçonner de péculat, ou même d’indélicatesse, l’homme pur à qui Saint-Brieuc devait la loge de la Vertu triomphante ?

On lança des mandats d’amener contre le châtelain de Bréhand et quelques-uns de ses complices dont on était parvenu à se procurer les noms ; le président Leroux les appela à son tribunal, Besné requit contre eux le châtiment suprême : Boishardy et neuf de ses partisans furent condamnés à mort[41], pour la forme et par défaut, car on n’avait réussi à capturer aucun des accusés. Jamais, d’ailleurs, contumaces ne portèrent plus allègrement si redoutable verdict : Boishardy n’avait même pas quitté le pays : on le voyait partout mais on ne le trouvait nulle part. En vain, durant près d’un an les autorités des Côtes-du-Nord lancèrent à sa poursuite des détachements de troupes ; ceux-ci cernèrent des villages, fouillèrent des châteaux, firent perquisition dans des fermes où l’on supposait que le proscrit pouvait être caché ; on ne découvrît rien. On mobilisa même contre lui vingt-cinq canonniers de Guingamp, pourvus d’une pièce d’artillerie, sous le commandement d’un administrateur du département, Hello[42], mais sans meilleur succès. On mit en arrestation toute la municipalité de Bréhand, et aussi celle de Quessoy, et encore celle de Hénon, coupables d’avoir souffert sur le territoire de leurs communes la présence du factieux ; nul ne tenta de se soustraire à l’emprisonnement en révélant sa retraite. On essaya de lui tendre un piège : il y avait en Bréhand, un manoir, celui de la Ville-Louët, où, disait-on, Boishardy était fréquemment attiré par son affection pour une très jeune fille, presque encore une enfant, mademoiselle Joséphine de Kercadio. Ayant, depuis huit ans, perdu son père, mademoiselle de Kercadio vivait à la Ville-Louët, seule avec sa mère[43]. On arrêta celle-ci comme suspecte et on la dirigea vers la prison de Lamballe, sans lui accorder, malgré ses instantes prières, l’autorisation d’emmener avec elle Joséphine qui dut rester à la Ville-Louët, sous la garde de ses domestiques[44]. Sans doute espérait-on que l’isolement de l’orpheline conduirait dans le voisinage, Boishardy, soucieux de veiller sur sa jeune amie. Il ne parut pas. Le jugement qui l’avait condamné, ordonnait la confiscation et la vente, au profit de la Nation, de tous les biens du contumace. Le manoir de Boishardy, son mobilier, les terres, les métairies, le moulin qui en dépendaient, — environ 130 journaux de terre dont 50 au moins de landes et de bois[45], furent mis en adjudication et passèrent à un intrus. Boishardy laissa faire sans se manifester. Le seul résultat de cette spoliation fut d’établir que ce n’était pas « à prix d’or » qu’il achetait le dévouement de ses paysans : il était presque pauvre : tous ses biens, y compris une maison sise à Lamballe, ne lui avaient jamais fourni plus de 1.600 livres de revenu[46].

Quoique insaisissable, il n’a pas quitté la région de Moncontour, propice aux refuites et aux échappées : prés enclos de hauts talus plantés de chênes étêtés, de haies épaisses ; fourrés inextricables, labyrinthe de chemins creux qui, au fond de cette mer d’arbres, serpentent, se croisent, s’écartent, se nouent, se détournent… Boishardy circule en plus complète sécurité que les détachements lancés à sa poursuite ; pour ceux-ci « chaque champ est une forteresse, chaque arbre masque un piège » ; lui, pas un jour il n’arrête de renforcer sa troupe et de l’exercer : les Bleus l’ont surnommé le sorcier. Quelqu’un l’a vu, dans les bois de Caurel, à une demi-lieue de Mur-de-Bretagne : au cœur de la forêt, est un placis d’environ quatre journaux[47] qui lui sert de terrain de manœuvre. On a laissé, au centre de cette esplanade un grand hêtre à la cime duquel est fixé un crucifix d’étain. Parfois se réunissent là 3 à 4.000 chouans ; on y procède à l’élection des sergents et des caporaux. Boishardy préside, vêtu d’une carmagnole bleue, coiffé d’un chapeau à grande cuve ; il est armé d’un sabre et d’un fusil à deux coups[48]. On croirait que les Bleus, égarés sur de fausses pistes le cherchent partout où il n’est pas, comme dans cette expédition où cent hommes de la 17e demi-brigade envahissent les villages de Plédran et de Hénon, visitent toutes les maisons sans rien découvrir[49] : peut-être Boishardy, tandis qu’on perquisitionne dans Hénon, pêche-t-il tranquillement à la ligne, à une demi-lieue du village, au bord de l’étang du Colombier ; car il consacre ses loisirs à cette occupation pacifique, ainsi qu’en témoigne l’un des officiers municipaux de l’endroit[50]. De temps à autre, il arrive qu’un maladroit de ses bandes se laisse prendre ; on l’amène à Lamballe ou à Saint-Brieuc ; on le menace de mort, on le presse de questions et l’on apprend des choses terrifiantes : telles que les révélations d’un certain Gilles Garandel annonçant que « sous quinze jours ou trois semaines, Boishardy aura 90.000 hommes armés et équipés ; le duc de Chartres commandera cette armée ; tous les patriotes, et particulièrement les corps constitués doivent périr : la cavalerie est dans la forêt de La Nouée, un camp dans celle de La Hunaudais[51]… » Il est aussi fait mention, dans ces délations, d’une belle jeune fille qu’on voit quelquefois, « les cheveux dénoués, montée sur un petit cheval gris »… Mademoiselle de Kercadio évidemment, galopant vers la retraite de son ami.

Ces effarants propos sont, en quelque sorte, confirmés par le juge de paix de Quintin, Dubouilly, un bon patriote, celui-là, qui écrit : — « Boishardy fréquente le village de Plaintel depuis six mois… Je l’ai épié plusieurs fois sans avoir pu le rencontrer… Ses gens ont des mouches partout.. Ma femme passant un jour près de la Ville-Hamon, — écart de Plaintel, non loin de la forêt de Lorges, — rencontra sur la route différents feux avec des gardiens à peu de distance les uns des autres… Dans son retour elle trouva plusieurs autres feux et fut abordée par un homme qui lui dit : — « Madame, vous êtes trop hardie, je vais vous conduire… » L’imprudente s’était bien probablement aventurée dans les environs du quartier général de Boishardy. Et Dubouilly ajoute : — « À la Ville-Menguy », — ferme-manoir presque dans la forêt de Lorges, à cent toises de l’étoile de Gourlay, — « il y a des souterrains : l’une de mes mouches m’a dit que l’ouverture est dans une armoire, vis-à-vis la porte d’entrée[52]… » Dubouilly avait trop parlé : huit jours plus tard, aux portes même de Quintin, il fut, en plein jour, accosté par cinq chouans « qui lui tirèrent chacun un coup de fusil et lui écrasèrent la tête à coups de crosse[53]. » Boishardy était bien servi.

Constatant l’impuissance de la répression, l’accusateur public Besné trépignait de rage ; à ses titres s’ajoutait maintenant celui de capitaine des chasseurs de la garde nationale[54]. Que n’allait-il, à la tête de sa compagnie, explorer ces manoirs mystérieux, à la lisière des grands bois ? Il se contentait de rédiger sans lassitude sa propre apologie, et les cartons des comités s’encombraient de factums portant ce titre pompeux : Vie politique et publique de Malo, Henri, Julien Besné, né à Dinan, le 26 juin 1744, père de treize enfants vivants, ennemi déclaré de tous les abus[55]. Il se flattait d’avoir, en moins de deux ans, fait juger 53 procès criminels, obtenu 48 arrêts de mort, 19 déportations, 48 condamnations aux fers, 6 à la gêne, 27 à la détention, 5 à la réclusion, 20 à la prison avec amende, 32 à l’arrestation jusqu’à la paix… Et ce scélérat de Boishardy lui échappait !

Besné retardait. Depuis trois mois bientôt, la chute de Robespierre avait marqué la fin de la Terreur et si les lois restaient implacables, les palliatifs étaient à l’ordre du jour. Le comte de Puisaye, ayant réussi à reconstituer et à compléter l’œuvre de La Rouerie, pensait maintenant à passer en Angleterre afin d’obtenir du cabinet britannique des armes et des munitions ; il se flattait de décider l’un des princes français à prendre le commandement des légions bretonnes ; il avait hâte aussi de mettre en action la fabrique d’assignats au moyen desquels il comptait achever la ruine de la République, déjà obérée. En sa qualité de général en chef commandant pour le roi l’armée catholique de Bretagne, — tel était le titre dont il se parait maintenant, — il assembla une dernière fois ses lieutenants et leur soumit le texte d’une proclamation adressée « à tous les Français et particulièrement aux Bretons, les invitant à se réunir sous les drapeaux de la Religion et du Roi », déclarant rebelles « les nobles qui oublieraient leur devoir, ceux qui espéreraient rester neutres, et tous les sujets en état de porter les armes et qui ne marcheraient pas[56] ». Il obtint l’adhésion de quarante-et-un chefs royalistes qui signèrent avec lui cet appel aux armes, et parmi lesquels étaient Le Roy, son ancien compagnon de cache dans la forêt du Pertre, Boisguy, Guillemot, Saint-Régent, Boishardy… Une seconde proclamation, destinée aux officiers et soldats de l’armée de la Convention, les engageait à quitter le service « d’une république monstrueuse », et leur spécifiait les avantages de la désertion[57]. Sur quoi, Puisaye, s’étant ainsi manifesté publiquement, laissant toute la Bretagne persuadée qu’elle avait en lui un chef véritablement investi des pleins pouvoirs des Princes et reconnu par le roi d’Angleterre, leur allié, jugea qu’il était temps d’obtenir, si possible, la confirmation de son mandat usurpé. Il se rapprocha de la côte dans le dessein de s’embarquer, tentative toujours périlleuse, « les grèves, les anses, les criques et tout le rivage de la mer étant gardés par une ceinture de tentes dressées à cinquante pas l’une de l’autre et occupées chacune par quinze hommes sous le commandement d’un officier[58] ».

Puisaye, résolu à prendre la mer sur la côte du Clos Poulet[59], avisa de cette décision celui de ses agents qui dirigeait dans cette région le service de la correspondance : c’était Mathurin Dufour, marin intrépide, de la paroisse de Saint-Coulomb. Il ne cacha point qu’on risquait gros ; la manœuvre imposée était celle-ci : « Attendre une nuit très sombre, passer la ligne des tentes à plat ventre, le fusil armé et « en banderole » ; ne répondre jamais à un qui-vive que par un coup de fusil » ; moyennant ces précautions, on pouvait atteindre la grève et si l’on avait la chance de trouver une barque échouée sur le sable on était sauvé. Pour épargner ces difficultés à « M. le commandant en chef des armées royales de Bretagne et pays adjacents », Dufour s’occupa de repérer l’endroit le moins exposé de tout son canton. Cette exploration se prolongea, non sans alertes, durant une quinzaine de jours. Puisaye, réfugié à l’intérieur des terres avec quelques-uns de ses officiers[60], eut tout le loisir de réfléchir à sa situation : il songea que sa disparition risquait de susciter parmi ses lieutenants des rivalités ; l’un d’eux n’en profiterait-il point pour usurper le commandement laissé sans titulaire ? Ne serait-il pas prudent de désigner lui-même un remplaçant ? Mais qui ? Boishardy ? Il était Breton et on devait craindre que cette qualité ne lui conférât bientôt, sur le chef absent auquel elle faisait défaut, une imprescriptible prépondérance. Le hasard, qui avait déjà comblé Puisaye, le tira encore de cette perplexité.

Dufour, toujours à la recherche d’un point favorable à l’embarquement, lui amène, un jour, trois émigrés qui viennent d’aborder à la côte. Ils ont « traversé » sous la conduite du jeune Prigent, effectuant, et toujours sans l’ombre d’un désagrément, son cent quarantième voyage entre les îles anglaises et la Bretagne. Ces émigrés sont Mathias de Jouette[61] et le chevalier de Solilhac[62] que Puisaye enrôle immédiatement dans son état-major. Le troisième arrivant, que personne ne connaît, se présente : « baron de Cormatin. » Il est originaire de Paris, propriétaire d’une terre en Bourgogne et n’a jamais mis le pied en Bretagne. Quarante ans, de bonne taille, de manières distinguées, s’exprimant avec facilité et doué d’une faconde qui, tout de suite, se dénonce inépuisable, il raconte abondamment son histoire, non sans l’enjoliver, probablement, de quelques traits avantageux. Sous-lieutenant, en 1772, au Royal Navarre, il a quitté l’armée pour voyager, parcouru toute l’Europe, repris du service à l’époque des guerres d’Amérique, épousé une veuve très riche, fait partie, en 1791, de l’état-major de Bouillé, puis de la garde constitutionnelle du Roi. Émigré à Coblence, de là en Angleterre, il s’est lassé de la vie oisive et il passe en France dans le vague espoir d’y trouver un emploi. Puisaye écoute ce récit, prend à part le nouveau venu qui n’offre, comme référence, qu’un certificat « flatteur » du marquis de Bouillé et une recommandation du « Conseil des Princes ». Cela paraît très suffisant ; d’ailleurs le temps manque ; Dufour, renonçant à déjouer la surveillance du Clos Poulet, se décide à chercher du côté de Saint-Briac une plage moins hérissée d’obstacles. Ainsi pris de court, Puisaye n’hésite pas : il confie à Cormatin, stupéfait, le gouvernement de toute la Bretagne et des provinces avoisinantes, le nomme, sans désemparer, major général de l’armée catholique et royale, et le présente comme tel à ses compagnons d’armes. Suprême hâblerie, car, bien certainement n’osa-t-il pas tout de même avouer qu’au hasard seul était due l’éminente promotion de cet inconnu ; c’eût été, dès l’abord, ruiner le crédit de son intérimaire improvisé ; sans doute déclara-t-il que, s’il s’attardait depuis une quinzaine de jours, c’était dans l’attente de ce suppléant, choisi entre mille par la sagesse des Princes et qu’il se portait garant de ses hautes qualités administratives et stratégiques[63]. Là-dessus il partit, suivant Dufour, emmenant avec lui son fidèle domestique Laurent, et Prigent que, de ce jour-là, il attacha à son service[64]. Expédition mémorable. Sur la plage de Saint-Briac, pas un bateau ; l’ordre est venu, sous peine de mort, de désarmer toutes les embarcations et de les engraver à portée du canon des forts. Deux nuits se passent à explorer la grève. Voici enfin un vieux canot, échoué sur le sable, en si mauvais état qu’on l’a considéré comme hors d’usage. Un pied de jeune chêne servira de mât ; deux draps de lit seront les voiles ; un mauvais aviron fera office de gouvernail. Le canot est poussé à l’eau ; on embarque. À peine est-on au large que la mer devient houleuse ; « le bateau fait eau de toutes parts ; chacun s’escrime, à l’aide de son chapeau, pour l’épuiser et la jeter par-dessus bord. Au matin, on aperçoit les Minquiers, îles anglaises ; on y aborde vers dix heures et, dans l’après-midi, Prigent et Dufour continuent jusqu’à Jersey afin de réclamer aide et secours. Le gouverneur de l’île envoya aux naufragés une canonnière où Puisaye prit place avec ses compagnons, voguant vers un avenir aussi orageux que l’avait été son passé.

Ce que l’on ne connaîtra jamais, sans doute, c’est l’impression intime de Cormatin, brutalement jeté dans cette formidable aventure. On n’est pas davantage renseigné sur le motif de sa rentrée en France : — besoin d’argent ? Désir d’amadouer sa femme dont il avait dilapidé la fortune et qui venait d’obtenir le divorce ? Espoir de faire sa soumission à la République et d’obtenir un grade dans l’armée ? On ne sait. On peut seulement imaginer — difficilement, il est vrai, — l’ahurissement émerveillé de cet homme qui, dans l’incertitude morale et le désarroi financier où il se trouve, se voit inopinément bombardé major général en chef d’une armée dont, la veille, il ne soupçonnait pas l’existence et gouverneur pour le Roi d’une province où il n’a jamais mis le pied. De la chouannerie, de son personnel, de ses ressources, il ne connaît absolument rien, et, il est visible que, tout d’abord, il ne sait où tourner, qu’il hésite à se manifester car, plus d’un mois après son débarquement, il erre encore sur la côte avec Dufour, revenu de Jersey[65] et ramenant un chargement de munitions de guerre destinées à Boishardy. Une nuit, comme Dufour et Cormatin sont réfugiés dans une maison de correspondance, non loin du rivage[66], en compagnie du chevalier de Busnel et d’un ecclésiastique du voisinage, on entend tout à coup « un mouvement considérable de pas précipités » ; les deux portes et la fenêtre s’ouvrent à la fois ; une fusillade éclate ; des Bleus envahissent l’unique pièce de la chaumière, où sont rangés, près du foyer, vingt-neuf barils de poudre. Les émigrés sautent sur leurs armes, ripostant à coups de pistolet ; une mêlée s’engage dans l’ombre et dans la fumée. Dufour abat un homme, puis un autre, s’élance au dehors, renverse une sentinelle, franchit une haie et se sauve à toutes jambes, croyant ses compagnons massacrés[67]. Il les retrouva, le lendemain, sains et saufs ; mais cette bagarre instruisait Cormatin de ce qu’allait être désormais sa vie, et ce fut peut-être là ce qui décida de ses préférences marquées pour une rapide pacification.

L’heure était favorable : depuis la fin d’août, Hoche commandait les troupes républicaines de Bretagne et ses premières proclamations attestaient sa modération. Au nombre des députés de la Convention que le Comité de Salut public déléguait dans les provinces de l’Ouest, comptaient deux hommes disposés, l’un par politique, l’autre par sentiment, à la réconciliation, Bollet et Boursault. Celui-ci, Parisien adroit, rompu aux affaires et à l’intrigue, violent, « toujours prêt à prendre une voix de tonnerre », ancien acteur, auteur, directeur de théâtre, « vous déclamait sans le moindre à-propos des vers de Voltaire ou des siens[68]. » Fort attaché, d’ailleurs à la Révolution, il y trouvait l’occasion d’une fortune dont plus tard son nom reçut quelque éclat[69]. Bollet, paysan picard[70], plus modeste mais plus sûr, avait des formes rudes, le ton sévère, mais, quoique régicide, l’âme droite et compatissante ; déjà bien des cachots s’étaient ouverts à son passage en Bretagne[71]. Chacun d’eux méprisait l’autre ; Bollet traitait d’histrion Boursault, qui le qualifiait d’imbécile. De ces législateurs et de leurs collègues, Hoche, dédaigneux, disait, en mettant la main sur son épée : — « Croyez-vous que ce soit pour de semblables J…-F… que je porte cela[72] ? » Seule unissait députés et généraux la crainte d’un soulèvement simultané de tous les chouans bretons, angevins, manceaux, normands, qui, conduits par un prince français, s’unissant aux Vendéens de Charette, aux soldats de Stofflet et, peut-être à des troupes étrangères amenées par vaisseaux anglais, auraient vite eu raison des bataillons indisciplinés et des gardes nationaux indécis dont se composait, dans l’Ouest, la débile armée de la République[73].

Il faut se résigner à l’évidence : en cet automne de 1794, les royalistes sont maîtres de la Bretagne, d’autant plus redoutables qu’on ne peut les atteindre. Hoche, à la tête d’un petit corps de troupes, entreprend une tournée dans le pays, pousse jusqu’au fond du Morbihan ; il écrit : — « Nous voyons à chaque instant les sentinelles des brigands ; marchons-nous dessus ; tout disparaît ; il ne reste aucun vestige… On dirait qu’ils ont des télégraphes. » Paris s’émeut et voit déjà les chouans en grands chapeaux et en peaux de bique, campés dans les Champs-Élysées. La Convention décide « la paix à tout prix », et, de Rennes, Boursault, prenant les devants, proclame, dès le 17 octobre, « sa loi de pardon et d’humanité ». Il accorde grâce à tous, même aux déserteurs, s’ils se rendent dans le délai d’un mois. Nul effet ; à peine soixante ou quatre-vingts rebelles de la Mayenne consentent-ils à déposer les armes. La Bretagne reste sourde. Que veut-elle donc ? Ses prêtres ? Eh bien, puisqu’il le faut, on les lui rendra. Et, de nouveau Boursault, à grands cris, réclame du Comité de Salut public une nouvelle reculade : — « Liberté des cultes ! Liberté des cultes ! » ou bien tout est perdu, ajoutant, en penseur libéré qui s’est absorbé dans la méditation de ces graves sujets : — « Il faut des siècles pour créer ou détruire les erreurs et les préjugés religieux. » Il parcourt les campagnes, semant sa proclamation, la commentant par des harangues : à Moncontour, à Dinan, à Lamballe, à Ernée et ailleurs, dans les églises, du haut de la chaire, il pérore, s’attendrissant sur les « trop crédules habitants des campagnes », séduits ou contraints par de misérables exploiteurs de leur naïveté. À tous ces humbles, à tous ces égarés, la République octroie le plus généreux pardon. Malgré qu’il parsème ses discours de tirades empruntées aux tragédies de son ancien répertoire, son éloquence est en pure perte. Comment n’aperçoit-il pas que tout en lui froisse et révolte ces « paysans crédules » qu’il imagine débrutir ? Dans cette église que la Révolution leur a volée, d’où elle a chassé leur curé, leur bon Dieu, leur Sainte Vierge pour y installer deux intrus, l’Être suprême et la Raison, ils se refusent à rentrer sur l’invitation de ce sacrilège qui, le chapeau à plumes en tête, du haut de la chaire, prétend leur prêcher la philosophie. Ce qu’il dira est d’avance taxé de mensonge et de blasphème.

Un effroyable malentendu est le fond de ces guerres fratricides : au début, — et c’est à l’honneur des deux partis, — la haine réciproque naissait d’une égale sincérité de convictions : la révolution, certaine qu’elle apportait l’âge d’or avec les idées nouvelles, se heurta à la ténacité d’un peuple instinctivement convaincu, comme l’a écrit un sage « qu’il ne peut y avoir de bon temps à venir que celui qui ressemblera au bon temps passé. » Au lieu de se convaincre on s’égorgea tout de suite, les théoriciens siégeant à Paris, loin des combats, n’admettant pas qu’on discutât leurs oracles. De là tout le malheur. Quels apôtres dépêchèrent-ils dans l’Ouest pour porter le nouvel Évangile ? Des Billaud-Varenne, des Le Carpentier, des Carrier, avec comme seuls arguments l’échafaud, la fusillade et la noyade ; des satrapes frénétiques et débauchés, tels que Bourdon qui, pris de vin, toujours en fureur, veut, certain jour, « faire arrêter comme conspirateur un cheval emporté qui passe au galop sous ses fenêtres[74] ». À ces populations austères et pieuses « l’exécrable Convention qui a tout gâté[75] », expédie comme échantillons de ses missionnaires, de solennels Mascarilles qui prônent l’irréligion, profanent les vases sacrés, souillent les autels au nom de la République. Ses généraux sont Sépher, cet ancien suisse de Saint-Eustache qui a jeté la hallebarde aux orties[76], Grammont, comme Boursault, ex-comédien ; un ci-devant danseur à l’Opéra, Muller[77] ; un ex-hercule de foires, Turreau, qu’on avait vu, assure Danican, sur les marchés, soulever une table entre ses dents[78] ; un curé défroqué, Carpentier[79] ; un ridicule matamore, Santerre ; un garçon orfèvre, Rossignol, « le fils aîné du Comité de Salut public », proclamant lui-même « qu’il n’est pas f… de commander une armée[80] ». Ces états-majors font bombance, ripaillent insolemment, exhibent des filles… on a vu le général Ronsin, — autre baladin, — « dans un char fastueux, escorté par cinquante hussards, assis en compagnie de quatre courtisanes[81]. » Alors les paysans bretons et vendéens comparent : leurs chefs à eux sont La Rouerie, Lescure, Bonchamp, La Rochejacquelein, Boisguy, Boishardy, dont leurs pères ont connu et vénéré les pères ; ils sont avec eux en communion de croyances et de traditions ; comment auraient-ils hésité quand il fallut choisir ?

Depuis l’arrivée de Hoche en Bretagne, les scandaleuses mascarades avaient pris fin ; il imposait à ses subordonnés la discipline et, de cette nouveauté, naissait une sorte d’accalmie entre soldats et chouans ; mais ceux-ci gardaient méfiance aux conventionnels, trop prodigues de harangues insidieuses, de proclamations hypocrites, d’arrêtés incohérents et de mesures contradictoires. Comment Boursault, par exemple, ose-t-il parler de concorde quand, six semaines auparavant[82], il a promis 3 000 livres de récompense à qui livrera morts ou vifs Boishardy ou d’autres chefs bretons ? Aussi, quand est promulgué le décret d’amnistie voté par la Convention, les Bretons soupçonnent un nouveau piège[83] et Boishardy va témoigner avec éclat de leur mépris pour de si fallacieuses promesses.

Le décret est affiché à Rennes le 14 décembre : le 15, au jour tombant, un mot d’ordre chuchoté se répand dans les villages et les métairies de la région de Bréhand et de Quessoy. À neuf heures du soir, au fond des chemins creux, des petits groupes d’hommes armés circulent silencieusement ; à mesure qu’ils avancent d’autres détachements les rejoignent, émergeant sans bruit de l’ombre ; un personnage singulier préside à ce rassemblement : c’est un des lieutenants de Boishardy, un Anglais, dit-on ; on ne lui connaît d’autre nom que Pipi ; il est vêtu d’un habit bleu et il porte à son chapeau une plume blanche[84]. Bientôt sa troupe débouche sur le chemin qui va de Moncontour à Dinan ; elle est au complet : quatre à cinq cents hommes. On marchera toute la nuit ; vers l’aube, on fait halte ; on est aux abords de Jugon, bourg important, fameux dans l’histoire de Bretagne. À huit heures du matin le signal est donné ; subitement la petite ville est envahie : d’abord une longue file, rasant les murs, avançant vite ; des postes sont établis sur chacune des routes, un autre chez le maire ; le gros de la troupe est déjà massé sur la place, autour de l’arbre de la Liberté qu’on voit bientôt vaciller et s’abattre, scié au pied. De grands cris : Vive le Roi ! Vive la religion et les bons prêtres ! Les Jugonnais, saisis au saut du lit par cette irruption inopinée, sortent de leurs maisons, surpris, non effrayés ; ils s’approchent, entourent Boishardy que distingue son panache blanc. Très accueillant, très gai, très familier, plein d’entrain, il accorde des laissez-passer à tous ceux qui le sollicitent[85]. Il raconte qu’il aurait pu, récemment, tuer ou enlever Boursault, aventuré dans ses cantonnements : — « C’est un bon bougre, qu’il aille se faire f… ! » Il signe un passeport à un bouvier qui conduit des bestiaux à Lorient pour le ravitaillement de l’armée : — « Va-t-en ; je ne veux pas des bœufs destinés à ces pauvres bougres de républicains qui crèvent de faim !… » Par contre, il autorise ses hommes à se partager le chargement de deux voitures d’équipements militaires. L’aumônier de la bande n’est pas moins fêté : on le voit distribuant des bénédictions, faisant baiser aux fidèles une petite croix de bois. Ce que l’on regarde aussi ce sont les chouans, — ces chouans de Boishardy dont on parlait tant sans les voir jamais : quelques-uns portent « l’uniforme national » ; déserteurs des Bleus, probablement ; d’autres ont l’ancienne tenue de l’infanterie royale, habit blanc à parements et à revers noirs ; la plupart sont en vestes de paysans. À tous les chapeaux la cocarde blanche. Ils sont armés de fusils simples ou à deux coups. Ils vont et viennent en grande animation, entrant dans les maisons, se faisant servir à manger, réquisitionnant les armes ; plusieurs, sans vergogne, se groupent autour de la fontaine et, comme le temps est beau, se déshabillent et se lavent. Un seul incident : vers midi, rassemblement. Boishardy avise un de ses hommes qu’attarde un lourd fardeau. Qu’y a-t-il là-dedans ? Sous ses yeux on ouvre le paquet : cinq couvertures de laine, une canne à pomme d’or, une épée à garde brillante. L’homme est fouillé ; dans sa poche une montre en or. C’est un pillard. Ordre de le fusiller sur-le-champ. On intercède ; on obtient sa grâce. Les objets volés sont renvoyés à leur propriétaire avec les excuses du « général » : — « Boishardy ne veut pas commander à des brigands. » À midi et demi toute la bande s’éloigne par la route de Dinan. On apprit le soir qu’elle avait fusillé, en passant à Lescouët « un ouvrier occupé à démolir l’église ; puis qu’elle traversa Plestan vers le petit jour, se dirigeant vers Bréhand[86]… Boishardy s’était promené durant trente-six heures avec une partie de ses légions ; il avait parcouru douze à quinze lieues de pays sans rencontrer une patrouille ni un poste de gardes nationaux ; il avait laissé les gens de Jugon « charmés de ses manières affables et avenantes » et disparu avec ses cinq cents hommes sans qu’on pût imaginer dans quel gouffre ils s’étaient engloutis. La réussite de ce coup d’audace, ripostant aux avances de la Convention, inspirait aux autorités locales des réflexions peu réjouissantes. Comment pacifier sans le concours d’un tel homme ? Comment entrer en pourparlers avec lui ?

La difficulté de l’entreprise tenta Hoche ; il était attiré, d’ailleurs, presque séduit, par ce mystérieux rival si malaisé à vaincre. Usant des pleins pouvoirs dont il était investi, il « se porta garant de l’indulgence nationale envers Boishardy et ses lieutenants » et publia que « s’ils se rendaient à lui, ils n’auraient rien à craindre pour leur tête. » À la prière de Hoche, Bollet et Boursault signèrent avec lui cette pressante invite à la soumission. Cette fois Boishardy ne pouvait s’abstenir de répondre : Boursault trouva dans son courrier cette fière réplique[87] :

— Vous voulez avoir Boishardy coûte que coûte. Vous nous avez accusés dans la chaire de Moncontour d’être des assassins et des dévastateurs. Vous ignoriez sans doute que vous nous deviez la vie. Oui, nous savions l’heure à laquelle vous deviez passer sur le grand chemin ; nous connaissions la force de votre escorte et nous avons retenu nos gens…

Il est temps de vous faire part de la sincérité de nos intentions… Ce n’est point lorsqu’on a fait la guerre de la Vendée, lorsque, depuis deux ans, on travaille avec constance à rassembler les sujets de Louis XVII au milieu de vos soldats, que la mort peut effrayer. Faites-nous envisager un gouvernement solide et fondé sur la justice, alors vous verrez ces prétendus brigands se déclarer en votre faveur et vous faire un rempart impénétrable aux vrais factieux.

Mais quelle foi voulez-vous qu’on fasse sur vos promesses ?… Vous nous reprochez des meurtres et des assassinats ! Mais lavez-vous auparavant de toutes les atrocités qui ont cruellement souillé vos armes dans la Vendée et qui, nous ne craignons pas de le dire, vous ont rendu l’exécration de ce peuple. On vous faisait des prisonniers ; et vous, non contents d’exercer vos fureurs sur les malheureux que le sort faisait tomber entre vos mains, vous brûliez encore les chaumières du paysan et assassiniez les femmes et les enfants… Nous vous parlons avec loyauté ; nous espérons de vous la même franchise. Décidez des sentiments avec lesquels vous voulez que nous soyons

Vos très humbles serviteurs.

À côté de Boishardy signaient ses lieutenants de Jouette et Solilhac.

Boursault riposta à cette verte apostrophe par quelques phrases boursouflées[88] que les chouans laissèrent sans réponse et la pacification aurait été une fois de plus compromise si Hoche, qui en sentait l’impérative urgence et voulait compter Boishardy au nombre de ses conquêtes, n’eût ordonné à son subordonné le général Humbert, commandant à Moncontour, d’entrer en relations avec le chef des rebelles.

Vingt-huit ans, brave, généreux, plein de fougue[89], Humbert était « le plus bel homme de l’armée ». Fils de pauvres gens, réduit, par défaut d’instruction, aux plus humbles métiers, — marchand de peaux de lapins, ouvrier en chapeaux, maquignon[90], — enrôlé en 1792 au 13e bataillon des volontaires des Vosges, son département d’origine[91], il savait à peine écrire quand, un an plus tard, il fut nommé colonel. En avril 1794 il était général. La lettre que, conformément aux ordres de Hoche, il adressa, tracée de sa main malhabile, à Boishardy, vaut d’être reproduite dans son incorrection originale :

Tu adeja reut une lettre du representant du peuple Bonem qui tengagent a rentry dans le sin de ta patry et la serrevire dans toutes autres sens que tu ne le fait aujourhuit tu doit connettre les intentions de la convention et celles des representant près cette armée à légar de ceu qui ont porreté les arme contre la République tu sais par conséquent quiles pardoné à tout ceux qui reviendron de bonne foi et qui promettront daitre fidelle et bien moi qui comande la deuxième division de cette arme je me (illisible) je donne ma parole honneur que (illisible) amène avec toi tous ceux qui peu aitre egarez venez ensemble jouire avec nous des bienfait d’une aussi belle revolution… accorde-moi une entreveu indique moi dans ta répons lheurre ou je pourait tevoirre seul ou avec un second tu enfera au tant et soies surre que jeme repose parfaitement surre ta parole que tu me donnera comme tu peu compte surre la mienne.

Humbert[92].

La lettre écrite, où l’envoyer ? Comment découvrir Boishardy ? Il se tient, bien certainement, dans le pays tout près, à Bréhand peut-être ; ne traverse-t-il pas souvent Moncontour même ? Mais, toujours insaisissable ; on n’apprend qu’il a été aperçu que lorsqu’il est déjà loin. Un sous-officier, le citoyen Poussepain[93], se charge de porter le billet d’Humbert. On lui a signalé, sur la route de Loudéac, « une maison isolée qui sert de point de correspondance aux chouans » ; la Mirlitantouille, bien probablement, ce cabaret posé au croisement des quatre chemins du Mené, avant la lande de Phanton. Poussepain se met en route, arrive, — au bout d’une heure de trajet, — à la maison de correspondance, s’informe, mais n’apprend rien. Il attend toute la journée ; nul ne passe en ce lieu désert. On est au ci-devant jour de Noël ; le pays, muet et sombre, semble mort. Le sous-officier se décide à rester là toute la nuit ; le lendemain, comme personne ne s’est présenté pour lui servir de guide, il laisse la lettre et revient à Moncontour[94].

Le jour suivant le cabaretier de la maison de correspondance fit savoir à Poussepain que, « dans la nuit du 26 au 27, un homme qu’il croit être Boishardy lui-même, est venu prendre la lettre et, l’ayant lue, a paru très satisfait, disant : — « Nous pourrons bien nous parler un de ces jours. » En effet, le 28, un avis écrit ou oral dut parvenir à Humbert dans la matinée, car on le vit, au début de l’après-midi, monter à cheval devant son quartier général. Toute la petite ville devinait qu’il se rendait auprès des chouans pour parlementer avec eux. Il sortait de la ville par la porte d’En Haut et s’engageait sur le chemin qui gravit les pentes de Mené. Il partait avec un seul aide de camp, sans un homme d’escorte, bravade d’autant plus élégante que, chez ce vaillant et naïf soldat, elle était pure de toute affectation. Ainsi la guerre fratricide finirait avec cette sanglante année 1794 qui avait marqué l’apogée de la Terreur ; le beau sang de France cesserait de couler sur la terre bretonne, grâce à cet enfant du peuple, parvenu par son seul courage aux grades éminents et qui semblait incarner les temps nouveaux.

Le rendez-vous était à la lande de Gausson, à l’extrémité des plateaux du Mené[95]. Humbert, — coiffé
du chapeau à plumes tricolores, le grand manteau sombre posé sur l’habit bleu à revers rouges, l’écharpe aux couleurs de la République tortillée en ceinture, — allait, montant vers Mirlitantouille, à travers ce pays de rebelles où, la veille encore, il n’aurait pas fait vingt pas sans recevoir un coup de fusil, mais qu’il parcourait aujourd’hui plus en sécurité qu’entouré de toute sa brigade, parce que telle était la consigne transmise, ce matin même, à ses chouans par M. de Boishardy.

II


Au delà du bourg de Gausson, au point où les premières futaies de la forêt de Lorges se dressent, cernant la plaine, un lieutenant de Boishardy[96] guette dans la lande. L’endroit est désert ; la maison la plus proche est une masure blottie contre la forêt[97]. Il est tombé de la neige et quand, en ces âpres lieux, les grands espaces sont givrés par l’hiver, les bois dépouillés qui ferment l’horizon semblent plus noirs et plus hostiles.

Humbert paraît, suivi de son aide de camp ; l’officier royaliste vient à eux, salue, se présente « dans les termes les plus honnêtes », prie les républicains de mettre pied à terre et d’avancer jusqu’à une portée de fusil : le chef est là, en pleins champs ; on causera plus librement. À une centaine de pas, en effet, Boishardy attend ; quand il voit Humbert s’approcher, il sort de sa ceinture son poignard qu’il lance dans les bruyères ; Humbert déboucle son ceinturon, jette son sabre et les deux jeunes gens désarmés vont l’un vers l’autre[98].

Le premier mot de Boishardy est pour déplorer le conflit qui divise les Français « et les oblige à s’entretuer »… Humbert répond que « sa démarche a pour but de ramener des compatriotes fourvoyés ; il vient à eux, les bras ouverts : repousseront-ils ses avances ? » Également émus, ils se considèrent : pour la première fois, depuis vingt mois, un bleu et un chouan se trouvent face à face ailleurs que dans l’acharnement du combat et déjà les voilà séduits tous les deux : même âge, même bravoure, même amour de la France, — et si différents pourtant. Le contraste de leur origine et de leur éducation ajoute encore à l’étonnement de leur sympathie subite : l’un, fruste de ton et de manières, habitué au tutoiement démocratique, ravalant de son mieux le mot citoyen qui lui monte aux lèvres à chaque réplique, et s’efforçant, par savoir-vivre, de ne jamais répondre sans un solennel Monsieurre Boyarredy[99] ; l’autre distingué, naturellement protocolaire, disant Général, et poliment inattentif aux pataquès de son interlocuteur. D’ailleurs tous deux soldats dans l’âme, ne parlent-ils pas la même langue ? La causerie, tout de suite, est familière, sans réticences ; Humbert s’informe : — « Combien avez-vous d’hommes ? — Aujourd’hui quatre cents, demain dix mille. — Parmi eux, beaucoup d’émigrés ? — Les émigrés ? Ce sont des lâches. Les chouans les méprisent et seraient les premiers à garder les côtes pour les empêcher de débarquer. — Qui donc informe si bien les royalistes des mouvements de l’armée républicaine ? — Ils ont des amis dans tous les corps constitués et reçoivent d’eux, outre des avis, les gazettes et le bulletin des lois. — Les chouans savent donc que la République est partout victorieuse ? — Ils le savent et ils s’en réjouissent ; la défaite de l’Autriche les a ravis d’aise. — Alors pourquoi ne pas se rallier au régime nouveau ? — Ils le feraient pour la tranquillité du pays si le gouvernement était plus stable et plus tolérant ; du reste ils ne sont pas les maîtres : leurs camarades ont horreur de la Révolution et ne pardonneraient pas la défection des chefs ; cependant le système d’humanité, adopté depuis quatre mois par la République est le plus sûr moyen d’apaiser les esprits[100]. »

Il est certain que l’entretien fut sans contrainte puisqu’il se prolongea jusqu’à la tombée du jour. Boishardy offrit l’hospitalité au républicain ; très satisfaits l’un de l’autre et déjà camarades, ils allèrent souper à Plémy et y passèrent la nuit dans l’un des refuges du proscrit[101]. Humbert reprit, au matin, le chemin de Moncontour. Dans l’après-midi du même jour les habitants de la petite ville assistèrent à ce spectacle extraordinaire : sept chouans armés, descendant du Mené, pénétrèrent dans le bourg et, marchant militairement, allèrent droit à la demeure du général ; ils apportaient à celui-ci, de la part de Boishardy, un compliment amical :

« Général, il ne faut entre nous que quelques instants pour apprécier l’avantage de nous connaître : c’est à ce titre que nous vous devons confiance, estime, amitié et que nous nous flattons de montrer les mêmes sentiments. Notre cause est celle de la France entière[102]

Un post-scriptum ajoutait, il est vrai que Boishardy attendrait, pour traiter, « un gouvernement que de vrais Français sont en droit d’exiger » ; mais deux bouteilles de vin de Malaga accompagnaient cet élégant billet et amortissaient le fâcheux effet de la restriction. Alors advint cette chose inouïe : leur commission faite, les sept chouans de Boishardy entrèrent se réchauffer au poste des soldats de garde ; on vit les faces brunes et maigres des grenadiers de la République, — si farouches sous le tricorne roussi, coiffé de travers, et le balai de crin rouge épanoui en panache, — s’éclairer d’un bon rire pour faire accueil aux « brigands » figures rasées, bouches minces, regards aux aguets ; on vit les peaux de bique et les habits bleus se coudoyant sur les mêmes bancs et, dans la fumée des pipes fraternellement allumées, cocardes blanches et cocardes tricolores voisinant pacifiquement[103]. Ceux qui ont discerné en cette belle histoire la ruse de deux ennemis s’embrassant pour gagner le temps de s’égorger d’un coup plus sûr, ignorent à quelles illusions se complaisent la franchise sans détour et la cordialité native des Français de tous les temps.

L’heureuse nouvelle fusa dans le pays avec l’instantanéité d’une détonation et causa une joie délirante : à la pente de tous les talus on voyait écrit dans la neige le nom de Boishardy[104]. Puis, ainsi qu’il arrive dans les grands mouvements d’émotion populaire, sourdirent les faux bruits : on raconta que le chef royaliste « s’était rendu » ; suivant d’autres « les Bleus l’avaient amené de force à Moncontour[105]. » De fait il y parut, mais volontairement, pour offrir le 12 nivose, en son vieux manoir de Bréhand, un souper au général Humbert et à trois de ses officiers ; on répudiait ainsi le calendrier républicain : le 12 nivose de l’an III coïncidait en effet avec le 1er janvier 1795 et l’on but ensemble à la nouvelle année[106]. On trinqua aussi entre bleus et chouans aux corps de garde, dans les cabarets et il en fut de même en bien des endroits. Le 6 janvier, ci-devant jour des Rois, des officiers de la république, voire des députés à la Convention, choquèrent leurs verres à « la santé » de la pacification naissante[107].

À ce moment, Cormatin parut. Depuis son débarquement, en septembre, très embarrassé de sa promotion imprévue, il s’était tenu discrètement à l’écart. Peut-être ne prenait-il pas au sérieux son aventure, à proprement parler invraisemblable. Puisaye, ayant enfin obtenu des frères de Louis XVI la ratification de tous ses actes et la confirmation des grades fantaisistes qu’il s’était attribués[108], avait aussitôt, de Londres, nommé Cormatin maréchal de camp, major général de l’armée catholique et royale et, par surcroît, chevalier de Saint-Louis ; celui-ci, bien convaincu maintenant qu’il ne rêvait pas, dut chercher longtemps par quel coup d’éclat il justifierait un si mirobolant avancement. Et puis il lui fallut le temps de se pourvoir d’une garde-robe appropriée à sa dignité. À présent que la détente s’accentuait, il jugea enfin sonnée l’heure de se produire et, dès le 30 décembre, il accourait au quartier général de Boishardy[109]. Le lendemain il voyait Humbert, l’éblouissait par sa faconde intarissable, traçait, sans désemparer, de sa plume facile, les termes d’un armistice qui commencerait le 3 janvier et se prolongerait jusqu’à nouvelles conventions[110], et se décidait à parcourir les provinces insurgées pour rallier à la pacification tous les chefs royalistes. Il passera dans le Maine et dans l’Anjou, poussera jusqu’en Vendée, ira trouver Charette dans le Bocage… Ce rôle impromptu qu’il s’adjuge, il le jouera désormais, — c’est justice de le reconnaître, — avec une ardeur, une ténacité, un aplomb, une adresse même parfaitement méritoires. Il lui faut l’agrément des Conventionnels, et le voilà, traînant Humbert qu’il fascine, courant à la recherche de Bollet ; il le découvre à Saint-Brieuc, obtient de lui les laissez-passer nécessaires et l’autorisation d’emmener Humbert dans la tournée qu’il prépare. De Saint-Brieuc il roule vers Rennes, toujours accompagné du général républicain, et, dans la matinée du 11 janvier, il se présente au quartier général de Hoche ; il est reçu, grâce à Humbert, car il importe de noter que le nom de Cormatin est encore tout à fait ignoré des généraux de la République, des représentants du peuple et de la presque totalité des royalistes.

Hoche écouta Cormatin qui parla durant cinq heures, — éloquemment, sans doute, et même avec émotion ; quand il en vint à exposer son désir de mettre fin à la guerre civile, il y mit tant d’impétuosité que ses yeux se remplirent de larmes[111]. Bref, le jeune général en chef accorda son approbation. Cormatin et Humbert partent : à Vitré, à Laval, à Angers, à Ancenis, à Nantes, ils répandent des proclamations, se mettent en rapport avec les chefs de bandes royalistes ; propagande trop rapide et souvent peu comprise : pour mieux impressionner les populations, Cormatin a soigné sa tenue : suivant l’occasion il ne néglige ni les bottes à revers, ni les plumes, ni les éperons, ni l’écharpe, ni le sabre, accessoires indispensables de son grade éminent ; ou bien, pour se donner l’allure d’un vrai chouan, il porte la veste de drap gris de fer à revers noirs, le Sacré Cœur sur la poitrine, le chapelet passé à la boutonnière, un gilet de drap vert et de larges culottes à bandes de velours[112]. S’il plaît généralement aux femmes, il étonne plutôt les rudes gas qui, depuis deux ans, se battent « pour leur Dieu et pour leur Roi », effarés d’entendre cet inconnu, loquace comme un personnage de théâtre, assisté d’un général bleu, muet comme un figurant, les exhorter à déposer les armes et à rentrer paisiblement chez eux. — Les églises sont-elles rouvertes ? — Louis XVII est-il aux Tuileries ?… On est troublé, on soupçonne quelque piège, et Cormatin, sur son passage, fait moins de prosélytes que de mécontents.

Il y en a dans les deux camps : les fonctionnaires de tous rangs, les spéculateurs enrichis par l’acquisition de biens nationaux, les « patauds » qui, par peur ou fanatisme, se sont compromis dans la Terreur récente et répugnent à l’apaisement, prélude certain d’imminentes représailles. Les royalistes, particulièrement ceux qui, au cours de la chouannerie, ont conquis un grade, purement nominal, qu’on ne leur a pas marchandé ; ceux aussi que la révolution a spoliés, ne renonceront pas à la lutte, si désintéressés soient-ils, avant d’être assurés d’un dédommagement proportionné à leurs sacrifices. C’est pourquoi Cormatin dépense en pure perte son éloquence. Que vient-il prêcher la paix cet homme qui n’a rien perdu et qu’on n’a vu combattre nulle part ? En vain pour se parer d’un opportun vernis de chouannerie, s’est-il affublé de deux surnoms, à la manière des batteurs de landes : le premier est Théobald ; le second Obéissant, sobriquet mal justifié, car tandis que de l’autre côté du Détroit, Puisaye prépare la guerre à outrance, arme des flottes, enrôle des régiments, embarque des équipements, des boulets, des canons, de la poudre, des balles et des fusils par milliers, lui, Cormatin, contremine ce chef qu’il remplace temporairement et s’érige en missionnaire de concorde et de réconciliation.

Au nombre des démocrates farouches qu’inquiètent ces tentatives d’apaisement, compte Besné, l’accusateur public du tribunal criminel des Côtes-du-Nord. Il suit les événements avec une tristesse indignée : la Convention, à son avis, se déconsidère : n’a-t-elle point pardonné aux brigands ? Ne va-t-elle pas se montrer miséricordieuse envers les prêtres insermentés ? Il en détient deux dans sa prison du chef-lieu, et le représentant Bollet estime qu’il serait politique de « les oublier ». Ne voilà-t-il pas que ces criminels vont bénéficier de l’amnistie ! Pas d’indulgence ! Besné désapprouve la mollesse des députés en mission ; pour sa part, rien ne le fléchira. Son devoir est de juger sans délai et selon la rigueur des lois les ecclésiastiques réfractaires et il n’y faillira pas[113]. Une admonestation sévère du Comité de Législation et la menace de perdre sa place calment tout de même son zèle intempestif[114]. Il s’incline, mais « il s’ouvre de ses inquiétudes au Comité » : La République est « sans énergie » ; un scélérat, nommé Boishardy, « se disant chef de division de l’armée catholique et royale… ose prétendre capituler avec elle ! » — « Je crois, citoyens, qu’elle peut traiter avec les puissances ennemies quand sa gloire et son intérêt n’en souffriront point… Mais un traître doit être puni avec les conspirateurs qu’il s’est associés pour multiplier ses forfaits. » Et Besné, amèrement, termine : « — Je supprime mille réflexions… » C’est cela surtout qu’il ne supporte pas : ce Boishardy, dont il a naguère obtenu la tête, soupe à présent avec les généraux de la République ; il a repris possession de son château, vendu cependant « nationalement » ; il y reçoit des royalistes avérés et devant ce scandale la justice a les bras liés ! Mais Besné guette et ne perd pas l’espoir d’une revanche contre ce contumace qui s’est insolemment soustrait à l’échafaud.

Boishardy, en effet, depuis ses entrevues avec Humbert, était rentré dans son petit manoir de Bréhand, soit qu’une entente avec l’adjudicataire de ses biens lui en eût rendu la jouissance, soit que l’acquéreur, pris de panique à la tournure des événements, eût délibérément cédé la place. Le jeune chef royaliste vivait en quotidiennes relations avec sa jolie voisine, Joséphine de Kercadio, dont la mère était gardée en surveillance à Lamballe, et qui habitait la maison de la Ville-Louët, distante d’une demi-lieue à peine du château de Boishardy. Mademoiselle de Kercadio avait à son service une fille de chambre, Marie-Anne Le Roy et un jardinier, homme de confiance, Jean Le Mée : mais elle passait la plupart de ses journées au Boishardy où l’existence était plus animée et plus distrayante que dans la solitude de la Ville-Louët. Malgré la suspension d’armes, le château de Boishardy gardait, en effet, l’animation d’un quartier général : une assez forte garnison, composée de chouans et de déserteurs, cantonnait dans les dépendances, et il était rare que le châtelain ne reçût nombreuse compagnie. D’abord il logeait habituellement chez lui ses aides de camp, de Jouette, Chabron de Solilhac, le chevalier de Chantreau de la Jouberdière et d’autres, tous jeunes, aventureux et gais compagnons ; en outre les émigrés qui débarquaient de Jersey et faisaient route vers le Morbihan, ne manquaient pas de s’arrêter au Boishardy, poste important de la ligne de correspondance et devenu l’un des principaux centres de la conjuration bretonne. Ces arrivants apportaient les nouvelles de l’émigration, les bruits de Londres et surtout des faux assignats qui, eux, parvenaient en masse, par ballots, par caisses, par tonneaux[115]. Toute expédition de munitions ou d’équipements était accompagnée d’un gros paquet de ce papier-monnaie ; dans une lettre saisie sur un émissaire débarqué à la côte, lettre qui se retrouve, déchirée en deux morceaux, aux Archives de la Guerre, on lit : — « Vous recevrez dix millions cette fois et, à chaque occasion, encore davantage…  » La manufacture de Puisaye travaillait à plein rendement. On ne manquait donc de rien au Boishardy en ce début de 1795 ; on y menait joyeuse vie. Besné, qui se méfiait de quelque chose, écrivait : — « Les domestiques de la Kercadio viennent à Saint-Brieuc vider les boutiques… » Les proscrits qui, depuis des mois ou des années n’avaient pas vécu en France, trouvaient une agréable étape en ce logis breton, placé sous la sauvegarde de toutes les autorités de la République et qu’égayait la présence de la charmante hôtesse de Boishardy.

L’aimait-elle ? Ardente royaliste, brave, aventureuse, d’esprit romanesque, il est hors de doute qu’elle considérait comme un héros ce maître adoré de tout le pays et dont le prestige s’augmentait, aux yeux de la jeune fille, des dangers sans nombre qu’il avait bravés. Mêlée à sa vie de hasards, elle savait les dévouements qu’il suscitait et elle se rappelait aussi que, toute fillette, il l’avait prise sous sa protection. De l’enthousiasme à l’amour la distance est courte. D’ailleurs on possède, tracé de la main même de mademoiselle de Kercadio, l’aveu sans détour de ses sentiments : c’est un billet d’elle, adressé à Boishardy et qui fut découvert en des circonstances dont on lira bientôt le récit :

Est-il possible, mon cher petit époux, que je sois assez malheureuse pour être loin de toi, de toi qui fais tout mon bonheur. De quelque manière que les choses se tournent, je veux être avec toi. Oh ! si tu m’aimais autant que je t’adore, il n’y aurait jamais eu de couple si heureux que nous, car tous les malheurs qui pourraient m’arriver me seraient indifférents pourvu que je te sache bien portant et que tu aimes celle qui n’est heureuse qu’avec toi. Si tu changeais de sentiments à mon égard, je crois que je serais assez courageuse pour m’ôter une vie qui m’est importune loin de toi, les fois que tu m’as dit que tu n’avais pas un instant pour m’écrire. Oh ! quand on aime comme moi, on trouve toujours un instant pour dire à sa femme qu’on l’aime. Quand tu sacrifierais un demi-quart d’heure par semaine à la pauvre Fifine qui croit que ça ne devrait pas trop te coûter[116].

On a tiré argument de ce tendre billet pour décider que Joséphine de Kercadio avait été la maîtresse, voire l’épouse de Boishardy. Il apparaît, au contraire, que c’est là style de très jeune fille s’épanchant avec l’exubérance de la naïveté. On peut croire que mademoiselle de Kercadio et Boishardy s’étaient fiancés ; qu’ils se traitaient préventivement, en leurs badinages amoureux, de mari et de femme, d’où cette expression qui vient sous la plume de la pauvre Fine parce qu’elle en conçoit une grande fierté. Telle était la réalité, en dépit des suppositions malveillantes et des médisances : Boishardy allait épouser son amie et le trousseau était commandé chez la veuve Saint-Marc, à Rennes. Trousseau d’une richesse et d’une élégance mal adaptées à la vie errante dans les bruyères du Mené ou les forêts du Penthièvre : — « 16 aunes de moëre de soie chinée et satinée pour robe et jupe ; — 6 aunes de pékin blanc satiné pour une seconde jupe ; » — la robe de mariage, sans doute — « 5 aunes de taffetas blanc pour jupe de dessous ; — un pierrot de batiste brodé en couleurs ; — un manchon d’ourson doré ; » et des gants de peau rose brodés ou peints, et des gants chamois, et d’autres « amadis » ; et puis encore six pots de pommade fine à odeur ; six livres de poudre parfumée ; 25 livres de poudre ordinaire… Pour Boishardy : 5 aunes de drap de Louviers de différentes teintes pour trois habits ; — un gilet de casimir brodé de guirlandes de roses avec revers à trois pointes ; — un autre à bouquets détachés ; un autre écarlate, brodé en guirlande ; des parures de boutons d’acier, des boucles, des jarretières[117]. Il y en avait, en tout, pour 2.500 livres en numéraire, — près de 10.000 livres en assignats.

Quand, le 12 janvier, l’avis parvint au Boishardy que les caisses contenant ces merveilles étaient arrivées chez la citoyenne Le Landais, à Saint-Brieuc, mademoiselle de Kercadio envoya sa femme de chambre, Marie-Anne Leroy, et son jardinier Le Mée pour en prendre livraison ; ils étaient munis d’un gros paquet d’assignats tout neufs, si neufs que la commerçante eut méfiance et, avant de donner quittance, les porta chez le receveur du district afin qu’il les vérifiât. Les assignats étaient faux ! La femme de chambre et le jardinier sont conduits au bureau municipal où Besné, triomphant, les interroge : il apprend que les marchandises « sont destinées aux noces de la fille Kercadio » ; c’est elle qui a remis à ses domestiques la somme en papier-monnaie nécessaire au paiement. Besné fait emprisonner le jardinier et la servante et court enfermer les assignats dans le tiroir de son bureau au Palais de Justice. Même il prend la précaution : — « car je vois à tout », écrit-il, — de placer pour la nuit deux sentinelles à la porte de son cabinet ; il craint que Boishardy, dont il connaît par expérience le caractère entreprenant, ne lui ravisse cette redoutable pièce à conviction. Maintenant Besné tient sa revanche : la loi punit de mort le propagateur de faux assignats : il n’a pas eu la tête de Boishardy ; il aura celle de « la Kercadio ».

La lutte fut épique : le 13 janvier, dès sept heures du matin, cent hommes du 60e régiment d’infanterie quittent Lamballe sous le commandement du citoyen Dubreuil, assisté de deux délégués du comité de surveillance munis d’un ordre de perquisition. On arrive à la Ville-Louët vers neuf heures ; la maison est cernée ; la demoiselle Kercadio s’enfuit dans le jardin ; les soldats la saisissent et arrêtent aussi un homme qui se sauve dans un champ voisin : on le somme de décliner ses noms et qualités : il sort de sa poche un sauf-conduit : — « Laissez passer librement le citoyen Chantreau, voyageant pour ses affaires. Signé Humbert, général de brigade. » Il n’y a qu’à s’incliner ; quant à la citoyenne Kercadio, on l’invite à présenter ses poches et à ouvrir ses armoires ; elle obéit, frémissante : on trouve sur elle une liasse d’assignats qu’on enveloppe et qu’on cachette ; mais elle refuse d’apposer sur ce paquet sa signature. Dans un placard on découvre un brevet portant un cachet à écu fleurdelisé, surmonté de la couronne royale et supporté par deux chats-huants : les commissaires s’en emparent ; mais la jeune fille le leur arrache des mains et le déchire[118]. On va la conduire à Lamballe ; elle déclare qu’elle n’ira pas ; si on la laisse libre, peut-être consentira-t-elle à s’y rendre le lendemain, mais de son propre mouvement. Les commissaires n’osent employer la violence et se retirent. Comme ils sont en route pour regagner la ville avec la troupe, Boishardy surgit d’un fourré, interpelle le commandant Dubreuil, proteste vertement contre cette audacieuse infraction à la convention du 3 janvier et menace de déposer plainte. Sévir contre mademoiselle de Kercadio c’est rompre la trêve et, dans ce cas, on peut « s’attendre à des surprises » ; il n’a pas licencié ses hommes et il est résolu à livrer bataille si la troupe reparaît à la Ville-Louët pour mettre la jeune fille en arrestation[119]. Il adresse le lendemain semblable ultimatum aux administrateurs du département, non cependant sans proposer d’effectuer en assignats vérifiés le paiement des marchandises en dépôt chez la citoyenne Le Landais. C’est, sans doute, cette transaction qu’adoptèrent les magistrats briochains, car les domestiques inculpés bénéficièrent d’un verdict d’acquittement[120].

Mais le duel se poursuivait entre Boishardy et Besné, et celui-ci ne désarmait pas. Il avait adressé un rapport de l’affaire au Comité de Sûreté Générale, concluant que « la Kercadio était justiciable du tribunal révolutionnaire de Paris ». — Je ne compte pas avec la loi, écrivait-il, et celle de 23 août 1793 est impérieuse… On m’assassinerait, plutôt que j’entrave l’action nécessaire de la justice[121]. » Boishardy, voyant le danger, réclama la médiation d’Humbert, qui intervint[122] et s’attira une lapidaire réplique du spartiate Besné : — « Humbert, ta loyauté a été trompée ; tu ne sais pas tout et je regrette de ne pouvoir rien faire qui te soit agréable. Les ministres de la loi ne transigent pas avec ceux qui la violent… J’ai juré d’être fidèle à ma patrie et je tiens mon serment. Salut et fraternité[123]. » On le fit taire pourtant. Par quel moyen ? Bollet, peut-être, le calma, à moins que Boishardy en personne se fût décidé à employer des arguments lénitifs. Même avec l’austérité républicaine de Besné, — la suite de ce récit le montrera, — il était « des accommodements ».

Cependant Cormatin, continuant sa propagande pacificatrice, débarquait à Nantes le 19 janvier, convoyant toujours le docile Humbert. Le major général des armées catholiques et royales de Bretagne se trouvait là sur un grand théâtre : une douzaine de représentants du peuple étaient rassemblés au chef-lieu de la Loire-Inférieure ; Hoche y venait d’arriver la veille ; il s’agissait d’amener Charette, qui tenait la Vendée, à traiter avec la République. Cormatin se fait fort de l’y décider ; il se présente aux conventionnels qui paraissent plus étonnés que séduits par la suffisance de cet inconnu : il leur donne lecture d’un emphatique factum de sa composition : Paroles de Paix, et réclame l’honneur de porter au chef vendéen les propositions du gouvernement, s’engageant, au nom de tous les royalistes de la rive droite de la Loire, — qu’il commande, — à ratifier les conditions qu’acceptera Charette. On l’éconduit ; mais quand vingt jours plus tard, Charette s’installe avec ses lieutenants au petit château de La Jaunais, près de Nantes, pour s’y rencontrer avec les délégués de la Convention, Cormatin est là, siégeant parmi les chefs royalistes. Plusieurs de ceux qui participèrent à ces entrevues fameuses ont laissé des notes ou écrit des mémoires : aucun ne semble avoir pris Cormatin au sérieux ; pourtant il se dépense sans ménagement ; il est, de tous, le plus ardent avocat de la paix ; il exhorte les indécis, tente de convaincre les opposants, poussant ses instances jusqu’à l’indiscrétion, s’exposant même à des camouflets qu’il endure sans fierté excessive[124]. Et quand, le traité enfin signé, Charette fait dans Nantes son entrée triomphale, à cheval aux côtés des généraux de la République et suivi de son état major chevauchant parmi les officiers bleus, Cormatin est encore de la fête, de toutes les fêtes, jouissant vaniteusement de cette pacification qu’il croit son œuvre, sans songer certainement au quiproquo tragique dont seront victimes tant de braves gens persuadés qu’il est le fidèle porte-parole de Puisaye, et ne pouvant se douter que celui-ci, bien loin de préconiser la réconciliation, poursuit ardemment sa politique belliqueuse.

C’était à Cormatin maintenant d’entrer en scène et d’assumer le premier rôle : il s’était engagé, on l’a vu, à obtenir de tous les chefs royalistes de Bretagne, du Maine, de la Normandie et de l’Anjou l’assentiment du traité signé par Charette. Or, la tâche se présentait rude. Bon nombre de ces chefs ne connaissaient pas Cormatin, même de nom ; la plupart étaient bien résolus à ne pas déposer les armes et aucun n’avait autorisé quiconque à parler en son nom. Ceci n’effrayait pas l’insouciant major général : il était de ces hommes pour qui la confiance en leur propre aplomb tient lieu de méthode et il imaginait que, en déclarant la pacification irrévocable, il obtiendrait de tous l’adhésion au fait accompli. Il serait toujours temps de s’expliquer par la suite. Tel était son programme qui présentait l’avantage de le dispenser de toute démarche préventive. Il vint donc s’installer à Rennes, capitale qu’il avait élue pour y réunir tous les chefs de la Chouannerie en une conférence dont l’éclat effacerait le souvenir de La Jaunais. De là il voisinait avec le quartier général de Boishardy, où il ne comptait que des approbateurs et où « sa politique » n’était pas discutée.

Séjour peu banal, la résidence de Boishardy dans ces premiers mois de 1795. Ce nid de chouans, si longtemps occulte et ténébreux, se trémoussait, au grand jour de la trêve, avec une désinvolture presque insolente. On y vivait comme des vainqueurs en pays conquis et ce fut une heure joyeuse : paysans royalistes et soldats de la République fraternisaient bruyamment. — « Moncontour, Loudéac et Lamballe retentissent des cris de Vivent la Constitution, l’Union et la Paix !  » écrit Hoche[125] ; à Boishardy et à ses lieutenants il adresse ce billet presque tendre : — « Venez, messieurs, venez voir ce que sont les officiers français républicains. Ils vous tendent les bras en hommes qui brûlent de vous embrasser comme des frères et comme des amis[126]. » Seuls les jacobins non repentis, les fonctionnaires, les détenteurs de biens d’émigrés, ceux que l’on nomme « les Terroristes », montrent triste mine : leur bon temps est périmé ; ils jugent prudent de se terrer à leur tour et de se taire : — « Sur trente-cinq municipalités du district de Loudéac, il n’y en a plus qu’un très petit nombre qui correspondent encore avec l’administration[127] » ; c’est aux chefs chouans qu’on s’adresse ; c’est à eux qu’est passée l’influence : — « Sous prétexte de l’amnistie et d’une prétendue suspension d’armes, Boishardy donne des lois dans les districts de Saint-Brieuc, de Lamballe et de Broons[128]. » De fait, on croirait que son manoir de Boishardy est devenu le centre de l’Administration départementale : c’est un défilé constant de visiteurs : émigrés arrivant d’Angleterre et officiers de la République y festoient, s’y rencontrent journellement. Dans les dépendances du château est logée la petite garnison de chouans composant la garde du chef, une centaine de fidèles, uniformément vêtus « d’une veste grise à parements noirs[129] ». Ceux-là aussi se félicitent de leur sort : un belge, déserteur des troupes autrichiennes, enrôlé dans cette troupe d’élite, déclarera plus tard que, dès les premiers mois de 1795, « il n’a rien fait d’autre que de boire et manger et qu’il n’a jamais eu d’armes[130] ».

Plus réjouis encore de rencontrer sur leur route cette oasis sont les malheureux émigrés que Prigent débarque sur la plage d’Erquy ou sur celles du Clos-Poulet. Ils sont exclus de la pacification, d’avance condamnés à mort s’ils paraissent en France. Le moment d’aborder au rivage est si angoissant que les premiers mois de 1795, « il n’a rien fait d’autre écrites par quelques-uns de ces proscrits sont unanimes sur l’effroi que tous éprouvent à affronter, de nuit, les lignes de sentinelles, les chiens dressés par les gardes-côtes pour les chasses aux «  ci-devant », la traîtrise des embûches tendues dans l’ombre à toutes les passées praticables. Ces premiers obstacles par miracle franchis, il faut gagner une maison de refuge, souvent difficile à repérer pour qui ne connaît pas le pays et n’ose demander son chemin ; il faut encore garder présent à l’esprit le mot de passe qui change fréquemment et fixer dans sa mémoire des consignes telles que celles-ci : — « Tu diras en frappant à la porte : Pierre et on te répondra du dedans : Étienne. Ceci n’est que pour la première fois ; au second voyage ce sera Granville pour toi et Dinan pour ceux de la maison ; pour le troisième voyage tu diras François, on te répondra Saint-Louis[131]… » Quand on s’engage enfin sur la route de correspondance, le trajet est facilité, il est vrai, par les guides, les conseils, les réconforts de tout genre ; mais que de risques encore et de fatigues ! La marche de nuit par les landes et les bois ; les longues journées sous la paille d’un grenier ou dans une cache étroite ; les déguisements, les rencontres inquiétantes… C’est à travers de telles aventures que, en février 1795, parviennent au Boishardy Frotté, Bellefonds, d’Urville, Tinteniac, un habitué, presque un amoureux de ces audacieuses expéditions, et le chevalier d’Andigné qui, pour la première fois, venant d’Angleterre, débarque en Bretagne.

D’Andigné arrivait ne sachant rien des récents événements et bien décidé à s’enrôler dans quelque bande pour y faire le coup de feu. Sa stupéfaction fut grande lorsque, entrant dans le salon de Boishardy, il y aperçut, parmi les chefs royalistes assemblés, un général républicain installé là comme chez lui. C’était Humbert, qui ne quittait plus le manoir de Bréhand et s’y trouvait bien. On comprend aisément l’émoi d’un émigré à rencontrer face à face un de ces impitoyables ennemis qui, la veille encore, l’auraient fusillé sans pitié. D’Andigné jugea, d’ailleurs, celui-ci « assez bon diable » ; Humbert se mêlait familièrement aux conversations de ses hôtes, leur empruntait de l’argent, qu’il oubliait de leur rendre, la République le laissant très dénué : « il jouait aussi et ne payait pas quand il perdait[132] ». Il s’était manifestement attaché à ces gentilshommes avec lesquels il habitait ; le reste de poudre dont se paraient leurs manières n’effarouchait pas sa rusticité, non plus que ses façons et son ton plébéïens ne choquaient leur élégance native. À se trouver réunis, sans distinction de drapeaux, ces jeunes Français appréciaient d’autant plus la vie qu’ils se savaient prêts à la sacrifier pour leurs convictions et ils ne la gâtaient point par d’acrimonieuses et vaines rancunes de partis. On s’attablait ensemble avec autant d’entrain qu’on avait combattu ; on riait, on chantait au dessert, on s’attardait en longues parties de cartes. À voir, dans le vestibule de ce château breton, les chapeaux à plumes tricolores accrochés pêle-mêle avec les feutres à panaches blancs, ou les chouans de Boishardy présenter l’arme au général républicain quand il sortait sur le pas de la porte pour fumer sa pipe, un étranger aurait jugé sévèrement cette accommodante insouciance entre adversaires réputés irréconciliables. Certains épisodes de notre histoire demeurent inintelligibles à qui n’est pas de chez nous.

Un autre attrait de ces réunions était la présence de mademoiselle de Kercadio. La jeune fille « ne quittait jamais Boishardy » ; aimable, élégante, valeureuse, — charmante dans sa très petite taille, avec ses traits fins, ses cheveux châtains, ses yeux bruns, — grisée peut-être par l’étrangeté de sa situation, cette maîtresse de maison qui n’avait pas seize ans[133], étonnait un peu les nouveaux arrivants mal informés de son histoire et des raisons de son isolement. D’Andigné s’en offusqua ; tout frais débarqué d’Angleterre, il est naturel qu’il se trouvât dérouté par le spectacle de cette chouannerie pacifique et galante si différente de ce qu’il avait imaginé. Il estimait scandaleux qu’un chef royaliste affichât ainsi « sa maîtresse » ; il tranche de ce mot une question délicate que bien des chroniqueurs ont discutée, sans qu’aucun document précis ne permette, bien entendu, d’authentiquer leurs suppositions. Boishardy présentait à tous mademoiselle de Kercadio comme « sa fiancée », et c’est à quoi l’Histoire a le devoir de s’arrêter[134]. En pareille matière, a dit un homme d’esprit, « ceux qui parlent ne savent pas, ceux qui savent ne parlent pas ». Pourquoi, à défaut de témoignages probants, décisifs, ternir d’un soupçon probablement injustifié, la touchante idylle de ces amoureux acheminés vers de cruelles catastrophes ?

Un lien de famille unissait cette gracieuse enfant au chevalier de Tinténiac ; — il l’appelait : ma cousine[135]. Or, on n’aperçoit pas que ce scrupuleux Breton eût désapprouvé ni l’intimité de sa parente avec Boishardy, ni l’affectation de celui-ci à la produire dans toutes les assemblées locales. Car le pays était en liesse ; les Bleus fêtaient les chouans qui leur rendaient la politesse et cette heureuse fusion, après tant et tant de désunions et de luttes, apparaissait si belle qu’on n’osait croire à sa réalité. Une de ces fêtes fut célébrée à Moncontour ; d’Andigné, qui s’y rendit, croyait rêver : il passa une partie de la nuit « au milieu des Républicains » et quand, le matin, il ouvrit sa fenêtre après quelques heures de sommeil, « la vue des troupes d’Humbert qui couvraient la place lui inspira de singulières réflexions ». Cette vieille et jolie ville de Moncontour, berceau de la fraternisation, devenait, en quelque sorte, la métropole de la Concorde ; Cormatin, entouré de ses « aides de camp », y tenait une manière de Cour, en relations ininterrompues avec le quartier général de Boishardy, tout voisin. Même, un jour, — c’était le 9 mars 1795, — celui-ci reçut un court billet de Cormatin l’avisant que le général Danican, porteur d’ordres du général Hoche, désirait l’entretenir et lui demandait un rendez-vous[136]. Danican était chargé d’annoncer la prochaine venue de Hoche à Moncontour : depuis longtemps l’illustre général en chef désirait parcourir ce petit coin de terre où avait battu le cœur de la chouannerie bretonne et connaître Boishardy qui, le premier, comprenant que l’intérêt de la France prime celui des partis, s’était noblement prêté à ses propositions de paix.

Hoche arriva à Moncontour au début de la seconde quinzaine de mars[137] et prit séjour dans la demeure d’un riche négociant, M. Latimier du Clèzieux[138]. Cette maison à pilastres et à beaux balcons de fer ouvragé existe encore, malheureusement découronnée de son toit à la Mansard et de son fronton triangulaire où s’enchâssait un cadran solaire ; elle est située sur la place de l’église et le décor n’a guère changé depuis le jour où Hoche, avec ses cavaliers d’escorte, mousqueton au poing, s’arrêta et mit pied à terre devant la porte des du Clèzieux. Il parut, tel que l’a décrit une contemporaine, « grand et beau garçon, en longue redingote avec un long sabre. Point de façons, point de luxe ; parlant bref, avec une grande politesse aux dames, une grande cordialité aux soldats, une grande réserve aux civils[139]. »

Madame du Clèzieux, jeune et très belle, d’esprit cultivé, s’était ingéniée, durant la Terreur, à prêcher la modération ; royaliste de sentiment, elle avait maintes fois tenté d’assoupir les haines et d’arrêter l’effusion du sang. Au prestige de ses charmes s’ajoutait l’autorité de sa vertu ; il est à supposer que son influence sur Boishardy, particulièrement lié avec elle, avait contribué à calmer l’ardeur belliqueuse du tenace révolté. Tout de suite elle prit sur Hoche le même empire et, sous sa douce et irrésistible action, ces deux hommes, si distants en apparence, se rapprochèrent, pénétrés d’une réciproque estime[140]. Qu’éprouva-t-il, le jeune chouan, dont le nom et les exploits n’étaient connus que des paysans de sa contrée, lorsqu’il se trouva en présence de ce glorieux rival de vingt-sept ans auquel obéissaient des armées et dont la renommée rayonnait loin au delà des frontières ? Des remords ? — Non, certes ! — Des regrets ? — Peut-être. — De l’envie, sans nul doute pour cet heureux soldat qui avait combattu les ennemis d’Outre-Rhin et posé de nouveaux lauriers au front de la France. De telles rencontres imposent aux consciences droites des examens redoutables. Qui sait si, ce jour-là, ne naquit pas la répugnance de Boishardy pour l’ingérence anglaise dans l’insurrection royaliste ? Dès lors, assurément, ses amis s’étonneront de « son indécision », voire de « sa nonchalance[141] » ; il venait de comprendre, et il allait en mourir, qu’aucun devoir, fût-ce le plus noble et le plus impérieux, ne permet d’aider l’étranger à meurtrir la Patrie.

À Moncontour étaient autour de lui groupés plusieurs chefs royalistes : Chantreau, Solilhac, d’Andigné, Tinténiac qui se préparait à retourner en Angleterre[142], Cormatin et ses « officiers d’ordonnance » : Jarry, Gazet, Boisgontier, La Nourais, Dufour, ce commandant du Clos-Poulet qui avait « passé » Puisaye à Jersey. Hoche tint avec eux une « très longue conférence[143] ». Il les questionna en camarade sur leurs intentions, la force de leur parti, leur situation personnelle et emporta l’impression que le nombre des chouans de toute la Bretagne montait, — non pas à 100.000, comme on le lui dit, — mais à 35 ou 40.000 hommes, bien suffisant pour « intercepter les communications, affamer les villes et molester les patriotes ». — « Tous les chefs, note-t-il, sont d’anciens pages de Capet, des officiers de la marine ou de l’armée de terre ; sauf quelques jeunes têtes, très bouillantes et sortant des bois, ils paraissent désirer la paix. » Et il conclut, mélancoliquement : — « Il n’y a, en Bretagne, que deux partis : les chouans qui veulent tout envahir, et les terroristes, qui veulent tout brûler[144]. »

Il fut convenu qu’on se retrouverait le 1er avril à Rennes où les chefs de toute la chouannerie seraient invités à se rencontrer avec les députés de la Convention.

Aussitôt Cormatin qui doit, en sa qualité de major général, présider cette réunion solennelle et attacher ainsi son nom à l’un des plus heureux événements de notre histoire, expédie en fourrier son aide de camp, Dufour, avec ordre de « bien faire les choses » et de tout disposer de manière à éblouir les républicains. Dufour reçut la mission de choisir à un tiers de lieue de Rennes, au moins, un lieu convenable aux Conférences ; de trouver, non loin de là, une résidence où l’on pût luxueusement installer le quartier général de Cormatin et recevoir les cent cinquante ou deux cents chefs royalistes sur la présence desquels il comptait, — de trouver près de cette résidence l’emplacement d’un camp de 800 hommes formant la garde de sûreté et d’honneur de M. le Major Général, — enfin de remettre au commissaire ordonnateur de la division militaire un état portant la nomenclature « de tous les objets nécessaires pour le campement de la troupe, lits, vivres, bois, ustensiles de cuisine, indispensables à cette foule qu’augmentait encore une liste considérable de domestiques, de cuisiniers, d’estafettes, etc.[145] »

Dufour se mit en quête et réussit à miracle : à trois quarts d’heure des portes de Rennes, il découvrit, au bord de la Vilaine, et réquisitionna le château de La Prévalaye, ancienne seigneurie quelque peu délabrée en ce temps de révolution, mais qui gardait grand air avec ses pignons, ses toits à pente rapide, et la jolie tourelle en avant-corps sur la façade. De magnifiques prairies, de longues et majestueuses avenues de vieux arbres, s’étendaient au loin, formant parc ; même on conservait dévotieusement dans ce château le lit où avait couché Henri IV, une nuit de mai, deux cents ans auparavant. Les chouans trouveraient sous ces beaux ombrages un cantonnement de rêve et Dufour réclama sans tarder à l’Administration militaire qui ne lésina pas, des tentes pour abriter ces bonnes gens. Puis, à mi-chemin entre La Prévalaye et Rennes, le fourrier de Cormatin avisa un petit manoir, transformé en ferme, et qu’on appelait La Mabilais. En y ajoutant deux baraques couvertes en chaume, il obtint un local suffisant pour la tenue des Conférences avec les représentants : c’était bien assez bon pour des républicains.

Déjà, du fond du Morbihan, des landes de Paimpont et de Lanvaux, des forêts de la Nouée et de Camors, les chefs de la chouannerie se dirigeaient vers la capitale bretonne ; voyage extraordinaire et triomphal de ces sans asile dont beaucoup, depuis le temps lointain de La Rouerie, n’étaient sortis de leurs fourrés et de leurs « loges » que pour se poster en embuscade ou pour livrer bataille, et qui, à présent, munis de bons passeports, salués bas par les Bleus maudits, refaisaient joyeuse connaissance avec la vie d’auberge et les chaudes couëttes des lits bretons. Quand ils passaient, arborant leurs insignes d’officiers de l’armée du Roi, la foule applaudissait, disant « que les États de Bretagne se réunissaient enfin et qu’ils allaient rétablir le trône et l’autel[146] ». À l’entrée de toutes les bourgades, au cri Qui vive ? ils répondaient orgueilleusement : Députés royalistes ! Le poste sortait, rendait les honneurs militaires et les chouans passaient, soulevant leurs chapeaux couverts de plumes blanches[147]. En certains endroits on illumina et l’on fit fête durant trois semaines[148].

Ce qui surprend ce sont les exigences, le besoin subit de bien-être de ces hommes rudes accoutumés pourtant à toutes les privations : d’Andigné juge bien misérable le cortège de « deux ou trois mauvaises voitures paraissant avoir séjourné sous la remise depuis nombre d’années » mises à sa disposition, à celle de Boishardy et de « leur suite » pour se rendre de Moncontour à Rennes. « Il fallut, dit-il avec dédain, employer les chevaux des charrois militaires, ainsi que ceux des particuliers pour conduire notre convoi dont l’aspect assez grotesque n’était pas relevé par l’élégance de nos costumes. » Humbert allait devant pour préparer les logements sur la route et cet appareil si nouveau d’un général républicain servant de courrier à Boishardy et à ses compagnons, attirait sur leur passage les paysans ébahis à la vue de ce chef mystérieux au nom déjà légendaire, et aussi les « jacobins », les « terroristes », indigènes, frémissant à la pensée que la République, si grande au bon temps de Robespierre, s’abaissait maintenant à pactiser avec ces farouches rebelles. On fit le trajet en deux jours : aux auberges, Boishardy et son État-Major daignaient admettre à leur table le général et faisaient honneur aux repas, « somptueux » d’un bout à l’autre de la route, préparés par les ordres et aux frais de la République[149].

Mademoiselle de Kercadio, bien entendu, est du voyage[150]. Boishardy veut que sa fiancée assiste aux fêtes de la Pacification ; et certes le spectacle vaut d’être vu. En arrivant à La Prévalaye, on est reçu par Cormatin, veillant à tout, commandant à tous, « faisant l’empressé » dans son beau costume de major général, — grande redingote à haut collet, large cravate blanche gracieusement nouée, cocarde blanche, écharpe blanche, panache blanc[151]. Le château a été remis en bon état ; une garde d’honneur de deux cents chouans[152], d’une tenue « impeccable », occupe les tentes fournies par la République ; sur toutes flotte le drapeau blanc ; et, non loin d’eux, est cantonné un détachement de dragons républicains, envoyés par Hoche pour servir d’ordonnances[153], maigres, misérables, mal vêtus, mal montés et qui regardent avec envie les beaux soldats de Cormatin. Celui-ci, d’ailleurs, est bon prince ; ne représente-t-il pas ici le Roi de France ? Les pauvres Bleus trouveront toujours table servie et vont se refaire à satiété. Les broches tournent et les ragoûts mijotent sans arrêt dans les cuisines du château ; on y nourrit « près de cinq cents personnes par jour[154], aux dépens de la République ». Un soldat déserteur, enrôlé par les chouans et cantonné à La Prévalaye, écrit à l’un de ses camarades, caporal à la 76e demi-brigade : — « Je ne suis plus taxé à cinq quarts de pain par jour ; le pain blanc comme la neige ne quitte jamais la table, non plus que le porc, le veau, le bœuf, le beurre frais et aussi le bon cidre. Et l’amitié de tout le monde, particulièrement celle des filles. » Tableau enchanteur ! Le soir on danse, on joue, on chante… On chante la Marseillaise, un peu modifiée pour plaire à l’assistance :


Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons !
   Marchons ! Marchons !…
  Va-t’en voir s’ils viennent, Jean,
  Va-t’en voir s’ils viennent.


On chante aussi le Ça ira, agréablement parodié par un spirituel adaptateur qui n’a pas pleine confiance dans le résultat des négociations :


Ah ! ça ira, ça ira, ça ira…
Cahin-caha, cahin-caha !


Mademoiselle de Kercadio n’est pas la seule de son sexe qui figure en ces entraînantes réunions. Cormatin envoie chercher à Rennes de jolies femmes afin d’égayer la fête ; même il va faire son choix et on le rencontre circulant entre la ville et son quartier général, promenant dans sa voiture des élégantes à coiffure de plumes blanches. En ce temps reculé, les femmes saisissaient, avec une sorte de frénésie les occasions les plus inattendues de s’affubler de toilettes excentriques ; depuis l’ouverture des conférences la mode était, dans la capitale de la Bretagne, de s’habiller « en chouanne[155] ». Les dames royalistes de Rennes, celles du moins que n’effrayaient pas ces assemblées un peu libres et bruyantes, accouraient pour le plaisir d’entendre crier Vive le Roi. Quant à Cormatin, il donnait libre cours à sa galanterie naturelle de beau quadragénaire : deux jeunes actrices, Ninette Belval[156], tenant au théâtre l’emploi d’ingénue, et Agathe Cassin[157], sémillante et brune soubrette, paraissent avoir partagé, sans jalousie, ses hommages[158]. Tout cela amusait les uns et scandalisait d’autres ; la bombance et la gaieté n’étaient pas, il est vrai, « dans la situation » ; mais ce recul subit aux dissipations mondaines d’avant 89 ne manquait pas d’une certaine grâce et symbolisait presque un programme : il marquait la réaction complète, la rupture avec la morosité démocratique, le retour au bon temps de l’insouciance et des effusions ; bouffée de griserie dans l’ouragan : ce fut si court que l’Histoire n’a pas le droit de se montrer sévère.

Les jeunes gentilshommes, anciens officiers pour la plupart, qui, jadis, avaient fréquenté dans le monde et entrevu la Cour, — les Béjarry, les La Bourdonnaye-Montluc, les Mayneuf, les Dieusie, les Nantois, les Busnel et bien d’autres, — jugeaient délicieux cet entracte à leur dure vie de partisans ; les paysans ou les bourgeois, tout aussi nombreux, — le manceau Caquereau, le morbihannais Guillemot, Terrien, marchand de bois, Palierne, receveur de rentes à Ancenis, Gourlet, percepteur à Riaillé, Cadoudal, Billard de Veaux, cultivateurs ou petits propriétaires[159], les plus fervents peut-être, les plus intransigeants à coup sûr, blâmaient la présence des belles dames avec lesquelles ils ne dansaient pas, ainsi que le luxe de la table et du service dont s’effarouchait leur rusticité. L’argent ne manquait point, car les faux assignats de Puisaye circulaient à flots : — « Nous les jetions à pleines mains », écrit d’Andigné ; on rencontrait peu de scrupuleux qui hésitassent à les répandre. En général, on n’y faisait pas grande différence ; Bleus et Chouans se félicitaient de cet afflux de papier monnaie qui ne valait guère moins que l’autre, — le vrai. Les commerçants de Rennes acceptaient tout : les tailleurs et les lingères de la ville réalisèrent de gros bénéfices ; car les hôtes de Cormatin profitaient de cette vacance pour commander « force hardes » et renouveler leur garde-robe, endommagée par les longs séjours dans les bois[160].

Et les conférences ? Elles vont… cahin-caha. Le conseil des royalistes s’assemble à La Prévalaye. Cormatin le préside et dépense toute son éloquence. La pacification est sa raison d’être, sa conception personnelle ; il l’a promise aux représentants ; il s’effondrera si elle avorte. Et voilà qu’il se heurte à des résistances : la première condition du traité est la reconnaissance de la République et l’engagement de ne plus porter les armes contre elle ; ceci suscite des colères : les Chouans sont-ils des vaincus pour se soumettre à l’ennemi ? N’ont-ils pas juré de servir la cause du Roi jusqu’au triomphe ou jusqu’à la mort ? Vont-ils trahir ce serment à l’heure où la République agonise, où d’un bout à l’autre du royaume, le peuple épuisé et contrit aspire au rétablissement de la monarchie ? D’ailleurs, la paix ne serait pas
générale : Stofflet, qui commande l’armée catholique d’Anjou, ne veut pas céder : l’abandonner serait une lâcheté.

Pour gagner du temps et décider Stofflet, on dépêche Boishardy en Anjou. En attendant son retour, les discussions se poursuivent souvent acerbes et tumultueuses. Deux ou trois fois par semaine, on se réunit aux Conventionnels en des conférences tenues à la maisonnette de La Mabilais. Cormatin s’y rend avec sept royalistes, prudemment choisis, et escorté d’une garde de cinquante Chouans. Les représentants du peuple y arrivent de Rennes dans des voitures qu’entourent cent grenadiers. Hoche les précède avec ses chasseurs à cheval[161]. Les deux portes de la salle s’ouvrent en même temps : les royalistes entrent d’un côté, cocarde blanche au feutre ; les républicains entrent de l’autre, plumet tricolore au chapeau. Ce sont Ruelle, Bollet, Delaunay, Jary, Chaillon, Corbel, Guezno, Guermeur, De Fermon, et Lanjuinais. Hoche reste dehors avec ses officiers ; Cormatin, qui redoute sa droiture, a proposé l’exclusion des militaires et les représentants y ont volontiers consenti, ne s’illusionnant pas sur l’opinion qu’a prise d’eux le général. Ah ! comme il les méprise ! — « Voilà donc, note-t-il pour soulager son indignation, voilà donc les soutiens de ma triste patrie ! Envieux, incapables de toute honnêteté, ivrognes, débauchés, ignorants et vains, tel est, à l’exception de Lanjuinais et de Fermon, le caractère des membres de notre congrès. Dans les délibérations, nul ordre ; l’un crie, son voisin dort, un troisième… Est-ce ainsi que se comportent nos adversaires ? Leurs repas sont moins longs et moins fréquents. Indigne Ruelle ! Reçois ici le tribut de mon indignation ! Après avoir rampé devant Charette, tu fais servilement ta cour à Cormatin[162] !… » Quelques-uns des représentants s’expriment avec élégance ; plusieurs « parlent raisonnablement » ; « la plupart sont modérés[163] ». Pourtant, des mots aigres sont échangés ; les Chouans, peu parlementaires, perdent la mesure et s’emportent. Et pendant ces parlotes qui ne mènent à rien, car « la paix n’est pas dans les cœurs », tandis que finasse Cormatin, que patelinent Ruelle ou Delaunay, aux abords de La Mabilais, parmi la foule parfois sympathique[164], parfois hostile[165], venue de Rennes pour surprendre quelque incident de ce rapprochement paradoxal, Hoche et ses généraux s’entretiennent avec les officiers royalistes. Il leur témoigne « beaucoup d’estimes » et paraît flatté de leurs prévenances[166]. Comme la paix eût été facile entre ces soldats français, sans l’odieuse politique et les criards qui en vivaient[167] !

Boishardy ne rapporta pas d’Anjou une réponse décisive de Stofflet : la conférence allait s’éterniser ou se rompre. Cormatin joua son va-tout. — Il faut reconnaître la République ; c’est là une simple formalité qui n’engage à rien ; elle donnera au parti royaliste le temps de s’organiser et de préparer la victoire… Il parle ainsi, à l’étourdie, se grisant de mots selon sa méthode ; des rumeurs l’interrompent. Cadoudal écume : « les traits crispés, le cou nu, la poitrine découverte comme dans un jour de bataille », il fait effort pour réprimer son dégoût : — « Monsieur, dit-il, au nom de tous les royalistes de Bretagne et de Vendée, je vous défends de poursuivre ! » Il sort de la salle, d’autres l’imitent, parmi lesquels Guillemot, Le Gris-Duval, Saint-Régent. Ceux qui restent, très échauffés, repoussent bruyamment la soumission aux régicides. Poirier de Beauvais qui, au temps de la Vendée, a été le commandant général de l’artillerie royale, tire de sa poche un papier et commence à lire[168] : son thème est celui-ci : tous désirent la paix ; mais non au prix d’une lâcheté, encore moins d’une trahison. Reconnaîtra-t-on la République avec l’intention de violer le traité ? Cette fausseté répugne « à des chevaliers français accoutumés à être le modèle des nations pour tout ce qui s’appelle honneur… » Cormatin se cabre, essaie de parler. Beauvais poursuit, imperturbable : — « Vous, gentilshommes bretons, Messieurs de la Normandie, du Maine et de l’Anjou, vous tous dont les sentiments sont si purs »… songez que la démarche qu’on exige de vous « éloigne peut-être à tout jamais de leur patrie des Princes dont nous comblons les malheurs… » Cormatin bondit, s’emporte : il se lève, frappe sur la table : Boishardy, Chantreau, Solilhac, Dufour le soutiennent ; on s’invective dans le tumulte… Mais Beauvais continue, et, cette fois, c’est un coup droit qu’il porte à son adversaire : — « M. Cormatin a l’honneur de commander ici les Bretons par une commission du général de Puisaye. Cette commission lui a-t-elle été donnée au nom des Princes pour reconnaître la République ou pour la combattre ? Il est nécessaire que M. Cormatin soit suspendu de son commandement jusqu’à nouvel ordre… » À ces mots, toute délibération est rompue : Cormatin jette dans le vacarme quelques paroles et, s’emparant d’un feuillet où sont écrits, d’un côté le mot Paix, de l’autre le mot Guerre, il signe à la première colonne, tire son sabre, jure de reprendre les armes dès une occasion favorable ; ses partisans inscrivent leurs noms sous le sien, puis la feuille circule et tous ceux qui sont là signent également, — sauf Beauvais[169]. Et tous sont sincères : ils souhaitent la paix ; la guerre civile leur répugne ; ils s’accordent à l’avouer en une saisissante unanimité ; mais ils n’iront pas plus loin dans les concessions et ne se soumettront pas à la Convention régicide. Déjà ils se préparent à quitter La Prévalaye ; ils retournent à leurs broussailles ; le soir même beaucoup sont en route ; un plus grand nombre partira le lendemain, et quand, le 20 avril, Cormatin arrive à La Mabilais pour l’entrevue décisive avec les représentants, il n’amène avec lui qu’une vingtaine de royalistes, résignés à la soumission : ses aides de camp, ceux de Boishardy, Boishardy lui-même… seul dont le nom soit éclatant, seul aussi, peut-être, dont la sincérité, en cette conjoncture épineuse, soit affranchie de supputations intéressées, et de restrictions tacites. Il se souvient de l’embrassement de Hoche ; cette sorte de baptême a dessillé ses yeux qui entrevoient maintenant, au-dessus des rouges vilenies révolutionnaires, une France nouvelle s’élevant aussi glorieuse que celle des Rois.

La déclaration des Chouans est noble et digne : — « l’amour de tout Français pour son pays, le désir d’éteindre les discordes civiles, l’oubli du passé, les gloires communes, les mêmes souhaits de tout ce qui peut garantir la sûreté et le bonheur de la France », tels sont leurs motifs. « En conséquence nous déclarons solennellement nous soumettre à la République française, une et indivisible, en reconnaître les lois et prendre l’engagement de ne jamais porter les armes contre elle. » Ils obtiennent par compensation le retrait des troupes républicaines, la liberté des opinions et des cultes, l’amnistie des émigrés rentrés, et une indemnité pour les habitants des campagnes. Ils signent[170]. Aussitôt la nouvelle se propage jusqu’à Rennes : la paix est conclue : Vive l’Union, Vive la France ! Les fanfares éclatent, les salves tonnent… Hoche, sceptique en présence de cette joie populaire, montre à ses généraux Chèrin et Krieg, deux bandes de corbeaux qui tournoient au-dessus de La Mabilais ; elles se séparent ; l’une reste unie, l’autre se disperse, et il voit là un présage à la manière des anciens[171]. Là-bas, à La Prévalaye, un homme effondré sur un canapé sanglote ; c’est le comte de Silz ; il vient de signer[172] ; au compagnon d’armes qui s’efforce à le réconforter, il dit, « fondant en larmes » : — « J’ai perdu votre amitié… vous ne m’estimerez plus… Et les princes ? Quelle idée auront-ils de moi ?… »

Cormatin, lui, exulte : comme Charette à Nantes, il va faire à Rennes son entrée triomphale : les représentants ont invité à souper les signataires du traité ; le cortège se forme : les tambours, la musique, les vingt « pacifiés » signalés par leurs panaches blancs, puis les voitures des représentants, Hoche, ses cavaliers et son état-major ; enfin la foule tumultueuse, et tout cela défile entre deux haies de gardes nationaux. Cormatin guette les acclamations ; pour qu’on le distingue bien, il a entouré son chapeau d’une couronne de lauriers. On arrive rue de la République, à l’ancienne Intendance, qu’occupent les représentants. Le repas préparé avec pompe est l’occasion de terribles bousculades : la plupart des convives, à jeun depuis le matin, se jettent sur les plats avec une avidité peu décorative[173]. Le peuple est admis dans la salle du banquet et s’y presse sans discrétion. Hoche juge la scène « un peu gauche, pour ne pas dire indécente » ; les royalistes la voient « d’une tristesse remarquable[174] ». Seuls les conventionnels s’efforcent de garder le décorum et se plaignent de la cohue : l’un d’eux « se voyant enlever par un jeune officier une bouteille de vin d’Espagne, proteste qu’on avilit la représentation nationale. Le ravisseur, par chance, put se perdre dans la foule et s’échapper avec son larcin[175] ».

De plusieurs jours Cormatin ne quitta pas sa couronne de lauriers : il se croyait « le dictateur de la Bretagne ». Installé au château de Cicé, pour « organiser la pacification », il y signait « autant de passeports qu’une municipalité », écrivait Hoche qui, ne comprenant rien à cet hurluberlu vaniteux, ajoutait : — « Je crois qu’il veut toucher la forte somme et quitter le pays. » Cormatin s’attribuait, disait-on, sur le chiffre des indemnités allouées aux campagnes, 30.000 francs en numéraire et 40.000 en assignats : certains parlaient d’un million de livres, empoché par le pacificateur… Tout de même, il avait réussi à ébaucher un semblant de réconciliation entre royalistes et républicains, jouant, il est vrai, pour obtenir ce succès inespéré, une comédie périlleuse : aux uns il atteste qu’un article secret du traité assure la mise en liberté du fils de Louis XVI ; à d’autres il glisse discrètement que la Convention elle-même se prépare à restaurer la monarchie. Il a prêché la paix et juré qu’il veut la guerre ; il prend pour finesse diplomatique cette palinodie criminelle, persuadé que « le temps arrangera tout ». Il s’illusionne ; mais il est sincère, même dans ses vantardises. Sincères aussi les royalistes signataires du traité : on le vit bien quand, au cours des négociations, une escadre anglaise se montra sur les côtes, s’apprêtant à opérer un débarquement d’émigrés, d’armes et de munitions : au premier avis qu’ils en reçurent, Boishardy, Tinténiac et Frotté informèrent spontanément les Conventionnels et leur remirent une lettre destinée à « Messieurs les Officiers anglais[176] », par laquelle ils déclaraient que, « entrés en pourparlers avec la République, les Bretons ne pouvaient accepter désormais aucun secours de l’Angleterre ». Ils furent moins bien inspirés en réclamant des représentants du peuple la mise en liberté de Prigent, le commissionnaire de Puisaye, capturé à la côte dans la nuit du 1er janvier : en prison depuis quatre mois, Prigent, pour sauver sa tête,

accablait les représentants de dénonciations, révélant tout ce qu’il savait des lignes de correspondance, des points de débarquement, des projets du cabinet britannique, des préparatifs de l’Angleterre[177]. Puisqu’on était réconcilié, la plus
élémentaire délicatesse commandait aux Conventionnels d’avertir les royalistes que Prigent était un traître, indigne d’intérêt : ils s’en gardèrent bien, accordèrent la libération du misérable et présentèrent cette « faveur » comme une preuve de générosité, plaçant ainsi auprès des pacifiés un espion qui, durant douze ans, grâce à l’aveuglement protecteur de Puisaye, vendra à la police tous les secrets dont il sera porteur[178].

Tels étaient les procédés des représentants du peuple ; l’incohérent emploi de leur omnipotence ne palliait pas ce manque de loyauté : ainsi, à l’heure où se répandait à peine en Bretagne le texte de la Pacification, accordant le libre exercice du culte, la Convention votait, le 1er mai, la peine de mort contre tout prêtre réfractaire découvert sur le territoire de la République ! Le 27 mai Guermeur et Brue, en mission à Quimperlé, ordonnaient l’arrestation « de tous les individus connus pour avoir occupé un grade dans la Chouannerie[179] ». Le lendemain, le comte de Silz tombait sous les coups des Bleus ; et il n’était pas le premier qui pérît des signataires de la Mabilais ; dès le 30 avril Geslin, chef manceau et son compagnon Lhermite, revenant de Rennes, avaient été massacrés à Saint-Denis-d’Orques[180].

En vain Cormatin se démenait-il en un fébrile apostolat, attestant aux représentants, chez qui il soupait deux fois par semaine[181], qu’il apaisait les Chouans, aux Chouans qu’il dupait les Bleus, à tous que l’âge d’or était proche. Au château de Cicé, son quartier général, il tenait des « conseils de guerre », distribuait des cocardes blanches, donnait des audiences et de grands dîners. Il s’exhibait quotidiennement, à Rennes, « escorté d’une garde prétorienne » ; il exigea un jour l’ouverture d’une église pour présider en personne une cérémonie religieuse et « recevoir les plaintes des divers particuliers ». Était-il devenu fou ? Le 9 mai, Hoche, revenant de Laval, le rencontra aux environs de Vitré, en compagnie du général Humbert costumé en Chouan ; tous deux venaient de procéder à l’arrestation d’une diligence[182] ! Dès cet instant, dans l’esprit du général en chef, Cormatin était condamné. À quelques jours de là, on saisissait, près de Ploërmel, sa correspondance avec les chefs morbihannais et l’on y trouvait l’occasion de se débarrasser de lui. Le lundi de la Pentecôte, 25 mai, vers trois heures de l’après-midi, comme, avec ses officiers, il se rendait, ainsi que d’habitude, au dîner des Conventionnels, un avis secret lui parvint de son imminente arrestation. Il en avisa ses aides de camp : — « Que faire ? — Mon général, nous vous suivrons partout. — Alors, messieurs, allons dîner avec nos bourreaux. » Ils gagnèrent l’hôtel de l’Intendance, séjour des représentants. L’accueil fut fort amical ; comme à l’ordinaire Hoche était là ; dîner très gai, causerie cordiale. À sept heures du soir, Cormatin rentrait chez lui, toujours escorté des six officiers de son état-major, quand le citoyen Latapie, adjudant de place, se présenta fort poliment, au nom de la Loi, exhiba ses ordres et mit Cormatin et ses aides de camp en arrestation. Le soir même, ils soupaient à la Tour Le Bat, la vieille prison de Rennes et, dans la nuit, encaqués dans deux fourgons à pain, encadrés d’un bataillon d’infanterie et de trente-six gendarmes, ils partaient pour Cherbourg où on les embarqua à destination de l’Île Pelée, rocher fortifié, à deux lieues en rade[183]. On les y enfouit au fond d’un cachot sans air et sans jour. C’est là que, dans les dernières pages de ce récit, on retrouvera Cormatin.


*
* *

De sa disparition la guerre renaissait, plus âpre, plus haineuse, entre adversaires s’accusant réciproquement d’une odieuse violation du traité. Hoche reprit le premier les armes : sa proclamation fameuse : — « Braves camarades ! Votre courage n’est plus enchaîné… » est du 1er juin. Elle ravit d’aise la racaille jacobine, les Robespierres de chefs-lieux de cantons, les survivants des clubs et des comités de villages, tous ceux qui, redoutant la réaction, assourdissent les représentants de leurs doléances, prophétisent que « le fanatisme reprend son empire » ; et que « tout ce qui a voté la mort de Capet va être immolé[184]. » L’accusateur public, Besné, est de ces aboyeurs : il prédit à la Convention le prochain rétablissement de la royauté et déplore le sort de la Bretagne où « une nouvelle Vendée se prépare[185]. » Quand il apprend l’arrestation de Cormatin, il déraisonne de joie : — « Bandit ! Voleur ! Meurtrier à gage ! L’exécrable brigand ! La vie chère ! Les prêtres criminels !… » Il envisage déjà une prochaine revanche contre son ennemi de toujours : — « Un ex-noble douteux dont j’ai parlé dans le temps, Boishardy… Il faut que ce brigand soit arrêté… Il est la cause de toutes les calamités qui ont désolé et désolent ce département. Nul n’en peut être instruit comme moi qui ne connais pas l’art perfide de flagorner[186]… »

De douloureux scrupules harcèlent celui que Besné pourchasse ainsi de sa haine. On a déjà dit combien la rencontre de Boishardy avec les généraux républicains a émoussé son ardeur à la lutte. Il s’est, à La Prévalaye, montré l’un des plus ardents pacifistes, professant la même répugnance que son ancien chef, La Rouerie, pour l’intervention armée de l’Angleterre. Or, à ce début de juin 1795, de tous les chefs des Côtes-du-Nord, il est seul à savoir que, en ces jours mêmes, une escadre anglaise, sous le commandement effectif de Puisaye, fait voile vers la France[187], apportant aux royalistes bretons des renforts, des munitions et de l’argent. Que fera Boishardy ? Il a juré de ne jamais reprendre les armes contre la République : manquera-t-il à son serment ? Ou se résignera-t-il à ne point prendre sa part de l’immanquable victoire de la cause royale ? D’Andigné qui le vit dans les premiers jours de juin fut frappé de son indécision : — « Elle me laissait, écrit-il, des inquiétudes d’autant mieux fondées qu’elle tenait à une confiance mal placée dans la parole des républicains. Hoche, en effet, lui avait témoigné de l’intérêt et n’avait rien négligé pour se l’attirer[188]. »

Depuis le 14 mai, l’adjudant général Crublier commandait le camp de la lande du Gras, entre Lamballe et Moncontour. Incorrigible coureur de jupons, en dépit de ses 56 ans, c’était un soldat énergique et dur ; Hoche avait en sa fermeté grande confiance[189]. Le jour où il prit possession de son nouveau poste, Crublier rencontra, dans une auberge de Lamballe, Boishardy, vêtu ce jour-là d’une veste de chouan, grise à revers noirs, nouée d’une écharpe de soie violet[190]. Dix jours plus tard, la paix était rompue, Crublier se mit en chasse. Le 3 juin, apprenant, de Lamballe, que Boishardy avait passé la nuit à La Ville-Louët, chez les dames de Kercadio, il part avec un détachement de sa troupe ; aux approches du manoir, une fusillade l’accueille ; pas un de ses hommes n’est atteint. Poursuivant sa marche, il cerne la maison dont les habitants se sont évadés au signal des coups de fusil, sauf une servante et deux paysans[191] aussitôt mis en arrestation. On perquisitionne ; on trouve des provisions de farine, de cuirs, de toile, de chandelles, sept habits de gardes nationaux, un habit d’uniforme blanc brodé de fleurs de lys et vingt-cinq assignats faux qui sont saisis « pour être biffés par le vérificateur ». Les vêtements sont distribués aux soldats et les provisions chargées sur deux voitures à destination de Lamballe[192]. Le surlendemain, 5 juin, nouvelle expédition : Crublier quitte le camp avant le jour, divise sa troupe en deux détachements : l’un, sous sa direction, marche vers La Ville-Louët en suivant la grand’route ; l’autre, commandé par le chef de bataillon Coulombeau, se détourne par le Pont-de-pierre, le château de Launay et La Ville-es-chiens, hameau situé au bord de la Truite, petite rivière qui descend du Mené. Comme ils arrivent là, surgit d’un champ de blé une soixantaine d’hommes qui se dispersent et disparaissent avant que la surprise de leur envolée subite ait permis à la troupe de faire feu. À l’emplacement de leur campement abandonné, on découvre une petite tente, 12 paquets de faux assignats, — environ 12.000 francs, — 5 paquets de poudre à canon, un porte-manteau, une paire de bottes, une houppelande, et une écharpe de taffetas violet que Crublier reconnaît pour celle que portait Boishardy quand il l’a vu à Lamballe. Sous un buisson, on avise un lit fait d’une paillasse, d’un petit matelas de balle et garni de draps, auprès duquel un grenadier saisit « un très beau sabre avec son ceinturon » et divers papiers[193].

Peut-être faut-il placer à cette date un passage de Hoche à Moncontour : il éprouvait une sorte d’attachement pour ces lieux témoins des premiers rapprochements entre soldats des deux partis. On le vit parfois, dit-on, le mousquet à l’épaule, parcourir à pied la campagne à la tête d’une compagnie de grenadiers. Espérait-il sauver Boishardy et l’amener à une soumission sans réticence ? On a conté « qu’un sentiment plus tendre qu’il ne se l’avouait à lui-même le retenait à Moncontour ». Quand il quitta cette aimable ville, « avec une émotion bien vive et les larmes aux yeux », il dit à madame du Clézieux qui l’avait reçu plusieurs fois : — « Votre vertu, unie à tant de charmes, vous a placée sur un piédestal d’où vous nous dominez tous… Malheur à celui qui tenterait de vous en faire descendre : celui-là ne périrait que de ma main[194]. »

Hoche ne rencontra pas Boishardy ; Boishardy se faisait invisible. Traqué par les soldats de Crublier il menait de nouveau la vie du proscrit, bien plus incertaine encore que naguère : il errait, désemparé, par la campagne, changeant de gîte toutes les nuits. Un fidèle réussit à parvenir jusqu’à lui et le découvrit, non sans peine, tapi dans un champ, parmi les moissons hautes. Il pouvait encore cependant grouper douze ou quinze cents hommes et disposait d’une compagnie de déserteurs à sa solde ; mais à ceux-ci il réservait la surveillance de La Ville-Louët qu’habitaient Joséphine de Kercadio et sa mère. Il connaissait trop ses paysans pour ignorer leur lassitude : la paix fallacieuse, les désillusions avaient tué les enthousiasmes. Lui-même, certainement, était hanté par un pressentiment d’aventures prochaines et tragiques, car, dans sa détresse, il sentait l’urgence d’assurer l’avenir de la jeune fille qu’il aimait, et, malgré les misérables conditions de son existence présente, il résolut d’épouser sans retard, mademoiselle de Kercadio.

Non loin d’un chemin de traverse qui, de Bréhand, conduit à Moncontour, il y a, perdue dans les vergers, une petite chapelle qu’on appelait alors et qu’on appelle encore, bien qu’elle ait été reconstruite depuis la révolution, la chapelle de Saint-Malo. Un étroit cimetière l’entourait et c’était, avant la Terreur, un lieu de pèlerinage, de «  pardon ». Depuis que sévissait la persécution religieuse, les fervents catholiques de la région venaient là, secrètement, la nuit, faire rectifier par quelque prêtre insermenté, les baptêmes et les mariages célébrés à contre-cœur devant les ecclésiastiques constitutionnels[195]. Boishardy décida que son mariage serait béni à la chapelle de Saint-Malo ; sa fiancée y viendrait, sans danger, de la Ville-Louët sous la conduite de deux dévoués compagnons, le jeune Hervé Du Lorin, âgé de dix-sept ans[196], et le fermier Jacques Villemain[197], qui serviraient de témoins et signeraient, avec les époux, au registre de catholicité où les « bons prêtres » consignaient les actes de cette sorte pour faire foi lors des régularisations futures. Il suffisait de trouver le « bon prêtre », et ce fut facile : la Bretagne ne manquait pas, même aux pires époques de la Terreur, d’ecclésiastiques réfractaires exerçant clandestinement leur ministère et toujours empressés à l’appel des fidèles qui réclamaient leur secours.

La sommaire cérémonie fut fixée à la nuit du 16 au 17 juin. Le 12, deux chouans déserteurs se présentent au commandant Coulombeau, déclarant leur intention de profiter de l’amnistie. Coulombeau, le lendemain, apprit d’eux que Boishardy viendrait, ce jour-là, vers midi, à La Ville-Louët. Le général Crublier, prévenu sur-le-champ, donne ordre à tous ses cavaliers de monter à cheval ; chacun d’eux prend en croupe un grenadier ; La Ville-Louët est investie ; trois hommes sont aperçus « se sauvant à toutes jambes » ; fusillade : l’un des fuyards tombe ; c’est « un chef », mais on ne peut l’identifier ; les deux autres ont disparu[198]. La troupe s’avance jusqu’au manoir de Boishardy : elle y saisit trois chouans, bien armés et qui, tout de suite, implorent grâce, promettant « qu’ils vont faire prendre beaucoup de chefs ». Sur leur indication Coulombeau et ses hommes regagnent la route de Moncontour ; au Pont-de-Pierre sous lequel coule un affluent du ruisseau l’Évron, ils s’engagent dans un étroit chemin qui les amène au moulin de Rainon voisin de la ferme du Vaugourio. La maison est, en effet, occupée par les Chouans : au cri Voilà les Bleus ! deux seulement tirent sur la troupe ; les autres tentent de fuir : dix sont tués ; deux s’esquivent ; trois se rendent : au nombre des morts se trouve un prêtre. Les soldats de Coulombeau, victorieux, regagnent leurs cantonnements, emmenant les trois prisonniers[199].

Suivant une tradition locale, un jeune garçon de dix-sept ans, recueilli naguère par Boishardy parmi les échappés du désastre vendéen et confié par lui à la femme d’un de ses partisans, Carlo, le métayer du Vaugourio, serait allé trouver le général Crublier : il se faisait fort de connaître la mystérieuse retraite de Boishardy et d’y conduire les Bleus[200] ; on donne même le prénom de ce traître : il s’appelait Charles[201]. Cette tradition n’est pas en désaccord avec les documents authentiques. À la date du 16 juin, le chef de bataillon Coulombeau écrit, en effet, au général de division Rey : — « Il nous est impossible de t’envoyer l’homme qui nous sert… vu que nous ne le voyons point et qu’il ne nous donne de renseignements que par correspondance. De plus, il est très soupçonné et même à la veille d’être fusillé par les chouans. » Coulombeau ajoutait que, la nuit prochaine, « les troupes, divisées en deux colonnes, l’une commandée par lui, l’autre par le général Crublier, marcheraient sur le Vaugourio ; un troisième détachement, sous la conduite du capitaine Ardillos, s’avancerait par la route de Moncontour, jusqu’au Pont-de-pierre et s’engagerait dans le chemin du moulin de Rainon… » Le Vaugourio serait ainsi cerné.

Là, dans une prairie dite les Bas-Champs, entre le Vaugourio et l’étang du moulin, Boishardy attendait avec sa fiancée l’heure de se rendre à la chapelle de Saint-Malo. Un hamac avait été tendu pour la jeune fille, aux branches d’un pommier. Le domestique de Boishardy, Le Borgne, était posté en surveillance sur la chaussée de l’étang : une soixantaine de Chouans, blottis dans les haies, formaient un cordon de sentinelles autour du campement. Vers deux heures du matin, Le Borgne perçoit le bruit d’une troupe en marche avançant avec précaution ; il prévient Boishardy qui prend ses armes, écoute, guette : le bruit vient du grand chemin ; sans doute un détachement du camp de Meslin se dirigeant vers Moncontour. Mais non ! Les Bleus quittent la route au Pont-de-pierre et s’enfoncent, suivant le ruisseau, dans le chemin du moulin. C’est Boishardy qu’ils cherchent ! Vite, celui-ci revient vers sa fiancée, la confie à ses deux amis Du Lorin et Villemain ; il faut qu’elle s’éloigne ; par les landes désertes du Mené, en suivant la piste de correspondance, ils la conduiront de l’autre côté de la montagne, au château de Bosseny ; lui viendra l’y retrouver dans la journée ; il ne craint rien ; connaissant tous les sentiers, tous les fossés, toutes les barrières du pays, il échappera facilement.

Dans ces campagnes morcelées et touffues, déchiquetées en mille enclos cernés de hauts talus sinueux et boisés, aucune troupe ne peut, en effet, atteindre un fugitif auquel ce dédale est familier. Mais, cette fois, les Bleus vont à coup sûr. Charles, le traître, est avec eux ; arrivé au Vaugourio, il frappe à la vitre, appelle la femme Carlo et lui demande où est Boishardy. La métayère, reconnaissant une voix amie, répond, sans méfiance, que « le chef est couché dans les Bas-Champs ». Charles indique la direction aux soldats : à ce moment les Chouans, mis en éveil, tirent au jugé quelques coups de fusil et se dispersent[202]. Les républicains ripostent : l’un d’eux fait feu visant un homme qui traverse le pré, sans hâte, à petits pas, le long de la haie, comme cherchant à s’y enfoncer ; l’homme tombe. C’est Boishardy. Atteint aux reins, il se relève, tamponne sa cravate sur sa blessure, et, se traînant, gagne du terrain dans la direction de la chapelle où, sans doute, sait-il qu’il trouvera du secours. Mais il se heurte à la ligne des soldats de Coulombeau et se détourne vers La Saignerie et La Ville-Graland ; il y a là un chemin tortueux, le chemin des Champs-Piroués, qui le ramènera à la grand’route ; au delà il sera sauvé. Il s’y engage ; mais ses forces s’épuisent ; on le poursuit. À quatre-vingts pas à peine de la route, devant la brèche du champ de François Verdes, il tombe ; déjà les Bleus sont sur lui ; trois coups de feu à bout portant l’atteignent au flanc ; tirant son épée, le capitaine Ardillos achève le chouan moribond. On le dépouille, on prend son fusil, on fouille les poches d’où on retire deux montres, une bourse, des papiers[203], parmi lesquels la tendre lettre de Joséphine de Kercadio que l’amoureux conservait sur lui :


Est-il possible, mon cher petit époux, que je sois assez malheureuse pour être loin de toi…, de toi qui fais tout mon bonheur…


Puis les soldats s’éloignent, laissant le corps de Boishardy au pied du talus, dans l’herbe foulée et sanglante, sous les premières lueurs de cette aurore de juin, parfumée et joyeuse, — l’aurore qui devait être celle des noces[204]. La fiancée, soutenue et entraînée par ses deux guides, fuyait, suivant des sentiers rudes, vers la montagne et s’enfonçait dans les vastes landes du Mené.


II

DUVIQUET

I


Le manoir de Bosseny[205] vers lequel, en ce matin funèbre, fuyait mademoiselle de Kercadio, guidée par Hervé Du Lorin et son compagnon, était situé au fond d’un repli boisé de l’interminable et aride Mené ; d’épais fourrés l’enveloppaient si bien « qu’on ne l’apercevait, pour ainsi dire qu’en le touchant[206] ». Il dépendait de la paroisse de Saint-Gilles-du-Mené, indiquée sur les itinéraires de la correspondance royaliste comme l’une des plus sûres étapes en raison des obstacles dont la nature complice s’était plue à fortifier ce coin perdu à l’extrémité du Penthièvre.

Le maître du château, Guillaume-François Le Gris-Duval, était un jeune homme de vingt-six ans, grand et fort, lettré et inventif ; ses goûts, son caractère « doux et froid », l’auraient plutôt porté vers la littérature aimable et la comédie de salon que vers la guerre de partisans ; mais sa jeune femme[207], belle, passionnée, courageuse, l’avait, dès la chute de la royauté, entraîné à se jeter dans la lutte ; il s’y révéla aussi adroit que résolu. Un exemple de sa manière : au plus fort de la Terreur, M. Sevoy, oncle de madame Le Gris-Duval, est arrêté, emprisonné et menacé de l’échafaud. Le Gris court à Lamballe, force en pleine nuit la porte de l’agent national qui a ordonné l’arrestation, pousse jusqu’à la chambre où dort ce personnage, le réveille, s’approche du lit, écarte son manteau pour laisser voir deux pistolets passés à sa ceinture. Comme l’autre, très ému, à la vue du Chouan, s’agite : — « Ne craignez rien, fait Le Gris-Duval, je n’assassine pas… Mais écoutez : vous avez fait arrêter M. Sevoy ; la procédure n’est pas commencée ; vous pouvez donc le remettre en liberté sans vous compromettre. Si la tête de ce prévenu tombe, la vôtre ne restera pas vingt-quatre heures sur vos épaules. Vous savez qu’on donnerait beaucoup pour me prendre ; et cependant je suis venu chez vous, seul : jugez par ce que je fais de ce dont je suis capable. » Le lendemain, M. Sevoy était libre[208].

Ami et lieutenant de Boishardy, Le Gris-Duval était allé à La Prévalaye, sans consentir à signer le traité. La rupture de la débile pacification le rangeait au nombre des proscrits ; mais il ne prenait point cette situation au tragique et ne se cachait même pas, continuant à recruter pour la Chouannerie, à favoriser la désertion des soldats de la République, acceptant tous ceux qui se présentaient, les hébergeant, les nourrissant, les traitant en camarades ; même il les employait à bâtir des baraquements assez considérables pour caserner deux cents hommes à portée de Bosseny, dans un site si solitaire et retiré que les constructions s’élevèrent sans que les autorités de Collinée ou de Merdrignac, les villes voisines, en eussent le moindre soupçon.

Avec les Le Gris-Duval vivaient à Bosseny les Kerigant ; madame de Kerigant était la jeune sœur de madame Le Gris, qui l’avait élevée ; son mari, François Garnier de Kerigant, négociant en toiles, — l’antique et prospère industrie du pays, — possédait un manoir de famille dans la paroisse de Bodéo ; mais, depuis les troubles, il vivait le plus souvent avec sa femme chez son beau-frère Le Gris, en ce Bosseny privilégié d’où les espions et les Bleus s’écartaient. La plus fraternelle intimité unissait les deux ménages : on menait, en apparence, l’existence paysanne : Le Gris-Duval s’occupait de son potager, de ses abeilles, de ses plantations ; Kerigant, — d’une force physique renommée qui imposait à tout le pays, — habituellement coiffé d’un bonnet de peau de renard, parcourait la région d’Uzel à Corlay et à Collinée, inspectant ses fileuses et ses tisserands, courant les foires ; sa femme avait, à vingt-trois ans, en 1795, deux enfants.

C’est dans cet aimable intérieur qu’arriva, le 17 juin, dans l’après-midi, mademoiselle de Kercadio[209], avec Hervé Du Lorin et le vieux chouan Villemain. On apprit par eux, à Bosseny, les incidents de la nuit ; tous trois ignoraient encore le sort de Boishardy ; mais, confiants dans son adresse, ils s’attendaient à le voir avant la fin du jour, ainsi qu’il l’avait promis ; les heures s’écoulaient sans qu’il parût ; l’inquiétude de mademoiselle de Kercadio était grande ; comme la nuit allait tomber, Le Gris-Duval envoya aux nouvelles ; ses émissaires revinrent bientôt : la mort du valeureux chef était déjà connue de toute la contrée. Les jours suivants on apprit l’affreuse profanation de son cadavre : les soldats revenant pour le dépouiller, lui couper la tête, la fichant à la baïonnette d’un fusil, promenant, dès six heures du matin, par les rues de Moncontour ce trophée grimaçant, le posant sur la fenêtre de madame Du Clézieux et l’emportant jusqu’à Lamballe pour le jeter enfin dans un étang voisin de la ville[210]. Et puis on sut que le pauvre corps resta, tronqué et nu, dans le chemin des Champs-Piroués jusqu’au soir ; une paysanne, Madeleine Caro, l’enveloppa alors d’un drap donné par Hervé, des Landelles. Un domestique de la Ville-Gralland, Mathurin Fourchon et Jean Gallais de la ferme de La Saignerie, lui creusèrent une fosse à l’entrée du clos de la Noë qui borde à droite le chemin. Pour la nuit tout était fait ; mais la nuit suivante, François Darcel, de la Bouëderie, assisté de plusieurs amis, ouvrit la fosse, exhuma pieusement le cadavre ; puis montant à cheval, il le chargea devant lui et le maintint entre l’encolure et la selle jusqu’au cimetière de Bréhand. Les autres marchaient en éclaireurs afin de prévenir et de protéger le cavalier « en cas d’éventualité ». Vision de légende, ce vivant et ce mort sans tête chevauchant dans la nuit, escortés d’ombres[211]

D’une extrémité à l’autre de la Bretagne se répandait la dramatique épopée du jeune chef massacré et des Bleus assassins ; bientôt on sut que le général Hoche prenait contre ses soldats le parti de la victime : — « Je suis indigné de la conduite de ceux qui ont souffert que l’on promenât la tête d’un ennemi vaincu : c’est un crime envers l’honneur, l’honnêteté et la générosité française[212]… » La pitié émue du vainqueur parfaisait cette touchante histoire : l’amoureuse idylle, la veillée du mariage, le bonheur qu’on attend, la mort qui vient, la fuite éperdue de la fiancée, il y avait là matière à l’un de ces contes de chevalerie, tendres, héroïques et tristes que les Bretons aiment tant ; et l’aventure de Joséphine de Kercadio et de Boishardy aurait vite pris la forme de ces fabliaux populaires si l’impression n’en avait été presque aussitôt effacée par des événements d’un intérêt plus général.

Le lendemain de la mort de Boishardy se répandit le bruit du décès de l’orphelin du Temple, le petit roi Louis XVII pour lequel on combattait depuis tant de mois. On ne s’en émut guère car, à vrai dire, on n’y crut pas[213]. Mais, huit jours plus tard, le 26 juin, alors que la pauvre Joséphine de Kercadio était encore sous le coup de l’effrayant cauchemar, tout l’Ouest, — de la Rochelle à Caen et du Mans à Brest — tressaillit au retentissement d’un formidable coup de tonnerre : partout, — dans les villes comme dans les métairies les plus isolées, — on sut à la fois qu’une puissante flotte anglaise, portant une armée d’émigrés, — la flotte depuis si longtemps promise et armée par Puisaye, — avait, la veille, jeté l’ancre, dans la baie de Quiberon : ce fut pour les uns une stupeur affolée ; pour d’autres une joie suffocante. De l’avis de tous la Révolution était terminée : dans quelques heures Nantes, Rennes, les ports, seraient au pouvoir des royalistes, la République n’ayant pas de troupes en nombre suffisant pour s’opposer à leur invasion provoquant un soulèvement général[214]. La Bretagne vivait des heures enivrantes, insatiable des nouvelles propagées à chaque instant du jour par cette mystérieuse spontanéité de communications qu’improvisent les grands événements. On pleurait de joie au poignant récit du débarquement : — les émigrés se jetant à genoux pour baiser la terre natale ; — Tinténiac, faute de drapeau, déployant au bout d’une perche sa chemise, et l’arborant sur les dunes ; — l’enthousiasme des pêcheurs et des maraîchers de la presqu’île, se précipitant dans l’eau par centaines et s’attelant aux bateaux pour amener plus vite sur la plage « les libérateurs » ; — l’affluence incessante des paysans venus de Plouharmel, d’Auray, d’Erdeven, voire de Ploumergat ou de Locminé, femmes, vieillards, enfants, arrivant processionnellement, croix et bannières en tête, comme en pèlerinage à un lieu miraculeux ; — l’immense clameur : Vive la religion ! Vive le Roi ! quand apparut, descendant des navires anglais, Mgr de Hercé, évêque de Dol, avec sa mitre et sa crosse, entouré de quarante prêtres revêtus de leurs ornements sacerdotaux ; — l’afflux continuel des Chouans surgis des forêts et des landes, émerveillés, ébahis à la vue du général comte de Puisaye passant en revue son armée, à la tête de son état-major composé de plus de soixante officiers. Ils sont tous accourus les fameux de la Chouannerie morbihannaise, Cadoudal, Guillemot, Saint-Régent, Mercier, Rohu, et les nobles émigrés considèrent avec une surprise un peu distante ces chefs populaires aux frustes allures. Et puis, ce fut, le dimanche 28 juin, la grand’messe célébrée sur la plage, devant toute l’armée formée en carré ; la distribution des drapeaux blancs fleurdelysés que Mgr de Hercé avait bénits « au milieu des pierres druidiques de Carnac » ; la proclamation solennelle de Louis XVIII — le roi est mort ! Vive le Roi ! — le déchargement des cinquante transports bondés de munitions et d’approvisionnements. Quatorze mille Chouans, qui n’avaient jamais manié que de vieilles canardières, reçurent de bons fusils, des gibernes, des cartouches, des souliers, des sacs, des guêtres, des vêtements… Un amoncellement de caisses de victuailles encombrait la grève : viandes salées, riz, farines, légumes secs, beurre, fûts d’ale ou de Porto, sans parler des tonnes d’assignats qu’on roulait et qu’on alignait sous des tentes… Toute l’opulence et tout le confortable anglais subitement révélés à ces pauvres Bretons qui, depuis des années, vivaient dans les broussailles. L’écho de leur stupéfaction se répercutait au loin dans la province, très égayée, d’ailleurs, par la panique et le désarroi des autorités locales : agents nationaux, municipaux, juges de paix et autres disparaissaient comme neige au soleil ; Vannes était évacué ; les représentants du Peuple en tournée dans le Morbihan, couraient s’enfermer à Lorient et criaient au secours ; bref, sous le commandement d’un Prince français dont on annonçait l’arrivée prochaine, l’armée de Puisaye, accrue de tous les Chouans de Bretagne, de Vendée, d’Anjou, du Maine et de Normandie, allait trouver libre la route de Paris.

Par où dirigerait-elle vers la capitale sa marche triomphale ? Point de ville, point de bourgade qui n’enviât l’honneur de son passage ; tous les châteaux ambitionnaient la faveur d’héberger les chefs ; toutes les femmes voulaient être des premières à saluer « le Prince » et à lui faire leur Cour. Heureuses celles chez qui il daignerait descendre ou qui, du moins, auraient à loger les officiers de Royal-Artillerie, de Loyal-émigrant, de Rohan-infanterie ou de Royal-Louis ; tels étaient les noms de régiments nobles débarqués à Quiberon ; à les prononcer on sentait passer un parfum de l’ancien monde… Mais pourquoi n’avançaient-ils pas ? Le temps paraissait bien long ; de fait, les premiers racontages épuisés, on ne savait rien de ce qui se préparait dans la presqu’île conquise. Dix jours déjà sont écoulés depuis le débarquement ; les « royaux » devraient tenir Rennes et Angers, et rien ne bouge. Le 30 juin on entend enfin gronder au loin le canon ; on l’attendait avec tant d’impatience qu’on croit en percevoir le bruit jusqu’à Craon et jusqu’à Segré, — en Mayenne et en Maine-et-Loire[215] ! Fausse joie : l’armée de Puisaye n’arrive pas. Enfin, après trois interminables et angoissantes semaines d’espoirs déçus, on apprend que les troupes royales sont en marche ; elles s’avancent vers le cœur de la Bretagne et tout le pays frémit d’allégresse.

Au château de Coëtlogon, à gauche du chemin qui mène de Vannes à Rennes, par Josselin et Merdrignac, résidaient en ces jours d’anxieuse attente, madame et mademoiselle de Guernissac, correspondantes actives de l’agence secrète que les Princes entretenaient à Paris. Ces dames étaient de celles qu’exaltait l’approche des émigrés victorieux et qui convoitaient ardemment l’honneur de les recevoir. Pour leur faire fête, pour les attirer, peut-être, elles avaient convié, dans l’espoir de leur arrivée prochaine, plusieurs aimables femmes ou jeunes filles nobles, dévouées comme elles à la bonne cause et connues pour leur courage ou leurs malheurs dans les fastes de la Chouannerie. Coëtlogon n’est qu’à trois lieues du château de Bosseny, où vivait recluse, depuis son deuil, mademoiselle de Kercadio ; les dames de Guernissac l’engagèrent à venir chez elles pour assister au passage de l’armée royale. Soit que la douloureuse fiancée de Boishardy ne pût résister au désir de se trouver à l’honneur après avoir été tant à la peine, soit que sa farouche rancune contre les Bleus l’incitât à ne point manquer le spectacle de leur débâcle, elle accepta l’invitation et se rendit à Coëtlogon. Elle y trouva d’autres héroïnes des guerres civiles[216], dont les noms ne sont point dits, mais au nombre desquelles on a quelque indice que figurait Louise du Bot du Grégo, vicomtesse de Pont-Bellenger. Très jeune[217], fort coquette et spirituelle, extrêmement jolie et aventureuse, elle avait, disait-on, commandé un corps de cavaliers chouans[218] et sabré les Bleus en maintes rencontres ; elle possédait donc tous les titres à figurer dans la première fête offerte aux émigrés sur la terre française, d’autant que, au nombre des nobles débarqués de Quiberon comptait son jeune mari qu’elle n’avait pas vu depuis près de trois ans. Pour que les officiers de Puisaye ne manquassent pas de mettre Coëtlogon dans leur itinéraire, on décida de les aviser qu’ils y étaient attendus.

Le chevalier de Margadel[219] se charge d’aller à leur rencontre et de les amener vers l’aimable compagnie qui trépigne de leur faire accueil. Margadel est un des courriers de l’agence de Paris ; il est accouru en Bretagne à l’annonce du débarquement. Il quitte Coëtlogon le 9 juillet, chargé du message des impatientes châtelaines ; suivant la piste de correspondance et guidé par l’émotion que soulève dans les campagnes l’approche des phalanges royalistes, il arrive, dans la nuit du 11 au 12 au romantique château d’Elven où séjourne, lui dit-on, l’état-major. Margadel se présente ; il est reçu : déception ! Ce n’est point une armée qui campe là, mais une troupe de quatre à cinq mille chouans, commandés par Tinténiac ; elle n’est point en marche vers Paris ni vers Rennes ; elle a pour mission d’opérer un mouvement tournant conçu par Puisaye[220]. La situation des émigrés est, en effet, des plus critiques ; les hésitations, les lenteurs, les rivalités de leurs chefs, ont compromis le succès de l’expédition ; Hoche les tient refoulés dans la presqu’île « comme des rats dans une ratière » ; les positions qu’il occupe sont inexpugnables ; mais en les assaillant simultanément de front et à revers, on peut encore espérer la victoire. Voilà pourquoi Tinténiac se trouve à Elven avec les chouans de Georges Cadoudal ; il a juré qu’il sera, le 14, à Baud, sur les derrières de Hoche ; le 16 au matin, tandis que les émigrés bloqués tenteront de leur côté une sortie, il attaquera les Bleus ainsi pris entre deux feux ; dernière chance de soustraire à la fusillade ou à la noyade les régiments d’émigrés et les douze ou quinze mille paysans entassés dans la presqu’île.

On touche ici à l’un des épisodes les plus obscurs de la trouble histoire de Quiberon. Est-il croyable que Margadel, connaissant l’impérieuse situation de Tinténiac, ait osé néanmoins lui transmettre l’invitation pressante des dames de Coëtlogon ? Peut-on admettre que, devant le net refus de Tinténiac, Margadel invoqua l’ordre du Roi, affirmant que les nobles personnes qui l’attendaient à Coëtlogon lui communiqueraient des instructions précises, émanées de l’agence de Paris[221] ? Ce qu’entendant Cadoudal s’emporte : — « le Roi est à Vérone et il ne peut de si loin, contremander une manœuvre stratégique imposée par les circonstances. » Mais l’État-Major de Tinténiac comprend plusieurs gentilshommes récemment débarqués que froisse le sans-gêne de ce Cadoudal, — un plébéien, un paysan ! — Parmi eux le vicomte de Pont-Bellenger[222], le comte de Guernissac[223] que séduit cette échappée vers les Côtes-du-Nord ; d’ailleurs, d’autres avis font connaître l’arrivée imminente d’une flotte anglaise dans la baie de Saint-Brieuc ; il faut aller la recevoir ; Tinténiac entraînera sur son passage tous les Chouans de Boishardy ; un grand rôle lui est réservé… Il cède enfin ; sans doute, ce qui l’y décide, c’est le désir de ne pas déplaire à ses deux jolies cousines, mademoiselle de Kercadio et la vicomtesse de Pont-Bellenger[224], — on a dit de lui que « sa galanterie égalait son courage » ; — et aussi l’espoir d’être exact néanmoins au rendez-vous qui lui est assigné pour l’attaque du 6 au matin. Il y a quatorze lieues d’Elven à Coëtlogon ; l’ardeur de ses Chouans lui permettra peut-être de parcourir cette distance en un seul jour, de leur accorder vingt-quatre heures de repos, et de les ramener à la côte pour l’heure du combat.

Dès l’aube du 12 il est en route ; mais la mise en marche est pénible ; les Morbihannais de Cadoudal, si alertes dans leurs vestes de berlinge ou de bure, si infatigables lorsqu’ils allaient pieds nus, ne sont plus les mêmes depuis qu’ils ont chaussé les beaux souliers dont les a gratifiés le roi d’Angleterre et revêtu la tunique garance à boutons de cuivre de l’armée britannique : sauf quelques entêtés, presque tous ont profité de l’aubaine ; ce ne sont plus les Chouans, c’est l’Armée rouge et on peut déjà pressentir que cette transformation n’est pas seulement extérieure : quelque chose a changé dans l’âme de ces rudes gas depuis qu’ils portent la livrée étrangère. Le premier soir on s’avance seulement jusqu’au château de Callac ; le 13, on traverse Plaudren et on va camper pour la nuit dans les landes de Lanvaux, aux environs d’une chapelle isolée qu’on appelle l’Ermitage ; le 14, on est à Saint-Jean-Brévalay ; là parvient à Tinténiac une nouvelle sommation de gagner Coëtlogon sans délai[225] ; il aurait encore le temps de se rendre là où l’appelle son devoir de soldat ; une marche forcée le reporterait à Baud pour l’attaque du 16… Qui donc redoute qu’il soit exact à ce rendez-vous d’honneur ? Il poursuit vers le Nord ; le 15, il est aux portes de Josselin ; le lendemain, il s’empare facilement de cette ville, mais il perd tout le jour à assiéger le château ; renonçant à cette conquête inutile, l’armée rouge, vers le soir, s’enfonce dans la forêt de La Nouée ; le quartier général s’installe pour la nuit à Mohon ; le 17, Tinténiac traverse La Trinité-en-Porhoët ; il y bouscule les Bleus du chef de brigade Champeaux qui tentent de lui barrer la route ; on passe ; on est au but : tout près de là commencent les longues avenues de Coëtlogon[226].

L’état-major royaliste est acclamé par les belles dames ; les deux cousines font fête à Tinténiac : il s’informe ; que lui veut-on ? Pourquoi l’a-t-on attiré ? Quels sont les ordres du Roi ? — On répond par des bavardages ; on peut l’avoir dans les Côtes-du-Nord ; la place de Boishardy est vacante[227] ; les Anglais préparent une descente à Saint-Brieuc… ou peut-être à Saint-Malo… Déjà le malheureux a compris qu’il est tombé dans un piège[228] ; il va repartir ; pourtant il consent à dîner ; ses Chouans, campés dans les avenues, ont besoin de quelque répit ; on se met à table : voilà donc la fête espérée et qui sera payée de tant de sang royaliste ! Tandis que les jolies femmes coquettent et s’étourdissent, une grande rumeur monte des avenues : « — Aux armes ! Les Bleus ! Voilà les Bleus ! » Tout de suite la fusillade. Par bonheur, Georges Cadoudal et son fidèle Mercier, n’ayant pas eu de places à la noble table, sont restés au bivouac ; ils enlèvent leurs hommes ; le combat s’engage ; déjà l’ennemi recule ; Tinténiac s’élance, le sabre à la main ; il charge impétueusement les républicains en déroute ; l’un d’eux, embusqué derrière une haie, l’ajuste : Julien Cadoudal, le frère de Georges[229], l’aperçoit ; il se jette sur l’homme, le bâton levé ; le coup part, le bâton s’abat, le bleu tombe, le crâne ouvert, Tinténiac s’affaisse dans les bras de Julien ; il est frappé à mort, il expire… Un barde chouan a dépeint la scène :


Julien avait son bâton et son chapelet de Sainte Anne ;
Tout percé était son chapeau, et percée sa veste,
Un côté de sa chevelure avait été coupé d’un coup de sabre.

Je cessai de le voir, et puis je le revis ;
Il s’était retiré à l’écart, sous un chêne ;
Il pleurait amèrement, la tête inclinée,
Le pauvre monsieur de Tinténiac en travers sur ses genoux.

Et quand le combat finit, vers le soir,
Les Chouans s’approchèrent, jeunes et vieux ;
Ils ôtaient leurs chapeaux et pensaient ainsi :
— Nous avons la victoire et notre Tinténiac est mort, hélas !


C’est ainsi que finit la fête, par les cris des femmes affolées, par le défilé silencieux des Chouans, torchant de leurs gros poings les larmes qui coulent de leurs yeux, à l’aspect de ce corps étendu sur l’herbe dans l’ombre des vieux arbres. Il doit reposer quelque part, au bord du chemin qui fut l’avenue de Coëtlogon, dans la fosse que lui creusèrent ses chouans et sur laquelle on vit, à la nuit tombante, Georges Cadoudal s’agenouiller[230]. Il fallait un chef à l’Armée rouge ; les nobles émigrés de l’État-major[231] tinrent conseil : il n’est pas invraisemblable que les dames aient été admises à donner leur avis ; il est sûr que l’influence des affidés à l’Agence de Paris prévalut : Pont-Bellenger fut élu. C’était un cadet de Normandie, sans fortune[232], dont toute l’importance provenait de son antique noblesse et son mariage avec cette jolie cousine de Tinténiac dont on a déjà cité le nom, la très riche Louise du Bot, marquise du Grégo qu’il avait épousée en 1788. Émigré dès le début des mauvais jours, Pont-Bellenger n’avait joué aucun rôle marquant dans l’insurrection royaliste[233] ; docile aux insinuations de la noble société réunie à Coëtlogon, il décida que l’Armée Rouge, au lieu de retourner vers Quiberon où son concours eût été sauveur, poursuivrait sa marche vers Saint-Brieuc où rien ne l’appelait. Grossie de quatre à cinq cents hommes amenés de la région de La Nouée par le joyeux Saint-Régent, elle prit sa direction, suivant la piste de correspondance, par Saint-Gilles, Collinée et les crêtes du Mené jusqu’à la Mirlitantouille, se dirigeant sur Plémy et Plœuc pour atteindre la forêt de Lorges. Le Gris-Duval et son beau-frère Kerigant, disposant de tout le pays et en connaissant bien les ressources, se rallièrent à l’État-major de Pont-Bellenger, qui s’arrêta au château de Bosseny, chez Le Gris-Duval, et fit halte, le jour suivant, au manoir de Kerigant, situé au bord de l’Oust, dans la commune du Bodéo.

Comment vivaient ces quatre ou cinq mille hommes dans cette contrée sauvage et pauvre du Mené ? On était au cœur de l’été et les nuits passées dans les landes ou dans les bois ne les contrariaient guère ; mais où trouvaient-ils à se nourrir ? D’après quelques récriminations de municipalités villageoises on devine qu’ils « s’égaillaient » par petits groupes dans la campagne, réclamaient aux métairies isolées du pain et du cidre qu’on leur offrait souvent, qu’ils payaient parfois, qu’ils prenaient quand ils avaient affaire à des « patauds », — ainsi désignaient-ils les gens soupçonnés de tendresse pour la République ; le passage de ce troupeau, uniformément vêtu de rouge, suant, assoiffé, poussiéreux, griffé par les ajoncs, marchant sans ordre, s’attardant aux chapelles et s’agenouillant à tous les calvaires rencontrés pour y réciter des prières, laissait derrière lui la disette et la ruine. Encore ces pauvres gens exténués, ne sachant où on les menait, ne mangeaient-ils pas à leur faim, et voyaient-ils de mauvais œil les gentilshommes de l’État-major se goberger dans les châteaux. Leurs chefs, à eux, les Cadoudal, les Mercier, les Guillemot, partageaient leur vie rude et cassaient la croûte au bivouac ; mais à M. le vicomte de Pont-Bellenger et à sa noble escorte, il fallait table bien servie, cour de femmes élégantes, bons vins, bon gîte et bons lits. Cette nouveauté choquante déplaisait aux Morbihannais ; ils ne se gênaient pas pour maugréer contre ces émigrés arrogants qu’on n’avait jamais vu se battre et qui dissimulaient mal leur dédain pour les rustres qu’ils commandaient.

Cette vie de Cocagne de l’État-major n’allait pas toujours sans à-coups. Certain jour, — c’était le 20 ou le 21 juillet, — comme l’Armée rouge, par d’affreux chemins, traversait la forêt de Lorges, se dirigeant vers Quintin, les chefs tenaient conseil au manoir de Kerigant. Les Bleus ! Les Bleus sont là ! En un instant les cachettes de la maison se referment sur tous ceux qui peuvent y trouver place : les autres sautent sur leurs armes, traversent en trois bonds le courtil et s’enfoncent sous le couvert des vergers. Madame de Kerigant demeure seule avec ses deux très jeunes enfants[234]. Elle prend le plus petit sur son bras, saisit la main de l’autre et se présente ainsi aux républicains. Ils envahissent le manoir et se font ouvrir toutes les pièces, sans aucun résultat ; puis ils explorent les abords et s’avancent jusqu’à la rivière d’Oust que contourne le promontoire sur lequel est posé Kerigant. Au travers des branches, ils aperçoivent, à quelque distance, trois hommes assis à l’ombre d’un arbre et « causant tranquillement », leur fusil entre les jambes. C’est Saint-Régent, Le Gris-Duval et son domestique, qui attendent, sans émoi, pour rentrer, que la visite domiciliaire soit terminée. En ce temps-là, l’alerte était de tous les jours et l’accoutumance au péril émoussait la prudence. À l’abri des arbres qui les cachent, les Bleus font une décharge : le plus grand des trois hommes tombe ; ses compagnons ripostent, au jugé, par deux coups de fusil ; un républicain est blessé et ses camarades le rapportent au château. Profitant de ce répit, Saint-Régent et le domestique relèvent Le Gris-Duval qui a reçu deux balles dans la poitrine ; il perd son sang en abondance, refuse d’avancer, exige qu’on le laisse là et, tandis que Saint-Régent et le domestique traversent l’Oust et disparaissent dans les fourrés, il se traîne à la rivière, s’y enfonce jusqu’au cou, et s’abrite sous de grosses racines d’aulnes qui le dissimulent complètement. Les Bleus reviennent, suivent la trace du sang qui les conduit au bord de l’eau, ne voient personne, jugent que l’homme qu’ils ont abattu a dû fuir, avec les deux autres, sur la rive opposée, et ils abandonnent la poursuite. Ils partent enfin, laissant à Kerigant leur camarade blessé.

Comment Le Gris-Duval parvint-il à sortir de l’eau ? C’est ce qu’il n’a jamais su dire. Une femme du village le trouva évanoui sur le bord ; on le transporta au château ; il guérit promptement. Le Bleu était plus grièvement atteint : Madame de Kerigant l’installa chez elle et lui donna des soins : c’était un homme blond et malingre, de mine pateline et de ton sournois ; il se disait flamand et se nommait Mairesse.

Cet incident n’avait pas arrêté la marche incertaine de l’Armée rouge ; le 21 elle arrivait devant Quintin où Pont-Bellenger la rejoignit ; son premier soin, en descendant à l’hôtel de la Grandmaison où il établit son quartier général, fut de frapper la ville d’une contribution de cent mille livres. Comme les notables de l’endroit vinrent lui représenter respectueusement l’impossibilité de satisfaire à cette exigence, il se montra bon prince et déclara se contenter de 15.000 francs qui lui furent aussitôt versés et qu’il oublia d’emporter, le lendemain, en quittant l’auberge : la somme ne fut jamais retrouvée. Pour compenser cette étourderie, Pont-Bellenger, en arrivant, le 23, à Châtelaudren, taxa la bourgade à 40.000 francs « d’impositions de guerre », payables dans les vingt-quatre heures et, de ce coup-là, les Morbihannais de Georges Cadoudal se fâchèrent. Ils se débandent, rebroussent chemin vers Quintin. Ils viennent d’apprendre le désastre de Quiberon : toute l’armée de débarquement prisonnière… Les a-t-on amenés si loin pour assurer la victoire de Hoche ? Va-t-on les employer au pillage ? Où les conduit-on ? Que veut-on d’eux ? Un vent de révolte souffle sur l’Armée rouge ; on se porte au quartier général ; on invective, on hue ; la stupeur est grande quand on apprend que Pont-Bellenger a disparu : abandonnant ses troupes, suivi de quelques nobles émigrés, il a gagné une retraite inconnue[235]

Si l’on savait tout, peut-être le plaindrait-on au lieu de l’accuser : ne vient-il pas d’apprendre que sa jeune femme, — cette séduisante marquise du Grégo entrevue à Coëtlogon, — a rencontré, ou « retrouvé » Hoche, le vainqueur, dont le prestige et la fière beauté l’ont séduite ; qu’elle vit maintenant à l’État-major du héros républicain[236]. La malheureuse va désormais descendre la pente qu’on ne remonte pas : le scandale de ses aventures épouvantera toute la Bretagne ; un fonctionnaire écrira d’elle « qu’elle est l’épouse de tous les généraux… » Pour les attirer, elle sera leur espionne ; c’est elle qui vendra Charette — et bien d’autres ; — et quand, dans quelques mois, on trouvera dans un champ de l’Ille-et-Vilaine, près de Médréac, le cadavre de Pont-Bellenger, on pourra dire, sans se tromper, que « s’il est tombé frappé d’une balle républicaine, ce n’est pas cette balle, mais sa femme, qui l’a tué[237] ».

Par bonheur pour l’Armée rouge que la désertion de son chef voue aux catastrophes, Georges Cadoudal lui reste. Les suffrages de tous se portent sur lui ; il exige une obéissance absolue et s’engage à ramener les Morbihannais sains et saufs dans leur pays. On part la nuit ; Georges mène la colonne ; en passant sur la chaussée d’un étang[238], les Chouans se dépouillent de leurs vestes rouges et les jettent à l’eau ; au soleil levant, on est à Corlay ; à Mur, les hommes de Saint-Régent se détachent du gros de la troupe pour regagner leurs foyers ; à Locminé, ceux de Guillemot bifurquent vers le pays de Bignan. Dans les derniers jours de juillet, l’Armée rouge arrivait à Moustoirac, ayant parcouru vingt-cinq lieues sans perdre un homme et dépisté les troupes mises à sa poursuite. Sa pitoyable randonnée coûtait à la chouannerie Tinténiac ; mais elle donnait l’essor à Georges, l’indomptable chef qui va la personnifier jusqu’à la fin. Il cantonna sa troupe à Kervanic[239] et à Kerniven[240], à proximité des landes de Lanvaux et de la forêt de Camors, au point stratégique où, quinze jours auparavant, sa présence eût sauvé la cause royale. Arrivée trop tard au rendez-vous, elle se dispersa : le désastre des émigrés était consommé et déjà s’en propageaient les épouvantables et grandioses épisodes : — l’attaque désespérée du 16 sous la conduite de Sombreuil[241], ce chef de vingt-six ans auquel le cabinet britannique confiait le commandement général des troupes expéditionnaires ; — l’héroïsme acharné des gentilshommes soldats, arrachant des cris d’admiration aux grenadiers de Crublier et d’Humbert : — « Comme on voit bien que ce sont des Français ! » disaient-ils avec une sorte d’orgueil… — Des traits d’une épique beauté : — le commandeur de la Laurencie, les deux jambes emportées par un boulet, se faisant mettre dans un tonneau de farine pour retarder l’hémorragie, déchargeant son pistolet et criant : Vive le Roi ! jusqu’au dernier souffle ; — le jeune de Corday, vingt et un ans, frère de Charlotte, se ruant trente fois à l’assaut, tombant enfin, haché de coups, quand Humbert accourt, arrête ses soldats : — « N’achevez pas ce jeune homme, sa bravoure me charme ; laissez-le vivre ! » — La panique des paysans éperdus, des femmes hurlantes, vers la mer : la marée monte, les chaloupes anglaises ne peuvent aborder ; il faut se mettre à l’eau pour les atteindre et la vague bouscule les corps, les rejette à la plage, les reprend, tableau d’infernale horreur, accrue par la canonnade, la débandade des bestiaux, l’enchevêtrement des charrettes ensablées… Les Bleus avancent, refoulant au fond de l’étroite presqu’île ces cohues auxquelles la terre va manquer ; Sombreuil et sa dernière phalange de braves essaient de lutter encore : — « Rendez-vous, camarades ; on ne vous fera rien ! » clament les Bleus apitoyés, — « Venez avec nous, vous serez bien traités ! » — « Fuyez, fuyez, c’est le plus sûr », crient les officiers républicains, plus perspicaces. Où fuir ? Le drame se prolonge, tantôt si atroce, tantôt si touchant, que les grenadiers d’Humbert se détournent pour ne plus voir : — « Oh ! pourquoi nous battons-nous », gémit le beau général, désespéré de sa victoire. Le vieil évêque de Dol est dans la bousculade, avec son grand vicaire et douze ecclésiastiques de sa suite ; il refuse de s’embarquer. — Puisaye, lui, s’est sauvé l’un des premiers ; il est à bord d’une corvette anglaise, à l’abri, avec tous ses papiers, contemplant, sans désespoir, ni remords, ni honte, l’aboutissement tragique de ses hâbleries et de son inconscience. Et l’on voit cette navrante et noble scène : Hoche, accouru de Vannes, marchant vers Sombreuil ; les deux jeunes chefs s’abordant, se saluant, aussi émus l’un que l’autre, causant longuement, à l’écart, en marchant côte à côte sur la falaise rocheuse ; enfin le vaincu, tirant son sabre, baisant pieusement la lame, et la remettant au vainqueur.

Ah ! s’il n’y avait eu là que des soldats !… Mais il y a les représentants du peuple, qu’on n’a pas vus pendant la bataille et qui se montrent, le péril passé. Ils sont deux : — Blad, un pauvre homme, morfondu de timidité, jouant à contre-cœur et mal son rôle de satrape, — et Tallien, saltimbanque de marque, qui déjà évalue en esprit le bénéfice personnel à tirer de l’événement : il se trouve que son intérêt politique commande la répression sans pitié, et, parce qu’il lui faut ne pas déplaire à tel parti, s’assurer l’appui de tel autre, raffermir sa situation menacée, des flots de sang couleront. Déjà s’allongent sur la route d’Auray, les lamentables défilés des émigrés prisonniers, vers l’abattoir des commissions militaires. En vain les grenadiers nationaux soufflent-ils aux malheureux qu’ils escortent : — « Sauvez-vous ! Sauvez-vous, messieurs, ou vous périrez tous ! » En vain Hoche lui-même se compromet-il à tenter l’évasion de Sombreuil, ces gentilshommes se croient tenus par la parole d’honneur et trop peu mettent à profit la générosité des Bleus. Dès le 27 commencent les hécatombes et, ce jour-là, sur la garenne de Vannes, contre un mur de pierre dont quelques vestiges subsistent encore, le jeune Sombreuil, le vénérable évêque de Dol, deux officiers et treize ecclésiastiques, seront alignés devant le peloton qui les attend, armes chargées. Le vieux prélat, les mains liées, veut mourir tête nue et prie l’un des militaires de le découvrir ; Sombreuil s’interpose, repousse le soldat : — « Pas toi ! Tu n’en es pas digne ! » Comme ses mains sont également entravées, il saisit entre ses dents le chapeau de l’évêque et le jette à terre d’un brusque mouvement de tête…

Ainsi, avant de finir, s’épanouissait en maints incidents du drame, la grâce chevaleresque de l’antique noblesse moribonde, comme une leçon léguée à la jeune France démocratique, fruste et brutale, mal adaptée encore à la grandeur de ses naissantes destinées.


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* *

Après l’abandon de son commandement, le vicomte de Pont-Bellenger s’était retiré chez Le Gris-Duval, à Bosseny, l’endroit le plus propice à la retraite d’un homme soucieux de disparaître. Niché entre les contreforts du Mené, à l’écart de tout chemin fréquenté, touchant à des landes longues de huit lieues, le château de Bosseny, vaste construction ancienne, joliment ornementée à l’époque de la Renaissance, constituait un séjour d’autant mieux agencé pour un fugitif, que la vie y était plantureuse et la société très agréable : les deux beaux-frères, Le Gris-Duval et Kerigant avaient de l’esprit et de la bonne humeur ; leurs jeunes femmes, également belles, étaient accueillantes et distinguées ; en outre, vivaient sous leur toit leur sœur, non mariée[242], les dames de Guernissac, la jolie Joséphine de Kercadio qui, jugeant peu sûr ou trop sévère le séjour à son manoir de Bréhand, s’était fixée à Bosseny où la présence de Pont-Bellenger et des officiers nobles de son ex-état-major mettait une animation distrayante[243].

Quelque adversaire jaloux voulait-il la mort de Pont-Bellenger ? Une dénonciation mystérieuse éveilla-t-elle les soupçons des administrateurs du district de Broons ? Ils avertirent leurs collègues de Loudéac qu’il se passait « du louche » chez Le Gris-Duval : une nuit — c’était celle du 3 août 1795, — Le Gris-Duval, Kerigant et sa femme étant absents, un détachement du 2e bataillon de l’Ain, parti de Loudéac où il cantonnait, parvint à se glisser, sans donner l’éveil, dans les mauvais chemins de la Ville-Hermel. Au cri Qui vive ? poussé par les Chouans postés en sentinelles aux abords de Bosseny, les Bleus répondent : — « Bons royalistes et catholiques[244] ! Ils passent ; la maison est cernée ; les femmes s’enfuient ; les hommes qui sont là improvisent la défense ; les Bleus chargent à la baïonnette ; pas un coup de fusil n’est tiré[245]. Pont-Bellenger tombe ; l’un de ses officiers, Salomon de Lorgeril, est abattu à ses côtés ; un autre, Charles du Couëdic du Cosquet, percé de coups, est poussé dans un grand feu que les assaillants ont allumé au milieu de la cour. Quinze corps déjà sont étendus[246], sanglants, quand madame Le Gris-Duval paraît, tirant sa jeune sœur par la main : du fourré où elle s’était blottie, elle a vu les flammes du brasier ; elle croit que son château brûle ; elle accourt, intrépide ; interpelle l’officier qui commande cette horde de brutes ; il se trouble, il s’excuse, allègue qu’il n’est pas maître de ses hommes. Il ordonne la retraite, le massacre cesse et, dans la nuit, la troupe reprend le chemin de son cantonnement, avec une vingtaine de chevaux pris dans les écuries de la ferme et chargés de butin. Sur l’un d’eux on place madame Le Gris, sur un autre, mademoiselle Le Texier, sa sœur, sur un troisième, mademoiselle de Kercadio qu’on emmène captives à Loudéac. Quand les Kerigant et Le Gris-Duval rentrèrent le lendemain dans le château dévasté, les gens du pays avaient inhumé les cadavres ; on en comptait treize ; Pont-Bellenger n’était pas mort ; l’ex-commandant de l’Armée rouge fut transporté dans une cache sûre, aux environs de Saint-Méen, dans l’Ille-et-Vilaine où il guérit de ses blessures ; madame Le Gris et sa sœur furent bientôt relaxées[247], malgré l’acharnement des fonctionnaires locaux ; quant à Joséphine de Kercadio, les « patriotes » ne lui pardonnaient pas d’avoir été « la femme à Boishardy » ; elle fut écrouée à la prison de Loudéac, fameuse par sa sordidité : c’était, au milieu de la ville, un fétide et tremblant édifice composé d’une niche pour le geôlier et d’un cachot empuanti dont les miasmes séculaires infectaient tout le voisinage : pendant le jour on y entassait pêle-mêle les détenus des deux sexes ; la nuit, on isolait les femmes dans un réduit à peine abrité[248].

La malheureuse enfant qu’un mauvais sort poursuivait, resta là durant trois semaines, au bout desquelles les Administrateurs du département « considérant qu’elle n’est prévenue d’aucun délit, ni l’objet d’aucune dénonciation, mais qu’elle a cependant suivi le parti connu sous la dénomination de Chouans, et qu’on ne saurait prendre trop de précautions pour l’empêcher d’y retourner et de continuer ses relations avec eux… (sic) » décident qu’elle sera remise à la garde du citoyen Le Saulnier[249] et devra se présenter chaque jour à la municipalité du chef-lieu, avec « défense de découcher et de sortir de la commune ». C’est donc à Saint-Brieuc, — alors nommé révolutionnairement Port-Brieuc, — que fut internée la jeune fille ; mais le citoyen Le Saulnier, quelle que fut la solidité de son stoïcisme, ne put supporter longtemps la cohabitation avec cette peu docile et impétueuse pupille : au bout de deux mois il implorait grâce, réclamant « d’être déchargé de toute responsabilité à l’égard de la dite citoyenne… » Sur quoi mademoiselle de Kercadio, libérée de la surveillance, fut déclarée « apte à jouir des droits assurés à tout individu soumis aux lois de la République[250] » ; ce dont elle profita pour retourner sans délai parmi les Chouans.

Car, de pacification, on le pense bien, il n’était plus question. Les paysans, d’ailleurs, n’avaient pas compris grand’chose à ces pourparlers sans résultats ; la paix, à leur sens, c’était le retour à l’ancien ordre, les églises rouvertes, les bons prêtres officiant ; rien de tout cela ne se réalisait ; c’est donc que la guerre durait toujours. « Pourtant leur feu sacré d’antan se trouvait très altéré depuis le malheur de Quiberon[251]. » La proclamation de Louis XVIII, parfaitement inconnu et qui n’intéressait personne ; la « trahison » de M. de Puisaye en qui on avait cru, c’étaient là autant de coups mortels pour la ferveur royaliste des Bretons. En vain Puisaye, après quelques semaines de méditation à l’Île de Houat, a-t-il compris que, sous peine d’être à jamais discrédité, il lui faut reparaître en Bretagne : il débarque à la côte du Morbihan[252] ; Georges invite le « sauvé de Quiberon » à quitter dans les vingt-quatre heures la région sous peine de mort. Dans l’Ille-et-Vilaine, l’accueil n’est pas plus chaud ; vers la mi-novembre Puisaye est réduit à chercher refuge aux environs de Vitré, retour mélancolique au temps du Comte Joseph : alors il ne redoutait que les Bleus ; les royalistes maintenant lui sont également hostiles. Il essaie de faire encore figure de chef, recrute une garde d’honneur, donne des ordres — qu’on n’exécute pas, nomme des chefs, — qui ne sont pas reconnus. La Chouannerie pourtant n’est pas éteinte ; il reste toujours des irréconciliables : hobereaux élus commandants de légion et qui ne veulent pas renoncer à l’influence ou à la gloriole que ce titre leur confère, non plus qu’aux récompenses qu’il leur vaudra en cas de restauration monarchique. Pour la guerre sournoise et locale qu’ils vont perpétuer, ils recrutent des hommes parmi les désespérés : déserteurs des troupes républicaines, survivants de Loyal-Émigrant ou de Rohan-Infanterie, nobles vagabonds voués à la mort, échappés de la tragique presqu’île et résolus à venger l’hécatombe de leurs camarades. Ils s’y emploient avec ardeur, car, en cet automne de 1795, presque tous les militaires ayant consenti à siéger dans les sanglants tribunaux de Quiberon, de Vannes ou d’Auray qui condamnèrent à la fusillade près d’un millier d’officiers royalistes, étaient déjà morts, victimes d’implacables représailles[253].

Elle est bien singulière, la vie de ces justiciers errants, aux gages de chefs de bandes sous les ordres desquels ils s’enrôlent. Dans le Penthièvre, ils pullulent, si entreprenants que les patriotes de Moncontour sont prisonniers dans leur petite ville « dont aucun n’ose sortir sans s’exposer à une mort certaine[254] ». Pour remplacer Boishardy, Puisaye a nommé le chevalier de la Vieuxville ; mais celui-ci ne paraîtra guère et c’est Le Gris-Duval, le châtelain de Bosseny, qui, du consentement unanime, commande la division des Côtes-du-Nord. De Quintin à Broons, de Loudéac à Saint-Brieuc, sa haute taille, son visage grêlé, sa barbe brune, sont populaires, et aussi sa camaraderie sans morgue avec les paysans, son infatigable activité, ses manières un peu rudes et son goût pour la facétie. Rien du fanatisme dans son opposition au gouvernement ; elle serait plus volontiers goguenarde : auteur de plaisantes comédies de salons, Le Gris-Duval, dans la vie réelle, a peu de goût pour la tragédie ; la situation fût-elle dramatique, il est rare qu’il ne l’exploite en vaudevilliste et que, au dénouement, les rieurs ne soient pas de son côté. Ainsi, gardant sur le cœur l’enlèvement par les Bleus des vingt chevaux de sa ferme, il réunit, certaine nuit, une trentaine de ses hommes choisis parmi les plus adroits et les plus résolus : il se met à leur tête et prend la route de La Chèze, chef-lieu de canton situé à quatre lieues de Bosseny. Il avait appris qu’un détachement de cavalerie républicaine séjournait à cet endroit. Comme bon nombre de villages bretons, le bourg de La Chèze, centre d’une assez importante agglomération très disséminée, se composait alors presque uniquement d’une place où s’élevaient la halle et deux ou trois estaminets[255]. Les cavaliers bleus s’étaient répartis dans les écarts ; les gardes d’écurie dormaient à l’auberge ; les chevaux étaient sous la halle. Le Gris-Duval fit brider les bêtes, ses hommes se mirent en selle, et toute la caravane reprit le chemin de Bosseny, ayant opéré avec tant de rapidité et de silence que les cavaliers de la République connurent seulement à leur réveil la disparition de leurs montures. L’histoire des chevaux « envolés » de La Chèze fut longtemps légendaire dans le pays de Loudéac.

L’État-Major de Le Gris-Duval comprenait, au début de 1796, son beau-frère Kerigant ; Jean-François de Carfort, originaire de Plémy, « jeune homme d’un caractère violent » ; Mathurin-Charles Dutertre, propriétaire à Plaintel, Jacques Villemain et Joseph Hervé Du Lorin, les deux lieutenants auxquels Boishardy, sur le point de mourir, avait confié sa fiancée ; Hervé Du Lorin père, « homme de loi », à Plœuc et un cousin de Saint-Régent, François Lamour de Lanjégu, officier de l’armée de Quiberon, récemment fusillé à la Chartreuse d’Auray en même temps qu’une trentaine de condamnés ; tombé sans une blessure, il s’était, la nuit venue, dégagé des cadavres entassés et caché pendant quelques jours dans les marais de Tréauray ; gagnant ensuite la forêt de Camors, il avait rallié la « loge » où vivait, dans la forêt de La Nouée, son parent Saint-Régent, dit Pierrot, lequel l’envoya à Bosseny[256]. Ce ressuscité, malgré ses macabres aventures, était un boute-en-train d’humeur constamment rieuse ; il écrivait de jolis vers et se faisait peu prier pour les chanter au dessert. Ces divers personnages, encore que souvent nomades, composaient la société habituelle de Bosseny où l’on menait vie joyeuse. Une tante de madame de Kerigant, madame Le Frotter de Kerilis, habitant Pontivy, assurait la correspondance avec le Morbihan et recrutait pour Le Gris-Duval. Femme d’émigré, royaliste exaltée, madame Le Frotter[257] avait donné son fils aîné, Étienne, à la Chouannerie ; son second fils, Honorat, l’assistait dans ses embauchages. Condamnée une première fois pour ce fait à quatre mois de prison[258], elle n’en continuait pas moins à tenir bureau d’enrôlement pour la bonne cause et l’on était toujours assuré de trouver par son intermédiaire les hommes dont on avait besoin.

Quant aux simples Chouans dont disposait Le Gris-Duval, leur nombre variait suivant les circonstances : tous les habitants de Saint-Gilles du Mené, village voisin de Bosseny, étaient à sa dévotion ; il gardait seulement quelques agents à demeure, parmi lesquels François Poilvey, déserteur de l’armée républicaine[259], fixé à Bréhand depuis 1794, et Ignace Mairesse, ce soldat bleu qui, blessé lors de l’attaque du manoir de Kerigant, avait été soigné par la belle-sœur de Le Gris. Enfin rétabli, après plusieurs mois d’invalidité, il vivait alternativement à Kerigant ou à Bosseny et passait pour être le domestique de confiance des deux familles ; son sobriquet était Le Beau. Quand quelque grand « coup » se préparait, ces deux hommes parcouraient le pays et recrutaient sans peine des volontaires. Le Gris-Duval pouvait abriter deux cents hommes dans des casernements bien dissimulés. Un détachement de la garnison de Loudéac explorant, dans l’automne de 1795, les environs de Bosseny, s’enfonça « dans un bois taillis extrêmement fourré » et découvrit « au pied d’une montagne » un confortable campement de brigands. Les sentinelles et une trentaine d’hommes disparurent dans la forêt à l’approche des Bleus. Ce campement comportait huit baraques de planches, contenant chacune vingt-cinq couchettes : on y trouva des pistolets, des moules à balles, un sac de farine, quelques quintaux de bœuf salé et de lard, de la chandelle, des bouteilles d’eau-de-vie, des cartouches, des sabots et « deux paires de bas de soie », ce qui permit au capitaine La Martinière, commandant le détachement républicain, « de présumer que le chef des rebelles était au moins l’équivalent d’un chevalier »… Les Bleus incendièrent les baraquements et le perspicace La Martinière dirigea son exploration vers d’autres points de « la contrée chouannière[260] ».

Ce qui surprend c’est la sécurité presque absolue de ces repaires d’insurgés. Depuis que le gouvernement du Directoire a remplacé la Convention, les autorités semblent se résigner à ce qu’elles nomment, en style administratif, « l’état affligeant de la situation[261] ». Très affligeant, en effet, car opposée à l’Administration départementale, fonctionne une autre administration, plus puissante, mieux dirigée et obéie, celle des Chouans. La première n’est pas sûre de ses employés ; elle redoute « leur désertion en masse[262] » ; l’autre commande en maître à un personnel éprouvé et docile : ainsi Le Gris-Duval a ses percepteurs et ses tribunaux ; il lève les impôts et prononce des condamnations. Ses arrêtés sont placardés en meilleure place que ceux du Directoire. Au cours de janvier 1796, on lit celui-ci, affiché dans la grande rue de Dinan[263] :


Au nom du Roi,

Les braves jeunes gens qui voudront contribuer à la destruction de la République sont invités à se joindre à nous ; là ils trouveront tous les moyens de servir honorablement la cause de la Religion et du Roi.

Fait en notre quartier général, l’an 2 du règne de Louis XVIII.


Quand il s’agit de lever une contribution, la formule diffère : voici, par exemple, l’avis adressé au citoyen Ruellan de la commune de Gouray :


Au nom du Roi et de l’armée catholique de Bretagne, vous êtes averti, Monsieur, que si demain, à midi, vous n’avez pas rempli les engagements que vous avez pris vis-à-vis des royalistes, vous nous forcerez à mettre à exécution les moyens que nous n’avons que trop différés.
Signé : Rodolphe-César
[264].


En marge, cette mention :


Bon pour vingt-cinq louis.


Et c’est madame Le Gris-Duval, en personne, qui vient à Collinée réclamer la somme au sieur Cadoret chez qui Ruellan a dû la déposer[265]. Car tout citoyen convaincu d’avoir acquitté ses impôts doit payer en argent à la caisse royale « la même somme qu’il a versée en assignats au percepteur du gouvernement[266], et, comme en l’an de misère IV de la République, l’assignat de cent livres vaut exactement 9 sols 10 deniers[267], on juge du rendement de cette draconienne réglementation. Pour obtenir la liste de ses contribuables, Le Gris-Duval dispose d’un procédé très simple : bon nombre de municipalités lui communiquent leurs rôles[268]… Au surplus les percepteurs et autres agents du fisc sont tous, en bloc, condamnés à mort[269]. S’ils ne succombent pas tous, tous sont menacés, ce qui refroidit leur zèle. Quant aux dénonciateurs, les chouans sont pour eux sans pitié : le verdict est prononcé sans appel : nulle cache, nulle fuite, nulle démarche ne peut soustraire à la justice expéditive le condamné qui, d’ailleurs, n’est avisé de son arrêt qu’en recevant le coup de la mort. À Plémet, près de La Chèze, en novembre 1795, le juge de paix, son greffier et un autre « patriote » sont massacrés par des exécuteurs mystérieux[270]. Parfois les vengeurs signent : à quelques mois de là, sur le cadavre de Le Jollic, président du canton de Penvenan, on trouve un écriteau portant :

J’ai perdu la vie pour avoir été le fléau des honnêtes gens… Les dénonciateurs et ceux qui feront faire des fouilles subiront le même sort que moi.

Matière à réflexions[271].

Tout le pays est complice ; aucun de ceux que les rapports officiels désignent comme les auteurs de ces forfaits ne prend la peine de se cacher. Le Gris-Duval ne manque pas de se montrer, chaque lundi, au marché de Moncontour ; il vient même à Saint-Brieuc, où il a un logement, rue des Bouchers ; son beau-frère, Kerigant, commande la garde nationale de sa commune ; les détenteurs de biens nationaux, les curés intrus, les « terroristes » sont, à leur tour, si terrorisés, qu’ils enragent et haïssent en silence. Même on s’accoutume aux tueries ; on apprend, sans grand émoi, sans étonnement, le massacre d’un voisin rencontré la veille : il paraît que c’était son tour… Un vieux de ces temps affreux dira, bien des années plus tard : — « Le monde se tuait comme mouches et on ne faisait pas plus de cas de la vie d’un homme que de celle d’une bête[272]. » Les fonctionnaires sont en pays ennemis ; ils n’osent sortir des villes et il faut être un héros ou un fou pour accepter l’emploi de juge de paix ou celui de percepteur dans une bourgade éloignée du chef-lieu[273]. Chaque nuit on entend dans les bois « tirer des coups de fusil, signal des rassemblements » ; dans les landes, au fond des chemins écartés, rôdent « des hommes inconnus dont les uns vont à pied, les autres bien montés, mais tous bien armés[274] ». Ce sont des échappés de Quiberon, des Loyaux ainsi que disent les paysans, ou des Vendéens qui ont passé la Loire pour s’engager dans quelque bande. Les chouans circulent même par troupes compactes : une colonne de quatre mille hommes part de Saint-Méen, en Ille-et-Vilaine, se grossit à Ménéac des hommes de Le Gris-Duval, à La Nouée des bandes de Saint-Régent ; ils sont huit mille en arrivant à Ploërmel ; ils ont de la cavalerie et des fourgons et ils traversent ainsi tout le Morbihan jusqu’à Sarzeau, pour y recevoir et se distribuer un envoi de munitions promis par les Anglais — et qui n’arrive point.

Que peuvent contre de telles forces les petits détachements patrouillant sur les routes ? Tous les buissons sont embuscades et les Bleus tombent sans avoir vu un ennemi. En janvier 1796 l’autorité militaire ordonne de « couper les arbres, bois, haies, et de niveler les fossés à cent toises de chaque côté des chemins[275]… » C’est tout le pays à transformer et le travail n’est même pas entrepris.

Et, tout à coup, c’est la paix. — Hoche, effrayé des dangers qui menacent la République, a jeté sur la Bretagne toutes les divisions devenues disponibles par l’écrasement définitif de Charette et de Stofflet. La résistance est impossible : il faut traiter ; les conditions sont acceptables : — expulsion des émigrés clandestinement rentrés, amnistie aux conscrits réfractaires ; liberté des cultes sous certaines restrictions, livraison des armes. Tout de suite les adhésions affluent ; Georges lui-même cède[276] ; à son exemple tous les chefs locaux se soumettent. Hoche triomphe ; mais il est trop informé pour s’illusionner : les haines ne sont pas éteintes et l’apparente réconciliation porte en elle des germes de discorde.

À Saint-Brieuc, le 11 juillet, Le Gris-Duval, avec cinq autres chefs de division, se présente au général Valleteaux pour faire enregistrer sa soumission, s’engageant à remettre toutes les armes dont il dispose et un contrôle nominatif des hommes ayant participé à ses rassemblements[277]. C’était l’abdication complète, le renoncement, peut-être sincère : la séduisante nouveauté des élections annuelles, les intrigues et les rivalités que suscitaient les scrutins, fournissaient aux vieilles rancunes des occasions suffisantes de luttes inédites. Il y eut quelques mois d’accalmie véritable et la vie parut reprendre son cours normal ; jamais ne furent célébrés en Bretagne, — comme ailleurs, — tant de mariages : l’un d’eux produisit quelque sensation : mademoiselle Joséphine de Kercadio épousait Hervé Du Lorin, celui-là même qui l’avait guidée vers Bosseny à l’heure où Boishardy tombait dans le chemin des Champs-Piroués. Joséphine avait dix-sept ans à peine ; Du Lorin n’en comptait pas davantage et l’union de ces deux enfants associés déjà à de si dramatiques événements fut regardée par beaucoup comme l’épilogue heureux des mauvais jours[278]. Certains moroses estimaient que la fiancée de Boishardy s’était consolée bien vite, et, de fait, quand les nouveaux mariés s’installèrent à Moncontour, rue de la Commune ; quand, aux beaux jours, ils se rendaient à Bréhand, dans cette maison de La Ville-Louët où, si souvent, le légendaire proscrit avait cherché refuge, tout devait harceler leur commune mémoire : le seuil de cette maison du Clézieux où, pour la première fois, les plumes blanches du royaliste avaient frôlé le panache tricolore de Hoche dans l’embrassement des deux soldats ; l’appui de la fenêtre où la tête sanglante avait été posée, et, sur la route, le chemin tragique, le Pont-de-Pierres, le moulin de Rainon, les haies, les bois, les landes étaient hantés d’obsédants souvenirs… Mais un couple d’amoureux qui n’ont pas à deux quarante ans songe-t-il aux fantômes ? Le peu que l’on sait autorise à penser que le tumultueux passé ne fit pas empreinte sur le jeune ménage Hervé Du Lorin. Cela aigrissait les envieux survivants des clubs et des comités de la Terreur de voir ces nobles détestés admis dans le nouvel ordre social. Les hommes qui, comme l’accusateur public Besné, s’étaient révélés trop bruyants démagogues pour oser maintenant se poser en modérés, considéraient avec un dépit hargneux cet avortement de la Révolution. Eh ! quoi ! Saint-Brieuc fourmille de parents d’émigrés dont l’arrogance insulte à la dignité du peuple ! Des prêtres rebelles débitent aux imbéciles leurs momeries comme au temps où la France gémissait sous le joug des moines et des tyrans[279] ! Est-ce donc que la République agonise et que les patriotes vieillis à son service vont perdre leurs places ? — D’autre part les royalistes ne se déclaraient pas plus satisfaits : après quelques mois d’apaisement apprécié, les chefs de la Chouannerie, presque tous jeunes et ardents, prenaient en lassitude leur oisiveté présente ; ils regrettaient la vie de périlleux hasards ; n’avaient-ils pas, en acceptant trop tôt la Pacification de Hoche, compromis l’avenir ? La soumission à la République ne leur fera-t-elle point perdre tous droits à la reconnaissance des Princes lors de la Restauration immanquable ?

Et puis il restait dans les forêts du Morbihan beaucoup de sans asile, — émigrés errants, survivants de Quiberon, Vendéens de Charette, — beaucoup de déserteurs de l’armée républicaine aussi, dont la seule ressource était le « chouannage » et qui réclamaient des enrôlements. Bref, après moins d’un an de repos, les adversaires pacifiés entrevoyaient la probabilité d’hostilités prochaines et l’on en discutait sans répit dans les salons des villes comme sous le chaume des métairies.

Un jour, à Saint-Brieuc, au café Bailly, place Saint-Guillaume[280], un petit cénacle de bourgeois, jacobins attardés, fulminait contre ces brigands royalistes dont le fanatisme avait entravé l’essor de la démocratie : n’aurait-on pas dû les exterminer en masse ? Un jeune lieutenant de la 104e demi-brigade, échauffé par la rhétorique de ces matamores d’estaminet, s’égaya de leurs faciles fanfaronnades envers des adversaires contre lesquels il avait fait, lui, le coup de feu. L’intervention goguenarde de cet « épauletier » déplut aux péroreurs : dispute, invectives, bagarre. Un particulier s’interpose ; — grande taille, visage grêlé, barbe brune ; — il saisit un tabouret qu’il brandit de ses mains robustes ; l’officier dégaine ; tous deux se dégagent de leurs assaillants et sortent du café, tête haute. Dans la rue ils se nomment l’un à l’autre : — « lieutenant Pierre Duviquet — Le Gris-Duval, chef royaliste. » On se serre la main ; on cause. Duviquet dit son dégoût de commander à des hommes indisciplinés, mal nourris, raisonneurs, découragés ; depuis un an plus de cent soldats de son bataillon ont déserté. Originaire des environs de Meaux, il s’est engagé en 1792, comme volontaire à la 184e demi-brigade : officier depuis deux ans, il est las de traîner ses guêtres en Normandie et en Bretagne et de ne jamais se battre contre les ennemis du dehors[281]. Le Gris-Duval ne s’épuise pas à réconforter son nouvel ami et à lui prôner les beautés de la servitude militaire. Sans doute l’incita-t-il, au contraire, à répudier ce rebutant métier et vanta-t-il les agréments de l’indépendance ainsi que la noblesse de la cause, prochainement triomphante, à laquelle lui-même avait voué sa vie. Huit jours plus tard le lieutenant Duviquet arrivait à Bosseny, très fêté par l’aimable société du château. Il quittait l’armée sans esprit de retour[282]. On verra par la suite de ce récit que, en abandonnant le droit chemin, il allait entraîner ceux dont il devenait l’hôte à de désastreuses aventures et se vouait lui-même au plus tragique destin.

II


En veine d’examen de conscience, Talleyrand écrivait un jour : — « On ne saura jamais jusqu’où les hommes peuvent s’égarer aux époques de décomposition sociale ; bien des chutes alors deviennent excusables ; bien des événements sont compréhensibles. » Cette maxime, qui est un aveu, devrait servir d’épigraphe à beaucoup d’épisodes de notre histoire et de précepte à ceux qui l’écrivent. Ce serait une grande erreur de juger les contemporains de la Révolution d’après nos sentiments et nos idées d’aujourd’hui et d’évaluer leurs ardeurs et leurs entraînements à la mesure de notre expérience et de notre modération. Nous sommes depuis longtemps dégrisés ; eux vivaient dans un état d’ivresse endémique. Quand Le Gris-Duval introduisit sous son toit Pierre Duviquet et présenta aux siens cet officier déserteur, aucun des hôtes de Bosseny n’estima désobligeante cette intrusion et le nouveau venu fut accueilli comme un parfait modèle de loyauté et d’honneur militaire. Les dames lui choisirent un surnom et lui décernèrent celui de Constant qui, en un temps où tout n’eût pas été à l’envers, aurait pu paraître ironique, appliqué à ce lieutenant de la République devenu chouan de son plein gré. D’ailleurs il avait bonnes façons : vingt-huit ans, une belle taille, des cheveux châtains et des yeux bleus, le nez long, la figure pleine[283]. Il plut dès le premier jour à la société de Bosseny par son ton de galanterie délicate et sa martiale désinvolture. Le Gris-Duval le nomma son major de division et Duviquet eut la politesse de considérer cette promotion comme un avancement.

La Chouannerie était en paix avec la République, il n’est pas inutile de le rappeler ; mais les chefs royalistes n’avaient point pour cela renoncé à leurs grades. Le Gris-Duval, depuis sa soumission, continuait à se considérer comme le successeur de Boishardy au commandement de la division des Côtes-du-Nord ; même il conservait une petite troupe, composée de quelques hommes employés à ses communications avec les autres chefs de la Bretagne ou à la surveillance du territoire de son commandement. Rien de belliqueux ; point de campement ni de démonstrations militaires ; un simple contact permanent avec les municipalités « bien pensantes » de la région qui le renseignaient sur l’esprit des fonctionnaires, les acquéreurs de biens nationaux et la sécurité des lignes de correspondance. Ne faut-il pas, d’ailleurs, s’entourer de quelques défenseurs au cas où les Bleus tenteraient un mauvais coup ? Et puis peut-on abandonner de braves gas, reste des bandes de Boishardy ? Ils ont pris goût à la vie libre ; si on ne les hébergeait que deviendraient-ils ? Peut-être aussi a-t-on peur d’eux et juge-t-on prudent de ne pas les congédier. Et encore il y a les errants qui viennent s’offrir : madame Le Frotter, à Pontivy, ne cesse de faire des enrôlements ; il faut accepter les hommes qu’elle recrute : en décembre 1796 elle en envoie à Le Gris-Duval quatorze bien armés[284] : pauvres hères évadés du bagne de Brest ou des prisons de Vannes ; depuis des mois ils rôdent affamés, de forêts en forêts : vrais loups qu’il vaut mieux tenir à l’attache… Et tel est le contingent de la bande que va commander Duviquet, dit Constant. Il aura pour lieutenants Carfort, Dutertre et Poilvey, trois anciens de Boishardy ; Mairesse, le flamand, restera l’agent de confiance, tantôt domestique, tantôt commissionnaire, espion à l’occasion. Une vingtaine d’hommes, plus ou moins, formera le gros de la troupe ; ils ne sont pas casernés mais répartis dans les hameaux et les métairies de Bosseny, au moulin des Loges, à la Ville-Hermel, à La Seille, à Mégrin, au Mautray, à Damehay : cette dernière ferme est au flanc d’un piton d’où l’on domine au loin le pays et qu’on nomme encore aujourd’hui la Guette en souvenir du poste d’observation qu’y avait établi Le Gris-Duval[285].

Mairesse a laissé une relation, de rédaction très confuse, mais qui ouvre un aperçu saisissant et probablement unique sur l’existence à la fois oisive et mouvementée de ces aventuriers mercenaires qu’étaient les Chouans de la décadence. Ils sont loin les pieux paysans des Cathelineau et des La Rochejaquelin, qui marchaient à l’ennemi en chantant des cantiques et disaient le chapelet, le soir, au bivouac ! Mairesse ne sait point de cantiques : il erre par la campagne, « n’aimant pas rester longtemps dans le même canton », allant de Kerigant chez Augé, à Plessala, ou chez Lahaye-Durand, ou chez Carfort, à Plémy, soutirant ici ou là de la toile « pour se faire des guêtres », — ou bien une paire de souliers, — une veste neuve, — un pourboire. Son camarade, Plus joli, l’avertit « quand M. Le Gris a besoin d’hommes » ; alors il rallie Bosseny où il est toujours bien reçu. Madame Le Gris, Duviquet, l’émigré Lamour-Lanjégu et Pierrot lui font accueil et le traitent « en vieille connaissance ». Pierrot, c’est Saint-Régent qui, depuis que la paix est faite, s’ennuie dans « sa loge » de la forêt de La Nouée et vient se dégourdir chez ses aimables voisins.

Mairesse est logé au château et partage la chambre de Duviquet. Un matin, il est dans la forêt, avec Le Gris, « occupé à faire charger des planches », quand un paysan accourt : « Les Bleus sont à Bosseny ! » Duviquet, prévenu, vient se réfugier dans les bois ; en se sauvant du château il s’est trouvé nez à nez avec l’officier qui commande le détachement républicain, un ancien camarade qui, par bonheur, ne l’a pas reconnu. On s’enfonce au plus épais du fourré ; on écoute : — « Ils ne tirent pas, dit Le Gris, ils n’auront trouvé personne. » C’est que Bosseny est bien machiné : il y a des souterrains qui mènent loin dans la campagne ; Le Gris a fait établir par un menuisier de Moncontour un escalier qui descend au jardin, et percer une porte dans le mur de clôture : en trois sauts on est dans le taillis. Tout de même, les Bleus partis, on décide, par crainte d’une alerte de nuit, qu’on ne couchera plus au château : Duviquet et Mairesse iront dormir chez une veuve habitant « une petite maison sur la chaussée de l’étang » ; c’est là aussi que logeront Saint-Régent et Lamour-Lanjégu quand ils seront à Bosseny.

Entre temps, on n’oublie pas « les affaires » ; mais, sur ce point, Mairesse est sobre de détails : — « lever de l’argent chez des receveurs », note-t-il laconiquement ; c’est-à-dire qu’on est allé piller la caisse des percepteurs de contributions. Pour ces coups de main on est en force et bien armé ; Mairesse, avisé la veille, va, de nuit, chercher son fusil, caché dans un champ. Le rassemblement a lieu à Bel-Air, point culminant du Mené ; la lande, longue de plus d’une lieue, qui s’étend de cette hauteur jusqu’à la Mirlitantouille est, de tout le pays, l’endroit le plus propice à la préparation des expéditions délicates ; les surprises y sont impossibles et les dispersions aisées : un homme couché dans les ajoncs est invisible à cinq pas. Quant au cabaret de la Mirlitantouille, rien de plus innocent que l’aspect de ces deux masures posées de chaque côté du grand chemin. La fille Plé, qui y vend à boire, n’est pas du tout suspecte de complicité avec les Chouans : elle vit avec son père qui paraît être l’homme le plus indifférent aux querelles politiques. Jamais un incident n’éveilla sur son humble auberge les méfiances administratives ; pas une patrouille de gendarmes, pas un détachement de Bleus, en marche de Loudéac à Saint-Brieuc qui ne s’arrête là pour « rafraîchir », portes toujours ouvertes, toujours accueil empressé ; rien de louche, rien de mystérieux. Il est rare cependant qu’un émigré nomade, un chouan de marque, ne soit pas réfugié là dans quelque cache, attendant la nuit pour se remettre en route ; c’est un point de transit de la correspondance royaliste entre les régions de Rennes, de Vannes, d’Uzel, de Merdrignac : les courriers y déposent leurs dépêches : qui s’étonnerait de voir entrer en cette guinguette isolée, pour souffler et casser la croûte, un bûcheron, un sabotier, un mendiant, fatigués de la traversée de la lande ? Ils sont sûrs d’y trouver, outre de bons avis sur les mouvements des troupes, des armes, des munitions, des déguisements au besoin. On croirait même que, pour ne pas attirer sur ce précieux abri les curiosités indiscrètes, les chefs de la Chouannerie en détournent leurs bandes : c’est, comme on l’a vu, à Bel-Air, ou plus loin encore, à la Butte à l’Anguille, que se forment les rassemblements. De la Mirlitantouille, nul ne s’occupe, nul ne parle ; Mairesse qui connaît bien l’endroit, puisqu’il y passe chaque fois qu’il se rend de Bosseny à Kerigant par les landes du Mené et la forêt de Lorges, Mairesse ne le cite qu’une fois dans sa prolixe relation : encore est-ce bien probablement un hasard qui l’y amena. — L’un des hommes de Duviquet, nommé Giraud, étant allé à Saint-Brieuc, « lâcha, dans un café, quelques mots contre Le Gris-Duval, Dutertre et autres ». La chose fut répétée à Dutertre qui en informa Le Gris. À quelques jours de là, Mairesse entrant au Mautray, chez Bigot, voit, « installé à boire avec des paysans », Le Gris qui l’attire au dehors et, « parlant tout bas » lui commande d’aller, avec La Douceur et Thurier, — deux gars sûrs, — à la Ville-Hermel, d’y chercher Giraud et de l’emmener « dans un endroit un peu écarté pour le fusiller ». Mairesse obéit sans se permettre la moindre observation : les quatre hommes partent pour la lande ; Giraud ne s’étonne pas d’être le seul qui n’ait point d’arme ; sans doute la conversation amicale de ses compagnons l’abuse-t-elle sur le but de la promenade : elle se prolonge ; au bout de trois heures de marche, alors qu’on approche de la Mirlitantouille, Thurier s’arrête et dit : — « Mets-toi à genoux. » Giraud comprend : ses trois camarades arment leurs fusils : il se jette sur celui de Mairesse, en arrache la pierre ; les autres le tirent à bout portant ; les deux coups ratent ; déjà le condamné se sauve à toutes jambes, vers la maison où il se réfugie[286]. Ses exécuteurs ne se hasardèrent pas à l’y reprendre ; la Mirlitantouille était lieu d’asile. Quant au cabaretier et à sa fille, ils ne s’étonnaient évidemment de rien. Giraud resta chez eux le temps de se remettre, puis disparut[287]

Lorsque Duviquet s’en mêle, le travail est mieux fait : le 7 mai de cette année 1797, il part, la nuit, de Bosseny, emmenant trois de ses hommes, Plus-joli, La Douceur et Mairesse. Point de fusils ; des pistolets sous la veste. À six heures du matin ils arrivent à Gausson ; malgré l’heure matinale le bourg est déjà animé, car c’est dimanche et bien des gens se rendent au marché de Plœuc. Duviquet demande à une femme « où reste le citoyen Duval ? » La paysanne, complaisante, conduit les quatre hommes : — « C’est là. » Duval était le pharmacien de l’endroit, réputé « patriote » ; n’avait-il que ce crime-là sur la conscience ou pour quelque autre motif déplaisait-il à Bosseny ? On ne sait. — Duviquet frappe à la porte : les deux jeunes filles du pharmacien crient qu’elles se lèvent ; elles viennent ouvrir. Duviquet entre avec Plus-joli ; ils apportent, disent-ils, des ordonnances ; Duval est encore couché ; ils montent à sa chambre ; on bavarde un instant tandis qu’il passe sa culotte. Et, tout à coup, ils l’empoignent, le font descendre d’une poussée, le jettent dehors et, dans la rue, en face de sa porte, l’abattent de deux balles. Ils s’en vont tranquillement, laissant le cadavre sur la route. Tout le village est témoin de l’exécution : elle ne soulève pas grand émoi : « Ce sont les chouans ; il n’y a rien à faire. » Ça fournira trois lignes dans le rapport décadaire des administrateurs du département[288].

Le plus souvent l’expédition a pour objet une simple « contribution » à lever sur quelque bourgeois entaché de républicanisme. « Vols à Plessala, à Laurenan, à Langart… » ce sont des mentions qui reviennent à toutes les pages des confessions de Mairesse. Rarement l’opération est lucrative : si l’on rafle 400 livres chez le citoyen Sauvage, de Plessala, c’est une aubaine ; ordinairement le profit est minime : — quelques francs, quelques sous, qu’on se partage non sans dispute ; le résultat n’est pas en rapport avec les risques : chez un meunier du Pontgamp Mairesse et ses camarades ne parviennent pas à enfoncer la porte et ils essuient des coups de fusil ; à Laurenan, chez un nommé Bon, ils récoltent 24 livres pour trois ; la femme Bon, furieuse d’être « contribuée », court chercher les gendarmes, puis, par peur des représailles, se décide à ne pas porter plainte et les voleurs s’en vont « bien tranquilles ».

La petite bande de Bosseny continue à trôler sur tous les chemins du pays, traînant sa misère, avec des intermèdes de bombance que Mairesse relate complaisamment : une nuit passée à Hénon, chez un boiteux dont la femme accouche et où on se régale d’une raie et d’une belle tanche ; des beuveries de cidre et d’eau-de-vie, accompagnées d’interminables parties de cartes ; des séjours dans la maison d’un veuf de Plaintel, père d’une jeune fille qui a été religieuse et chez qui le fricot est d’autant meilleur qu’on trouve là « l’ancien cuisinier de Dutertre » ; et surtout l’heureux séjour chez Du Lorin à Plœuc, lorsqu’un prêtre est venu bénir le mariage de mademoiselle de Kercadio avec Hervé Du Lorin et celui d’Élisabeth Du Lorin avec M. Huguet. Mairesse passa là cinq jours dans un grenier où les jeunes mariés et « plusieurs vieilles dames » lui rendirent visite ; on lui montait de la cuisine les reliefs des banquets et les fonds des bonnes bouteilles[289]. Car si la bande crie famine, les chefs ne perdent pas une occasion de festoyer. Duviquet est le coq de ces réjouissances : les hommes l’estiment ; les femmes l’adorent ; il a sa chambre à Bosseny, se cache à Kerigant : — « un trou au-dessus de la tête de bœuf à droite en entrant dans l’écurie, du côté du pressoir » ; — une autre à Moncontour, chez le jeune ménage Hervé Du Lorin, — une autre encore à Saint-Brieuc, chez Élisabeth Du Lorin, belle-sœur de Joséphine de Kercadio. Des refuges sûrs l’attendent à Plaintel, à Laurenan ; on se le dispute : son entrain, son intrépidité, sa galanterie tournent les têtes ; sa renommée efface le souvenir des Boishardy et des Tinténiac. — La chouannerie déroge.

C’est que, depuis deux ans bientôt, règne le Directoire ; sa démoralisation, legs de la Convention défunte, s’infiltre, se propage, gagne comme une gangrène tout le corps social. La lutte des partis, naguère désintéressée, se fait rapace : pour la première fois les gens discernent qu’une conviction peut être un métier, et lucratif : ceux qui occupent un emploi salarié, ceux qu’enrichissent la râfle des biens nationaux, l’agiotage, les fournitures, tiennent pour le gouvernement ; — les autres, les spoliés, que leur nom, leur passé excluent des charges et condamnent au discrédit, s’insurgent ; s’ils persévèrent dans la rébellion, ce n’est point qu’ils espèrent, isolés et sans ressources, rétablir le trône aboli : c’est seulement pour satisfaire, sous prétexte de représailles politiques, leurs rancunes personnelles, à moins qu’ils ne spéculent encore sur un revirement toujours possible qui paiera leur obstination.

Cependant la ferveur quasi mystique des premiers chouans n’est pas éteinte ; elle s’est réfugiée dans l’âme d’un homme dont le nom va grandir de jour en jour et s’imposer à l’histoire, Georges Cadoudal. Depuis qu’il a ramené l’Armée rouge des bords de la Manche aux landes du Morbihan, il se prépare, il travaille, étudie « la tactique, les principes de la théorie et des manœuvres ». Il a vingt-six ans ; il est corpulent : grosse tête, grosses cuisses, un cou de taureau, une force d’Hercule : il brise entre ses doigts un écu de six livres. Son visage pâle et gracieux est encadré de favoris, blonds comme ses cheveux bouclés ; dans ses yeux qui, parfois, s’illuminent d’éclairs, passent les reflets d’une tendre bonté. Caractère fier, puissant et fougueux ; grande nature, rude et inculte : c’est un maître. On parle beaucoup de lui en Bretagne, mais on ne le voit pas : du mystère dont il s’enveloppe naissent des légendes : on le représente « armé d’un fusil à vent, foudroyant ses ennemis sans bruit, suivi par un lévrier blanc, sale et très laid, qui porte les correspondances cachées sous son collier ; il est aussi servi et accompagné par une domestique fidèle, nommée Julienne, que tout le parti connaît sous le nom de Madame Jordonne[290] ». Il vit entouré de quelques fidèles : son quartier général est continuellement mobile : tantôt c’est une maisonnette au milieu des bois, un château abandonné, ou bien cette île quasi mythique qu’on appelle l’île Fortunée ou l’île du Bonheur ; il s’y retire dans une petite ferme qu’avoisinent des cachettes voûtées, pratiquées jadis par des contrebandiers dans l’épaisseur de longs talus couverts d’arbres et de broussailles[291]. Son plus cher ami est un jeune homme de vingt-trois ans, mince, fluet, petit, à l’air distingué, à la démarche élégante ; il s’appelle Mercier, on le surnomme La Vendée ; il est le fils d’un aubergiste du Lion d’Angers. Ses belles manières, son élocution facile, son ardente piété, sa finesse et sa bravoure tranquille lui valent un prestige presque égal à celui de Cadoudal[292]. On a dit de Mercier La Vendée, qu’il fut le Patrocle de l’Achille breton.

Dans l’été de 1797, quoique Georges eût seulement sous son commandement la région de Vannes et d’Auray, sa suprématie était déjà si manifeste qu’aucun chef royaliste ne se fût permis d’entreprendre une expédition de quelque importance sans lui en avoir soumis le projet. C’est ainsi que Le Gris-Duval et Duviquet, inquiets de la pénurie de leur bande et du mécontentement que les hommes ne dissimulaient pas, entreprirent le voyage du Morbihan afin de se présenter à Georges et d’obtenir de lui l’autorisation « d’opérer dans le département du Finistère » ; la guerre civile avait épargné cette région de la Bretagne et on pouvait espérer y réaliser quelques prises fructueuses. Ils furent mal reçus : Georges refusa : — « N’avaient-ils pas de quoi se remonter dans les Côtes-du-Nord ? » D’ailleurs il leur recommanda la modération : — « Ne pas tuer », tel est le mot d’ordre. « On ne doit point compromettre la cause par des vengeances particulières[293]. Duviquet et Le Gris revinrent assez déconfits ; ils espéraient un encouragement à la rigueur, on leur avait prêché la nécessité des concessions. Pourtant il fallait vivre : les conscrits réfractaires, les déserteurs de l’armée, les fugitifs de Quiberon ou de la Vendée, sans feu ni lieu, « pris entre la misère la plus sombre et les baïonnettes républicaines, réclament ou des secours légitimes ou la reprise des hostilités ». Si l’on tarde à les satisfaire, les chefs royalistes eux-mêmes seront menacés ; ne parle-t-on pas déjà de bandes d’hommes masqués qui, la nuit, enfoncent les portes des maisons isolées, réclament de l’argent, grillent les pieds aux récalcitrants et disparaissent, râflant tout ce qu’ils peuvent emporter de lard, de pain, de cidre et d’eau-de-vie ?

Si la politique du Directoire avait suivi son orientation momentanée vers l’apaisement, la chouannerie, désorganisée et découragée allait s’éteindre. Le coup de force du 18 Fructidor rouvrit l’ère des violences et des persécutions[294]. La nouvelle de cet événement parvint à Bosseny vers le 10 septembre. Madame Le Gris-Duval, revenant de la foire d’Uzel avec son beau-frère Kerigant, annonça, très montée, « l’arrestation de Pichegru et de bien d’autres ». — « Voilà encore un coup manqué », disait-elle. Le conseil qui se tint ce soir-là autour de la table des Le Gris fut belliqueux ; tous les habitués s’y trouvaient : Duviquet, Carfort, Mairesse, Dutertre, Lamour-Lanjégu et peut-être son cousin Pierrot-Saint-Régent. Le gouvernement rompait brutalement la trêve : il fallait en finir avec cette république de malheur ! On se grisa de projets. Kerigant parlait de soulever la garde nationale de son canton, qu’il commandait : — « il irait avec son monde au département pour avoir des nouvelles et des munitions. » Le Gris se mettrait à la tête des hommes de Saint-Gilles et de Saint-Gouëno. Sur l’avis de madame Le Gris, Mairesse courut au moulin à fouler des Loges, afin d’y prendre les paquets de cartouches cachés là, sous le toit, depuis la pacification. Il les apporta « dans un mauvais linge » ; mais les cartouches étaient humides ; pour en faire d’autres on envoya chercher du papier chez le maire de Saint-Gilles, qui livra un gros paquet d’affiches officielles ; les proclamations et les arrêtés du Directoire fournirent d’excellentes gargousses aux fusils des Chouans[295]. Les jours suivants, on connut les décrets impitoyables contre les émigrés ; la Terreur renaissait ; il fallait combattre.

Mais le coup d’État frappe à l’improviste : on n’est pas prêt ; l’émiettement des forces royalistes interdit tout mouvement d’ensemble. Le premier enthousiasme refroidi et l’heure des réflexions venue, le petit clan de Bosseny doit reconnaître que l’armée dont il dispose se réduit, au total, à rien : une vingtaine d’hommes, plus chapardeurs que soldats. Duviquet relève les courages : sa situation personnelle est nette : officier déserteur, s’il est pris, c’est la mort : il luttera donc jusqu’au dernier souffle ; l’émigré Lamour-Lanjégu, dont le cas est également désespéré, se range à cet avis ; Dutertre et Carfort sont tout aussi résolus. D’ailleurs Duviquet croit à la victoire : toutes les vieilles bandes royalistes, depuis le Maine jusqu’en Vendée, vont se reconstituer ; la République n’a pas d’armée à leur opposer : Hoche n’est plus là pour les vaincre ; il vient de mourir, à vingt-huit ans, sur le Rhin, frappé d’un mal mystérieux ; on a même célébré à Saint-Brieuc une fête funèbre « à l’honneur de ses mânes » et promené par les rues de la ville un cénotaphe, imité de l’antique, qu’entouraient les fonctionnaires « jouant la douleur d’une façon risible[296] ». Des hommes ? Sur un signe Duviquet aura toute sa compagnie qui tient garnison à Moncontour. On est sans argent ? Le gouvernement n’en manque pas : il suffit de le lui prendre, et l’on rejoindra Georges Cadoudal dont l’armée est forte déjà de 15 à 16.000 hommes et qui bientôt en comptera 40.000 !…

L’entraînante parole de Duviquet ne rencontra pas de contradicteurs ; seuls Le Gris-Duval et son beau-frère Kerigant auraient hésité à partager son optimisme ; mais l’intrépide madame Le Gris surtout et sa sœur étaient d’avance conquises à ses utopies. On s’explique difficilement l’ascendant que le lieutenant déserteur avait pris, en si peu de mois, sur ces femmes très honnêtes, mais, à la vérité, d’esprit singulièrement exalté et romanesque. Admis dans l’intimité des deux familles comme un frère tendrement aimé, Duviquet y était entouré des plus affectueuses attentions. Ainsi quand, au début de son séjour à Bosseny, il fut atteint de la gale, madame Le Gris le soigna avec un dévouement méritoire ; elle isola le malade[297], et s’occupait elle-même de ses repas de régime, — « viande, fraises, salades, artichauts et autres choses[298]… » L’amour, comme bien on pense, jouait son rôle en cette aventure, et cela contribuait à parfaire le paladin aux yeux des dames de Bosseny. Duviquet aimait, en effet, une personne de leurs relations intimes : laquelle ? La chronique hésite sur le nom. Il paraît probable que ce sentiment très tendre et très fervent, — on n’en pourra douter d’après la suite de ce récit, — avait pour objet mademoiselle Pélagie Du Lorin, la jeune belle-sœur de Joséphine de Kercadio[299]. Peut-être même un projet de mariage était-il ébauché ; mais dans la situation instable et menacée où se trouvait l’amoureux, il ne pouvait raisonnablement songer à fonder un foyer.

Les rigueurs du gouvernement n’avaient point pour effet d’améliorer cette situation. Chaque jour apporte une nouvelle désastreuse ; Le Gris-Duval, s’étant risqué jusqu’à Saint-Brieuc, revient en hâte, annonçant que l’ordre est lancé de courir sus à tous les chouans. Peu après on apprend, à Bosseny, qu’un arrêté du département, affiché à la porte de l’église de Saint-Gilles-du-Mené, met à prix les têtes de Duviquet, de Mairesse et d’autres : — 200 livres sont promises à qui fera prendre le premier : Mairesse n’est estimé que 50 francs[300]. Le placard est, du reste, arraché dans la journée par Carfort et Duviquet lui-même. Autre alerte : quatre Bleus de la garnison de Moncontour entrent un matin dans la cour de Bosseny ; leur arrivée met tout le monde en fuite ; mais bientôt ils s’en vont, laissant un ordre émané du commandant en chef des troupes de la région : il convoque Le Gris-Duval à son quartier général, avec menace, en cas de retard, d’être appréhendé et interné au château de Saumur. Même, comme au temps de Robespierre, des espions du gouvernement parcourent la province : l’aventure d’un de ces observateurs de l’esprit public fournirait un chapitre amusant : c’est un certain Legrand, venant de Paris, qui apparaît dans les Côtes-du-Nord à l’automne de 1797 ; il ne connaît rien ni personne, passe ses journées au cabaret, fréquente le rebut de la populace, dénonce à tort et à travers, réclame à chaque courrier de l’argent, vit plantureusement à la bonne auberge, critique les mouvements des troupes, note sévèrement généraux et magistrats, si bien qu’on le soupçonne d’être un ennemi du gouvernement et qu’on l’arrête… comme agent de Puisaye ! L’Administration municipale de Dinan, coupable de cette bévue, s’excuse auprès du ministre de la Police en le priant de choisir des collaborateurs moins dangereux pour le repos des bons citoyens[301]. Carfort était déjà signalé[302] ; la position n’était plus tenable ; de Pontivy, madame Le Frotter, — cette parente de madame de Kerigant qui passait pour l’une des plus actives agentes secrètes du parti royaliste, — avertissait Le Gris-Duval et ses amis qu’il était temps de se méfier : « le bruit courait qu’on allait les prendre[303] ». Duviquet se préparait à passer dans le Morbihan avec sa petite bande ; mais pour affermir la docilité de ses hommes il lui fallait de l’argent ; le plus sûr moyen de s’en procurer était de dévaliser l’un des courriers portant les fonds de la République. Il résolut donc d’attaquer une diligence de poste, sport encore assez peu pratiqué et qu’il allait porter, du premier coup, à la perfection.

On se mit en route le soir de la ci-devant Toussaint et l’on alla jusqu’au manoir de Boishardy où l’on parvint entre minuit et une heure. Duviquet frappa à la porte ; personne ne parut : la petite gentilhommière était inhabitée. On fit le tour de la maison et l’on arriva à la métairie voisine du château. On y trouva le jardinier, gardien de la propriété et l’ami Poilvey, logé là. Il alla chercher des pots de cidre et, tout en buvant, on lui exposa le projet. La journée du lendemain se passa à dormir ; au début de la nuit suivante, — la nuit des Morts, — la bande, bien armée, se mit en route, grossie de Poilvey et du jardinier de Boishardy. Duviquet, Carfort et Dutertre commandaient. Par Trégenestre, Pommeret et les Champs Ruault, on atteignit la grand’route de Paris à Brest.

C’est l’endroit où, plus de quatre ans auparavant, Boishardy, à son premier coup de main, avait arrêté la voiture de Lamballe. Le lieu est favorable, en effet : après avoir passé le hameau de Sainte-Anne et le pont sur l’Évron, la route monte une longue côte que les diligences gravissent lentement. On prit les dispositions de combat : comme la voiture de poste était souvent accompagnée de dix à douze militaires, Duviquet divisa ses hommes en deux pelotons qu’il embusqua de chaque côté de la route. Au moment où la voiture passerait, le peloton de gauche ferait feu ; les soldats d’escorte qui n’auraient pas été atteints se porteraient infailliblement à droite de la voiture pour se mettre à l’abri d’une seconde décharge : alors l’autre peloton les abattrait. Faire en sorte de ne pas blesser les chevaux que, le coup fait, on utilisera à emporter le butin. Respecter les voyageurs : ce sont peut-être des royalistes ; mais s’il se trouve parmi eux quelque républicain notoire, pas de grâce[304]. Telles étaient les consignes.

On n’attendit pas longtemps : les Chouans, tapis dans les broussailles, perçurent bientôt au loin le roulement de la voiture. Elle est au hameau de Sainte-Anne : — elle passe le pont de l’Évron ; on entend le trot des chevaux ; donc elle n’est pas escortée : défense de faire feu. Elle ralentit, s’engage dans la montée ; Duviquet se tient prêt ; il distingue maintenant la grosse masse que tirent trois chevaux, deux aux brancards et un en flèche sur lequel est le postillon. Elle approche. La voici. — « Arrête-là, au nom du Roi ! » Des cris de surprise ; des jurons ; les chevaux qui s’acculent. Tous les Chouans ont surgi de l’ombre ; le postillon met pied à terre ; le conducteur descend du siège. — « Es-tu chargé d’argent pour la République ? — Non ! » Déjà, sur l’ordre de Duviquet, ses hommes sont dans la voiture et sous la bâche ; il n’y a pas de voyageurs ; tous les colis, sacs, caisses, ballots, effets sont jetés à terre, chargés sur les trois chevaux dételés. Le postillon reçoit six livres « pour boire à la santé du Roi » ; le courrier réclame un petit sac d’écus qui est sa propriété et qu’on lui laisse, et aussi quelques caissettes de fromages de Maroilles. En remerciement il tire de son coffre une bouteille de vin qu’on débouche et qui passe à la ronde. On se sépare — « à une autre fois ! » Les Chouans tirent les chevaux chargés, s’enfoncent dans un chemin creux, laissant sur la route la voiture échouée et ses deux conducteurs déconfits.

La bande, avant le jour, retraversa Pommeret et gagna le hameau de l’Hôpital, en Quessoy, qui est une ancienne commanderie du Temple. On était là en lieu sûr. Les chevaux déchargés, Carfort et Duviquet procédèrent à l’inventaire ; chacun d’eux, muni d’un couteau, coupait les ficelles, éventrait les sacs, ouvrait les paquets et les lettres, soulevait les planchettes des caisses, fourrait dans sa poche tout ce qu’il trouvait d’assignats ou d’argent. Défense aux hommes de rien prendre. Les objets les plus divers s’entassaient, provisions de bouche ou modes de Paris, une caisse contenant des tabatières, une autre pleine de « bottines fines », une autre encore de toupets postiches et de perruques pour femmes. On jeta au feu les lettres particulières ; la correspondance officielle fut mise en sac et quand l’opération se termina Duviquet déclara qu’il partait, avec Carfort, pour le Morbihan, afin de porter tous ces papiers au général Georges. Il commanda aux hommes de se disperser ; il les paya : Mairesse reçut pour sa part « environ 100 francs ». Il passa toute la nuit suivante « à boire, chez une veuve[305] ».

Il se dirigea, les bras ballants, vers Kerigant, ayant laissé son fusil « dans un hangar rempli de foin, au-dessus d’un pressoir ». Il y a six lieues de Quessoy à Kerigant, par Plœuc et le château de Lorges. Mairesse arriva de nuit chez le beau-frère de Le Gris-Duval : on le félicita chaudement du bon succès de l’expédition qu’il conta dans les détails : il resta là huit ou dix jours. Duviquet n’avait pas reparu. Vers le 10 novembre une lettre de lui, apportée par un inconnu, annonça que les Bleus étaient à sa poursuite : il fallait découvrir, dans les environs de Kerigant, une maison sûre où il se réfugierait ; la maison fut trouvée sans peine ; mais il ne vint pas. Sans doute avait-il réussi à gagner le Morbihan. L’arrestation de la malle-poste mettait en émoi tout le pays : à Bosseny, comme à Kerigant, on affectait de vivre « au grand jour » pour détourner tout soupçon de connivence ; le vendredi 10, les Le Gris et les Kerigant ne manquèrent pas de se montrer aux marchés d’Uzel et de Quintin où se faisait un fort trafic d’étoffes, berlinge ou toile. Un jour, comme sa femme était à Quintin, Kerigant prit Mairesse à part et lui confia qu’elle avait grande envie d’une de ces perruques parisiennes « trouvées dans le déballage de la malle-poste », et qu’elle serait très heureuse s’il lui en procurait une. Mairesse promit et se mit en quête. Trois jours, cinq jours, puis une semaine passèrent sans qu’il revînt : et, tout à coup, — c’était le 17 novembre, — on sut qu’il était pris : les gendarmes l’avaient arrêté à Uzel et conduit à la prison de Saint-Brieuc.

Nouvelle inquiétude, car Mairesse vivait depuis deux ans dans l’intimité des deux familles Le Gris et Kerigant ; il connaissait toutes leurs relations et toutes leurs intrigues : s’il « parlait » pour sauver sa tête, il pouvait révéler bien des choses et compromettre bien des gens. Cela ne manqua pas. À peine sous les verrous, Mairesse fait savoir au capitaine Veingarten[306], commissaire du pouvoir exécutif près le Conseil de guerre, qu’il est disposé, en échange de sa grâce, à éclairer la justice militaire sur l’organisation des Chouans. Le marché conclu, il paie comptant : jamais délateur ne fut plus « consciencieux » et plus prolixe : il dit les noms, les signalements, décrit les costumes, indique les refuges et les caches, relate les exécutions, les vols auxquels il a pris part, le pillage de la malle-poste, et tout cela pêle-mêle, passant d’un sujet à l’autre, craignant de ne pas assez trahir ceux qu’il a servis, revenant sur d’infimes détails pour bien montrer qu’il sait tout, fatiguant les greffiers qui se relaient à consigner ses dénonciations dont une seule, la première, remplit cinquante-huit pages in-folio, — de quoi envoyer à l’échafaud ou au bagne plus de cent personnes, ouvriers, gentilshommes, paysans, émigrés, mères de famille et jeunes filles, déserteurs, cabaretiers, servantes, fonctionnaires…

Le Gris-Duval, bientôt informé, conseille à tous les siens le sang-froid : un autre aurait pris la fuite ; il préfère affronter le danger ; il joue l’insouciance. Comme l’hiver approche, il se prépare à quitter Bosseny pour venir, ainsi qu’il le fait chaque année, se fixer à Saint-Brieuc. Il se plaît, on l’a dit déjà, aux moyens de comédie : qui présumerait coupable un homme assez sûr de son innocence pour se placer sous la main de la justice ? Aussi, dès les premiers jours de décembre, il déménage avec le plus grand calme, et, précédant sa femme, il prend, conduisant lui-même une voiture chargée de malles et de meubles, le chemin de la ville. Comme, en plein jour, il traverse Moncontour, on l’arrête. Il s’étonne de ce malentendu, se laisse docilement mener sous bonne escorte à la geôle du chef-lieu[307]. Vers la fin de janvier, — il fallait le temps de dresser, d’après les indications de Mairesse, tous les mandats d’arrêt, — des commissaires spécialement désignés procédaient en une même nuit à l’arrestation de ses complices : de tous les points du département, les prévenus affluaient aux prisons de Saint-Brieuc ; gens de toutes classes, de toutes professions, et, parmi eux, la jeune madame Hervé Du Lorin, l’ancienne fiancée de Boishardy, et son enfant nouveau né[308], — son mari, son beau-père, son beau-frère Huguet, sa jeune belle-sœur Pélagie Du Lorin, celle qu’on disait aimée de Duviquet, — madame Le Gris-Duval, le ménage Kerigant, leurs domestiques, leurs servantes, leurs métayers, — Le Borgne, l’ancien serviteur de Boishardy… soixante à quatre-vingts inculpés que déjà le commissaire du Directoire, signalait comme étant des brigands « fameux par leur barbarie et leur soif du sang des hommes[309] ».

Au grand dépit des magistrats, Duviquet avait échappé aux recherches, et avec lui ses lieutenants Dutertre, Carfort et Poilvey.


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On l’a rigoureusement traqué, pourtant ; sa présence a été signalée dans la forêt de Loudéac, à Uzel, vers La Nouée, aussi[310]. On a su que son ami Lamour-Lanjégu, le ressuscité de Quiberon, désertant la région du Mené, l’a rejoint aux frontières du Morbihan et qu’ils sont actuellement chez Georges ; on a même appris que Duviquet, blessé d’une balle au talon, a juré qu’il se brûlerait la cervelle s’il se voit sur le point d’être pris[311]. On a lancé sur sa piste d’habiles espions déguisés en Chouans. Nul résultat. Car maintenant les « faux Chouans  » abondent : le gouvernement use, sans vergogne, de ce moyen de guerre ; les « brigands », en revanche, revêtent l’uniforme national, de sorte que les malheureux fonctionnaires, blousés par ces métamorphoses, font bonne mine à leurs ennemis et se garent de leurs protecteurs.

La question des « faux Chouans » et des « faux Bleus » n’est pas élucidée : les deux partis se sont renvoyé l’éclaboussure de cette perfidie. L’initiative en revient, bien probablement, au général Rey qui, dès 1794, habillait de costumes chouans un détachement de ses grenadiers pour explorer le littoral[312]. Le Comité de Salut Public, jugeant l’idée heureuse, arrêtait l’année suivante, en créant les colonnes mobiles, qu’« il serait fourni à chacun des hommes de ces compagnies, un habillement complet, tel que le portent les habitants des campagnes où la compagnie doit agir[313]. C’est l’institution officielle des « faux Chouans », Hoche ne répugna pas à en faire usage : — « Tâchez de prendre Charette, écrivait-il à son chef d’état-major Grigny, le 1er mars 1796. Faites déguiser quelques hussards et volontaires en paysans munis de cocardes blanches[314]. » Les commissaires du Directoire n’y mettaient pas, on le pense bien, plus de scrupules ; dans la poursuite de Duviquet, le même stratagème fut employé : — « Cinq hommes bien armés, déguisés en chouans, avaient la mission de pénétrer dans le repaire de ce scélérat ; ils l’ont manqué deux fois ; la première d’une heure seulement ; la seconde fois de quatre heures[315]. » Par contre, Duviquet coiffait ses hommes de tricornes ou de bonnets de police républicains et les habillait de capotes militaires[316] ; pour mieux dire, comme sa bande se composait, en majeure partie, de déserteurs, ceux-ci, en passant aux brigands, n’avaient à changer ni de costumes ni d’équipement. On imagine les tragiques quiproquos résultant de ces réciproques contre-ruses ; un exemple : — le sergent-major du cantonnement de Rostrenen part en expédition avec quatre de ses soldats, travestis comme lui en paysans. Il frappe, de nuit, à la porte d’un royaliste notoire, Dilly, du Cosquer, en Mellionec : — « Qui vive ? — Ami ! Royalistes ! » Dilly ouvre sa porte, tend la main ; il est massacré. Le sergent-major reçut du ministre une lettre de félicitation pour cette action « éclatante », et 300 francs : 100 pour lui, 50 pour chacun de ses hommes[317].

Les autorités de Saint-Brieuc sont exactement renseignées : Duviquet se trouve dans le Morbihan avec Carfort, Lamour-Lanjégu et Dutertre. Poilvey, séparé d’eux après quelques semaines de vie commune, est pris et guillotiné à Saint-Brieuc, le 15 mars « convaincu d’avoir participé à l’attaque de la malle-poste, dans la nuit du 2 au 3 novembre précédent[318] ». Ce jugement appelle une revanche : Duviquet ne la fait pas attendre : le 9 avril, la diligence de Rennes à Vannes est attaquée par vingt-deux hommes qui bondissent des taillis au moment où elle pénètre dans la forêt de Molac, non loin de Saint-Guyomard ; les brigands, « tous jeunes », vêtus « en marins, en soldats et en paysans », enlèvent de la voiture 30.000 francs en numéraire qui appartiennent à la République[319] et s’éloignent dans la direction de Malestroit[320]. Dix jours plus tard, on arrête à Plumelec un homme aux allures singulières, « tourneur de son métier », très pauvre et qui dit s’appeler Ruomal[321]. Il avoue tout de suite son véritable nom : c’est Lamour-Lanjégu. Il est cité souvent dans les dénonciations de Mairesse ; écroué au secret dans la prison de Vannes, fers aux pieds et aux mains, face à face avec la mort qu’il a déjà trompée une fois, le malheureux a peur. Il sollicite sa grâce ; il déclare tout ce qu’il sait : « Il était de la bande des vingt-deux qui ont attaqué la diligence de Vannes ; Mercier La Vendée, le fidèle acolyte de Georges, commandait ; il y avait là aussi Guillemot sans pouce, et d’autres dont il ne sait pas les noms » — ou qu’il ne veut pas désigner. Il dénonce « la mère aux Chouans », révèle les gîtes ordinaires de Mercier, ceux de Georges, « qui est pour le moment en Angleterre, avec Saint-Régent » ; il dit l’endroit où on trouvera Guillemot sans pouce… À tant parler, il ne gagne rien : le 16 mai, il est condamné à mort et fusillé au bord d’une tombe creusée d’avance[322]. Ceci encore exigeait des représailles : deux patriotes de Plumelec, les frères Even, soupçonnés d’avoir dénoncé Lanjégu, disparurent dans la nuit du 24 au 25 mai, enlevés par des inconnus. Jamais on ne devait retrouver leurs cadavres[323].

Maintenant c’est Guillemot sans pouce qui est pris ; on l’arrête, au début de mai, dans le cabaret de la femme Lavallée, au faubourg Saint-Patern, à Vannes. C’est un solide gas, condisciple et ami de Georges[324] ; une blessure reçue à Quiberon lui vaut son sobriquet. Mais les administrateurs du Morbihan ne jugent pas prudent de garder un tel homme dans la prison départementale ; sa popularité est grande et on craint que les bandes de Cadoudal se portent en force sur la ville afin de le délivrer. Guillemot fut donc expédié à Saint-Brieuc ; il devait rester, en attendant son jugement, dans cette même geôle où languissaient, depuis six mois bientôt, Le Gris-Duval et ses cinquante complices ; et, tout de suite, un projet extravagant d’audace germe dans l’esprit de Duviquet : traverser avec sa bande en armes toute la Bretagne, pénétrer par surprise dans Saint-Brieuc, s’emparer de la prison, en ouvrir les portes à tous ses amis dont le procès s’instruit et que menace l’échafaud. De leur nombre n’y a-t-il pas une femme qu’il aime et qu’il serait fier de conquérir ? Mercier La Vendée que séduit cette prouesse d’amoureux, et qui veut sauver Guillemot, sera de l’expédition avec ses compagnons les plus braves : Duviquet en gardera la direction : il connaît bien Saint-Brieuc, où il a tenu garnison, et les abords de la ville. Reste à préparer le téméraire coup de main, et, sur-le-champ, il se met au travail.

Sans doute rôde dans ses entours quelque traître, car un avis anonyme, manifestement négligé, et retrouvé plus tard dans les paperasses de l’Administration du département, permet de le suivre presque pas à pas durant ces premiers jours de juin. Dès l’arrestation de Guillemot, il revient avec Carfort dans les Côtes-du-Nord, retourne chez Mercier : « Il dispose d’une trentaine d’hommes portant tous l’uniforme républicain. » Revenu dans la région du Mené, il explore les chemins qui, de la forêt de Loudéac, conduisent vers Moncontour et vers Saint-Brieuc ; il traverse la contrée sauvage de Bosseny, Plessala, Langast, où nombre de refuges lui sont ouverts, gagne Plémy, passe à Plœuc, le pays des Du Lorin, s’avance jusqu’à Plaintel et au delà de Pledran, à moins d’une lieue de Saint-Brieuc, dans cette région voisine de la forêt de Lorges où Boishardy trouvait, naguère, ses meilleures caches ; peut-être aura-t-on besoin de les utiliser. Partout Duviquet retrouve des fidèles[325] ; puis il repasse dans le Morbihan.

Quelques jours plus tard un détachement de cinquante-trois soldats de la République, venant, croyait-on, de Saint-Caradec, était signalé aux environs de Corlay : leur chef, qui portait les galons de sergent[326], se présentait chez les percepteurs afin de toucher de l’argent pour la solde et l’entretien de ses hommes, qui faisaient partie, disait-il, « de l’armée particulière de Bonaparte destinée au maintien de l’ordre ». Il donnait contre espèces des reçus en règle. Le 13 juin, à midi, cette troupe entrait à Merléac, ne s’arrêtait pas dans le bourg et gagnait aussitôt Le Vaugaillard où elle paraissait être attendue. Le Vaugaillard est un hameau qui n’est séparé du château de Kerigant que par la rivière d’Oust. Les « soldats de Bonaparte » s’y cantonnèrent, y passèrent la nuit et la journée du lendemain 14. Ils décampèrent à six heures du soir[327]. C’étaient les Chouans de Duviquet en marche vers Saint-Brieuc.

Ils franchirent la rivière, longèrent les clôtures de Kerigant et s’enfoncèrent dans la forêt de Lorges. Avant l’aube du 15 ils traversaient le bourg de Plaintel ; arrivés à une lieue de là, à la hauteur de La Ville-Josset, ils s’installèrent à l’ombre dans un verger et y dormirent jusqu’au soir.

Quand la nuit fut tombée, la petite troupe se divisa en pelotons de huit à dix hommes. Il lui fallait, pour pénétrer dans la ville, atteindre la route de Rennes et passer le pont du Gouëdic. Après le pont, on trouvait, tout de suite à droite, la prison, isolée dans des terrains vagues[328]. Depuis une dizaine d’années, les vieux murs d’enceinte de Saint-Brieuc étaient démolis[329] ; sur leur emplacement s’étendait une promenade plantée de tilleuls[330], séparant la prison de la place de l’Égalité où avaient lieu les exécutions capitales.

Dans la nuit du 16 au 17 juin, deux gardes nationaux, le citoyen Cousin, instituteur, et le citoyen Le Beau[331], sont postés en sentinelles devant la prison. Onze heures ont déjà sonné quand, dans le silence du quartier désert, Le Beau perçoit le bruit d’une troupe en marche : le pas rythmé des militaires se rapproche et bientôt ils débouchent de la route de Rennes, se dirigeant vers la maison d’arrêt. Ce sont huit ou dix grenadiers conduits par un sergent : ils entourent un pauvre diable qui a les mains liées derrière le dos ; il est vêtu d’une houppelande et deux soldats le tiennent au collet. — « Qui Vive ? », crie Le Beau. Le chef de la patrouille s’approche : — il vient de prendre un émigré à la côte et il l’amène à la prison par ordre du chef de brigade Palasne-Champeaux, commandant le 87e arrondissement maritime et président du Conseil de guerre. Et, tout en parlant, le sergent sort de sa poche son ordre de route et tire la sonnette de la prison. La porte est percée d’un judas dont le volet intérieur glisse ; par l’étroite ouverture le concierge Peyrode demande « ce qu’il y a ? » — Un prisonnier à écrouer… — « On n’ouvre pas à cette heure-ci ; qu’on revienne au jour. » Brusquement le judas se ferme. Les soldats sont perplexes. Que faire ? Le Beau leur conseille de conduire l’émigré au poste de la Grand’Place ; on le gardera là jusqu’au matin. Le sergent et ses hommes discutent encore : — ils ont cependant reçu l’ordre de remettre le ci-devant à la prison. Cousin, l’autre sentinelle, s’est approché ; dans l’ombre il dévisage le sergent et, se penchant vers son camarade, lui glisse à l’oreille : — « C’est Duviquet. » Faut-il donner l’alarme ? Non, les Chouans doivent être en force et le reste de la bande, sûrement, n’est pas loin. D’ailleurs la garde de la prison n’a pas de cartouches[332].

Les deux gardes nationaux ne se trompent pas : le gros de la fausse patrouille se tient à petite distance « dans le creux de la Fontaine au Loup », au bout du ravin où coule le Gouëdic, guettant pour se ruer sur la prison le signal convenu annonçant que la porte est ouverte. Or, elle ne s’ouvrira pas. Au reste, à l’attitude subitement figée des deux sentinelles, Duviquet comprend qu’il est reconnu. Jouant son personnage, grommelant contre les ordres incohérents et les geôliers timorés, il commande demi-tour, emmène ses troupiers et son prisonnier dans la direction de Saint-Guillaume, comme s’il gagnait le centre de la ville. Sous les tilleuls de la promenade il oblique vers la route de Rennes, rallie sa réserve et toute la bande, repassant le pont du Gouëdic, se fond bientôt dans les chemins couverts. Dès qu’on fut en sécurité on délia les mains de « l’émigré » : c’était Carfort qui avait assumé ce rôle ingrat[333].

L’affaire était manquée. Sans la méfiance du portier le succès eût été certain ; car Duviquet avait tout prévu et même pris le soin d’éloigner par de faux avis les petites garnisons dont l’intervention aurait pu contrarier son projet : ainsi, celle de Saint-Brieuc, sur la fallacieuse annonce d’un débarquement d’émigrés, explorait, cette nuit-là, les côtes[334], et le commandant de Loudéac venait de recevoir une lettre anonyme dénonçant que, le 17 juin, un important conciliabule de chefs royalistes devait se tenir à la Mirlitantouille. S’étant assuré par ce stratagème des points où se porteraient les troupes, Duviquet avait ainsi déblayé le chemin du retour, afin d’épargner toute cause d’alarme à la femme qu’il aimait et qu’il avait espéré rendre à la liberté. Aussi va-t-il, remâchant son dépit, ulcéré de son échec et méditant déjà quelque tragique revanche. Jusqu’au petit jour il traîne sa troupe dans les sentiers raboteux semblables à des tunnels de verdure ; ses hommes, que l’insuccès déprime, réclament du repos ; lui-même est excédé. À Hénon, — cinq lieues de Saint-Brieuc, — on fait halte, dans le cimetière : il est six heures du matin[335] ; tandis que leurs faux grenadiers dorment, Duviquet, Carfort et Mercier ressassent leur déception. Vont-ils rentrer au Morbihan sans avoir abattu un Bleu ? Duviquet surtout, dont la colère s’aigrit à mesure que l’enfièvre la fatigue, ne supporte pas le ridicule de son expédition avortée : il a battu en retraite devant un portier de prison ! Soudain il se rappelle qu’on est au 17 juin ; ce jour-là il a fourvoyé vers la Mirlitantouille la garnison de Loudéac, afin d’avoir libre le chemin de Merléac par la forêt de Lorges. Hénon n’est qu’à une bonne lieue de La Mirlitantouille ; il doit y avoir des Bleus là-haut. Si le faux avis a manqué son but, on dormira aussi bien dans les ajoncs et les genêts du Mené que dans ce cimetière de village ; si la ruse a porté, il y aura bataille et ce sont là des occasions que ni Carfort ni Mercier ne repoussent jamais. En route. Le soleil est déjà haut ; la troupe de Duviquet, par Cocollain et Brangolo, atteint le bourg de Plémy en une heure de trajet ; on est là à quinze cents pas à peine de La Mirlitantouille ; Duviquet y conduit ses hommes, les fait coucher dans les champs, dans les bruyères, derrière les broussailles et les haies ; lui-même s’avance jusqu’aux abords du cabaret ; il observe : rien n’y bouge ; l’endroit est tout aussi désert, aussi calme qu’à l’ordinaire : les deux masures, de chaque côté du chemin, portes ouvertes, ont leur air accueillant d’habitude. Est-il vraisemblable que la fille Plé et son père, qui les habitent, n’aient point aperçu les Chouans : n’ont-ils rien surpris du mouvement de ces cinquante hommes rampant dans les hautes herbes à quelques pas de l’auberge ? Cet homme et cette femme savent qu’ils ne doivent rien voir, rien entendre, rien dire. Par ce jour ensoleillé ils n’auront donc rien vu, rien entendu ; et, tout à l’heure, ils ne diront rien quand les Bleus sans méfiance arriveront.

Car ils viennent. Vers neuf heures et demie du matin[336], on les voit, sur la route, débouchant de la lande du Val : ce sont d’abord quatre gendarmes à cheval, et parmi eux, Corniquet, un géant, — six pieds de haut[337], bien connu de toute la région. Puis le commandant L’Honoré[338], à côté duquel marche un pataud de Loudéac qui sert de guide à la troupe et qu’on appelle Le Roux mille-boutons. Suivent quinze hommes du cantonnement de Pontgamp[339]. Tous s’arrêtent devant le cabaret ; les cavaliers mettent pied à terre et attachent leurs montures aux anneaux ; les fantassins déposent leurs armes : il est urgent de se rafraîchir ; le détachement marche depuis quatre heures et vient de traverser l’interminable lande de Phanton où l’ombre est rare. Les gendarmes et le commandant sont entrés dans le cabaret pour y perquisitionner ; les autres, au dehors, se délassent et se désaltèrent, trinquant le cidre frais. Pourquoi se garderaient-ils ? Aussi loin que porte la vue, pas un être humain n’apparaît.

Soudainement, à vingt pas, fusils braqués, surgissent de terre les hommes de Duviquet. Une fusillade. Des cris. — « Qui Vive ? — Républicains ! 13e demi-brigade »… répondent les faux Bleus[340] ; leur décharge, en grêle, fauche les soldats désarmés, interdits, dupes encore de l’accoutrement des assaillants. — « Ne tirez pas ! Ce sont vos camarades ! » Des hommes abattus se tordent sur le sol ; une confusion, des râles, des jurons, un désarroi tel que pas un coup de feu ne riposte à l’attaque. Le commandant L’Honoré bondit hors du cabaret ; frappé d’une balle, il s’effondre ; Corniquet, le géant, essaie de barrer la porte, appelant ses compagnons à la rescousse. Il tombe. Les trois autres gendarmes surpris par la fusillade dans la visite de la maison, sont tués sans avoir pu saisir leurs armes. Tout cela en un pêle-mêle, un tohu-bohu, un tourbillon de peu d’instants. Une dizaine de Bleus, éperdus, se sont sauvés, à folles enjambées, par la lande. Au seuil de la Mirlitantouille gisent huit cadavres et un moribond, dépouillés en un tournemain par les Chouans. On charge, sur trois chevaux, armes, équipements, uniformes ; un autre portera L’Honoré, assez grièvement blessé et pansé sommairement par un des hommes de Duviquet. Ce sera un otage précieux. Duviquet, que la fièvre accable, montera le cheval du commandant. Déjà la bande est en marche, suivant la crête du Mené vers Notre-Dame de la Croix et Bel Air ; elle gagnera ainsi la Butte à l’Anguille, descendra à Bosseny et se perdra dans la forêt de Loudéac. C’est la vieille piste de correspondance. Mais Duviquet, harassé et malade, ne peut suivre : tant de nuits sans sommeil l’ont épuisé. Il laisse à Carfort, qui est du pays[341], le soin de diriger la retraite ; lui, va se reposer quelques heures ; grâce à sa monture il rejoindra facilement, à la fraîche, par des traverses qu’il connaît. Il laisse donc ses hommes poursuivre leur route, entre dans un champ de blé qui borde le chemin, s’y blottit, ayant passé à son bras la bride de sa bête et s’endort[342].

En dévalant, dans leur fuite, les pentes du Mené, les Bleus de L’Honoré, échappés au massacre, avaient semé la panique dans les métairies ; moins d’une heure après le combat, la nouvelle en parvint à Moncontour. La garnison de la petite ville se composait d’un détachement du 13e léger ; elle prit les armes, s’adjoignit quelques gardes nationaux de bonne volonté, et se mit bravement en campagne. L’effectif de cette petite troupe montait, au total, à quatre-vingts hommes, tous costumés en Chouans[343]. Il était près d’une heure de l’après-midi lorsqu’ils arrivèrent à La Mirlitantouille ; ils s’arrêtèrent à contempler les huit cadavres dévêtus[344], et le blessé agonisant auquel il ne restait qu’un souffle de vie[345]. Des quelques curieux accourus de Plémy ou du hameau de Carfort, ils apprirent que les brigands, emmenant le commandant L’Honoré, s’étaient éloignés dans la direction de Bel-Air. Ce qui surprend c’est que l’on ne songea pas à interroger le cabaretier ni sa fille, seuls témoins du drame. Peut-être, fidèles à leur opiniâtre neutralité, déclarèrent-ils n’avoir rien vu…

Cependant les faux Chouans de Moncontour ne manifestèrent aucune hâte à poursuivre les faux Bleus sur les chemins du Mené. S’étant néanmoins avancés, sans entrain, jusqu’à mi-chemin de Notre-Dame de la Croix, ils aperçurent un cheval sellé vaguant dans la lande. Un peu plus loin ils rencontrèrent un gamin d’une douzaine d’années et lui demandèrent s’il n’avait pas vu passer les Bleus. — « Il y en a un de couché dans un champ ici, à côté », dit-il[346]. Aussitôt le champ est cerné ; un fourrier du 13e léger, Saulnier, assisté d’un bourgeois de Moncontour, y pénètrent avec précaution et découvrent, en effet, profondément endormi un homme, vêtu d’un uniforme de grenadier et portant les galons de sergent. Saulnier se jette sur lui ; le dormeur s’éveille, regarde, comprend : — « Ah ! je sais ce que vous voulez, dit-il ; je suis Duviquet ; fusillez-moi[347]. » On le maintient ; on le désarme de deux pistolets et d’un poignard qui sont à sa ceinture, de son sabre et de sa carabine[348]. On lui attache les mains ; il se résigne, persuadé qu’il va mourir[349].

Duviquet est pris ! Quelle victoire ! Personne dans le pays n’ignorait l’histoire de l’officier déserteur devenu brigand ; son nom était un épouvantail. L’exploit suffisait donc aux faux Chouans de Moncontour, peu soucieux de se lancer à la poursuite de la bande[350]. Ils reprirent avec le vaincu le chemin de La Mirlitantouille, de ce jour-là légendaire, et, sur la fin de l’après-midi, redescendirent vers Moncontour. À d’autres qu’aux habitants de cette petite ville, — blasés depuis longtemps sur ces quiproquos de la guerre perfide, — le spectacle eut paru extraordinaire d’une troupe triomphante de Chouans, — qui étaient des bleus, — conduisant à la prison un bleu, — qui était un Chouan… Le malheureux, rompu de fatigue, se soutenant à peine, dut rassembler toute son énergie pour affronter les rudes heures qui lui restaient à vivre. Les autorités militaires et civiles de Saint-Brieuc, afin de gonfler ce succès inespéré, décidaient de frapper les esprits par l’imposante rapidité du châtiment. L’accusateur public Besné trépignait d’aise, encore que l’affaire, justiciable du Conseil de guerre, ne le concernât point. Mais il craignait que la concurrence de l’expéditive justice militaire ne nuisît à la réputation, pourtant bien établie, de son tribunal, à lui. Aussi écrivait-il au ministre : — « il y a, dans la prison, neuf condamnés à mort qui, pour prolonger leur trop funeste existence, se sont pourvus en cassation sans motif valable ». Sur ceux-là, il est tranquille, il aura leurs têtes. Et il en prépare d’autres : — « Je vais faire mettre en jugement vingt-quatre scélérats, parmi lesquels je distinguerai cinq forcenés qui doivent monter à l’échafaud… Je puis affirmer que le tribunal criminel n’est pas en arrière ; j’y ai tenu la justice à l’ordre du jour, imperturbablement, et j’ai le courage nécessaire pour l’y maintenir. » Il annonçait, en terminant : — « Duviquet est pris ! Il sera ici à midi. » Et, pour témoigner son regret que ce client de marque échappe à son réquisitoire, il ajoute : — « C’est un reste de la bande exécrable de Boishardy que j’avais fait condamner à mort en 1793 et qui fut fusillé dans son repaire sur les renseignements que j’avais donnés ; on coupa sa tête qui fut portée au bout d’une pique[351]… » Agréable incident que Besné remémore avec satisfaction.

À l’heure où il traçait cette lettre, dans la matinée du 18 juin, Duviquet approchait de Saint-Brieuc. La garde nationale de Moncontour l’avait conduit jusqu’à Quessoy où l’on rencontra, au hameau de l’Hôpital, trois ou quatre cents hommes de la garnison de Saint-Brieuc venus pour escorter le prisonnier et lui assurer en ville une entrée solennelle. Le brigand fut chargé de « soixante à quatre-vingts livres de fer et attaché à la queue du cheval d’un gendarme[352]  ». Il parcourut ainsi, exténué et chancelant, les trois lieues qui séparent Quessoy de Saint-Brieuc ; vers midi il arrivait à la prison où lui était réservé un cachot bien gardé[353].

Le lendemain, à huit heures du matin, le Conseil de guerre prenait séance « en la ci-devant chapelle du collège » : le chef de brigade, Palasne-Champeaux, présidait ; le capitaine Veingarten remplissait l’office de commissaire du pouvoir exécutif. Du peu que l’on sait de l’audience, il ressort que ce fut très court : lecture par le capitaine Hébert, rapporteur, du procès-verbal d’information et de trois pièces à la charge de l’accusé ; puis celui-ci fut introduit ; il avoua tout et peut-être y mit-il quelque fanfaronnade, s’il est vrai « qu’il se vanta d’avoir assassiné de sa main quatorze juges de paix[354] ». D’ailleurs il s’était remonté et soutint l’épreuve avec une fougueuse hardiesse : le président lui ayant observé que la loi lui accordait un défenseur : — « Un défenseur ! s’écria-t-il, gendarmes, apportez-moi ma carabine[355] ! » L’escorte le reconduisit à son cachot et le Conseil, délibérant à huis-clos, prononça, à l’unanimité, la peine de mort[356].

À onze heures le capitaine Hébert se rendit à la prison et, devant la garde assemblée, donna au condamné lecture du jugement, le prévenant qu’il pouvait, dans le délai de vingt-quatre heures, se pourvoir en revision. Duviquet, très calme, déclara qu’il désirait écrire à sa famille ; si on lui accordait cette faveur, il renoncerait à faire appel ; et, tout de suite, il signa, sans hésitation, son désistement. Le capitaine rentra avec lui dans la geôle, lui procura des plumes, du papier et de l’encre, et attendit que la lettre fût faite. Le sang-froid de Duviquet ne se démentit pas un instant tandis qu’il écrivait ; il se relut posément. Ayant plié le feuillet, il le remit à l’officier ; ses yeux étaient pleins de larmes.

Il est midi : cinq heures d’attente encore. On cause, en camarades. Duviquet voudrait parler en particulier au concierge de la prison et charger cet homme d’une commission. Hébert s’y oppose, alléguant les règlements ; mais il offre ses services. — « Il s’agit, dit le condamné, d’une alliance en or que voici… » Ôtant un anneau qu’il porte à son petit doigt, il poursuit : — « J’exige de vous, citoyen capitaine, que la personne à qui vous remettrez cette alliance ne soit pas inquiétée pour ce fait. Vous la lui donnerez après ma mort. » Hébert engage sa parole d’honneur : la mission sera remplie, et Duviquet lui nomma la personne à laquelle il destine ce bijou : en rendant compte de cet incident au commandant de la subdivision, le capitaine Hébert écrivait : — « Permettez-moi, citoyen général, de tenir ma promesse et de vous taire le nom de cette femme[357]… » On ne saura donc pas quelle était, parmi les jeunes amazones de Bosseny, celle qu’aima Duviquet. En se risquant sur le terrain peu sûr des hypothèses, on déduirait assez logiquement qu’une alliance éveille implicitement l’idée de fiançailles ; il s’agissait donc vraisemblablement d’une jeune fille ; la destinataire de la bague devait se trouver à Saint-Brieuc, et, bien probablement à la prison même, puisque le condamné songea d’abord à confier son legs au concierge. Or, parmi les femmes détenues pour complicité avec Le Gris-Duval, une seule jeune fille peut avoir inspiré à Duviquet un sentiment avouable et sérieux : c’est celle que désigne la tradition, mademoiselle Pélagie Du Lorin, belle-sœur de Joséphine de Kercadio. Tandis qu’on dresse l’échafaud, le moribond poursuit ses confidences ; il déplore maintenant la cruauté de son destin : — « la famille Du Lorin est cause de sa perte. » Veut-il insinuer par là que s’il s’est obstiné dans sa vie de criminelles aventures, c’est parce que les Du Lorin se sont opposés à son mariage avec Pélagie ? — Il parle avec reconnaissance des Kerigant et des Le Gris-Duval, auxquels il était très attaché et qui l’ont adopté et entretenu jusqu’au moment où il prit les armes contre la République : — « Kerigant, dit-il, est un braque, plus patriote que chouan. » Carfort, au contraire, est « sanguinaire ».

Le capitaine souhaitait que la conversation déviât sur la Chouannerie ; peut-être ne restait-il là que dans l’espoir de tirer du condamné quelques renseignements utiles ; mais Duviquet fut très réservé. Comme Hébert lui demandait quelles étaient ses caches, il répondit pourtant : — « Nous avons pour usage, lorsqu’un de nous est pris, de changer de hardes et de logement, et souvent nous nous dispersons. Quant à ma correspondance, c’est dans la forêt de La Nouée que je la recevais : j’étais prévenu par une lettre de tel ou tel endroit où devait se trouver le commissionnaire : souvent on la faisait mettre dans des troncs d’arbres qu’on m’indiquait… » Peu après, il s’attendrit : il songe à ses frères et à ses sœurs qui ne sont pas du même père que lui ; il est le dernier de son nom. Il pleure. Le capitaine profite de son émotion pour lui conseiller de déclarer ce qu’il sait « des intentions hostiles des ennemis du gouvernement ». Duviquet est très agité ; il s’assied, se relève : — « Repassez à trois heures, dit-il, je vais faire mes réflexions. »

À deux heures et demie, car le temps pressait, l’officier était de retour. Duviquet posa ses conditions : si l’on consent à le garder en détention jusqu’à la paix dans la prison de son département et à ne pas inquiéter les familles Kerigant et Le Gris, il s’engage à livrer le reste de la bande. Carfort ne se rendra pas, mais il le fera prendre[358]. Le capitaine porta ces propositions à l’Administration départementale. Il reparut une heure plus tard, amenant Palasne-Champeaux, le président du Conseil de guerre ; mais celui-ci n’est point partisan du sursis : il décide que la justice suivra son cours et, sur l’ordre d’Hébert, le bourreau entre en scène. C’est le citoyen Lubin-Lacaille, un homme expert, qui « travaille » à Saint-Brieuc depuis 1792[359]. À son aspect, Duviquet paraît « très affecté ». Désespérément il tente sa dernière chance : — « Citoyen capitaine, dit-il, on vous trahit… si l’on eût voulu, j’aurais dit bien des choses. » L’officier se tait : il n’y a plus rien à attendre des hommes ni de la vie. On apporte au condamné un verre de cognac ; il boit et se ressaisit un peu, sourit au capitaine, le salue « d’un air humble et respectueux » et lui dit adieu. Hébert, pourtant, l’accompagnera jusqu’au bout. Il est cinq heures de l’après-midi. Les portes s’ouvrent ; au dehors, derrière la troupe alignée, des curieux se pressent pour voir de quelle mine le brigand affrontera la mort. C’est le moment terrible : il faut ne pas faiblir et dissimuler, sous l’affectation d’insouciance, la déchirante détresse de mourir, en pleine vigueur, à vingt-huit ans. Il se raidit et avance, la nuque tendue, les mains entravées, dédaigneux des rumeurs et des invectives, entre l’exécuteur et le capitaine Hébert auquel il parle, par contenance : — « Je vous ai chargé de deux commissions[360], vous m’avez donné votre parole d’honneur, ne l’oubliez pas. » Déjà on aperçoit l’échafaud, établi à cent pas à peine de la prison, sur la place de l’Égalité, encadrée par les tilleuls du Cours, les premières maisons de la rue Saint-Guillaume et les vieux murs de la Collégiale de ce nom, convertie en écurie. À dix pas de l’ignominieux appareil, les yeux levés sur les montants trapus qui soutiennent le triangle d’acier, une dernière crânerie : — « La guillotine ne me fait pas peur ; je me guillotinerais bien moi-même. » Et comme s’il avait gardé pour cet instant-là une réserve de fermeté, il « redouble le pas », monte l’échelle, s’abandonne : tandis qu’on le boucle sur la planche, il tourne la tête vers les spectateurs groupés à la droite de la plate-forme et dit « assez distinctement » : — « Vive mon Dieu ! Vive mon Roi ! » La plèbe le hue. Le corps bascule, le couteau tombe[361].

On dit que, dans la journée, s’était présenté au chef de brigade Palasne-Champeaux un messager apportant de la part des Chouans l’offre d’échanger contre Duviquet le chef de bataillon L’Honoré pris à La Mirlitantouille. La proposition fut repoussée. Deux jours plus tard parvenaient au commandant de la place de Saint-Brieuc la montre, la bague et les papiers de L’Honoré immolé par manière de représailles. Il avait exprimé avant de mourir le vœu que ces objets fussent remis à sa famille. Un avis anonyme indiquait l’endroit où l’on trouverait son cadavre. En relatant ces tragédies au ministre de la justice, l’accusateur public Besné, dépité de n’y jouer aucun rôle, insistait sur l’urgence de purger le sol de la République « des coquins très intrigants » que renfermait la prison et dont « les trames secrètes » constituaient un permanent danger pour le gouvernement[362]. Il craignait qu’on oubliât les Le Gris-Duval, les Kerigant, les Du Lorin attendant depuis six mois leur jugement. Prononcer leurs noms au moment où tombait la tête de Duviquet, leur ami, leur créature et leur complice, c’était les pousser à l’échafaud et Besné n’avait pas perdu l’espoir que cette aubaine, — le plus beau procès de sa carrière, — lui serait réservée.

III

LA NUIT DU 4 BRUMAIRE


I


Un vieux et sordide bâtiment quadrangulaire, murs lézardés, planchers pourris, encadrant une cour intérieure autour de laquelle s’étend, à la hauteur du premier étage, un balcon servant de dégagement, — telle est la prison de Saint-Brieuc en l’an VI de la République. Quarante détenus n’y tiendraient pas à l’aise : on en a encaqué près de trois cents, voleurs, prêtres, femmes, chouans, déserteurs, nobles, paysans, inculpés, condamnés, ou simples suspects, qui vivent là, pêle-mêle, dans une promiscuité sans répit. Sauf en cas de mise au secret dans un réduit particulier, tout cela grouille, mange, circule, complote, s’espionne et se moucharde, sans l’ombre de discipline ou de règlement autre que le caprice du geôlier-concierge Pierre Peyrode, sorte de dompteur menant son monde à la trique et prenant par la faim les insoumis.

Peyrode n’a de sympathies ou d’aversions ni pour les Bleus ni pour les Chouans ; nulle opinion politique ; il administre sa prison comme une gargote ; on y est traité selon la dépense. Le commissaire du Directoire considère ce geôlier comme un être «  profondément immoral » et dont « tous les principes sont viciés » ; l’Administration du Département réclame même sa destitution, sans l’obtenir ; car Peyrode est une puissance ; d’ailleurs « fonctionnaire infiniment précieux » ; comme il a taxé tous ses pensionnaires, il veille de près à ce qu’aucun d’eux ne s’évade ; « il n’est pas de nuit où il ne se lève deux ou trois fois pour faire sa ronde : son dieu est l’argent ; l’ennemi de la Révolution, l’homme riche, sont par lui fêtés, flattés, pourvus… La fortune brillante qu’il a su se faire est une garantie de sa gestion[363]. »

Le châtelain de Bosseny et ses complices furent, comme on s’en doute, bien accueillis par le rapace Peyrode : il les savait copieusement fournis d’argent et leur entrée dans son domaine lui ouvrait de grasses perspectives. Le Gris-Duval surtout, dont le tour d’esprit narquois assaisonnait les situations les plus tragiques d’un revirement de comédie, devint vite, grâce à ses largesses, le roi de la prison ; il voyait et traitait journellement ses amis du dehors ; plus la tablée comptait de couverts, plus le concierge se déridait, de sorte que Le Gris incarcéré était mieux tenu au courant de ce qu’il lui importait de connaître qu’au temps où il habitait son lointain château du Mené. D’autant plus que Peyrode, redoutant de perdre un locataire si généreux, le mettait en garde contre les obséquiosités louches et les curiosités indiscrètes ; il lui signalait les bavards dont il fallait se méfier. Et ils pullulaient les bavards ! On imagine mal le nombre d’inculpés, dépourvus d’âmes héroïques, qui, à peine sous les verrous, subitement convertis par la perspective du châtiment, se déclaraient pris de contrition et disposés à racheter leur erreur par une confession générale des forfaits de leurs codétenus. Le chef de brigade Palasne-Champeaux, président du Conseil de guerre, encourageait ces délations : — « Tous les moyens sont bons pour avoir les renseignements dont nous avons besoin », écrivait-il au ministre de la Police, Lecarlier, récemment nommé, « et votre prédécesseur[364] m’ayant laissé le soin de choisir les individus propres à espionner… je tire d’eux tout le parti possible[365] ».

La carrière de Palasne-Champeaux avait été, sinon brillante, du moins rapide ; fils d’un député à la Constituante, il était, à vingt et un ans, chef de bureau de la liquidation générale. Il marqua le pas durant la Législative dont son père ne faisait point partie ; mais quand celui-ci fut élu à la Convention, le fils entra dans l’armée et conquit allègrement les grades : sous-lieutenant en janvier 1793, il était capitaine en mars et adjudant général en mai ! Suspendu par Bouchotte, suspect à Hoche, réintégré cependant, il fut employé à diverses missions délicates au cours desquelles on le surveilla de près. C’est ainsi que, chef de brigade au 15e régiment de chasseurs à cheval, il se trouvait présider, en l’an VI, le Conseil de Guerre permanent de la 13e division militaire séant à Saint-Brieuc. Correspondant directement avec le ministère de la Police, il adoptait sans vergogne les procédés de cette administration, conduisait lui-même les enquêtes et suscitait les délateurs. Grâce aux dénonciations de Mairesse, il réussit, comme on l’a vu, à prendre au piège les Le Gris-Duval, les Du Lorin, les Kerigant et une cinquantaine de leurs partisans. Maintenant qu’on les tenait il fallait instruire le formidable procès, établir l’accusation sur des faits avérés, labeur ardu, car les témoins se dérobaient avec une prudente unanimité, nul n’ignorant que Carfort et Dutertre, les plus actifs lieutenants de Duviquet, tenaient encore la campagne ; on assurait même que, de sa prison, Le Gris-Duval dirigeait leurs opérations[366] et la peur de ses ressentiments fermait les bouches. Il fallait donc recourir aux mouchards : Mairesse était démonétisé ; on avait même dû l’éloigner de la maison d’arrêt pour le soustraire à la vengeance de ses anciens amis. Palasne-Champeaux mit à sa place un autre espion, Joseph Giraudeau, déserteur du 10e bataillon du Var[367] : pour gagner sa grâce, Giraudeau accepta la besogne.

D’ailleurs, chez certains inculpés se manifestaient des velléités de confidences. L’accord ne régnait pas entre les coaccusés : soit que la prison eût aigri les cœurs, soit qu’on fût divisé par quelque grief dont il n’est pas possible de discerner l’origine, deux camps s’étaient formés dans cette société naguère si unie, le camp des Le Gris-Duval et des Kerigant d’une part ; de l’autre celui des Du Lorin. Jalousies de femmes, rivalités d’amour, dissentiments politiques ? On ne sait ; mais on a quelques raisons de supposer que Joséphine de Kercadio, l’ex-fiancée de Boishardy, devenue madame Hervé Du Lorin, était, involontairement sans doute, la cause de cette rupture. La première elle mérita l’indulgence du président Palasne-Champeaux ; autorisée à quitter la prison, elle se logea en ville ; elle allaitait, il est vrai, son petit garçon, âgé de quelques mois ; le séjour de l’hôtellerie du concierge Peyrode convenait mal à ce baby, et peut-être est-ce là simplement le motif de la faveur dont bénéficia la jolie maman de dix-neuf ans. Son mari, tout aussi jeune qu’elle, se lassa vite de la captivité : il sollicita de Palasne-Champeaux un entretien et déclara la résolution d’abandonner le parti des rebelles : il était las de cette guerre de guet-apens, d’exactions et d’assassinats. N’ayant plus à ménager les Kerigant et les Le Gris-Duval dont l’animosité lui rendait intenable le séjour de la prison, il ne dénonça personne nominativement ; il indiqua seulement les maisons où se rassemblaient le plus souvent les chefs de chouans et où on aurait chance de les surprendre. Il obtint ainsi de quitter la maison d’arrêt pour l’hôpital militaire[368]. Madame de Kerigant, à son tour, eut la permission d’habiter la maison de son beau-frère, rue des Bouchers ; tous, bien entendu, payaient, pour cette faveur, une redevance à Peyrode. La fière madame Le Gris-Duval elle-même entra en pourparlers avec Palasne-Champeaux : — moyennant « une forte récompense » et la promesse formelle de la liberté pour elle et pour son mari, elle offrait « de faire prendre Puisaye et son conseil ». L’affaire méritait attention et la proposition, transmise au ministre de la Police, fut soumise par lui au Directoire. Que répondre ? Le Directoire accorda « 4.000 francs et la liberté[369] », récompense subordonnée, bien entendu, au succès de l’opération. Restait à s’exécuter, et madame Le Gris, à son tour, ayant versé au concierge « un cautionnement », sortit de prison[370] pour se mettre en mesure de tenir sa promesse.

Or, à l’heure où elle se flattait d’indiquer le refuge de Puisaye[371], celui-ci était, depuis six mois, en Angleterre, et, bourrelé de dégoûts, se préparait à passer au Canada avec quelques rares fidèles associés à son naufrage. La madrée prisonnière l’ignorait-elle ? Jouait-elle Palasne-Champeaux en compliquant par sa négociation frustratoire l’imbroglio de faux rapports et de révélations incohérentes où s’empêtrait l’instruction ? Car le déserteur Giraudeau montrait du zèle : introduit dans la prison, il se vantait d’avoir enjôlé par ses bonnes façons et le récit de ses malheurs imaginaires les plus compromis des détenus, lesquels, en effet, se montraient avec lui d’autant plus loquaces, que le concierge Peyrode, peu désireux que l’enquête aboutît, mettait ses pensionnaires en garde contre le double jeu du nouveau venu[372]. En sorte qu’on le gavait des confidences les plus extravagantes qu’il absorbait pour les resservir au président du Conseil de guerre : tantôt, à l’entendre, circulait dans la prison une fiole d’opium destinée à endormir Peyrode et toute sa famille, afin de faciliter l’évasion en masse des prisonniers ; tantôt c’était l’entrée imminente, dans Saint-Brieuc, d’une armée de brigands qui s’emparerait de tous les services publics et mettrait à mal les patriotes ; quarante-cinq barils de poudre étaient mis en réserve, aux environs de Moncontour, en vue de ce coup de force ; — une autre fois tous les détenus allaient s’habiller en femmes et profiter de ce déguisement pour sortir en masse de la geôle ; — ou bien encore il annonçait « le soulèvement de cinquante-quatre départements, un jour de marché » ; et Giraudeau se faisait fort de « sauver la République », se vantant de « tenir les fils de cette formidable insurrection » et de « purger la Bretagne, la Normandie et les provinces du Midi de tous les ennemis du gouvernement[373] ». Ainsi se distrayait-on à persifler Palasne-Champeaux par l’intermédiaire de son mouchard attitré, manigance vaudevillesque qui paraît être imaginée par Le Gris-Duval. Celui-ci, superbe de calme, de dédain pour ces basses intrigues, observe, recueille, note tout et proteste contre ces indignes procédés de justice. Du ton de goguenarderie qui lui est habituel, il s’adresse au général Michaud, commandant la division militaire : c’est à ce chef estimé « qu’il veut devoir l’obligation de chérir une République que l’on cherche en vain à lui faire haïr contre le vœu de son cœur, de ses soumissions et de ses serments… » N’a-t-il pas, depuis deux ans, déposé les armes ? Quand donc a-t-il trahi cette promesse solennelle ? Qui l’accuse ? Un misérable bandit auquel on a promis la vie pour qu’il dresse le réquisitoire ! Le président Champeaux s’est acharné contre les inculpés : il veut « s’en tirer avec une sorte d’honneur et trouver partout des coupables » ; bref Le Gris-Duval récuse, pour partialité manifeste, la compétence du Conseil de guerre, dont le président, d’ailleurs, n’a pas trente ans, âge requis par l’article 209 de la Constitution[374]

Palasne-Champeaux en perdait la tête, car si les nombreux amis de Le Gris-Duval se plaisaient à le considérer comme un Fouquier-Tinville, les purs jacobins de Saint-Brieuc l’accusaient, au contraire, de pactiser avec les brigands et de mener son enquête de façon à sauver les plus avérés criminels. Le farouche ergoteur Besné le dénonçait pour ce crime au ministre de la justice : il voyait avec dépit cette cause célèbre lui échapper ; il estimait sienne cette affaire à sensation où allait figurer la Kercadio dont il avait été le premier à signaler les forfaits. Quel beau panier de têtes il eut procuré au bourreau s’il avait pu tourner les foudres de son éloquence contre ces vils séides de l’infâme Boishardy ! — « Je trahirais votre confiance, écrivait-il[375], si je vous taisais la conduite scandaleuse d’un fonctionnaire public qui se dit ouvertement honoré de votre confiance… » Et, tout de suite, il ouvre les écluses de sa bile qu’il déverse à flots sur le citoyen Champeaux, — « un de ces intrigants qui ne cherchent que leur intérêt particulier… et servent toujours le parti qui leur paraît le plus avantageux… Il tranche les difficultés, incarcère, met en liberté à tort et à travers quiconque lui plaît ou lui déplaît… » — « Demain commence une affaire des plus importantes puisqu’il s’agit de juger toute une famille de conspirateurs », les auteurs et complices des affreux massacres de la Mirlitantouille… Besné qui voit rouge dès que la petite châtelaine de La Ville-Louët est en cause, donne libre cours à sa rage : — « Joséphine Kercadio, la bonne amie du monstre Boishardy, protectrice d’émigrés, de chouans, faisant le coup de fusil, pillant, volant avec ces scélérats, s’est mariée, depuis l’amnistie, avec le fameux Du Lorin, connu par ses assassinats nombreux. Aujourd’hui ils sont tous deux traduits au Conseil militaire comme complices de Duviquet. Pour les soustraire au glaive de la loi, leur faire des partisans en ville et notamment dans le tribunal, le président Champeaux a mis en liberté la Kercadio, sous le prétexte qu’elle nourrissait un enfant ; il a fait aller à l’hôpital le monstre Du Lorin, alléguant qu’il était malade : ces deux prétextes sont absolument faux : la Kercadio s’amuse en ville et Du Lorin s’occupe à l’hôpital à faire des armes. Je l’ai vu moi-même… Le citoyen Champeaux répand le bruit qu’il tire parti de ses liaisons avec la Kercadio : il se trompe, ou plutôt il veut tromper… La Kercadio est bien ce qu’on peut appeler la scélératesse personnifiée qui rend Champeaux dupe de certaines parties de plaisir dans des maisons d’ex-nobles… On s’en convaincra par le jugement qui va intervenir… »

Tout le Penthièvre l’attendait, ce jugement, dans une anxiété fiévreuse. Le procès s’ouvrit le 2 juillet, à onze heures du matin, et se prolongea, en une seule audience de quatre-vingts heures, jusqu’au 5, à sept heures du soir[376] : au nombre des quarante qui prirent place sur le banc des accusés, étaient Le Gris-Duval et son beau-frère Kerigant, leurs femmes, Hervé Du Lorin et Jacques Villemain, les deux amis que Boishardy, naguère, avait convoqués pour être les témoins de ses épousailles, Joséphine de Kercadio, Du Lorin père et sa fille Pélagie… Mairesse avait gagné de ne pas être là et son absence fit scandale : les témoins qui se présentèrent à la barre furent hésitants : déjà ils avaient été menacés de mort si leurs dépositions chargeaient les inculpés : l’un d’eux, même, se refusa à paraître, Le Gris-Duval ayant juré, disait-on, qu’il tirerait une vengeance éclatante du président Palasne-Champeaux, de Mairesse et de tous ceux qui « parleraient mal ». L’arrêt fut rendu le 6 juillet : il prononçait la mort contre Le Gris-Duval, ainsi que contre Dutertre, contumace ; Jacques Villemain, Kerigant, madame Le Gris, sa sœur, leurs domestiques Marie et Jeanne Chantard et François Hidrio, s’entendaient condamnés à la déportation jusqu’à la paix ; 24, dont madame de Kerigant et les Hervé Du Lorin, étaient envoyés en surveillance dans leur commune ; les autres bénéficiaient de l’acquittement et parmi ceux-ci Joséphine de Kercadio et Pélagie Du Lorin. En adressant l’extrait de ce verdict au ministre[377], Palasne-Champeaux se flattait que « le jugement était de la plus grande justice » ; — « tout de même, ajoutait-il, il serait à désirer que le tribunal de révision ne s’appesantît pas trop sur les formes de l’instruction[378]. » Une loi de l’an IV ordonnait, en effet, que les décisions des tribunaux militaires fussent soumises à un conseil composé de quatre officiers supérieurs jugeant en appel[379]. C’était, pour Le Gris-Duval, cinq ou six semaines de répit : on le savait d’imagination malicieuse et nul ne doutait qu’il ne tirât de son sac quelque tour d’adresse pour se dispenser de payer sa dette à l’échafaud. On s’attendait généralement à une évasion ingénieuse et théâtrale.

Pourtant il restait en prison, ainsi que sa femme, Kerigant et les autres condamnés à la déportation. Son sang-froid n’était pas atteint, non plus que son goût pour l’ironie : il attendit les événements avec une placidité singulière. Palasne-Champeaux paraissait moins tranquille : d’abord, il ne savait que faire de Mairesse et de Giraudeau qu’il n’osait mettre en liberté et au sujet desquels le ministre refusait de prendre une décision[380]. Et puis, quinze jours à peine après le procès, il recevait de ses chefs hiérarchiques une forte semonce : on lui reprochait, en termes sévères, « des mesures arbitraires, des liaisons avec les ennemis de la République et une faiblesse criminelle à l’égard de certains accusés[381] ». La dénonciation de Besné faisait son chemin. Champeaux répondit « victorieusement » ; le commissaire du Directoire à Saint-Brieuc prenait sa défense, — vainement. Sur un ordre venu de Paris le président du Conseil de guerre dut cesser ses fonctions et retourner sans délai à son régiment. On se souvint des menaces de Le Gris-Duval ; et peut-être la vengeance des Chouans ne se contenta-t-elle point de cette disgrâce. Toute sa vie, qui fut longue, Palasne-Champeaux en allait porter le poids[382].

Quelque temps après vint le tour du capitaine Veingarten, commissaire du Directoire auprès du Conseil de guerre : il avait requis contre Le Gris-Duval la peine de mort ; lui aussi, cassé sans ménagement, se vit obligé de quitter son emploi. L’Administration départementale ne dissimula pas son regret du départ de cet officier, « républicain probe et énergique, victime, — insinuait-elle timidement, — du ressentiment de quelques individus[383] ». L’étonnement s’accrut lorsque Mairesse mourut, ce qui arriva le 3 août[384] : afin de ne pas propager la panique, les autorités cachèrent que le mouchard avait été empoisonné[385], ce qui n’empêchait qu’on s’alarmât de cette fatalité acharnée contre les ennemis de Le Gris-Duval, et un frisson secoua les patriotes quand, le 3 septembre, on apprit l’assassinat du citoyen Robin, agent municipal de la commune de Plessala, tué dans sa maison, la veille, à sept heures et demie du soir, par deux chefs de brigands, dont l’un, assurait-on, était Carfort. Robin, au cours de l’enquête, avait fourni des renseignements défavorables à Le Gris-Duval. Même désagrément advint quelques jours plus tard à un citoyen de Trebry, coupable d’avoir figuré dans le procès parmi les témoins à charge[386].

Les bourgeois de Saint-Brieuc vécurent, en cet automne de 1798, des jours émouvants : vers le 10 octobre, le jugement condamnant Le Gris-Duval à mort et ses complices à la déportation est annulé pour incompétence par le tribunal de revision. Les quarante prévenus sont renvoyés au tribunal criminel des Côtes-du-Nord. Besné triomphe ; il les tient enfin, et, déjà, on présage une hécatombe. Le 13, à quatre heures et demie du matin, la diligence de Paris à Brest est arrêtée à une lieue de Saint-Brieuc[387] par neuf ou dix chouans « revêtus de l’habit national ». L’homme qui les commande, — Carfort, toujours…[388], — porte les épaulettes de chef de division. En apercevant les brigands, le postillon prend le galop ; fusillade : deux chevaux sont blessés ; les chouans s’élancent et exigent du conducteur la livraison d’un colis « qu’ils désignent par son numéro[389] » : c’est un baril contenant 22.000 livres en numéraire appartenant à la République. Ils chargent l’un des chevaux du précieux colis, saluent les voyageurs et disparaissent avec le butin. Pour cette nuit-là, l’un des condamnés à la déportation, Villemain, avait obtenu du concierge Peyrode l’autorisation de « découcher », et l’on présuma qu’il était allé, pour se dégourdir, prendre sa part à l’attaque de la voiture. Quant à Le Gris-Duval, il se gardait bien de quitter la prison, où il vivait « entouré d’une cour de partisans[390] ». Nullement déprimé par sa captivité, d’ailleurs plantureuse, il montrait cette mine intimement amusée des gens d’esprit qui méditent une plaisanterie de haut goût. De quoi ses fidèles s’étonnaient, car Besné n’était pas homme à se laisser berner. « Le pauvre M. Le Gris » ne s’en tirerait point, cette fois, par un tour d’adresse, et l’on prévoyait que sa seule tête ne satisferait pas la haine de l’intraitable accusateur public : combien d’autres allaient tomber avec elle !

Besné dut recevoir le dossier de l’affaire dans la matinée du 18 octobre : le jour même il rendait une ordonnance longuement motivée et concluant à la mise en liberté immédiate et définitive de tous les inculpés, reconnus par lui parfaitement innocents ! L’ordre fut sans délai transmis au concierge Peyrode qui, navré, dut ouvrir ses portes aux plus profitables de ses pensionnaires. Pour qu’un coup de théâtre produise son plein effet, il est indispensable qu’il soit quelque peu préparé : celui-ci, trop imprévu, ne trouva d’abord que des sceptiques : ce fut, par toute la ville, un mouvement général d’incrédulité ; puis, le bruit s’affirmant, et comme, le soir-même, un grand dîner improvisé par madame Le Gris-Duval, réunit, dans sa maison de la rue des Bouchers, la plupart des libérés, on se rendit, non sans peine, à l’évidence[391]. Mais on attendait avec une curiosité avide l’explication de cette étourdissante péripétie : on l’eut, dès le lendemain, car les autorités judiciaires et départementales passèrent la nuit à enquêter : ce qu’elles apprirent frappa de stupeur les républicains et désopila leurs adversaires : Besné, l’intègre Besné, s’était vendu ! Adroitement pressenti par madame Le Gris-Duval, il avait évalué sa conscience de bon magistrat, ses convictions démocratiques, sa probité de patriote, — tout compris, — à mille louis, — 24.000 francs en numéraire, une fortune en ce temps de papier sans valeur. Le Gris-Duval, non plus qu’aucun des prévenus, ne possédait une telle somme ; la République seule pouvait la fournir, et l’ami Carfort s’était chargé, on l’a vu, de l’emprunter à l’État, sans autre formalité d’encaissement qu’un léger retard imposé à la diligence de Brest. C’est même pour assurer la réussite de ce virement de fonds que Besné avait accordé, le 13 octobre, au condamné Villemain, la permission de la nuit. Le baril d’écus et d’or porté par les Chouans à Quintin et déposé chez le banquier Mazurié[392], ami de Besné, était mis le jour même à la disposition de l’accusateur public. Il s’en fallait, il est vrai, de deux mille francs que la somme fût complète, mais il en passait des diligences sur la grand’route, et, sous peu, l’une d’elles devait fournir l’appoint[393].

Il est difficile d’imaginer la stupéfaction, l’effroi même causés chez les patriotes des Côtes-du-Nord par cette flétrissante concussion : — « Tous les amis de l’ordre et du gouvernement sont dans la consternation : c’est une calamité publique, c’est le coup de massue le plus terrible qu’on pouvait porter aux départements de l’Ouest. L’impunité de pareils délits augmente l’audace des ennemis de la République… » ; ainsi s’exprimait dans son rapport le commissaire du Directoire[394]. Aux malheureux fonctionnaires qui, depuis tant d’années, luttent, au risque quotidien de leur vie, le courage manque subitement ; de toutes parts s’élève une lamentation désespérée. Ceux surtout qui, isolés dans des bourgs lointains dont tous les habitants leur sont hostiles, se trouvent plus exposés aux persécutions et à l’assassinat, perdent leur dernier espoir et vont se résigner à servir les brigands. Pour parer au désastre, le commissaire près le tribunal de Saint-Brieuc se pourvoit sans tarder contre l’ordonnance de Besné ; dans la nuit même qui suit l’événement il donne l’ordre de réincarcérer tous les prévenus ; mais ceux-ci sont mieux servis que les magistrats ; « un billet anonyme, déposé par une main inconnue » les avertit du danger et quand les gendarmes se présentèrent à la maison de la rue des Bouchers, Le Gris-Duval et Kerigant avaient disparu[395]. On arrêta madame Le Gris, ses deux servantes, Hidrio et Du Lorin fils[396], maigre gibier à présenter devant un tribunal ; au reste l’absence des principaux inculpés rendait d’avance caduque toute nouvelle instruction.

Sous l’avalanche de récriminations, d’anathèmes, de brocards, d’invectives, Besné essaye d’abord de tenir bon, protestant « qu’il n’a trouvé dans les pièces de la procédure aucune preuve des crimes imputés aux accusés » — « il s’est rapproché des juges pour connaître leur avis ; ils lui ont observé que cela le regardait seul » — « Il connaît, il est vrai, le citoyen Mazurié, mais jamais il n’a reçu de lui un écu pour manquement à son devoir[397]. » Pourtant un tel flot de réprobation le submerge que, le 22 octobre, il démissionne. Aucune sanction ne peut l’atteindre avant qu’on ait reçu les ordres du ministre, et la correspondance est lente, entre la Bretagne et Paris. Vers la fin de novembre, seulement, arrive du ministère une verte réprimande[398], bientôt suivie d’un arrêté du Directoire Exécutif[399] ordonnant l’arrestation de Besné et de sa comparution devant les Directeurs ; à cet arrêté est joint un mandat d’emprisonnement, et, ce soir-là, l’accusateur public couchait à la geôle de Peyrode. Avant de quitter les siens il a dicté à sa femme une supplique émouvante adressée au citoyen La Revellière-Lépeaux, président du Directoire, où est tracé le tableau des treize enfants serrés contre leur père au moment des adieux : — « Si les angoisses pouvaient donner la mort, nous ne serions plus ! — Vivez, nous dit-il, je reviendrai à vous ! Ceux à qui j’ai affaire sont justes ; ils ne trouveront point en moi un criminel[400]. »

Le 13 décembre, il se mettait en route, accompagné de l’aîné de ses fils[401] ; le 24, arrivé à Paris, il annonçait aux Directeurs qu’il se tenait à leur disposition[402] ; le 25 il était incarcéré à la Tour du Temple, et, sur son écrou, après ses noms, au nombre de ses qualités, il exigeait que le greffier mentionnât : père de treize enfants[403]. Le lendemain, conduit par les gendarmes devant un juge qui l’interrogea, il protesta de sa parfaite intégrité, oubliant qu’il a dénoncé lui-même comme étant des scélérats et des criminels ces massacreurs de La Mirlitantouille mis par lui en liberté. Quant aux vingt-quatre mille livres, il répondit « comme Epaminondas, que tout l’or et l’argent de la terre ne suffiraient pas à le corrompre[404]. » Le 27, les gendarmes revinrent et l’emmenèrent au ministère de la Police. Puis on le réintégra au Temple et on le laissa « mariner » dans son cachot.

Les malheurs l’ont laissé fécond épistolier et il n’a pas perdu son ton déclamatoire : au Directeur Merlin, il écrit : — « Je suis républicain et je suis au Temple ! J’ai treize enfants et je suis au Temple ! J’aime la Révolution et je suis au Temple ! » Il sollicite l’admission de son fils aîné au Prytanée français ; il a apporté, pour le citoyen La Révellière-Lépaux, qui n’aime pas les curés, un petit cadeau : c’est un « recueil des pièces saisies sur Hercé », l’ancien évêque de Dol, fusillé à Vannes, après Quiberon. Et puis, il insinue qu’il voudrait bien « retourner dans ses foyers ». Il y revint, escorté par les gendarmes, renvoyé devant le tribunal civil de son département qui allait statuer sur sa prévarication[405]. Redevenu, dès son arrivée, l’hôte de Peyrode, il attendit près d’un mois son jugement. Le 20 février, enfin, le jury d’accusation le proclamait innocent et ordonnait sa mise en liberté[406]. Et on en arrive à penser, ou bien que l’ex-accusateur public, connaissant trop de secrets et affilié par ses opinions à nombre de gens redoutés, trouva en ses collègues des juges indulgents, ou bien que le malheureux, victime d’une de ces intrigues de tragi-comédie auxquelles excellait Le Gris-Duval, était aveuglément tombé dans quelque chausse-trappe ouverte par l’habile châtelain de Bosseny. Besné déclara pompeusement, qu’il découvrirait l’auteur de cette infamie et confondrait ses dénonciateurs[407] ; mais il était à jamais discrédité[408]. Réduit au titre de simple « homme de loi » il essaya de gagner le pain de sa nombreuse famille en s’occupant de ventes et d’achats de biens nationaux, comme procurateur de nobles dépossédés[409] ; il devait mourir à la peine quelques mois plus tard[410].

Ainsi tombaient l’un après l’autre tous ceux que Le Gris-Duval avait marqués du signe fatal. Lui, il courait la campagne et, bien que l’Administration départementale eût lancé contre lui ses meilleurs espions[411], nul ne découvrit sa retraite. Lui-même, en fugitif dilettante, prenait soin d’avertir le ministre qu’on ne le trouverait pas : — « Ce serait être bien ennemi de moi-même que d’aller offrir ma tête au fer de mes bourreaux, et puisque j’ai pu mettre, entre eux et moi, une heureuse distance, je suis décidé à la conserver et à voir de loin les résultats[412]. » On le chercha en vain dans la région de Landerneau, ville où il était né et où il comptait beaucoup de parents et d’amis. Le ministre dépêcha de Paris des limiers réputés, l’agent B…, l’agent C.-L…, l’agent C.-H…[413], un autre encore, qui signe C.-B… et qui s’appelait Brunot, voyageant sous le nom de Charles Villeroy ; il poussait le scrupule professionnel jusqu’à s’affilier, en arrivant dans une ville, à la loge maçonnique, afin d’espionner les « frères[414] ». Mais Le Gris-Duval déjouait toutes les ruses ; son beau-frère Kerigant, Villemain et Carfort qui avait pris la succession de Duviquet, restaient également introuvables.

À Paris, on commençait à s’inquiéter de cette interminable affaire de La Mirlitantouille ; l’acte inqualifiable de Besné avait attiré sur elle l’attention du gouvernement. La tentative avortée de Duviquet sur la prison de Saint-Brieuc, le massacre du 17 juin, le procès des quarante et leur acquittement scandaleux formaient un enchaînement de circonstances décelant une organisation ténébreuse et puissante. Un arrêté du Directoire[415] ordonna de diriger sur les prisons de la Capitale tous les prévenus et complices de ces méfaits, aux fins d’une nouvelle instruction qui serait suivie loin des influences locales. Le nouvel accusateur public des Côtes-du-Nord, Ropartz, en s’excusant grandement sur les difficultés de sa tâche, expédia le peu qu’il tenait, c’est-à-dire madame Le Gris-Duval et ses deux servantes, Jeanne et Marie Chantard. Pour corser l’envoi il y joignit l’espion Giraudeau, inutile à la prison de Saint-Brieuc, mais qui, au contact des mouchards parisiens, se formerait peut-être et deviendrait un « mouton » présentable.

De brigade en brigade, la dame de Bosseny est donc transférée à Paris ; elle quitte Saint-Brieuc le 24 décembre ; le 27 elle est à Rennes, à la geôle de la Tour Le Bat ; elle en repart avec ses compagnons, le jour de l’an 1799 ; au terme du rude voyage, elle est écrouée à la prison de la Petite Force, dont la monumentale et sinistre porte s’ouvrait rue Pavée au Marais. Madame Le Gris-Duval allait être là cuisinée de main de maître, les policiers du ministère mettant leur coquetterie à montrer leur supériorité sur les timides magistrats départementaux, et se faisant fort de débrouiller en un tournemain les mystères de cette longue conspiration qui met depuis des mois en défaut la police briochine. Et, tout d’abord, on place auprès de la prisonnière une compagne de cachot, prétendue fervente royaliste que les iniquités révolutionnaires ont privée de tous ses biens et qui languit depuis des années dans les prisons de la Terreur et du Directoire où elle est détenue pour ses opinions. Au vrai, c’est une femme Marianne Potiquet que l’inspecteur général de la Police, Veyrat, a prise à Saint-Lazare. Elle est chargée d’espionner la Bretonne. Deux autres filles, choisies également dans la plèbe de la prison des femmes, les citoyennes Marquet et Humblet, passeront pour ses servantes et feront parler Jeanne et Marie Chantard.

Mais madame Le Gris a vu le piège ; de longue date elle connaît tous les tours ; ainsi que son mari elle se plaît aux mystifications. Ah ! comme elle se livre, comme elle bavarde ! Elle en a assassiné, des Bleus ! Elle ne pourrait pas en dire le nombre. Et quels exploits ! Un jour n’a-t-elle pas enivré toute une troupe de républicains pour prendre leurs fusils et en armer ses partisans ?… Elle dit où sont déposés les armes, les habits militaires que revêtent les Chouans ; elle révèle le mystérieux mot d’ordre « qui se donne quand on les engage » ; elle dispose de sommes immenses et elle indique les endroits où ces trésors sont cachés. Elle ne borne pas ses confidences au passé, elle annonce aussi l’avenir : Le Gris-Duval est en Espagne ; mais, avant cinq jours, — la date est fixée, — il sera à Paris, muni d’un faux passeport, et viendra la voir à la Force, sous un déguisement qu’elle décrit. Tout cela s’opère par l’active entremise d’un grand nombre de religieuses, qui « ayant fait partie des bandes de Chouans », sont actuellement à Paris et servent la cause royale.

La fille Potiquet, ébahie, emmagasine ces racontages et les ressert fidèlement à Veyrat qui s’évertue et combine avec le ministre le moyen d’en tirer parti : il propose qu’un commissaire de police soit adjoint en permanence au concierge de la Force, afin de saisir Le Gris-Duval lorsque, à son arrivée d’Espagne, il se présentera à la prison ; tout est concerté : défense de laisser le bandit communiquer avec sa femme ; recommandation de le fouiller, aussitôt pris ; et, comme une religieuse doit aussi incessamment visiter la femme Le Gris, il faudra la laisser entrer et ne l’arrêter qu’à la sortie pour saisir sur elle les pièces que la détenue lui aura remises[416]. Mais les jours, les semaines passent, Le Gris-Duval ne paraît pas ; aucune religieuse ne réclame la faveur d’un permis de visite ; les filles Chantard sont restées muettes ; les citoyennes Humblet et Marquet s’ennuient en la société de ces pieuses et sévères domestiques ; elles demandent à retourner à Saint-Lazare et Veyrat en vient à soupçonner que la fille Potiquet elle-même a, pour se faire valoir, exagéré, sinon imaginé les confidences de la prisonnière. Quant à Giraudeau, détenu à la Grande Force[417] et dont on espérait d’importantes révélations, il n’a rien voulu ou pu dire. La police parisienne avait hâte d’être débarrassée de ces intraitables Bretons qui ne connaissaient rien aux usages. Le 5 mars 1799, madame Le Gris-Duval et ses servantes, livrées à la gendarmerie, reprenaient la route de Rennes ; le 1er avril elles rentraient à la Tour Le Bat[418]. Giraudeau, qu’on ne savait comment utiliser, fut reconduit directement à la prison de Saint-Brieuc[419].

Durant ces quatre mois perdus en transfèrements sans résultat, chaque semaine, presque chaque jour, le ministre recevait de son agent des Côtes-du-Nord le rapport de quelque attentat. Jamais les Chouans n’avaient montré tant d’audace : la concussion de Besné, le désarroi de la justice leur conférait l’impunité : dès le début d’octobre 1798, au Dresnay[420], quarante à cinquante brigands envahissent à sept heures du soir la cour de La Guillerné, percepteur. Leur chef est à cheval ; il range sa troupe en bataille, détache quatre hommes qui pénètrent dans la maison : — « Au nom de Louis XVIII, soldats, feu ! » — Le fils du percepteur, un garçon de dix-huit ans, tombe mort. La Guillerné et son personnel ont pris les armes ; ils font une belle défense ; la bataille dure deux heures ; les Chouans se replient enfin, emportant 700 francs et laissant le corps d’un de leurs officiers, — un petit homme d’environ trente ans, jolie figure, gilet rouge à boutons de cuivre, pantalon de casimir, — dont jamais on ne put établir l’identité[421]. Le 13 octobre, à Loudéac, au moment même où est attaquée sur la grand’route la diligence de Brest, les brigands s’introduisent chez le receveur des contributions et lui prennent 15.000 francs. Cinq jours plus tard, à Troguery[422], le citoyen Legac, agent de la commune, est fusillé, sa maison pillée, son mobilier dévasté[423]. Le 13 novembre, à Loudéac encore, tandis que le citoyen Morel, fondé de pouvoirs du receveur général, soupe avec sa famille, quinze à vingt hommes entrent par les derrières de la maison, isolée au bout de la ville : poignards levés, pistolets au poing, ils immobilisent les gens terrifiés et raflent la caisse, — 14.700 francs. Ils étaient vêtus de costumes militaires, sauf le chef, qu’on croit être Saint-Régent et qui portait une carmagnole grise et un chapeau haut de cuve[424]. Dans la nuit du 20 au 21 onze maisons de Pledran, aux portes de Saint-Brieuc, sont mises à sac[425]. Le lendemain, à Vieux-Marché, en Plouaret, vol de 5.000 francs, massacre du juge de paix et d’un pauvre cordonnier qui passe pour patriote ; les brigands se rendent ensuite chez le citoyen Tassel, curé constitutionnel, et le sollicitent d’ouvrir sa porte « pour administrer les Saintes Huiles à un malade » ; le curé qui comprend, se sauve par le toit, son presbytère est ravagé[426]. Le jour suivant, toujours à Loudéac, — ville de garnison cependant, — chez le receveur des finances, 10.000 francs[427]. Le 16 décembre, à Cavan[428], onze heures du soir, quinze Chouans, coiffés de bonnets à poil, réveillent l’agent de la commune, le tirent hors du lit vacillant de peur, et l’obligent à les conduire chez le curé intrus dont ils vident la maison[429]. La terrifiante énumération se poursuivra durant toute l’année 1799, et l’on ne dira pas tout, car l’effroi glace les plus intrépides et les fonctionnaires menacent d’abandonner leur poste s’ils ne sont pas protégés. Ceux mêmes qui résident au chef-lieu osent à peine, dans leurs rapports officiels, citer un nom suspect ; la malle-poste qui portera ces pièces peut être attaquée et c’est la mort pour tout signataire d’un document dénonciateur. Car, la belle saison revenue, les arrestations de diligences seront fréquentes ; mais qui se hasarde à courir les grands chemins ? Un espion du Directoire[430] note que « les brigands ne laissent passer les voyageurs qu’après avoir visité leurs passeports, sur lesquels, vraisemblablement, des fonctionnaires perfides signalent, par des marques convenues, ceux qui doivent devenir victimes de leur attachement à la Révolution[431] ». La chose se fait au grand jour : le 11 juin 1799 une bande de douze à quinze brigands arrête la diligence de Saint-Brieuc à peu de distance de Lamballe ; ils rançonnent tous les occupants de la voiture : la récolte se fait dans un chapeau où chacun doit jeter son argent. À l’un, Nicolas Guerrin, qui vide sa bourse contenant 36 francs en monnaie blanche : — « Tiens, dit le chef, reprends tes sous ; tu as l’air d’un pauvre bougre qui n’est pas riche… » Aux autres il laisse 12 ou 15 francs « pour faire la route[432] ». Une escorte de soldats ne protège plus les voitures publiques : — « c’est un moyen insuffisant et même nuisible, car ces escortes ne peuvent être nombreuses et les brigands combinent leurs forces en conséquence » ; et puis, « la présence de militaires autour d’une diligence ou d’une malle-poste annonce en quelque sorte que cette voiture transporte des fonds[433] ». D’ailleurs où sont les soldats de la république ? On n’en voit plus ou bien, ceux qu’on rencontre traînent sur les routes leurs uniformes en lambeaux et leurs mines affamées. Dans peu, un correspondant du ministre pourra écrire : — « Les officiers et les soldats sont dans la plus grande détresse : privés de paie depuis cinq à six mois, sans bas, sans chemise, sans habits, couverts seulement d’une mauvaise capote… La désertion est à son comble : ils vont rejoindre les chefs chouans qui donnent 200 francs d’engagement[434]. »

À qui imputer ces forfaits ? Comme il faut mettre des signatures à ces crimes anonymes, on désigne les plus fameuses, celles qui sont des épouvantails : Le Gris-Duval, Carfort, Saint-Régent. Ces trois hommes sont invisibles et pourtant on croit partout les reconnaître ; ainsi des légendes se forment que les magistrats désemparés adoptent : tous leurs rapports désormais signaleront « l’exécrable Carfort », « le scélérat Saint-Régent », « l’infâme Legris-Duval » comme les grands fauteurs des massacres et leur néfaste renommée s’empirera de tout ce que la peur ajoute aux réalités. De spécifier, même arbitrairement, les coupables, cela permet aux autorités de sévir, et l’on emprisonne au hasard les parents des Carfort, « parce que leur fils est à la tête des brigands[435] » ; on arrête aussi sa sœur et son beau-frère ; la famille de Carfort habite à quelque cents pas de La Mirlitantouille, et, depuis que l’endroit a reçu une consécration sanglante, les Administrateurs du Département soupçonnent que, dans ce repaire, toutes les conspirations se trament, toutes les expéditions s’organisent. En juillet 1799, sur cette route qui va de Loudéac à Moncontour, Dujardin et Saint-Régent enlèveront 32.000 francs que le receveur de Loudéac expédie à Saint-Brieuc ; neuf soldats escortant le courrier seront tués[436] ; c’est donc toujours des hauteurs du Mené que descend la terreur sur les deux versants de la montagne ; aussi proposera-t-on de démolir l’estaminet tragique afin qu’à jamais disparaisse jusqu’au souvenir de ce nid de Chouans.

En cet été de 1799, les magistrats briochins, désespérant d’atteindre les grands rebelles, se contentent des maigres captures que leur procurent des trahisons, grassement payées. Parfois, la prise est bonne, comme ce jour où l’on s’empare de Villemain, dit Papa Blanc, le vieux soldat de Boishardy, l’un des condamnés à la déportation absous par Besné : aussi les rapports célèbrent-ils avec fracas l’arrestation de « ce monstre, affilié à la bande de Carfort et couvert de crimes atroces[437] ». On se félicite du moindre succès comme d’un triomphe : un jour, on trouve sur la route de Moncontour à La Mirlitantouille le corps d’un chouan : c’est Nivet, dit La Pointe, et tout de suite les fonctionnaires se congratulent du trépas de ce scélérat obscur, « l’un des assassins les plus sanguinaires de la bande de Carfort, infiniment redouté des habitants de Moncontour et des environs parce qu’il connaissait toutes les personnes et leurs opinions ». L’enquête établit que ce Nivet, caché dans quelque maison de correspondance, est mort de la petite vérole et que, pour se débarrasser de son cadavre compromettant, ses camarades l’ont, de nuit, exposé sur le grand chemin[438]. Souvent même, on crie victoire sur un simple bruit, et c’est ainsi que, au début d’octobre on annoncera, « comme un succès très important », la mort du trop fameux Le Gris-Duval, « atteint d’une balle qui lui a traversé les reins au cours d’un combat entre sa bande et un détachement de Bleus, dans la forêt, non loin du château de Lorges[439] ». Personne ne songera que, pour se délivrer des poursuites, le madré chef de division peut avoir lui-même inventé ce dérivatif dénouement.

Un autre succès des Bleus, plus réel, fut, en mai 1799, l’arrestation de madame Le Frotter de Kérilis[440], ardente royaliste, dont on a déjà cité le nom. Alors âgée de quarante ans, femme d’un gentilhomme pauvre qui, avant d’émigrer, exerçait à Pontivy l’emploi d’expert-priseur, madame Le Frotter, restée seule avec ses trois fils, consacra sa vie à la défense de la cause royale ; sa maison était un asile toujours ouvert aux Chouans et à leurs courriers ; son fils aîné, Étienne, combattait parmi les rebelles ; elle-même avait été dénoncée plusieurs fois et arrêtée pour embauchage. C’est autour de cette femme énergique et malheureuse que vont se grouper, pour un dernier épisode, plusieurs des personnages qui ont figuré dans ce récit.

Surprise, par un détachement de grenadiers de la 58e demi-brigade, en flagrant délit de recrutement pour les bandes de Mercier et de Georges, madame Le Frotter, incarcérée à Saint-Brieuc avec son fils cadet, Honorat, comparut, le 27 juillet, devant le Conseil de Guerre qui prononça l’acquittement du jeune homme et la condamnation à mort de la mère. Ce verdict émut toute la Bretagne : les Le Frotter étaient unanimement estimés et tenaient à nombre de familles marquantes dans les fastes de la Chouannerie. Sauf quelques fanatiques satisfaits de voir enfin, à défaut de Le Gris-Duval en personne, une de ses complices atteinte par ce qu’ils appelaient encore « la vengeance nationale », on déplorait le sort de cette mère de famille qui, privée de son mari par l’émigration, avait courageusement élevé ses trois fils dont l’un était encore un enfant ; le jugement ordonnait la confiscation de ses maigres biens et déjà les administrateurs du Morbihan prescrivaient qu’il fût procédé à la vente de ses meubles au profit de la république[441]. On espérait généralement que la condamnation capitale serait annulée par le tribunal de révision, siégeant à Rennes, et qu’une nouvelle juridiction se montrerait plus clémente. Le tribunal de révision confirma la sentence de mort. Il ne restait plus qu’à dresser l’échafaud.

Bien que tant d’années de luttes, de drames, de haines et de larmes, tant de sang versé eussent usé la pitié et durci les cœurs, on s’offusquait de l’implacabilité des juges, frappant, à défaut des vrais coupables qu’ils ne parvenaient pas à saisir, une femme dont la faute paraissait vénielle au regard des grands crimes impunis. On s’indignait aussi des procédés de l’instruction, des pièges tendus à la malheureuse : pour la perdre on avait utilisé Giraudeau et d’autres « moutons » admis à déposer contre elle, et déjà se manifestait un soulèvement d’opinions en faveur de la condamnée. Madame Le Gris-Duval, toujours emprisonnée à Rennes, ne pouvait agir ; mais sa sœur, madame de Kerigant, quoique contrainte à se cacher en sa qualité de contumace, mettait en mouvement toutes ses relations, afin de sauver la condamnée, et l’on a la certitude que ni Kerigant, ni Le Gris-Duval ne restaient inactifs ; du jour où l’on apprit à Saint-Brieuc que le subtil cabaleur de Bosseny s’intéressait à la prisonnière, le cachot où celle-ci était enfermée « au secret et sous verrous » fut gardé par huit hommes armés[442].

C’est bien certainement à l’instigation de madame de Kerigant que l’avocat Laënnec était passé, « par hasard », à Saint-Brieuc le jour où madame Le Frotter comparaissait devant les juges militaires. Ayant assisté à l’interrogatoire de l’accusée, il était sorti de l’audience « tellement pénétré de son innocence » qu’il avait aussitôt sollicité l’honneur de défendre sa cause en appel. Théophile Laënnec, ex-président du tribunal criminel du Finistère, peu suspect, par conséquent, de tendresse pour les royalistes, était de ces hommes dont tous les partis vénèrent la droiture. Par malheur, avant que sa requête fût admise, le tribunal de révision, faisant hâte, rendait son arrêt ; la sentence de mort était définitivement confirmée.

Laënnec conseille à madame Le Frotter de se déclarer enceinte ; ce faux prétexte assure à la condamnée un sursis de trois mois. Mettant à profit ce délai, il adresse au ministre de la justice un exposé du procès et réclame « amnistie en attendant justification ». — « La citoyenne Le Frotter n’a pu obtenir ni à Saint-Brieuc, ni à Rennes, la latitude nécessaire à sa défense. Sur trente et un témoins requis par l’instruction, deux seulement, deux faux témoins, reconnus faux par le Conseil de guerre, ont chargé l’accusée : l’un, déserteur, — c’est Giraudeau, — a voulu racheter sa vie par celle d’une femme ; l’autre, — un concussionnaire, — a fait le commerce des poudres appartenant à la République. C’est dans les dépositions de ces hommes dégradés que les juges d’une mère de famille ont puisé ce qu’ils nomment « leur intime conviction[443] » ! » Il observe que l’inculpée n’a pas été défendue, « le dérangement des courriers de la poste ayant empêché ses avocats de recevoir les éléments de justification ». Au nombre des militaires qu’on accuse la citoyenne Le Frotter d’avoir embauchés, se trouve son fils aîné, Étienne. Ne doit-on pas attendre, avant d’exécuter le terrible arrêt, qu’il rentre dans le devoir ? « En quelque endroit que ce jeune homme ait été entraîné, la condamnée a lieu de croire qu’il a les yeux ouverts sur le danger de sa mère… » Il y avait comme une menace dans ce dernier argument et peut-être, pour cette raison, déplut-il au ministre. Vers le 1er octobre on connut sa réponse : il n’apercevait aucun moyen de surseoir à l’exécution de la sentence ; — « aucune autorité ne peut ni ne doit maintenant examiner si les charges produites ont été assez fortes pour entraîner la conviction ; la loi est inexorable et nul, aux termes de la Constitution, ne possède le droit de grâce[444]. »

Est-il situation plus dramatique ? Cette mère va-t-elle mourir pour ne pas livrer son fils ? — Ou, pour sauver sa mère, le fils viendra-t-il offrir sa tête ? Quel juge sera de taille à terminer le conflit suscité par cette alternative : une maman et son enfant se disputant l’échafaud. À l’un et à l’autre ce déchirant débat devait être épargné. Étienne Le Frotter, ainsi que le préjugeait Laënnec, « avait les yeux ouverts sur le danger de sa mère ».

Où se trouvait-il ? Peut-être servait-il dans les bandes de Georges Cadoudal ; commandait-il un canton, une légion, ou faisait-il partie de l’État-major de Mercier La Vendée ? On ne peut le dire exactement. L’organisation de la Chouannerie, volontairement mystérieuse, ne comportait ni contrôles ni archives et peut-être n’est-il point paradoxal de remarquer, avant d’entreprendre le récit de l’un des épisodes les plus marquants des guerres de l’Ouest, que l’histoire des Chouans n’est connue, à proprement parler, que par les documents émanés de leurs adversaires. Par hasard, par l’attestation tardive d’un survivant de ces temps de troubles, on sait que, à l’époque où madame Le Frotter attendait la mort dans la prison de Saint-Brieuc, Le Gris-Duval qui, décidément, vivait encore, commandait en chef le département des Côtes-du-Nord[445] ; il avait sous ses ordres cinq chefs de division : pour Guingamp, Keranflech, dit Jupiter, ancien officier noble de l’armée de Condé, résidant ordinairement en son château de Quellenec, près de Mur-de-Bretagne[446]. Le district de Lannion était à Guezno de Penanster, cousin d’un conventionnel, ancien élève de la marine royale, puis, jusque en 1794, soldat de l’armée républicaine du Rhin ; rude homme et terrible partisan[447]. Carfort, avec son lieutenant Dutertre, tous deux survivants de la bande de Duviquet, régnaient sur la région de Moncontour et de Saint-Brieuc ; Kerigant avait Dinan et l’un de ses principaux officiers était un marchand de bestiaux, nommé Olivier Rolland, dit Justice. Le Gris-Duval se réservait l’arrondissement de Loudéac avec, comme lieutenants principaux, le jovial Saint-Régent et un échappé de Quiberon, Félix Dujardin, simple chef du canton de La Nouée, mais dont le nom grandira. Quand Étienne Le Frotter leur eût fait connaître sa détermination de soustraire sa mère à l’échafaud, tous, — sauf Guezno de Penanster alors emprisonné à Saint-Brieuc, — acceptèrent avec entrain un rôle dans l’expédition. Étienne est, en outre, assuré du concours de Mercier La Vendée qui promet quatre cents de ses Morbihannais. Sa prévoyance et son sang-froid sont réputés : du consentement unanime c’est lui qui prendra la direction de l’opération : il s’agit de réitérer la tentative de Duviquet contre la prison de Saint-Brieuc ; seulement ce n’est plus une patrouille, c’est toute une armée — douze à quinze cents hommes — qu’on mettra en mouvement ; on s’emparera, par surprise, de la ville et, tandis que des forces imposantes tiendront la garnison en respect, on donnera l’assaut à la geôle de Peyrode et on en ouvrira les portes à tous les détenus. Projet téméraire, de prime abord impraticable : mobiliser une troupe si nombreuse, l’amener en armes du fond de la Bretagne, la concentrer aux portes du chef-lieu sans donner l’alarme, sans susciter sur la route l’étonnement ou les soupçons d’une municipalité, sans éveiller l’inquiétude des chefs militaires de la région, cela paraît irréalisable à qui ne sait le dégoût, l’affaissement moral de tous les serviteurs de l’État. La machine administrative, léguée à la France par la Convention, est pourrie après quatre ans d’usage ; elle se disloque ; elle ne fonctionne plus. Les bourgeois de Saint-Brieuc vivent dans une « perpétuelle terreur » ; les marchés chôment ; plus de blé pour les moulins, plus de cuir pour les souliers, plus de bois, plus de savon, plus de vin. Les courriers manquent une fois sur deux ; faute de fourrage le maître de poste n’a plus de chevaux ; les soldats volent dans les boutiques ; les malades périssent à l’hospice où les médicaments font défaut ; les paysans ne se risquent plus à porter leurs denrées à la ville, et les Briochins n’osent pas pousser leurs promenades hors des murs jusqu’au pont de Douvenant qui est à un quart de lieue des barrières[448]. La ruine de la navigation et la cessation des pêcheries ont causé une détresse générale[449] ; les artisans, les ouvriers en toile, ont cessé de travailler faute de débouchés[450]. Presque toutes les communes avoisinant Saint-Brieuc sont « en état d’hostilité avec la République » ; des rares paysans qui lui sont attachés l’effroi est tel « qu’ils s’abstiennent de pleurer le parent et l’ami que les brigands ont enlevé ou tué[451] ». Si la débâcle des services publics est achevée, l’organisation des Chouans est parfaite : ils ont des complices dans toutes les administrations ; les uns secrètement affiliés à leurs bandes, les autres ouvertement dévoués à leurs chefs[452]. Le Directoire du département les connaît ; mais il est sans force pour sévir ; aussi chacun prévoit, attend, en arrive à désirer même l’imminente et inéluctable catastrophe qui mettra fin, d’une façon ou d’une autre, à cet état de torpeur et de dissolution.

Mercier La Vendée concertait donc en toute liberté son audacieux plan de campagne. Rolland dit Justice, le lieutenant de Kerigant, fut chargé de recueillir dans Saint-Brieuc même les informations indispensables : — importance de la garnison, nombre des postes, composition de la garde de chacun d’eux. Les royalistes comptaient dans la ville beaucoup d’amis et il lui fut facile de se renseigner. Il redevint, pour la circonstance, marchand de bestiaux ; précaution presque inutile ; qui songerait à le gêner ? Il pénétra même dans la prison et s’aboucha avec l’un des émigrés détenus, Morin de Villecorbin ; on convint que, le soir de l’attaque, les prisonniers se tiendraient prêts et, dès les premiers coups de fusil, s’empareraient du concierge Peyrode et désarmeraient les six ou huit gardes nationaux composant chaque nuit la garde de la geôle[453]. Le chouan Justice fit mieux encore, si, toutefois, c’est lui qui, grâce à de discrètes influences, obtint de la municipalité cet arrêté vraiment opportun, interdisant aux habitants de la ville de se montrer non armés dans les rues durant la nuit. Or, comme, depuis longtemps, on avait enlevé aux Briochins toutes leurs armes par voie de réquisition, les chouans étaient sûrs de n’être point gênés par la foule dans l’exécution du grand projet[454].

La date en fut fixée à la nuit du 26 octobre, — 4 brumaire. On sauverait ainsi la vie à un chouan, Yves Hamon, pour qui l’échafaud devait être dressé le 27 à sept heures du matin[455]. Ce 27 octobre coïncidait aussi avec l’échéance des trois mois de sursis accordés à madame Le Frotter ; l’arrêt qui la condamnait à mort étant désormais sans appel, on pouvait craindre qu’elle fût livrée au bourreau en même temps que Hamon, ce matin-là. Son fils Étienne, l’ardent promoteur de l’expédition, dut mettre tout en œuvre pour obtenir que la tentative de délivrance ne fût pas reculée au delà du délai fatidique. Tout étant ainsi convenu, l’habile et dévoué Justice, estimant son rôle d’éclaireur terminé, jugea qu’il serait plus utile aux assaillants en demeurant à Saint-Brieuc qu’en prenant place dans leurs rangs ; il fallait un homme averti et de sang-froid pour diriger le mouvement à l’intérieur de la prison et distribuer aux détenus les rôles qu’ils auraient à jouer au moment de l’attaque décisive. Il se fit donc tout simplement incarcérer, puisque, pour obtenir cette faveur, il lui suffisait de décliner son nom[456]. Ceci établit jusqu’à l’évidence sa confiance absolue dans le succès de l’affaire en préparation.

Déjà Mercier La Vendée s’était mis en route avec ses quatre ou cinq cents Morbihannais, renforcés d’une compagnie de transfuges autrichiens, dite « compagnie des déserteurs[457] ». Des forêts de Camors et de Floranges où, sans doute, s’effectua le rassemblement, la petite armée suivit à peu près la route parcourue, quatre ans auparavant, par l’Armée rouge de Tinténiac et qui n’était autre que la vieille piste de correspondance, toujours en usage depuis l’époque lointaine du marquis de La Rouerie. À Bignan elle s’augmenta d’un détachement des bandes de Guillemot, passa par La Trinité et Coëtlogon, gagna la forêt de Loudéac. Comment se ravitaillait-elle ? Rien ne l’indique. Les Chouans n’étaient plus ces soldats des bons prêtres et du roi que la ferveur des paysans fournissait naguère sans compter : il fallait, maintenant, payer tout sur la route et, peut-être, les 32.000 francs enlevés en juillet par Saint-Régent et Dujardin au courrier du receveur de Loudéac, avaient-ils été mis en réserve pour parer aux frais de l’expédition. Encore ne pouvait-on acheter des vivres en suffisance que dans les villes ou, du moins, dans des bourgades importantes : cette insolite affluence de consommateurs bien armés n’attira-t-elle l’attention d’aucun agent national ? Comment ne se trouva-t-il pas un fonctionnaire assez soucieux de son devoir pour sauter à cheval et courir au chef-lieu afin de signaler cette invasion en marche ? Personne ne s’étonna ; rien ne bougea ; les Chouans opérèrent leur concentration avec plus de méthode et de sécurité que l’aurait pu faire une brigade des soldats de la République.

De la forêt de Loudéac l’armée de Mercier atteignit le bourg de La Motte où elle se grossit des hommes de Saint-Régent et de Dujardin, rassemblés aux environs de Laurenan[458]. Puis elle s’enfonça dans la longue forêt de Lorges. On signale un conseil tenu par Mercier chez un chef de canton, nommé Le Helloco, au Toulmin, en Allineuc[459]. C’est là que rejoignit Keranflech, dit Jupiter, venu, sans embarras, avec sa petite troupe, de son château de Quellenec. Le 26 octobre, on était à Plaintel, — trois lieues de Saint-Brieuc, — où l’on rencontrait la bande nombreuse, — trois ou quatre cents hommes, — rassemblée par Carfort dans les landes de La Mirlitantouille, et descendue des hauteurs désertes du Mené par Plémy, Hénon et Saint-Carreuc[460]. Ce même jour, à neuf heures du soir, on se remit en marche et on s’arrêta, vers minuit, à quelque cent pas des premières maisons de Saint-Brieuc.

Mercier La Vendée réunit ses principaux officiers pour un dernier conseil, sur la plate-forme du manoir de Robien, qui touche aux faubourgs de la ville : autour de lui, Saint-Régent, de Bar, Kerenflech, Carfort, J.-J. Coroller du Faou de Kerdaniel, Étienne Le Frotter et d’autres, tous chefs de légion ou de détachement. Le Gris-Duval, plus librettiste qu’exécutant, n’est pas là ; il ne reconnaît pas l’autorité de Mercier, qu’il jalouse et qu’il accuse d’empiéter sur son commandement[461]. Les instructions sont données à voix basse : — l’attaque à deux heures précises du matin ; toutes les montres réglées sur celle de Mercier ; les hommes marcheront pieds nus pour éviter le bruit des sabots sur les pavés ; ils passeront les pans de leur chemise par-dessus la culotte afin de se reconnaître dans l’obscurité[462]. Ordre d’éviter, autant que possible, les collisions, et, sous les peines les plus sévères, de n’entrer dans aucune maison[463].

À pas silencieux, les Chouans vont occuper leurs positions d’attaque ; ils encerclent la ville profondément endormie. Sauf Justice et ceux de ses compagnons de geôle qu’il a discrètement avertis, personne dans Saint-Brieuc, — et c’est incroyable, — ne se doute qu’une armée d’un millier d’hommes au moins est prête à se ruer sur la ville. Dans cette population de près de 8.000 habitants, dans cette garnison d’environ 300 hommes, il n’y eut donc, cette nuit-là, ni un promeneur attardé, ni une sentinelle aux écoutes ? — Si, pourtant ; quelqu’un sait le danger, et c’est Giraudeau, le déserteur, l’espion placé naguère dans la prison pour « moutonner » les détenus. Il est toujours incarcéré ; dans la matinée, il a reçu, au parloir du concierge Peyrode, la visite d’une femme Le Valois qui lui sert de commissionnaire : elle lui a fait part du projet des Chouans ; d’abord il fut incrédule ; puis comme la chose le tracasse, il en a parlé à l’un des détenus politiques : celui-ci joua l’ignorance, puis finit par avouer : — depuis trois jours il était avisé que les royalistes entreraient dans la nuit du 26 au 27 à Saint-Brieuc et s’empareraient de la prison. Or, pour Giraudeau, la délivrance par les Chouans, c’est la mort. Il les sait bien renseignés et implacables dans leurs vengeances : il a mouchardé les Le Gris-Duval, les Kerigant, les Du Lorin ; il a témoigné contre madame Le Frotter : s’il tombe entre leurs mains, il est perdu.

Sans tarder, il écrit au citoyen Denoual, commissaire du pouvoir exécutif près l’Administration départementale ; il lui rapporte en termes émus ce qu’il vient d’apprendre : l’invasion d’une armée de brigands pour la nuit prochaine ; « leur but est de délivrer un très grand nombre de gens de leur parti ; ceux de qui je le tiens sont prévenus ». Son souci est si grand qu’il se permet de conseiller : — « Expédiez sur-le-champ des ordonnances pour alerter les troupes des villes circonvoisines… Faites délivrer des munitions aux bourgeois… Faites poster une colonne assez nombreuse autour de la maison d’arrêt… » — C’est là, surtout, ce qui l’intéresse. La lettre écrite, comment la faire parvenir ? Si l’on apprend dans la prison qu’il communique avec le commissaire du Directoire, son cas sera empiré. Il guette donc l’heure où, chaque jour, un soldat de la garnison vient à la prison apporter la soupe aux militaires détenus : l’homme chargé de cette mission est, le 26, le chasseur Bourvellec. Giraudeau lui confie sa lettre, en lui recommandant de la remettre sur-le-champ à un de ses camarades, Yverneau, qui la posera à son adresse[464].

Bourvellec enfouit le papier dans sa poche et se lança consciencieusement à la recherche d’Yverneau, — sans le rencontrer ; recherche bientôt interrompue, du reste, car il fut commandé d’escorte pour accompagner la malle-poste de Brest à Paris qui passait dans l’après-midi. Il plaça dans son portemanteau, sous sa selle, la lettre de Giraudeau, — « crainte de la perdre », dit-il plus tard, — monta à cheval et partit, galopant à la portière de la voiture vers Lamballe, pour ne reparaître que le surlendemain, et emportant ce précieux billet auquel, sans qu’il s’en doutât, étaient suspendues tant de vies humaines.

On se représente les transes de Giraudeau dans cet après-midi du 26. Sa lettre partie, il s’attend à être convoqué chez le commissaire du Directoire. Les heures passent, angoissantes ; rien ne vient. Quand la nuit tombe, il guette les bruits du dehors : n’entend-on point battre le rappel, sonner le tocsin ? Des troupes ne se massent-elles point autour de la prison ? Non ; la garde coutumière n’est même pas renforcée. Le temps s’écoule ; pas un bruit ; — une heure du matin : tout demeure silencieux. — Deux heures sonnent à l’horloge de la cathédrale…

À ce moment précis, une femme traînant un homme ivre entrait en ville par la rue Cordière. Suivant les rues de la Vinaigrerie et de la Vicairie, le couple titubant parvint à la place de la Liberté. Là étaient l’Hôtel de Ville et le poste central, occupé par la garde nationale. Tout dormait. Devant le poste veillait, seule, une sentinelle. L’ivrogne et sa compagne traversèrent la place, se dirigeant vers le soldat qui les laissait approcher sans méfiance[465].

II

La femme était un chouan travesti ; son compère simulait l’ivresse. Ils abordèrent l’homme en sentinelle et, soudain, se jetèrent sur lui. Il tomba mort sans pousser un cri. Au même instant, des rues tortueuses, débouchent les chouans en masse ; la place est envahie, le poste assailli : le sergent Guillot, qui le commande, fait sortir ses hommes, essaie de les ranger en bataille ; une décharge les repousse en bousculade dans le corps de garde où ils se barricadent. La porte est attaquée à grands coups de crosse : — « Ouvrez ! Ouvrez ! Si nous entrons de force, il ne sera fait quartier à personne ! » La porte cède ; les brigands se précipitent, saisissent tous les fusils, intiment aux gardes nationaux l’ordre de se coucher sur le lit de camp, d’y rester immobiles, sous peine de fusillade immédiate. D’autres s’accrochent à la grille de la Maison Commune, la secouent, l’ébranlent, l’arrachent et s’emparent d’un des deux canons de la Municipalité. La place est tumultueuse, parcourue en tous sens par des bandes de chouans qui explorent les vieilles rues à pignons, tirant des coups de fusil sur toute fenêtre qui s’ouvre. Les chiens hurlent « d’une manière effroyable » ; les décharges succèdent aux cris de Vive le Roi, vive Louis XVIII ! Car la ville est prise ; tous les postes, tous les points de résistance sont tombés simultanément au pouvoir des Royalistes. Le corps de garde de la porte de Lamballe, pris à revers, est occupé ; on enfonce les portes de la ci-devant église Saint-Guillaume et on en tire les chevaux qu’elle abrite. À la caserne des Ursulines, le jeune du Faou de Kerdaniel et J.-J. Coroller[466] entrent bravement dans la chambrée, pistolets en mains : — « Le premier qui bouge est fusillé ! » Et tous les hommes, — des vétérans et des ouvriers du génie, — hébétés par ce réveil en sursaut, se tiennent cois, tandis que les Chouans raflent les fusils alignés aux râteliers. Un vieux soldat, pourtant, reprend son sang-froid : — « Est-ce qu’on va se laisser désarmer par ces bougres-là ? » Voilà tous ses camarades debout ; une lutte s’engage. Dans la nuit noire qui enveloppe ce vieux couvent dont ils ne connaissaient pas les êtres, les royalistes trébuchent, sont refoulés. Quelques coups de fusil éclatent et du Faou, une fois dehors, masse ses hommes à l’angle de la rue aux Chèvres et de la route de Brest, se contentant de bloquer la caserne en cas d’une sortie des assiégés qui ne se montrèrent plus.

Ce qui caractérise les mille incidents dispersés de cette vaste bagarre, c’est l’indifférence des habitants de Saint-Brieuc. Peut-on admettre que, pour l’immense majorité, ils ne se réveillèrent point ? Ceux qui, tirés de leur lit par le vacarme des détonations, montrèrent leur tête à la fenêtre pour savoir ce qui se passait, se recouchèrent bien vite sous la menace des coups de fusil. Point de rumeurs, point de panique, point même de curiosité : à force de vivre dans l’insolite, ils avaient acquis une résignation à toutes les épreuves ; peut-être, sentant leur ville au pouvoir des royalistes, ne prenaient-ils pas au tragique un événement qu’ils espéraient favorable ou, tout au moins, décisif. Ceci, d’ailleurs, n’expliquerait pas certains faits dont la singularité atteint au comique : dans la journée était arrivé à Saint-Brieuc le général Casabianca ; nommé, le 20, au commandement de la subdivision des Côtes-du-Nord, il s’était empressé de rejoindre son poste ; cette nuit du 26 au 27 était la première que ce vieux soldat corse[467], incontestablement brave, passait sous le ciel de Bretagne. Était-il fatigué du voyage ? Estima-t-il qu’un démêlé entre concitoyens opposés d’opinion échappait à ses attributions ? Ce qui est sûr, c’est que, ni la fusillade, ni les cris de Vive le Roi ! ne parvinrent à l’émouvoir. Il ne sortit pas de ses draps. Un poste d’honneur montait la garde à sa porte : il ne paraît pas qu’il fut désarmé ni que nul, parmi les chefs chouans, s’inquiétât de ce général dont le sommeil était si dur. Quand, le lendemain, on s’étonnera de l’inaction de Casabianca, il objectera simplement que, ne connaissant pas la ville, il n’aurait su où tourner… Les Briochins en riaient encore quarante ans plus tard.

Quelques fonctionnaires montrèrent plus de décision : encore, s’ils descendirent dans la rue, ignoraient-ils la nature du danger qu’ils allaient affronter. Ainsi le commissaire du Directoire près le tribunal des Côtes-du-Nord, Despoiriers, réveillé par le tumulte vers cinq heures du matin seulement, s’habille, prend un fusil et va, pour s’informer, jusqu’à la place de la Liberté. Il est accueilli par une fusillade, fait aussitôt demi-tour, s’élance, poursuivi par les Chouans, dans la rue Fardel, les dépiste, grâce à l’obscurité, dans les petites rues Milieu et Derrière-Fardel, escalade un mur de jardin et retombe de l’autre côté, si malencontreusement qu’il en reste courbaturé durant plusieurs jours[468].

Jérôme Morin, capitaine de la garde nationale, se dirige aussi vers la place, — c’est « la ratière » où tous les étourdis viennent se faire prendre[469] ; — il a revêtu son uniforme ; il se heurte, dans l’ombre, à un Qui vive ? retentissant ; une décharge à bout portant jette à terre son chapeau en loques ; Morin recule d’un bond, insistant : — « Ne tirez pas ! Je suis le capitaine de la garde nationale ! » Un jeune homme en lévite grise l’ajuste à deux pas ; Morin saisit le fusil par le canon, le détourne et le coup part sans l’atteindre. Alors, effaré de la persistance de ce malentendu, le capitaine fuit à toutes jambes et regagne sa maison sous les balles[470]. Le brigadier de gendarmerie Merlin eut meilleure chance : ignorant, comme les autres, que les royalistes sont maîtres de la ville, au Qui va là ? des barrages, il répond innocemment Merlin ! et circule sans difficulté : les Chouans entendent Berlin, qui est, paraît-il, leur mot de passe[471]. La nuit devait être terriblement obscure pour justifier ces quiproquos, sans quoi l’accoutrement des soldats de Mercier La Vendée, portant la chemise par-dessus la culotte, aurait prévenu semblables confusions. Mais n’est-il pas de règle, au lendemain de tout événement tragique, que bon nombre d’amplificateurs tiennent à honneur d’avoir échappé au danger par une sorte de miracle et, dans leurs témoignages, il faut faire la part de la vantardise. Encore ne s’explique-t-on pas comment les citoyens patriotes qui se risquaient hors de chez eux, aient pu si unanimement s’abuser et prendre les Chouans pour des camarades. Le président de l’Administration départementale, Le Provost, sort de sa maison avec son fils Vincent, âgé de treize ans ; chacun d’eux s’est armé d’un fusil. À peine dans la rue, Le Provost est entouré, houspillé ; donnant dans l’erreur commune : — « Je suis républicain ! » proteste-t-il ; — « c’est ce qu’il nous faut ! Le Roi commande ici ! Rends ton fusil, bougre ! » Madame Le Provost, qui se tient sur le seuil de sa maison, une lanterne à la main, intervient : — « Comment ! vous ne le reconnaissez pas ? C’est un de vos administrateurs !… » — Un administrateur ! Le Provost est collé contre une porte, les fusils sont braqués sur lui, il va mourir… La porte s’ouvre[472], l’engouffre, se referme. Le voilà sauvé. Les Chouans saisissent la femme qui se débat ; deux balles la manquent ; le petit Vincent, pour mourir avec elle, crie Vive la République et fait feu sur les brigands. Il est happé, se dégage, se jette sur sa mère, la pousse contre la porte hospitalière qui s’ouvre une seconde fois et les dérobe tous les deux[473].

Il est manifeste que, dans le tohu-bohu de ces scènes brutales mais non sanglantes, les instructions de Mercier La Vendée sont docilement observées. Les Chouans ne se refusent pas le plaisir de faire siffler leurs balles aux oreilles patriotes ; mais, quoiqu’ils soient réputés bons tireurs, peu de leurs coups portent. Le sang coula pourtant : le lieutenant de gendarmerie Chrétien est parvenu à rassembler quelques-uns de ses hommes et tente de reprendre le poste de la Mairie ; il est repoussé par une vive fusillade ; sa petite troupe se disperse, laissant sur la place un mort et deux blessés ; lui-même se sauve à travers les jardins dans une maison de la rue de Gouët ; il y est pris, ramené au Martray, couché en joue… Arrive un jeune homme « bien vêtu », il interpelle les Chouans : — « Est-ce là l’ordre qu’on vous a donné ? Menez cet homme au corps de garde[474]. » C’est au poste de la place de la Liberté, en effet, que sont entassés tous les citoyens ramassés par les rues : on y conduit le commissaire du Directoire près l’administration municipale, Poulain-Corbion, fonctionnaire héroïque qui, moins timoré que Casabianca, et soucieux de son devoir, se rendait à la Mairie dans l’espoir d’organiser la défense. Les Chouans l’invitent à crier : Vive le Roi ! il crie : Vive la République ! et tombe percé de coups de baïonnettes. On retrouvera, le lendemain, son corps non loin de l’endroit où se dresse aujourd’hui sa statue, hommage mérité[475].

Pour abriter leurs blessés, les Chouans ont fait ouvrir la maison du citoyen Grandchamp-Leclerc ; ils ont requis la citoyenne Conan, femme d’un chirurgien qui, sous la garde de six hommes armés, est promue infirmière de cette ambulance improvisée. Elle y panse quelques blessés dont deux atteints grièvement ; l’un de ceux-ci meurt sous ses yeux. Au matin elle donnera des soins à Étienne Le Frotter, atteint d’une balle au bras[476]. Du reste, les brigands se montrent pour elle pleins d’égards et de politesse. Une autre ambulance est établie, rue Saint-Guillaume, chez la veuve Duhazay. Car toute la ville est soumise : la grande artère qui la traverse, de la place de l’Égalité à celle de la Liberté, rue Quinquaine, Grande-Rue, rue de la Charbonnerie, le Haut de Saint-Gouëno, rue Saint-Guillaume, c’est un piétinement continu de détachements, se croisant au cri de Vive le Roi ! de patrouilles conduisant au poste de la Mairie, tout illuminé de chandelles[477], quelque garde national capturé, un incessant appel de Qui vive ? clamé dans l’ombre des vieilles ruelles tortueuses, pleines de bruits confus et de chocs d’armes. Et on entend, très au loin, tinter sans relâche la cloche d’alarme de la prison.

C’est là que se jouait l’action principale, le but de l’expédition étant de délivrer madame Le Frotter et ses compagnons de captivité, près de trois cents[478], dont plusieurs condamnés à mort, des chouans, des émigrés, des prêtres réfractaires et beaucoup de prévenus de droit commun, hommes ou femmes, punis de la détention ou non encore jugés.

Située, comme on l’a dit déjà, en dehors de la ville, entre les promenades et le ravin de Gouëdic, la maison d’arrêt n’était gardée que par six gardes nationaux. À deux heures du matin, mis en éveil par le pétillement lointain des coups de fusil tirés sur la place de la Liberté, le concierge Peyrode courut à sa cloche et se mit à sonner le tocsin. Presque aussitôt, le fracas des coups de feu tirés à la porte de Lamballe, toute voisine de la prison, lui fit croire qu’il allait être attaqué. Durant trois quarts d’heure, il sonna éperdument, sans autre effet que de mettre en grand émoi ses pensionnaires. Toute la population de la geôle était sur pied, cherchant à discerner, d’après le bruit plus ou moins proche des détonations, la marche des assaillants. Les uns, — ceux que Rolland dit Justice avait avertis, — se réjouissaient de l’événement ; les autres, tels que Giraudeau, espéraient dans l’anxiété la victoire de la garnison.

Dans la cellule où était recluse, attendant l’échafaud pour l’aube prochaine, madame Le Frotter, on avait placé avec elle plusieurs autres détenues, la femme Le Fler, les filles Dujardin, Girault, Annet, Verrier et le Ster[479]… La première, réveillée par le bruit, tire le bras de madame Le Frotter, disant : — « Il me semble que j’entends crier Vive le Roi ! » La condamnée écoute, perçoit des clameurs assourdies : — « Vous vous trompez : on crie : Vive la République ! Au surplus, laissez-moi dormir. » Mais, un instant après, on distingue nettement des coups de feu ; la fille Dujardin est aussitôt debout : — « Madame ! voilà une fusillade ! Savez-vous d’où elle vient ? » Cette fois, madame Le Frotter ne peut s’y tromper ; elle est toute tremblante : — « Ce sont peut-être les Royalistes », dit-elle… Elle écoute encore : — « On ne bat pas la générale ; il faut qu’ils soient maîtres de la ville… Couchez-vous, les filles, et ne faites aucun bruit[480]. »

Las d’appeler en vain du secours, Peyrode se décourageait de sonner l’alarme. Par la fenêtre du corps de garde, surveillant les abords de la prison, il entendait la rumeur d’une foule en mouvement dont il ne pouvait, dans l’obscurité, évaluer l’importance ni présumer les intentions, — trop évidentes. La situation du geôlier devenait tragique ; sa dureté envers les prisonniers pauvres était légendaire ; il personnifiait, plus même que le bourreau, l’implacable persécution de dix années : pas un des assaillants dont il n’eût torturé le parent ou l’ami ; pas un de ses pensionnaires qui ne le honnît ; et, tandis que s’amassait au dehors la troupe hostile des agresseurs, l’émeute grondait déjà à l’intérieur de la prison[481]. Il se défendit en désespéré ; d’abord, il fait sortir sa mère, qui vit avec lui ; — qu’elle aille vite à l’Hôtel de Ville réclamer du renfort… Puis il barricade sa porte ; il dispose ses six soldats de garde dans la cour, avec ordre de faire feu sur tout individu qui escaladerait les murs. Lui-même s’arme d’une espingole qu’il bourre de balles ; contre ses détenus mutinés qui le poursuivent, qui menacent de l’assommer, il implore l’assistance d’un émigré, M. de Kernen, fort aimé des prisonniers, et celui-ci, charitablement, s’interpose, persuade aux révoltés qu’il est de leur intérêt de différer leur vengeance ; tandis que Méhen, le domestique du concierge, déjà « retourné », circule dans la prison, conseillant aux détenus : — « Mes amis, prenez garde qu’il vous arrive du mal ; criez Vive le Roi[482]. » C’est un moment de répit. Mais les colères montent ; les Chouans enserrent la prison ; le canon pris à la Mairie est braqué contre la porte que de terribles heurts ébranlent… — « Rends-toi, scélérat ! Nous te tenons ! » Peyrode, aux abois, se suspend de nouveau à sa cloche ; sa vieille mère n’est pas revenue. Que se passe-t-il donc là-bas ? Que font les soldats, les gardes nationaux, les gendarmes ? La porte va céder sous les poussées furieuses[483] : on l’attaque maintenant à grands coups de ciseau et de maillet. Peyrode, qui se voit perdu, penché à la fenêtre du corps de garde, décharge à bout portant son espingole sur les assaillants. La ruée est formidable : la porte s’abat, et, dans le noir de la prison conquise, la masse des Chouans victorieux s’enfourne, compacte, irrésistible, lancée à tâtons par les chambrées ténébreuses[484] ; mêlée tourbillonnante des vainqueurs qui s’écrasent pour entrer et des prisonniers qui foncent dans la cohue pour profiter de la porte ouverte. Beaucoup, empêtrés de chaînes aux pieds et aux mains, trébuchent dans cet écrasement. Rolland dit Justice[485] essaie de dégorger le remous : — « Le premier bougre qui ne voudra pas sortir, je le fusille[486] ! » Un jeune officier royaliste fend impétueusement la foule : c’est Étienne Le Frotter ; blessé — sans doute par la mitraille de l’espingole du concierge, — il est entré pourtant l’un des premiers[487] dans le cachot de sa mère qu’il entraîne, tout frémissant de bonheur ; son jeune frère Honorat, — qui, bien qu’acquitté, était resté détenu dans une autre partie de la geôle, — est également délivré et madame Le Frotter, à travers l’entassement, franchit, entre ses deux enfants qu’elle tient embrassés, le seuil que, sans le dévouement tenace de son fils aîné, elle devait passer dans quelques heures, conduite par le bourreau, vers l’échafaud de la place de l’Égalité.

Là, sous les arbres du Cours, à l’endroit même où s’est dressée pour Duviquet la guillotine, se groupent les prisonniers délivrés : outre madame Le Frotter, il y a des Chouans de marque : Guezno de Penanster, Le Veneur de La Roche, Le Vicomte, Even, le notaire de Callac, Kerlabannec, père et fils, de La Villegourio, déjà, par miracle échappé aux hécatombes de Quiberon ; Yves Hamon qui devait être exécuté ce matin-là[488] ; puis des émigrés : de Kernen, La Villecorbin, Dubois-Longrais, Bourguignon ; des femmes aussi : madame Penvon, la femme Rideau, les filles Le Fler et Dujardin ; un père capucin[489] ; puis la masse des détenus incarcérés pour des délits privés. Que va-t-on faire d’eux ? Il faut d’abord débarrasser de leurs fers ceux qui sont enchaînés. On court chez le serrurier de la prison ; sous menace de brûler sa « cassine », quatre chouans le forcent à sortir de chez lui et l’entraînent jusqu’au Cours où il procède au déferrement[490]. Qu’on imagine la scène dans l’aube naissante de ce matin d’octobre ; les soldats de Mercier La Vendée cassant la croûte sur l’esplanade de la prison béante et vide ; sous les tilleuls de la promenade, le groupe des libérés, tout à la joie de la délivrance ; les congratulations, les mines triomphantes, les compliments, les échanges d’impressions et de nouvelles ; — le troupeau perplexe des prisonniers de droit commun, inquiets de leur évasion forcée, et dont la plupart, peut-être, redoutent autant les Chouans que les gendarmes. Déjà on organise le départ ; car le jour se lève ; il y aura, pour les dames, les chevaux des chasseurs de la République pris à l’église Saint-Guillaume. Afin de ne point laisser derrière soi des délateurs éventuels, on emmènera tout ce que la prison contenait, ainsi que les six gardes nationaux du poste qui se sont rendus sans défense[491] ; quand on sera en lieu sûr, on fera le tri ; il y a parmi eux des coupables à punir : Peyrode et Giraudeau seront passés par les armes… Mais où sont-ils ? On s’informe, on les réclame ; ils ont disparu. — « Il nous les faut morts ou vifs ! » crie Justice, et, suivi de quelques Chouans, il rentre dans la prison ; il reparaît bientôt, ramenant Giraudeau, découvert tapi au fond d’un cachot obscur ; quant à Peyrode il est introuvable. On sut depuis que, caché sous des bottes de paille au moment de l’invasion de la maison d’arrêt, il avait profité du désordre et de l’obscurité pour se jeter hors de la prison, dévaler la pente abrupte du ravin où coule le Gouëdic, et s’enfuir dans la direction du Moulin Neuf[492]. À défaut de sa personne, on prit sa bourse, — 1.400 francs — et on lacéra ses livres d’écrou[493].

Il était sept heures du matin ; les chefs royalistes se préparaient à évacuer la ville ; Justice tempêtait ; quelqu’un l’entendit maugréer « qu’on était arrivé deux heures trop tard et qu’on n’aurait pas le temps d’exécuter tous les projets[494] ». À cet instant, une vive fusillade éclata du côté de la cathédrale ; plusieurs gendarmes et ouvriers militaires, ayant réussi à se glisser, sans être vus, dans une maison en construction, place de la Liberté, s’y étaient embusqués et, de cette casemate improvisée, dirigeaient un feu nourri sur les Chasseurs du Roi qui gardaient le poste de la Mairie, encombré de prisonniers. Bientôt rejoints par quelques braves gardes nationaux, les gendarmes accentuèrent leur offensive et les Chouans quittèrent la place, se repliant, de rues en rues, vers le Cours. Cette résistance tardive fut le signal du départ ; par la rue des Cordeliers et la rue aux Chèvres, les détachements royalistes s’écoulaient, encadrant les prisonniers délivrés ; le jeune du Faou, posté avec ses hommes devant la caserne dont il avait bloqué les occupants durant toute la nuit, protégeait la retraite. Quand les dernières bandes furent passées, il se replia à son tour[495], formant ainsi l’arrière-garde de l’étrange cortège qui s’éloignait sur la route de Ploufragan, et que nulle troupe ne poursuivit[496].

Sans rangs, à la débandade, les Chouans détalent, fusil au dos, pêle-mêle avec les soixante chevaux de la cavalerie républicaine sur lesquels on a juché les femmes et les éclopés ; la pièce de quatre, enlevée, sans son caisson, à la Mairie, roule, avec son coffret à gargousses, sur une charrette qui lui sert
d’affût. Mêlés à cette longue file de fantassins et de cavaliers, marchent les prisonniers tirés de la maison d’arrêt, très inquiets du sort qui leur est réservé ; n’a-t-on point parlé déjà de les fusiller pour n’avoir pas à les nourrir[497] ? Sans doute, à la première étape, va-t-on se débarrasser d’eux. Les Chouans eux-mêmes ne sont guère plus satisfaits : si les Morbihannais de Mercier La Vendée, à peu près disciplinés, ne murmurent pas, les hommes de Carfort et de Dujardin, plus raisonneurs, déplorent le piètre résultat de l’expédition : on n’emporte même pas la caisse du receveur des Contributions qu’on devait rafler, le coup « ayant manqué par la faute de celui qui en était chargé ; il s’est enivré et a oublié d’exécuter sa consigne[498] ». Aussi les mécontents parlent-ils d’aller à Quintin prendre de l’argent, ou de retourner à Saint-Brieuc « pour y enlever quelques patriotes incorrigibles et d’autres sujets pareils[499] ».

Parvenue à la hauteur de Ploufragan, la cohorte s’engagea dans les chemins couverts qui mènent vers Saint-Carreuc, affreuses traverses défoncées, tout en ornières et en fondrières, à peine praticables aux piétons et aux cavaliers[500]. On fit « des marches et des contremarches pour tromper l’ennemi[501] ». Vers midi, on atteignit le hameau de La Saudraie ; halte de deux heures. On poussa ensuite jusqu’à une lande voisine de Saint-Carreuc, et, là, Carfort prit, avec sa bande, la direction de Moncontour, afin de retrouver avant la nuit les landes de La Mirlitantouille où l’on pouvait se disperser sans danger.

Soit qu’il cherchât à dépister les Bleus qu’il pouvait croire à sa poursuite, soit plutôt que, privé de Carfort, il se fut égaré, Mercier traîna, le reste de la journée, ses femmes, ses chevaux, son canon et ses prisonniers, dans l’inextricable dédale des chemins creux. On repassa à La Saudraie et on échoua enfin au village de Launai, en Plaintel, où on décida de passer la nuit. Mais les Morbihannais bougonnèrent ; leur pudibonde rudesse s’offusquait du voisinage des femmes et, pour les rassurer, on dut expédier celles-ci à une lieue du campement ; elles trouvèrent un abri au hameau de Gourlay, dans la forêt de Lorges[502].

Le 28, à trois heures et demie du matin, on reprit la marche à travers les grands bois dépendant du château de l’Hermitage. Avant le jour on atteignait le carrefour forestier de Saint-Lambert où s’élevait une croix de granit dressée sur des marches de pierre. Une partie de la colonne, exténuée, s’arrêta là ; les plus vaillants poussèrent jusqu’au château, distant de quinze cents pas, à peine. De ce nombre furent les cavaliers, blessés ou femmes et, parmi celles-ci, madame Le Frotter que ses deux fils n’avaient pas quittée.

Le château de l’Hermitage est une très vaste et imposante demeure, construite, dans la première moitié du xviiie siècle, par un duc de Lorges et que posséda le ministre Choiseul[503]. Ses longues façades, grises et rousses, dont chacune est percée de quarante-cinq fenêtres, sont surmontées d’un fronton et accotées d’énormes pavillons que coiffent de grands toits mansardés. L’une de ces façades, coupée par un péristyle, est précédée d’une longue esplanade ; l’autre se reflète dans un grand étang qu’encadraient de majestueuses futaies. Les vainqueurs de Saint-Brieuc bivouaquèrent sur l’esplanade ; les chefs, les blessés et les femmes prirent possession du château, déshabité depuis plus de vingt ans[504]. Il comportait du logement pour un régiment et ses caves contenaient des réserves suffisantes à désaltérer une armée. C’était le premier répit depuis la nuit de bataille et d’angoisses, et il serait difficile de décrire ce que put être le cantonnement de ces chouans, depuis une semaine sans autre abri que la belle étoile, de ces hommes et de ces femmes, exhumés de la prison de Peyrode où ils avaient langui plusieurs mois, se retrouvant, dans le demi-jour de cette matinée d’octobre, souillés, boueux, déguenillés, sous les Olympes de ces salons solennels, tendus de tapisseries mythologiques et lambrissés de glaces et de dorures.

Mercier La Vendée mit à profit cette pause pour régler le sort des prisonniers : plusieurs s’étaient évadés, la veille, en cours de route et pendant la nuit ; à Plaintel, l’espion Giraudeau et l’un de ses camarades, un sous-officier nommé Petit, repris comme ils tentaient de fausser compagnie aux Chouans, avaient été confiés à la surveillance d’une garde de vingt hommes ; amenés par cette escorte à l’Hermitage, ils attendaient leur verdict. Contre Giraudeau, les charges étaient accablantes et les témoignages ne manquaient pas : tous ses compagnons de captivité connaissaient le rôle odieux qu’il avait joué dans la prison ; Petit, en s’échappant du campement de Plaintel avait l’intention de courir à Saint-Brieuc et de guider les troupes républicaines à la poursuite des royalistes. Tous deux furent condamnés à mort. Les arrêts de ce genre étaient sans appel ; on s’abstenait même de les signifier aux intéressés ; leur exécution, comme on l’a vu déjà, n’occasionnait aucun cérémonial. Un Chouan prit Petit par le bras, l’emmena sous les arbres à l’écart, et lui fit sauter la tête d’un coup de fusil. Puis il rechargea son arme et revint chercher Giraudeau qui, mis en méfiance par la disparition de son camarade et la détonation qui l’avait suivie, s’efforça de temporiser ; il lui avait semblé entendre, au loin, dans la forêt, des coups de feu ; il espérait l’arrivée prochaine des Bleus et il employa tous les moyens pour retarder l’instant de son supplice. En vain : il faut marcher. Son guide le conduit auprès du cadavre de Petit, lui conseille de se déshabiller pour que ses vêtements ne soient pas gâtés ; le malheureux obéit ; c’est encore quelques minutes gagnées. Quand il est prêt, le Chouan, armant son fusil, dit : — « Mets-toi à genoux… Tu ne veux pas que je te manque, n’est-ce pas ? — Non », souffle Giraudeau ; et il tient lui-même le bout du canon sur sa poitrine. À ce moment, une fusillade multiple éclate, très proche, du côté de la Croix-Saint-Lambert : le Chouan surpris tourne la tête : Giraudeau, d’un mouvement désespéré, arrache le fusil, assène sur la tête de son bourreau un formidable coup de crosse et, d’un bond, saute dans le taillis où il disparaît[505]

Les Bleus approchaient, en effet. Quand, au matin du 27 octobre, les derniers Chouans eurent évacué Saint-Brieuc, les habitants ne pouvaient croire qu’ainsi se terminait leur brutal cauchemar. Ils soupçonnaient une feinte de l’ennemi, simulant la retraite afin d’entraîner la garnison à sa suite et revenant en force pour piller la ville privée de ses défenseurs[506]. La matinée se passa sans nouvelle agression ; on reprit haleine et on s’occupa de dresser le bilan de la nuit tragique : au total, sept bourgeois tués, dix-sept blessés, dont sept gendarmes ou militaires ; on trouva dans les rues trois Chouans morts ; un autre agonisait à l’ambulance de la maison Grandchamp-Leclerc. On sut que la garnison se composait exactement de trente officiers et de trois cent cinq hommes, dont un grand nombre de conscrits, soixante-dix vétérans, et l’on s’indigna un peu de son inaction. Celle du général Casabianca fut jugée sévèrement. Aucune maison n’avait été pillée ; les royalistes n’avaient pénétré que dans deux seules, celle de Grandchamp-Leclerc et celle de la veuve Duhazay, transformées en ambulances ; ils s’y étaient comportés « assez honnêtement pour des Chouans », réclamant seulement du linge, de la charpie, du beurre, du vin, nécessaires à leurs camarades blessés. Même le lieutenant de gendarmerie, Chrétien, déposa que, ayant fouillé ses poches, « les brigands lui prirent un louis, un mouchoir, une paire de gants, un couteau en lui laissant charitablement sa tabatière[507] ». Le but de la dramatique échauffourée n’était donc autre que la délivrance des prisonniers ; de conversations surprises sur le Cours après la prise de la geôle, l’enlèvement de madame Le Frotter apparaissait comme la cause initiale de l’entreprise ; son fils « avait pesé sur la détermination des chefs et les avait poussés à l’attaque de Saint-Brieuc[508] ». Aussi madame Le Frotter, dans le rapport adressé au ministre de l’Intérieur par le Commissaire du Directoire, était-elle traitée de « furie » et de « femme infernale[509] » ayant attiré sur le chef-lieu des Côtes-du-Nord une catastrophe quasi fabuleuse, — et qui, crime bien autrement impardonnable, risquait de faire perdre leurs places à tous les fonctionnaires de l’Administration départementale.

Celle-ci, pour parer à cette grave menace et racheter par quelque apparence de zèle la trop réelle timidité de la résistance, se hâta de réunir une colonne mobile de deux cents grenadiers et gardes nationaux[510], commandés par le capitaine Comminet, qui se lança résolument sur les traces des brigands. Sa troupe marcha toute la nuit, traversa Plaintel, s’engagea dans la forêt ; ses éclaireurs atteignaient, le 28, vers dix heures du matin, l’arrière-garde des royalistes attardée à la Croix-Saint-Lambert. Des Chouans dormaient affalés sur les marches du Calvaire ; la première décharge des Bleus en tua cinq ou six[511] ; les autres sautèrent sur leurs armes et le combat s’engagea ; l’écho de ces fusillades, en même temps qu’il sauvait, comme on l’a vu, Giraudeau, donna l’alarme aux gas de Mercier ; on leur distribuait du pain et du cidre sur l’esplanade du château[512]. En hâte, Saint-Régent rassemble ses hommes pour se porter à la rencontre de l’ennemi : Mercier ordonne l’évacuation immédiate des femmes et des blessés et la mise en batterie du canon. Grand désordre ; les occupants du château se bousculent pour en sortir ; les Chouans se pressent pour y pénétrer et se poster aux fenêtres d’où ils domineront les assaillants et les fusilleront plus à l’aise. Les chevaux, dans le tumulte, prennent peur, renâclent, s’échappent ; et déjà voici les Bleus : à l’abri des fourrés qui, de toutes parts, encadrent le château, ils avancent en tirailleurs ; le canon des Chouans, mal chargé et mal ajusté, crache sa mitraille à quelques pas[513] ; aux fenêtres, les gas embusqués font feu ; la fusillade crépite ; les femmes qui n’ont pu fuir encore s’affolent ; l’une d’elles tombe, frappée à mort[514] ; sous le portique à colonnes du château, Étienne et Honorat Le Frotter sont aux côtés de leur mère ; l’un d’eux s’est emparé d’un cheval ; ils la mettent en selle ; elle vacille, s’affaisse, retombe, la poitrine percée de deux balles. Ses fils la soutiennent, la déposent sur les marches du perron ; et, tandis que, penché vers elle, Étienne guette ses derniers souffles, lui-même, atteint au front, s’abat sur les degrés de pierre, près du cadavre de celle qu’il a sauvée de l’échafaud[515].

Le combat finissait  ; les Bleus s’étaient emparés du canon qu’ils retournèrent contre les Chouans, et ce fut pour ceux-ci le signal du sauve-qui-peut. Ils se dispersèrent dans la forêt. Maîtres du château, les républicains s’y cantonnèrent, renonçant à poursuivre les vaincus. Le bon vin des caves les aida à fêter leur victoire et éteignit leur ardeur belliqueuse. Vers le soir ils reprirent le chemin de Saint-Brieuc, ramenant en triomphe la pièce de canon reconquise[516]. Onze des leurs étaient blessés ; mais ils n’avaient pas perdu un homme, et quand le crépuscule enveloppa le château et les grands bois de l’Hermitage retombés à leur silencieuse solennité, douze corps de femmes ou de Chouans faisaient, dans ce grand décor, de petites taches sombres, éparses sur les longs tapis d’herbe de l’esplanade. On les inhuma sous quelque bouquet de vieux arbres ; ainsi furent enfouis dans des tombes maintenant ignorées et pour toujours anonymes la mère et le fils dont les tragiques destinées semblent résumer l’aveuglement tenace, le loyalisme farouche et l’inutile héroïsme des défenseurs du vieux monde, sacrifiant leur vie pour une cause perdue. — Inutile ? Oserait-on l’affirmer ? Ne fallait-il pas beaucoup de sang pour cimenter l’édifice qu’élevaient des mains invisibles et qui, encore caché par les embruns de l’ouragan, montait mystérieusement sur les ruines du passé détruit ? Un Breton illustre qui, jeune, avait pris part à ces luttes fratricides, écrivait cinquante ans plus tard : — « France du xixe siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait. Vous deviendrez vieille à votre tour et l’on vous accusera, comme on nous accusait, de tenir à des idées surannées. Ce sont vos pères que vous avez vaincus ; ne les reniez pas ; vous êtes de leur sang. S’ils n’eussent été généreusement fidèles aux antiques mœurs, vous n’auriez pas puisé dans cette fidélité native l’énergie qui a fait votre gloire[517]… »


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Trois semaines après l’émouvante alerte de la nuit du 4 brumaire, Saint-Brieuc apprit l’étonnante nouvelle de la démission du gouvernement Directorial et l’instauration d’un régime inédit, le Consulat. Le jeune Bonaparte avait étranglé la


Lequien-Ravalec,
photogr. à Moncontour
LA CROIX DE BOISHARDY

République ; on la croyait si bien morte de ce coup de force, qu’on attendait le rétablissement prochain du Roi sur le trône ; c’est ainsi que, dans le département des Côtes-du-Nord, fut interprété le 18 brumaire. Déjà on annonçait l’abrogation des lois contre les émigrés, le retour des prêtres réfractaires ; l’ancien régime allait renaître ; la Révolution était morte[518].

En quoi l’on s’égarait : ayant passé l’âge des convulsions, elle rejetait, au contraire, ses langes sanglants, forte et, pour la première fois, séduisante. Tout de suite les esprits s’apaisèrent et, par un phénomène extraordinaire, de se sentir enfin aux mains d’un maître digne d’elle, la France, douée d’un prodigieux instinct de sagesse et de conservation, comprit que la tempête était passée[519]. L’événement, du reste, venait à son heure : depuis dix ans, malgré les haines sans merci, les ressentiments, les regrets, les indignations, s’était opéré, presque à l’insu de tous, un labeur patient, un cheminement obscur des idées nouvelles. Telle théorie qui avait paru, en 1789, monstrueuse et révoltante, semblait acceptable maintenant et ralliait ceux-là même qu’elle avait épouvantés. On était las aussi du désordre et de l’incertitude, et le changement de gouvernement « fut reçu comme un bienfait et comme un gage de cette tranquillité après laquelle soupirait tout le monde[520] ».

Le 18 brumaire n’eut point pour résultat la fin subite de la Chouannerie : durant bien des années en survivront les turbulents vestiges. Jusqu’en 1840, on signalera encore, de temps à autre, « tapis au fond des forêts, pareils à des bêtes insaisissables, des hommes n’ayant plus de contact avec le monde civilisé, plus de foyer, plus de famille,… maintenus dans la voie sans issue par des habitudes invétérées ou par la peur des sanctions[521] ». Mais avec les débuts du Consulat se termine l’histoire de la Chouannerie des Côtes-du-Nord, suscitée par Boishardy et continuée par ses successeurs. Il ne reste qu’à indiquer quel fut le sort des personnages qui, ayant joué un rôle dans ce récit, ont survécu au dénouement. Tout souvenir n’en est pas aboli et si la tradition n’a presque rien retenu d’autre que les noms des héros du drame, du moins subsiste-t-il quelques-uns de ces témoins de pierre qu’il convient de signaler aux pèlerins soucieux de l’Histoire. Ainsi l’on montre encore à Moncontour « la maison de Hoche » ; certains Guides désignent aux touristes le petit manoir de Boishardy, demeuré jusqu’à ces derniers temps intact avec son haut pignon, ses fenêtres rares mais privé de sa tour coiffée d’ardoise qui lui faisait mine seigneuriale. À droite du grand chemin qui vient de Lamballe, une croix marque, — à peu près, — l’endroit où le jeune chef tomba, et l’on retrouve encore, un peu plus loin, sous les arbres, la chapelle restaurée de Saint-Malo, où devait être clandestinement célébré, dans la nuit du 16 juin 1795, son mariage avec Joséphine de Kercadio.

La Mirlitantouille paya son mauvais renom ; elle fut condamnée à mort. Quoique posée à la rencontre de plusieurs chemins de la correspondance secrète, cette maison, grâce à sa mine inoffensive, n’avait, pendant longtemps, inspiré aucun soupçon. Que craindre d’une misérable masure, placée en bordure du grand chemin le plus fréquenté du pays ! La porte n’en restait-elle pas, jour et nuit, ouverte à tout venant ? Quel mystère s’abriterait dans un si banal et rustique bouchon ? Pourtant il se rencontra quelque fonctionnaire perspicace pour s’inquiéter, à la longue, de l’étrange série d’événements dont les parages de cette sournoise gargote avaient été le théâtre. Combien de fois, dans les landes qu’elle commande, le courrier de Loudéac à Saint-Brieuc avait-il été attaqué ? On y avait vu des troupes de trois cents Chouans, sortant de terre au moment propice et disparaissant comme par un enchantement[522]. Le village de Plémy, dont ce tapis franc dépendait, était depuis toujours un centre d’agitation, une sorte de camp retranché des rebelles. Ses landes fatales avaient successivement facilité le rassemblement et la dispersion des bandes de Le Gris-Duval, de Duviquet, de Carfort et de Dujardin ; là avait été tendu le piège où succombèrent tant de braves soldats de la République ; depuis lors on y découvrait un prêtre réfractaire, aussitôt fusillé sans jugement[523], et, plus récemment, un chasseur à cheval, porteur de dépêches, venait d’être assassiné à peu de distance du cabaret maudit. L’Administration centrale, frappée de cette statistique impressionnante, reconnaissant d’ailleurs l’impossibilité d’établir un poste de soldats en un lieu aussi isolé, décida, par arrêté du 24 thermidor an VII, que « les maisons du hameau de La Mirlitantouille, servant depuis longtemps de repaire aux brigands, seraient rasées[524] ».

Les deux chaumières étaient alors abandonnées ; la fille Plé et son père ayant disparu depuis le massacre de l’année précédente[525]. L’arrêt fut exécuté, mais incomplètement ; des dix ou douze maisons composant aujourd’hui le hameau de La Mirlitantouille, l’une, — la maison du drame, — située à droite de la route pour qui va de Moncontour à Loudéac, a dû échapper à l’exécution. Elle paraît être de construction ancienne ; l’autre, qui lui fait face, est manifestement moderne. Autour d’elles le décor a bien changé : landes et marais d’autrefois ont été conquis par la culture et l’endroit a perdu ce caractère de désolation et de solitude auquel il dut jadis la faveur des Chouans. Rien n’indique qu’il fut mêlé à l’Histoire, et que sont enfouis là, sous quelque sillon, les ossements du géant Corniquet et de sept de ses camarades. Les gens pressés d’aujourd’hui qui passent en vitesse n’ont pas un regard pour ce site sans attrait ; son nom même, ronflant et ridicule, a été décapité : on dit, à présent, La Tantouille et c’est la désignation que portent les cartes de l’État-Major. Un chemin de fer sur route, qui vient de Saint-Brieuc, se détourne à La Tantouille du grand chemin de Loudéac ; suivant la crête du Mené et l’ancienne piste de correspondance des Chouans, il aboutit à Collinée. Là, par la traverse de la montagne, on est à deux heures de marche de Bosseny, le quartier général de Le Gris-Duval. Le vieux château est une ruine, — ruine superbe et qui mériterait d’être signalée par les Guides : ses pierres, finement sculptées dans le style de la Renaissance, s’effritent sous les ronces et à des pignons sans voûte ni toiture se suspendent de vastes cheminées qui révèlent les distributions abolies d’une importante et noble demeure, déjà fort détériorée et probablement inhabitable au xviiie siècle. Les Le Gris-Duval occupaient une construction de moindre apparence élevée en 1725 dans la cour même de l’ancien manoir, et qui subsiste intacte : c’est une maison carrée, non sans élégance, comportant cinq fenêtres de façade et un étage sur rez-de-chaussée. On ne retrouve rien, dans les environs, des arrangements pratiqués par le chef chouan afin de faciliter sa fuite en cas de surprise ; pourtant on reconnaît la trace du souterrain qui reliait, dit-on, Bosseny à la vieille tour de La Ville-de-Lait, en Saint-Gouëno. Il y a quelque cinquante ans cette galerie, datant évidemment des temps féodaux, était encore praticable sur une centaine de mètres[526].

Depuis sa mise en liberté par Besné, en octobre 1798, Le Gris-Duval, sous le coup d’une condamnation à mort, n’avait pas reparu à Bosseny. Sa femme, ainsi qu’on l’a dit, revenue de son séjour dans les prisons de La Force, restait détenue à Rennes, en attendant une nouvelle mise en jugement. Le jeune Hervé Du Lorin et Jacques Villemain, les deux témoins de Boishardy, partageaient sa captivité[527]. Le général Hédouville commandant alors les armées de l’Ouest, grand pacificateur[528] et muni, depuis le 18 brumaire, des instructions les plus conciliantes, ordonna de suspendre « toute poursuite pour faits de chouannage et de mettre en liberté les individus arrêtés par mesure de sûreté générale, sans motif nettement défini ». Mais Rouxel, accusateur public du tribunal criminel d’Ille-et-Vilaine, ne consentait pas à lâcher ses prévenus. Il regimba ; fut saboulé de belle façon[529], et comprenant que le temps des ergoteries était clos, fit humblement amende honorable[530].

Madame Le Gris-Duval, condamnée à la déportation, ne pouvait bénéficier de cette mesure de clémence ; mais on la transféra de la maison de justice de Saint-Michel à la maison de la Maternité[531] d’où elle ne tarda pas à s’évader. Son neveu, M. de Kerigant, dans ses Souvenirs[532], raconte cette évasion avec un grand luxe de détails romanesques : d’après son récit, madame Le Gris-Duval recevait souvent dans sa prison la visite du général Hédouville ; certain jour, elle l’invita à dîner avec d’autres officiers et, tandis qu’on était à table, elle quitta ses convives sous un prétexte futile, prit le costume de sa servante, sortit de la prison sans difficultés et, guidée par sa sœur, madame de Kerigant, à travers les rues de Rennes, se réfugia dans une maison où elle était attendue. Mais le général, goûtant peu la mystification, mit sur pied toute la garnison de la ville et, trois jours plus tard, seulement, les deux sœurs purent quitter Rennes en traversant de nuit la Vilaine sur une barque dont le marinier périt en les sauvant. On reconnaît dans ces péripéties la tournure d’esprit de Le Gris-Duval, qui se trouvait à Rennes à cette époque, et toujours friand de combinaisons théâtrales ; mais il n’en reste pas trace dans les documents d’archives, où l’évasion de madame Le Gris est simplement notée sans date et sans commentaire[533].

La fugitive rentra mourante à Bosseny ; les émotions, les fatigues de la vie aventureuse, le transfèrement de Saint-Brieuc à Paris, en plein hiver, « de brigade en brigade » avaient usé sa résistance. Le Gris-Duval se résolut à déposer les armes. En décembre 1799, il signait encore, comme « général commandant la division des Côtes-du-Nord », l’arrêt de mort d’un patriote « convaincu d’avoir assassiné un soldat royaliste[534] » ; ce fut la dernière fois qu’il se para de ce titre ; dès janvier 1800, il pressentait le général Mazingaut, chef de la 7e demi-brigade, au sujet de la soumission. Le vent soufflait à la clémence, et, le 20 février, l’Administration départementale rendait un arrêté portant « qu’elle ne voyait aucun inconvénient à ce que Le Gris et sa femme fussent admis à jouir de l’amnistie accordée aux rebelles se soumettant de bonne foi aux lois de la République[535] ». Tous deux rentrèrent à Bosseny, espérant y vivre désormais tranquilles, et décidés à se désintéresser des luttes politiques. Le Gris-Duval sollicita même du gouvernement un emploi de commissaire de la marine[536], ce qui fut mal jugé par ses compagnons de Chouannerie. Un démêlé assez vif avec Mercier La Vendée, au sujet d’une reddition de comptes[537], acheva de lui aliéner les obstinés du parti royaliste. Des bruits malveillants circulèrent : on insinua que Le Gris-Duval, enrôlé dans la police consulaire, dénonçait à Fouché ses anciens camarades[538] ; c’était la calomnie courante que décochaient aux amnistiés les opiniâtres de l’insurrection, trop compromis pour espérer l’absolution.

De ce nombre était Dujardin ; émigré, échappé de Quiberon, il s’était enrôlé naguère dans les bandes de Le Gris-Duval, avait servi sous Saint-Régent et pris part à l’attaque de Saint-Brieuc. Depuis l’amnistie, il s’instituait l’implacable justicier de toutes les défections et de tous les reniements ; il opérait dans la région du Mené, étendant ses brigandages depuis les confins du Morbihan jusqu’à Moncontour[539]. Sa troupe comportait une quarantaine d’hommes très redoutés, le chef exigeant d’eux « la férocité » : — « Il y a, disait-il, des républicains qui ne craignent pas la mort ; il faut les effrayer par la torture : coupez les membres, arrachez les yeux et la langue[540]… » Il s’était juré de faire expier à Le Gris-Duval sa désertion. Dans la nuit du 4 au 5 avril 1801, le château de Bosseny est envahi par une bande armée : ce ne sont plus les Bleus ; cette fois, ce sont les Chouans, et quoique engoué des revirements dramatiques, il n’est pas sûr que Le Gris-Duval goûta pleinement la causticité de celui-ci. Dujardin commande les envahisseurs ; il se présente à son ancien chef : il a l’ordre, dit-il, « de le conduire dans le Morbihan ». La formule est transparente : ceux des Chouans que le parti soupçonne de trahison sont traduits devant Georges Cadoudal, et ne reparaissent jamais. Le Gris-Duval ne se trouble pas ; il obtient la permission de dire adieu à sa femme, passe dans la chambre voisine, tarde à revenir… Dujardin perd patience, pénètre dans la pièce où son prisonnier vient d’entrer ; une corde pend à la fenêtre ouverte : Le Gris-Duval s’est sauvé par là ; il est loin… Dujardin connaît Bosseny ; il sait le château bien machiné et juge inutile la poursuite ; mais madame Le Gris-Duval paiera pour son mari ; quoique très souffrante Dujardin l’emmène en otage et la retient captive durant plusieurs jours[541]. Quand elle revint, Le Gris, par prudence, se fixa, avec elle, pour plusieurs semaines à Saint-Brieuc ; pourtant, à la belle saison, ne pouvant se résigner à quitter Bosseny qu’il aimait, il recourut de nouveau à l’un de ces moyens de comédie si souvent mis en œuvre avec profit : il fit annoncer par les gazettes que les brigands l’avaient pris et fusillé[542], — et il réintégra discrètement sa maison de campagne. Le bon effet du stratagème fut durable ; l’été s’écoula sans alerte ; mais Dujardin, bientôt renseigné, guettait : après l’hiver passé en ville, comme Le Gris-Duval se réinstallait à son château, dès sa première sortie, il fut accueilli par une décharge de mousqueterie et atteint d’une balle. Il eut la force de se traîner jusqu’au souterrain ou quelque autre des nombreuses caches que comportait la propriété et, cette fois encore, il eut la vie sauve[543]. Ce fut sa dernière aventure : madame Le Gris-Duval mourut peu après, à trente et un ans ; son mari lui survécut quelques mois ; le décès de Le Gris-Duval est consigné à l’état civil de la commune de Saint-Gilles du Mené, à la date du 26 mai 1803 ; l’acte eut pour témoins madame de Kerigant, belle-sœur du défunt, et Julien Collenc, fermier de Bosseny ; ni l’un ni l’autre ne consentirent à signer[544] ; et cela paraît singulier : ce qui l’est davantage, c’est que la mort de cet homme de trente-six ans, réputé pour sa force et sa vigueur, quasi célèbre, d’ailleurs, passa inaperçue : l’année suivante, le préfet du Morbihan, adressant au Grand Juge des renseignements sur les principaux chefs de la Chouannerie bretonne, signalait Le Gris-Duval comme étant encore vivant : — « À la pacification de l’an VIII, écrit-il, Legris fut destitué par Georges parce qu’il ne voulut pas rendre compte de 80.000 francs qu’il avait reçus pour la solde et l’entretien de sa division. Depuis ce temps-là, il est mal avec son parti ; ayant, d’ailleurs, gagné de l’argent, il aspire à la tranquillité et s’occupe d’affaires de commerce[545]. » Et une note précise : — « Legris est à Saint-Brieuc. » Serait-il permis de supposer que, veuf, sans enfants, le chef de Chouans, désireux de disparaître, aurait imaginé de mourir, — officiellement, — pour vivre en paix dans quelque retraite ignorée de tous ?

C’est, à peu près, ce qui advint, — bien involontairement, — à Carfort. Soumis et amnistié, mais mal noté[546], il supportait à contre-cœur son inaction et plus malaisément encore la surveillance chicaneuse des espions du gouvernement. En mai 1803, son dossier à la Police s’agrémentait de rapports peu favorables : — « Caractère violent, sans fortune, toujours au café ; la présence de Carfort, fameux par les pillages de diligences, les vols et les assassinats, est un objet d’horreur pour les hommes attachés au bon ordre. Traduit deux fois, depuis son amnistie, à la police correctionnelle, il a été condamné récemment à cent francs d’amende pour excès commis contre un particulier, à Moncontour, où il s’était rendu sans autorisation. L’éloignement de cet individu est désiré par les autorités[547]. » C’était le perdre. Le Grand Juge inscrivit en marge cette recommandation : — « L’arrêter, le constituer prisonnier en maison forte. » Et Carfort fut escamoté, comme on l’était en ce temps-là, quand on ne comptait point parmi les amis du gouvernement, c’est-à-dire que, tant que dura l’Empire, nul n’entendit plus parler de lui ; nul n’osa se risquer à s’informer de son sort. Dans quel in-pace, dans quelle oubliette était-il enfoui ? Ses parents eux-mêmes ne le surent jamais. En 1814, au retour des Bourbons, sa famille se hasarda cependant à mendier quelques renseignements. L’Administration de la Police royale entreprit des recherches et ne trouva rien[548]. Enfin Carfort fut découvert dans un cachot du Château d’If et rendu à la liberté[549]. Usé à trente ans par la captivité, sans ressources, couvert de loques, il reprit le chemin de la Bretagne et se rendit droit à Quintin, chez ses amis Kerigant. Madame de Kerigant se disposait à sortir et se trouvait, avec son jeune fils, dans le vestibule de sa maison, quand la porte de la rue s’ouvrit et donna passage à « un homme de haute taille, au teint basané comme celui d’un créole, et vêtu d’une façon étrange. Madame de Kerigant, l’ayant fixé, s’écria en levant les bras : — « Mais… c’est vous, Carfort ! — Eh ! oui, Élisabeth, c’est bien moi ! » Il manquait de tout et les Kerigant n’étaient plus riches ; mais, la joie de se revoir après tant d’années, tant d’illusions déçues, tant d’espoirs enfin réalisés, fut si vive que la causerie, à table, se prolongea une bonne partie de la nuit[550]. Carfort obtint du gouvernement de la Restauration une petite pension, — 1.500 francs, de quoi ne pas mourir. — En 1821 on le retrouve exposant ses titres à la pitié des Princes : « Couvert de blessures, ayant à sa charge son père, blessé pendant les Cent Jours, sa sœur, mère de famille et veuve d’un officier royaliste guillotiné… » On lui répondit de Paris que « sa demande s’appuyait sur des bases erronées[551] » ! Il fallait que la foi royaliste de ces vieux Chouans fût solidement chevillée pour résister à de si rudes heurts. Carfort se résigna : il se fixa sur le plateau du Mené, à quelque cents pas de La Mirlitantouille, au cœur de ces landes hantées des souvenirs de ses amis disparus. Il mourut à Trébry, près Moncontour, le 21 janvier 1847[552].

En le cherchant dans les prisons impériales, la Police de la Restauration en avait également exhumé un autre compagnon de La Rouerie et de Boishardy, Rolland dit Justice. Il revint s’établir à Dinan et y passa toute sa vie, qui fut longue. En 1856 ou 1857, il se jeta intrépidement à la tête d’un taureau furieux qui, échappé de l’abattoir, s’était lancé par les rues de la ville. Rolland saisit la bête aux cornes, parvint à la maintenir jusqu’à ce que les bouviers l’eussent entravée ; mais il trépassa de cette prouesse ; il avait quatre-vingt-cinq ans.

Le joyeux Saint-Régent n’eut pas de vieillesse : dès la retraite de Le Gris-Duval, il se rallia à Georges Cadoudal, qui, au printemps de 1800, l’envoya à Paris, en fourrier, avec mission d’étudier la situation. Saint-Régent ne se contenta pas de l’étudier, il voulut « la résoudre » en assassinant le Premier Consul : c’est ainsi qu’il perpétra ce fol et criminel attentat de la machine infernale qui épouvanta Paris et déconsidéra la cause royaliste. Saint-Régent monta, le 21 avril 1801, à l’échafaud de la place de Grève où devaient le suivre, trois ans plus tard, Georges Cadoudal et onze de ses Morbihannais. Le fidèle Mercier-la-Vendée ne fut pas de ce dénouement ; revenant de la côte de Saint-Brieuc, le 20 janvier 1801, il avait traversé sans malencombre les landes du Mené ; depuis que La Mirlitantouille n’était plus lieu d’asile, les refuges sûrs manquaient sur cette route et Mercier s’arrêta avec ses compagnons, pour passer la nuit au hameau de La Fontaine-aux-Anges, sur la lisière de la forêt de Loudéac[553]. Vendu par son hôte, surpris, vers minuit, par un détachement de la gendarmerie, Mercier soutint l’attaque durant plus d’une heure, s’échappa par les derrières de la maison, espérant atteindre les fourrés de la forêt ; frappé d’une balle au cœur, il tomba mort au pied d’une haie qu’il s’apprêtait à franchir[554]. Son corps, mis sur une charrette, fut porté à Loudéac, traîné dans les rues et jeté sur les marches de l’église Notre-Dame-des-Vertus, où il resta exposé pendant trois jours : on l’inhuma enfin dans le cimetière de cette paroisse[555]. Il repose maintenant, à côté de Georges Cadoudal, dans la rotonde de Kerléano, élevée par souscription publique de leurs vieux compagnons d’armes à l’époque de la Restauration ; chapelle funéraire si impressionnante par ses vastes proportions et sa simplicité : c’est le « dôme des Invalides », pauvre et nu, de la Chouannerie bretonne.

Honorat Le Frotter, laissant les corps de sa mère et de son frère sur le perron du château de l’Hermitage, dut fuir le champ de bataille pour suivre la troupe royaliste dans sa retraite. Seul au monde, désormais, — on a vu que son père, émigré, habitait Londres, — cet enfant de dix-sept ans[556] — résolut de venger ses morts et s’engagea dans la bande d’Ancourt, dit Augustin, gentilhomme picard chouannant au sud de Pontivy et dans la région de Guéméné. D’Ancourt était un ascète laïc ; animé de l’esprit plus religieux que politique de la première Chouannerie, il faisait abstinence trois fois la semaine et récitait son chapelet tous les jours. Investi par les Bleus dans une ferme isolée du village de Locmariagrâce, il fut tué le 20 décembre 1800[557], et huit de ses lieutenants, au nombre desquels Honorat Le Frotter[558] furent emmenés à Hennebont, jugés par une commission militaire ; six d’entre eux moururent fusillés. Honorat, en raison de son jeune âge, s’entendit condamner à deux ans de prison. Quand il rentra à Pontivy, en 1803, son père, revenu d’émigration, avait obtenu de reprendre son emploi d’expert-priseur ; il souhaitait vivre en paix avec la République[559], et c’est, sans doute, pour obéir aux conseils de ce sage que Honorat troqua la veste des Chouans pour l’uniforme des vélites de la garde consulaire. Il partit pour l’Épopée, prit part aux campagnes d’Allemagne, d’Espagne, de Russie, de France, fut, en 1815, de Waterloo et, en 1830, de la conquête d’Alger. Il finit chef de bataillon retraité sous le règne de Louis-Philippe.

On suit moins longtemps l’espion Giraudeau ; il s’était retrouvé, complètement nu, aux environs de Quintin, après avoir échappé à la fusillade de l’Hermitage ; des gens charitables lui fournirent des vêtements et il regagna Saint-Brieuc. Amnistié enfin, il retourna dans les Deux-Sèvres, département d’où il était originaire ; il y dut commettre quelque nouveau méfait, car, en 1801, il suppliait le ministre « de lui accorder la vie sauve en considération des services qu’il a naguère rendus à la République[560] ». Il y a quelque apparence qu’il entra, sous un faux nom, dans la police de Fouché. — Dujardin, qui se figurait avoir hérité du prestige de Boishardy parce qu’il tenait, comme le rival de Hoche, les environs de Moncontour, terrorisa la région du Mené jusqu’en 1803. Il ne chouanne pas, il brigande[561], quinze mille francs sont promis à qui fera prendre ce forban[562]. Sa bande, d’une quarantaine d’hommes, est recrutée « parmi les mendiants et les affamés du pays[563], costumés en gendarmes ou affublés des vieilles vestes anglaises de l’Armée rouge[564] ». Dujardin ne se cache guère ; on l’a vu, en mars 1803, sous l’uniforme de la gendarmerie nationale, sortir de la forêt de La Nouée et se diriger vers les Côtes-du-Nord ; il est, du reste, bien reconnaissable ; son visage et ses mains sont couturés de cicatrices[565]. À la fin de cette même année, il suivit Georges en Angleterre et eut la chance d’y rester. Dujardin reçut, en 1815, en récompense de ses bons services, la croix de Saint-Louis[566].

Dutertre, le condamné à mort par contumace en même temps que Le Gris-Duval, se rallia vite à l’Empire et mourut maire de Plaintel, en 1808[567]. Quant à Dufour, le commandant du Clos-Poulet qui, ayant « passé » Puisaye aux Îles anglaises, devint l’un des aides de camp de Cormartin, lui aussi, la tourmente passée, se résigna, faute de pain, à solliciter l’usurpateur et il obtint un emploi de garde-magasin de l’intendance à l’armée d’Espagne. Rentré, en 1814, à son village natal de Saint-Coulomb, gratifié, — et non sans rebuffades, — par Louis XVIII, d’une maigre pension de 600 francs, le vieux brave qui, pendant dix ans, avait dirigé la correspondance des Princes exilés, se fit maître d’école, afin d’augmenter ses ressources. Il mourut à Saint-Coulomb, en 1856[568].

On regrette de consacrer si peu de lignes à la vieillesse de ces paysans qui, jetés à l’improviste dans les grandes tempêtes de l’Histoire, reprirent courageusement, quand ils furent vaincus, le tran-tran de la vie mesquine du village. Chacun d’eux mériterait une étude qui serait singulièrement révélatrice : que pensaient-ils ? que contaient-ils ? Comment jugeaient-ils leurs entraînements passés ? Que peut être l’examen de conscience d’un fanatique alors que l’âge l’a refroidi ? Éprouvaient-ils quelque remords des horribles luttes fratricides ? Il n’apparaît pas qu’ils raffinassent beaucoup sur ces choses lointaines, ni qu’ils apportassent à ces considérations tant de subtilité. Ces hommes, pour la plupart, étaient de grands enfants ; heureux d’avoir joué de bons tours à la révolution et jeté leur gourme avec fougue. Quand ceux qui n’avaient pas vécu au temps des luttes civiles interrogeaient Dufour sur les exploits de sa jeunesse, il satisfaisait volontiers leur curiosité et, invariablement, terminait ses récits par ces mots : — « Ah ! c’était le bon temps alors ; on vivait[569] ! » Ainsi des autres, sans doute ; au reste les rancunes personnelles, les dissentiments politiques s’étaient apaisés, par miracle, en 1815, lors de l’invasion prussienne, qui s’étendit à toute la rive droite de la Loire, au département d’Ille-et-Vilaine entier, et à une partie des Côtes-du-Nord et du Morbihan. Depuis Charles VII, les Bretons n’avaient point subi le joug de l’étranger. Ils voyaient sans déplaisir s’avancer ces alliés qui venaient de rétablir le Roi et peu s’en fallut qu’on ne leur fît fête ; mais il suffit de quelques jours pour apprécier à leur valeur ces Allemands rapaces, fourbes, brutaux et cyniques ; toutes les haines disponibles se tournèrent contre eux en une contrition tacite des querelles intestines ; anciens bleus et anciens Chouans s’unirent dans la répulsion de ces ignobles vainqueurs. Pour la première fois les vieux compagnons de La Rouerie et les vieux soldats de la république, les nobles spoliés par la révolution et les jacobins retardataires s’accordèrent et la seule présence des soudards d’Outre-Rhin réalisa une conciliation que n’avaient pu parfaire la modération de Hoche ni l’autorité de Napoléon[570].

On souhaiterait dire sommairement quelle fut la vie de Joséphine de Kercadio ; mais, à dater de son acquittement par le Conseil de guerre, en 1798, elle disparaît de l’Histoire. Elle ne quitta pas le pays de Moncontour, quoiqu’elle s’y sentît peu populaire : les républicains ne lui pardonnaient pas d’avoir été l’Égérie de Boishardy ; les royalistes lui reprochaient d’avoir trop promptement oublié ce fiancé si tragiquement disparu. Sans doute aussi les attentions de Palasne-Champeaux, lors du procès de Saint-Brieuc, furent-elles jugées sans indulgence. À croire une tradition locale, l’opinion fut sévère pour cette jeune femme qui, exposée, presque encore enfant, aux hasards des campements clandestins, se trouva mêlée, avant qu’elle eût vingt ans, aux plus dommageables aventures. Elle eut, de Hervé Du Lorin, deux fils[571], dont l’un, au moins, vécut ; il épousa, en 1841, à Moncontour, une personne d’origine anglaise, Charlotte Bisset-Addison ; l’acte de ce mariage mentionne que, à cette époque, Hervé Du Lorin et Joséphine de Kercadio étaient morts ; de celle-ci, en effet, le décès est inscrit aux registres de l’état civil de la commune d’Auteuil, près Paris, où elle se trouvait de passage, à la date du 10 septembre 1824 ; elle avait quarante-six ans[572].

La fin du général Humbert s’entoure de circonstances mystérieuses. Son intrépidité, lors de l’expédition d’Irlande auréola son nom d’une gloire à laquelle, seul, le succès manqua : le but de cette tentative folle était de grouper les patriotes Irlandais, toujours prêts à s’insurger, et d’organiser sur le sol de l’Angleterre une revanche de la Chouannerie. Humbert, comme on sait, n’y réussit pas ; revenu à l’armée de l’Ouest, il y servit sous Bernadotte ; mais il est très remarquable de constater que, dès cette époque, il songe à quitter l’armée ; il s’établit dans le Morbihan où il achète, aux environs de Ploërmel, un bien d’émigré, le domaine de Crevy. De malveillantes rumeurs se répandent ; on parle de cet officier général « taré dans l’opinion publique[573] » ; on le dit obéré dans ses finances, harcelé par ses créanciers, mal vu du gouvernement. Il est attaché, en 1802, à l’expédition de Saint-Domingue que commande Leclerc, beau-frère de Bonaparte : l’ardente Pauline est du voyage. Humbert, on l’a dit, passait pour « le plus bel homme de l’armée[574] », et la sœur du Premier Consul se montrait facilement sensible à ce genre d’avantages. Que se passa-t-il ? On ne sait. Humbert, chassé de Saint-Domingue par le général en chef Leclerc, destitué par le Premier Consul, fut exilé en surveillance à Épinal, avec défense de reparaître à Paris. Il implore de connaître les motifs de sa disgrâce, n’obtient pas de réponse[575], va s’enterrer, non dans les Vosges, mais dans son domaine du Morbihan, grevé d’hypothèques, car « on a profité de sa défaveur pour lui soustraire sa fortune ». Il essaie de son premier état, fonde un haras, dilapide ainsi le peu qui lui reste, vient se réfugier, sans ressources, à Nantes, chez un ami, supplie qu’on lui permette de venir se jeter aux pieds de Sa Majesté l’Empereur ; depuis quatre ans il est sans traitement, ses biens sont séquestrés ; il parvient à dépister la surveillance, à pénétrer dans Paris ; il est traqué par la police comme un malfaiteur ; ordre est donné de « s’assurer de la personne de cet individu » ; on l’arrête[576], on l’expulse, il retourne à Nantes, revient clandestinement et s’avance jusqu’à Versailles[577]. Mais il a pour ennemi personnel un policier influent, Dossonville ; on lui enjoint de se tenir « à quarante lieues de la capitale » et le voilà, de nouveau, rôdant en Bretagne, de Rennes, qui a vu ses beaux jours, à Ploërmel où il a un château dont il est dépossédé par l’ancien propriétaire, l’émigré de Brilhac[578]. Il accable l’Empereur de suppliques et d’offres de service. Peu lettré et mal instruit des nuances, il en est encore au farouche laconisme de l’an II : — « Sire, je vous demande des ordres, du fer et du plomb. » Ou bien il propose le plan d’une invasion de l’Angleterre : — « C’est dans Carthage seule qu’on peut détruire Carthage. » Il se fait fort de reprendre Saint-Domingue à l’aide des 30.000 Irlandais réfugiés aux États-Unis[579]. Ce bouillant soldat rêve de prouesses et voudrait se battre, et toujours il conjure qu’on lui dise quelle fut sa faute : — « Je jure sur l’honneur n’avoir jamais manqué à mon devoir. » En vain le maire de Nantes a-t-il sollicité l’indulgence pour « ce brave qui a assisté à deux cents combats[580] »… En vain le ministre lui-même insinue que « l’ex-général Humbert n’est pas indigne de la clémence de Sa Majesté[581] » ; l’Empereur demeure muet et implacable. À force de se creuser l’esprit Humbert en arrive à voir dans ses malheurs la vengeance des Chouans et de l’Angleterre ; Dossonville est un agent anglais ; il a reçu du cabinet britannique la mission de faire expier au général, et Quiberon et la descente en Irlande. Alors le malheureux se décourage ; il sollicite l’autorisation de passer aux États-Unis. Il mourra à la Nouvelle-Orléans, le 3 janvier 1823.

Quel crime avait-il commis ? C’est une énigme qu’on ne peut résoudre. Une partie de son dossier, aux Archives de la Guerre est inconsultable[582]. Frédéric Masson qui, peut-être, en a eu cependant connaissance, écrit : — « Humbert, suspect d’intelligence avec les noirs de Saint-Domingue, convaincu de dilapidation, accusé de lâcheté par Leclerc lui-même, fut destitué après une enquête approfondie et rayé des cadres pour avoir détourné des rations qu’il vendit à son profit et pour avoir entretenu des relations coupables avec des chefs de brigands[583]. » Était-ce une allusion lointaine à son rapprochement avec Boishardy ? L’opinion de Chassin est autre : — « Humbert revint très pauvre de Saint-Domingue » ; son intimité avec Pauline Bonaparte s’y serait compliquée de malversations « qui auraient été jugées si la sœur du Premier Consul n’y avait été mêlée[584] ». C’est peut-être ça la vérité : Pauline avait besoin d’argent, et son trop docile amant lui en procura. Mais l’accusation de lâcheté reste inadmissible, sinon comme l’atroce et perfide vengeance d’un mari trompé.

Si l’amour causa la perte d’Humbert, il fut plus favorable à Cormatin qui lui dut la consolation de ses malheurs. On a laissé l’étonnant pacificateur de 1795 enfoui, avec ses six aides de camp, au fond d’un cachot sans air et sans jour du fort de l’île Pelée, dans la rade de Cherbourg. En juillet, on le tira de là, et on l’amena, ainsi que ses officiers, à Paris, pour y être jugé. Incarcéré à la Conciergerie, traduit devant le Conseil de guerre, il usa adroitement de sa faconde et sauva sa tête au grand dépit du gouvernement. Condamné à la déportation[585], et reconduit à l’île Pelée, il y devait attendre son départ pour la Guyane. Mais Merlin de Douai, l’impitoyable juriste, veut la mort du ci-devant major général comte de Puisaye : il le fait rejuger par le tribunal criminel de la Manche devant lequel Cormatin comparaît sous l’accusation de correspondance avec les ennemis de la république. On a, en effet, saisi sur lui des lettres qu’on dit très compromettantes et l’on s’attend à la révélation de nouveaux secrets pleins d’horreur. Or, ce ne sont que billets d’amour : l’un est adressé à madame de Tal… ; Cormatin proteste qu’il l’aimera toujours, bien qu’elle se soit jouée de lui : — « Adieu donc, vous qui étiez ma tendre Adélaïde… ; Adieu barbare ! » Un autre est pour Agathe Cassin, la piquante soubrette du Théâtre de Rouen, qui a charmé les loisirs de La Prévalaye ; un troisième est destiné à Ninette, l’ingénue : — « Oui, c’est moi, Adèle ; votre amant n’oubliera jamais une femme aussi courageuse, aussi ferme dans sa manière de penser et d’agir… Qu’ils sont lâches ceux qui se disent royalistes ! Adieu ! Je te quitte pour la vie[586] ! » Il n’y avait point là de quoi condamner un homme à mort, même pour plaire à Merlin ; ainsi en jugea courageusement le tribunal de Coutances[587] ; le galant conspirateur fut réintégré à l’affreuse oubliette de l’île Pelée et privé de toute communication avec les vivants. Il en profita pour devenir une fois de plus amoureux ; de l’étroit promenoir de sa prison, on entrevoyait au lointain, à travers toute la largeur de la rade, un morceau de la côte, entre les bastions de Cherbourg et le fort de Querqueville. Au moyen de la lunette d’approche dont disposait son geôlier, Cormatin parvint à découvrir qu’une des maisons du rivage était habitée par une jeune femme, d’allures distinguées. Quoique deux lieues de mer le séparassent de cette gracieuse apparition, il n’en fallait pas plus pour enflammer son cœur de quadragénaire inoccupé. De son côté, l’aimable Cherbourgeoise, — une veuve de vingt-huit ans, nommée la marquise de Feuardent, — qui, croit-on, avait déjà aperçu Cormatin[588], — s’intéressait au romanesque prisonnier de l’île Pelée, l’ex-vice-roi de la Bretagne, érigé en héros par la persécution. Comme il n’y a pas de discipline si sévère qui ne se relâche à la longue, après deux ans d’amour réciproque et inavoué, une correspondance s’engage entre le détenu et la veuve au cœur tendre. Ils s’écrivent fréquemment ; elle l’appelle Germeuil ; il la nomme Eugénie, quoique son prénom soit Bernardine ; mais Germeuil et Eugénie sont plus littéraires, plus Nouvelle Héloïse. Madame de Feuardent lit tous les romans en vogue, et aussi les démodés : Tancrède, Rose d’amour, Caroline de Lichtenfeld ; elle se laisse aller aux douces impulsions de son âme ; elle avoue que son défaut est « de n’être point récalcitrante », et lui, il ne cache pas qu’il ressent encore « toutes les passions d’un jeune homme ». Eugénie envoie à Germeuil « un pli rose qu’elle a longtemps porté sur son cœur dans un petit sachet à coulisses » ; Germeuil a orné sa tabatière d’une boucle des cheveux d’Eugénie. Ils parviennent même à se voir, sans pouvoir se parler, peut-être, car, à diverses reprises, la dame entreprend l’excursion de l’île Pelée. Cette passion platonique dura près de deux ans, jusqu’au jour où la correspondance fut éventée[589] ; la marquise arrêtée, mise au secret… Il y avait à Cherbourg des fonctionnaires zélés pour prétendre qu’on avait fusillé des conspirateurs moins coupables qu’elle… La pauvre Eugénie ne fut pas fusillée ; mais elle contracta dans sa prison un mal dont elle mourut.

Cormatin, transféré au fort de Ham, fut gracié en octobre 1802. Il rentra à son beau château de Saône-et-Loire qu’il avait quitté plus de dix ans auparavant ; il y retrouva sa femme, divorcée et ruinée.

D’une fortune de 45.000 livres de revenus dont disposait le ménage avant la révolution, il ne restait pas un écu ; ce qui n’empêcha pas, bien entendu, de recommencer à mener grand train. Les deux filles aînées étaient mariées, mais il fallait caser la troisième qui était d’une saisissante beauté et dont Lamartine a tracé un portrait enchanteur dans ses Nouvelles confidences. Elle épousa, en 1807, le comte de Pierreclos, lequel, deux ans plus tard, se voyait obligé, par sentence du juge de paix, de fournir à son beau-père une pension alimentaire de 830 francs. Comme ce maigre revenu ne lui suffisait pas, Cormatin obtint une petite place de 2.400 francs, à la manufacture impériale des tabacs de Lyon et dans cette situation modeste, l’ex-vice-roi de Bretagne, qui avait traité d’égal à égal avec la Convention nationale, entendu tonner les salves sur son passage et porté le laurier des triomphateurs, se révéla « par son exactitude et sa subordination », le modèle des employés. Il mourut en 1812[590], misérable, oublié, mais non, du moins, méprisé comme l’était alors Puisaye, cause initiale de tous ses malheurs. Aux gages du ministère anglais depuis son retour du Canada, le fuyard de Quiberon, devenu, en effet, l’agent, l’espion du cabinet britannique, professait pour tout ce qui était français une de ces haines insatiables et sournoises dont sont rongés certains hommes quand ils se savent odieux à tous les gens d’honneur. Insultant les Princes qu’il avait platement adulés, menant contre eux une guerre de libelles, traitant de faussaires, de fripons et d’assassins les plus dignes gentilshommes, Puisaye vivait aux environs de Londres, agité, rancunier, atrabilaire, ombrageux, n’ayant pour amis que des diffamés comme lui : le transfuge Dumouriez, l’aventurier d’Antraigues, le mouchard Prigent dont il hébergeait la famille. Il survécut à tous ; quand, en 1814, Louis XVIII quitta l’exil et rentra triomphalement en France, suivi de toute l’émigration exultante, Puisaye resta seul, bourrelé de rage orgueilleuse, d’amertume, et, — qui sait ? — de remords. Il avait renié la nationalité française et mourut, à Hammersmith, en 1827, sujet anglais.

TABLE DES MATIÈRES


I. 
— Boishardy 
 7
Boishardy - I
Boishardy - II
II. 
— Duviquet 
 119
Duviquet - I
Duviquet - II
III. 
— La nuit du 4 Brumaire 
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La nuit du 4 Brumaire - I
La nuit du 4 Brumaire - II


  1. Il était né à Mortagne, le 6 mars 1755.
  2. À ces avantages, mademoiselle de Ménilles ajoutait celui d’être « très jolie », à ce qu’assure Louvet qui, d’ailleurs, ne l’a peut-être jamais vue. (Louvet : Quelques notices pour l’Histoire et le Récit de mes malheurs.)
  3. C’étaient Pethion, Barbaroux, Louvet, Sales, Buzot, Cussy, Lesage (d’Eure-et-Loir), Bergoing (de la Gironde), Giroust, Meillant, Guery-Dupré et « un digne jeune homme, nommé Riouffe » qui était venu les retrouver à Caen. Buzot emmenait son domestique ; Guadet s’était écarté du groupe et gagnait seul Quimper par la grand’route ; Valadi, resté en arrière, ne les rejoignit que tardivement ; Larivière se cacha dans les environs de Falaise ; Duchâtel et Kervélégan avaient pris les devants pour préparer la route à leurs collègues ; Gorsas restait à Rennes avec sa fille.
  4. Le Roy, de Bayeux, ancien député à l’Assemblée législative, employé comme adjudant général dans l’armée fédérée.
  5. Joseph Focard, né à Semur-en-Auxois, neveu et élève d’un chirurgien de cette ville. Étant venu se perfectionner à Paris, il s’y était fixé et avait réussi.
  6. Il avait vendu ses propriétés du Perche ; il portait, en outre, sur lui, le prix du remboursement de sa charge d’exempt de la Garde du Roi et tous les diamants de madame de Puisaye.
  7. Cet ami était le Deist des Botidoux ; il avait été le collègue de Puisaye aux États Généraux. Voir sur ce personnage et son rôle dans l’exode des Girondins, la brochure de P. Hémon : Le Deist de Botidoux a-t-il trahi les députés Girondins ? Saint-Brieuc, 1907.
  8. Archives Nationales, F1 C3, Côtes-du-Nord, 10.
  9. Au château de Coëtbo, non loin de Beignon, et dont le possesseur, le marquis de Guer, était émigré.
  10. Puisaye écrit : de quatorze ans. Aimé du Boisguy était né le 15 mars 1776. (Un chouan : le général du Boisguy, par M. le vicomte du Breil de Pontbriand.)
  11. Rapports du général Rossignol. Archives du Ministère des Affaires étrangères, France 1411, cité par Chassin, Vendée patriote, III, 462.
  12. Mémoires de Puisaye, IV, 231.
  13. Peut-être la fille Potin, ainsi notée plus tard : — « Célèbre à Rennes au temps de la guerre de Vendée, ayant pendant ce temps et depuis récelé les chefs des Chouans… dénoncée et livrée nombre de fois aux tribunaux d’où ses connaissances et son infatigable activité l’ont toujours arrachée. » Archives de la Préfecture de police, A, A/278.
  14. Puisaye, désireux de jouer un rôle qui mît fin à sa vie errante, dépêcha aux chefs de l’armée vendéenne son émissaire femelle, avec une lettre par laquelle, après des compliments emphatiques, il annonçait, sans se nommer qu’il disposait aux environs de Rennes, de 50.000 hommes prêts à s’insurger et dont les chefs attendaient dans des greniers, le moment propice à l’action. Il sollicitait pour eux des sauf-conduits. L’émissaire de Puisaye trouva l’état-major vendéen à Laval ; la lettre fut remise à Lescure, sans qu’il pût savoir de qui elle émanait ni qui l’avait apportée. Il la communiqua à ses collègues. Lescure atteint de la blessure dont il allait mourir avait cédé le commandement de l’armée à La Rochejacquelein. On suit ici le récit de madame de Lescure qui ouvrit la lettre et en fit lecture à son mari (Mémoires de madame de la Rochejacquelein, p. 296). Les braves Vendéens qui depuis un an avaient livré cent batailles et qu’avaient déjà rejoints les bandes de Jambe d’Argent et de Jean Chouan, s’amusèrent beaucoup de ces révoltés trépignant d’impatience dans leurs greniers. Lescure fit répondre : — « Si ces messieurs ont 50.000 hommes, qu’ils les mettent en mouvement ; ils n’ont pas besoin, de sauf-conduits ; on a bien apporté la lettre sans cela… » On conclut que l’avis cachait quelque piège et qu’on ne devait pas en tenir compte. Toutefois il n’est pas bien sûr que la missive de Puisaye n’influa pas sur la décision des Vendéens qui, jusqu’alors hésitants, résolurent de se diriger vers Fougères, avant de gagner Granville d’où ils espéraient pouvoir se mettre en communication avec les émigrés de Jersey. On sait comment cet espoir fut déçu.
  15. « Ce signe secret ne put être découvert par les commissaires de la République qui firent l’examen le plus minutieux des assignats royaux saisis. » A. Rouillé, Assignats et papiers-monnaie, Guerre de Vendée et Chouannerie, p. 48. D’après les papiers de Puisaye, explorés par Louis Blanc, ce signe distinctif était : — « pour les assignats de cinq livres, à la bande de droite, le premier azur en descendant, le plus près et au bout du mot Mort, un peu émoussé par un coup de burin, dans la partie droite, à côté du filet extérieur. Pour les assignats de cinquante livres : au filet d’en bas, en dehors, sous le troisième chiffre de la série, un point rond, etc… » Louis Blanc, Hist. de la Révolution : Chute des assignats.
  16. Elle fut probablement inspirée à Puisaye par une proposition à peu près semblable adressée dès mars 1793 au gouvernement anglais par l’Écossais William Playfair.
  17. Archives nationales, F7 36692.
  18. Archives nationales, F7 6147.
  19. « La justice entreprit à ce sujet des recherches restées sans résultat : deux des frères de Jean de la Butte furent cependant poursuivis ; lui-même échappa. Il vécut dans le pays jusqu’à l’âge de 88 ans. » B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, IV, 324.
  20. Archives du ministère de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  21. Un mètre quarante cent. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, 173.
  22. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 557.
  23. Commune de Loqueltas.
  24. Archives nationales, F7 36692.
  25. Archives nationales, F7 3330.
  26. Souvenirs de la Comtesse de La Bouëre, 197.
  27. Archives du Ministère de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  28. G. Le Fahler, Monographies chouannes, 106, n. 3.
  29. Puisaye se flatte de l’avoir créée : Mémoires, II, 384. — « Nous établîmes des courriers de ville à ville, de bourg à bourg, presque de ferme à ferme… » Il prétend aussi avoir établi les maisons de correspondance offrant des retraites aux émissaires ; d’autres, plus retirées, servent d’hôpitaux pour les blessés. « Ces maisons, dit-il, étaient connues de tous les royalistes. »
  30. Amateur-Jérôme-Sylvestre Bras de Forges de Boishardy. Son père, marié une première fois avec Sylvie-Louise-Françoise Couppé des Essarts, avait eu deux filles de cette union, Jeanne-Scholastique et Émilie. De son second mariage avec Marie-Anne du Bosq de Quemby, il eut une fille, Marie-Anne et un fils, Amateur-Jérôme-Sylvestre, né au manoir de Boishardy, le 13 octobre 1762. P. Hémon, Le Comte du Trévou.
  31. Signalement de Boishardy en mai 1793 : — « 28 ans, taille 5 pieds, 3 pouces, 3 lignes, cheveux et sourcils châtains, yeux bleus, figure ovale. » Archives municipales de Moncontour, communication de M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour.
  32. Levot, Biographie bretonne, V. aussi Geslin de Bourgogne et Barthélemy, Études sur la Révolution en Bretagne, 1858. Ces derniers ont reçu communication d’un manuscrit de M. Ludovic de Foucaud qui avait connu plusieurs des anciens compagnons de Boishardy, notamment Guérin, son aide de camp.
  33. Hémon, le Comte du Trévou, et Chassin, Préparation à la guerre de Vendée, II, 518.
  34. Geslin de Bourgogne, Études, 135.
  35. Il est difficile d’ouvrir un carton d’archives ayant trait aux Côtes-du-Nord sans y trouver de nombreuses lettres de Besné s’épanchant sur tous les sujets : erreurs judiciaires, troubles de Lyon, l’adultère, la trahison de Dumouriez, les moyens de détruire d’un mot les derniers vestiges de la féodalité en ordonnant de brûler tous les titres ; longues dissertations tracées d’une écriture torturée, bossue, rageuse, souvent illisible, sur un papier ayant pour vignette un petit bonnet phrygien.
  36. V. notamment le carton D111 58, Archives nationales.
  37. Il était né à Dinan en 1744.
  38. Un mètre 90 cent. Archives nationales F7 6147.
  39. Archives de la Préfecture de Police, A B/332, fo 127.
  40. Voir sur ces agissements de Besné : Léon Dubreuil, La vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord, notamment, p. 303 et 376.
  41. Le 2 avril 1793. Hémon, Comte du Trévou, p. 60.
  42. Aïeul du philosophe chrétien Hello, mort en 1887. (Hémon, Comte du Trévou, p. 61, note 1.)
  43. Née Charlotte-Jeanne Le Bottey. Archives municipales de Moncontour.
  44. On mit aussi en arrestation et on emmena également à Lamballe un parent de madame et de mademoiselle de Kercadio qui s’était fixé près d’elles à Bréhand.
  45. À peu près 60 hectares, le journal valant 48 ares 624. (Léon Dubreuil, La vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord.)
  46. La métairie du chêne jaune, le moulin Herry, le château et la ferme de Boishardy se voient encore aux environs de Bréhand. La maison de Lamballe était située rue de la Pique.
  47. Deux hectares à peu près.
  48. Geslin de Bourgogne, Études, p. 136 n.
  49. Archives des Côtes-du-Nord, 19-20 vendémiaire, an III.
  50. « Cyprien Villemain et Pierre Richecour, secrétaire greffier de la commune de Hénon, ont déclaré que François Duroz, gardien au Colombier, a dû boire avec Boishardy qui était à pêcher près l’étang du Colombier, il y a environ trois mois et que Boishardy tira deux coups de pistolet sur le nommé Pierre Gatain ( ? nom peu lisible) du Tertre-Moro, qui lui avait demandé de quel droit il pêchait dans cet étang… » Archives des Côtes-du-Nord, 15 vendémiaire, an III.
  51. Archives des Côtes-du-Nord, 5 frimaire, III.
  52. Archives des Côtes-du-Nord, 25 frimaire, III. Le rapport est cité intégralement par M. Émile Bernard. (Un chef de chouans des Côtes-du-Nord, Revue des Études historiques, 1915, p. 384-385.)
  53. Émile Bernard, loc. cit., p. 398 n.
  54. Archives nationales, D111 58.
  55. Archives nationales. Même dossier
  56. La peine de mort était prononcée contre « la rébellion » ; l’article IV enjoignait aux receveurs et payeurs des municipalités, des districts et des départements de ne remettre qu’aux agents royaux les fonds dont ils seraient détenteurs. Toute la chouannerie, la saisie des deniers publics, les arrestations de diligences sont en germe dans cette proclamation, datée du 26 juillet 1794. Une copie de cette pièce est aux Archives de la Préfecture de Police. A A/295.
  57. Cette proclamation est datée du 20 août 1794. Elle promettait la conservation des grades, et aussi des appointements, des gratifications, des améliorations de retraite.
  58. V. Un chef de la correspondance des Princes français pendant la Révolution. Mémoires du colonel Dufour, de Saint-Coulomb, publiés par P. Delarue, Saint-Servan, 1906.
  59. On nommait et on nomme encore ainsi la contrée qui s’étend, le long de la mer, depuis les bords de la Rance jusqu’à Cancale.
  60. Il écrit, Mémoires, II, 588, qu’ « il avait à ce moment auprès de lui la plupart des principaux chefs convoqués pour connaître avec lui la conduite à tenir pendant son absence. »
  61. Louis-Martin de Jouette, jeune émigré, originaire de Saint-Domingue. Enrôlé par Puisaye dans son état-major, il passa à celui de Boishardy. Il fut nommé colonel à l’époque de la Restauration.
  62. Chevalier de Chabron de Solilhac, survivant de l’armée vendéenne, avait gagné la frontière déguisé en volontaire de la République : il passa en Angleterre, en revint avec Cormatin qui en fit l’un de ses aides de camp. Solilhac fut nommé colonel en 1816.
  63. Puisaye n’hésite pas à avouer que Cormatin auquel il confiait une si lourde tâche, lui était tout à fait inconnu : — « Quand Cormatin arriva en Bretagne, cet officier m’était absolument étranger… Pendant mon séjour en Angleterre, le comte de Contades, frère du gendre du marquis de Bouillé, fut chargé par ce général de me donner sur le compte de M. de Cormatin quelques notions qui s’accordaient mal avec les expressions du certificat qu’il lui avait remis.. Il n’était plus temps !… » Mémoires, IV, 146. Et plus loin : — « Je n’ai vu de ma vie M. de Cormatin que deux jours. » Mémoires, IV, 153.
  64. Dufour, Mémoires.
  65. — « J’y restai (à Jersey) quinze à vingt jours, et j’en repartis pour transporter à Saint-Briac des munitions de guerre… Je fis encore deux autres voyages de Saint-Briac à Jersey, sans être troublé. Mais le troisième et dernier ne fut pas heureux. » Dufour, Mémoires, 13.
  66. Maison appartenant à une veuve Briand qui y vivait avec sa fille.
  67. Dufour, Mémoires, 15.
  68. Mémoires d’un bourgeois de Paris, par le docteur Véron, I, 39.
  69. Une rue du XVIIe arrondissement de Paris, tracée par lui, sur ses propriétés, porte son nom.
  70. Lors de son élection à la Convention, maire de Quincy-la-Bassée, Pas-de-Calais.
  71. Sur Bollet, voir les pages charmantes de madame de La Villirouët, Souvenirs, publiés par M. le marquis de Bellevue.
  72. Souvenirs vendéens, par A. de Béjarry, cité par Welschinger, Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 76, n.
  73. Bollet écrivait au Comité de Salut Public : — « Je n’ai jamais vu d’armée où il y ait tant de désordre et si peu de subordination. » Chassin, Pacifications, I, 53 n.
  74. Louis Blanc, Histoire de la Révolution : la Vendée menace.
  75. Danican, Les brigands démasqués, p. 69
  76. Chassin, Vendée patriote, III, p. 315.
  77. François Muller. Chassin, Vendée patriote, III, p. 195.
  78. Les brigands démasqués, p. 103 note.
  79. Chassin, La Vendée patriote, III, 413.
  80. Chassin, Idem, 323.
  81. Louis Blanc, Révolution Française, La Vendée menace.
  82. Le 24 septembre 1794. L’arrêté n’était pas rapporté à l’époque de l’amnistie.
  83. Une lettre de Londres, adressée à Boishardy (?) témoigne de cet état d’esprit : — « … Je pense que la proclamation dernièrement envoyée par la Convention n’a produit aucun effet parmi vos braves soldats. Je plaindrais beaucoup ceux qui seraient assez dupes pour se rendre à des promesses aussi trompeuses. Le système modéré que la Convention affecte n’est qu’un piège tendu aux gens de bonne foi pour mieux les égorger. L’expérience nous a appris à nous tenir en garde contre un ennemi aussi fourbe… » La Robrie (Archives de la Préfecture de Police, A A/295.)
  84. Archives des Côtes-du-Nord, 25 frimaire, III. Déposition de Pierre Hélio, déserteur de la 92e demi-brigade. Citée par M. É. Bernard, loc. cit.
  85. Ces laissez-passer sont ainsi libellés : — « De par le Roi, les généraux en chefs de l’armée catholique et royale de Bretagne. Déffense à aucun sujet du Roi de faire en aucune façon le moindre mal au porteur de la présente, 18 décembre 1794, l’an 2 de Louis XVII. » Ces laissez-passer étaient délivrés le 16 décembre. Il est probable que Boishardy les « postdatait » pour éviter qu’on en fît usage avant qu’il eût rentré sa troupe dans ses cantonnements.
  86. Lettre des administrateurs du district de Lamballe aux administrateurs du district de Port-Brieuc. — Lettre de l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées Beaugrand à l’ingénieur en chef Jacques Piou, citées par É. Bernard, loc. cit.
  87. L’original de cette lettre est aux Archives historiques de la Guerre, Armée des côtes de Brest et de Cherbourg réunies, à la date. Une copie, probablement saisie sur Cormatin, se trouve aux Archives d « la Préfecture de Police.
  88. « L’humanité sans cesse en guerre avec elle-même, des hommes organisant le meurtre et le pillage, égorgeant leurs semblables désarmés, tout me force à répondre à votre lettre… Vous m’avez, dites-vous, sauvé la vie ; je la compterais pour peu si je devais être longtemps témoin des crimes qui se commettent en votre nom et que vous ordonnez… Quand la victoire et la justice ont sanctionné les droits du peuple, quand ce peuple peut exercer librement sa générosité, lorsqu’il accorde une amnistie, méritez d’en jouir et n’en doutez plus… » etc.
  89. Moreau de Jonés, Aventures de guerre. On sait que c’est Humbert que Ponsard a pris comme modèle pour son Lion amoureux.
  90. Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, II, 230.
  91. Il était né à Saint-Nabord, le 26 août 1767.
  92. Archives historiques de la Guerre, Armée des côtes de Brest et de Cherbourg, à la date.
  93. De la 17e demi-brigade.
  94. Archives de la Guerre. Le rapport de Poussepain est cité par Chassin.
  95. « Dans une lande, près d’un bois, à moins d’une lieue de Moncontour », écrit Chassin, d’après les documents d’archives du ministère de la Guerre. Ceci semblerait indiquer que le rendez-vous eut lieu à La Mirlitantouille même, à l’endroit de la Lande du Val que les cartes anciennes nous montrent boisée. M. Émile Bernard, dans l’ouvrage déjà cité, place le lieu de la rencontre sur le territoire de la commune de Plémy, ce qui concorde avec les indications de Chassin. Mais il faut s’en tenir aux termes mêmes du rapport de Humbert à Hoche, rapport dont les deux auteurs ci-dessus désignés ne semblent point avoir fait usage : — « Une petite chaumière, située dans la lande de Gausson, à trois lieues de Moncontour et proche la forêt de Lorges, a été le point du rendez-vous. » Archives de la Guerre, Armées des Côtes de Brest et de Cherbourg réunies, 11 nivôse, III.
  96. Chantreau, bien probablement.
  97. Peut-être la maison dite Le Pavillon, voisine du hameau du Haut-Questel, en Gausson, parfois signalée comme lieu de correspondance des Chouans.
  98. On a parlé d’une escorte de cinquante Chouans que Boishardy aurait amenés et qu’il renvoya aussitôt en voyant Humbert se présenter, accompagné d’un seul aide de camp. Les documents ne disent rien de tel.
  99. C’est ainsi qu’Humbert écrivait le nom de Boishardy. Puisaye, Mémoires, IV, 348-349.
  100. Archives de la Guerre, Armées des côtes de Brest et de Cherbourg réunies, 11 nivôse, III, Humbert, général de brigade, au général Hoche.
  101. « Boishardy a couché à Plémy avec un général de la République, la nuit du 8 au 9 nivôse. » Lettre de Boudart, juge de paix à Plémet, citée par M. É. Bernard, loc. cit.
  102. Chassin, Pacifications, III.
  103. Lettre de Boudart, juge de paix à Plemet.
  104. Archives de la Préfecture de Police, A A/295, pièce 156.
  105. Archives de la Préfecture de Police, A A/295, pièce 156.
  106. « Dites-nous des nouvelles de votre souper de jeudi soir… » Lettre non signée adressée à Boishardy le 3 janvier 1795. Même dossier. — « Ce fut hier au soir que nous soupâmes, dans la maison de M. Boishardy, avec Solilhac, Chantreau et moi, le général Humbert, son aide de camp et deux autres officiers. Le général est jeune et aimable ; il n’y a pas de prévenances qu’il ne nous ait faites, ainsi que ses officiers. » Lettre de Cormatin à Puisaye, 2 janvier 1795. Mémoires de Puisaye, IV, 309.
  107. D’après une note de Boursault, citée par Deniau, V, 67.
  108. Extrait des lettres adressées par Monseigneur comte d’Artois, lieutenant général du royaume, en vertu des pouvoirs à lui conférés par Monsieur, régent de France, à M. le comte de Puisaye, général en chef de l’armée catholique et royale de Bretagne : — « Au château de Zipendal, près Arnheim, 6 novembre 1794. Mon cœur sait apprécier les sentiments qui vous animent et je me réserve de vous bien prouver tout ce que vous m’inspirez le jour heureux où je combattrai avec vous et vos intrépides compagnons. Et je vous autorise à vous considérer comme lieutenant général au service du Roi de France et à vous faire obéir en cette qualité par l’armée de Sa Majesté très chrétienne… Je ratifierai votre travail lorsque je serai moi-même à la tête de cette invincible armée… » Imprimé, Archives de la Préfecture de Police.
  109. D’une pièce qui se trouve en copie aux Archives de la Préfecture de Police, il apparaît que Cormatin connaissait, dès le 29 décembre au soir, le résultat de la première entrevue d’Humbert et de Boishardy. Il écrivit dans la nuit même à celui-ci pour lui demander de participer au prochain entretien avec le général républicain. — « Il est à présumer, Monsieur, que le général Humbert cherche à avoir une autre entrevue avec vous… Ayez la bonté de le voir et de lui demander à exécuter le plan que nous avons formé… Réunissons tous nos efforts pour que les Français ramènent entre eux le calme et la paix qu’ils désirent depuis si longtemps. » Chose singulière, dans la crainte, sans doute, que son nom soit inconnu de Boishardy, Cormatin signe cette lettre du nom de Puisaye, comme si celui-ci était encore en France, et il ne signe, lui-même, qu’en second. (C’est peut-être à cette pièce et à d’autres similaires que Puisaye, plus tard, faisait allusion quand il accusait Cormatin d’avoir falsifié sa signature.)
  110. Copie au dossier de la Préfecture de Police. Cet arrêt des hostilités n’était étendu qu’au territoire occupé par les troupes du général Humbert. Il suspendait, de part et d’autre, toute poursuite contre les personnes, moins les déserteurs, toute réquisition, toute mutilation d’arbres de la liberté, etc.
  111. Rapport de Hoche au Comité de Salut Public.
  112. H. Welschinger, Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 74.
  113. Archives nationales, D111 58. Deux lettres de Besné, l’une sans date, l’autre du 10 pluviôse III.
  114. Archives nationales, D111 58, pièce 179. « Aux citoyens Boursault et Bollet, en mission dans le département des Côtes-du-Nord. Le Comité a lieu de concevoir quelque inquiétude de la moralité du citoyen Besné dont la correspondance est imprégnée de ce système de terrorisme qui a trop longtemps entravé la marche de l’esprit public. Il est possible que ce citoyen ne soit qu’emporté par son zèle peut-être louable dans son principe ; il nous suffit de le recommander à votre vigilance. En éclairant sa conduite, vous jugerez s’il y a moyen de le ramener à cette véritable mesure qui concilie la justice et l’humanité, ou s’il est nécessaire de l’éloigner d’une fonction importante dans laquelle l’exagération et le faux zèle peuvent faire des maux sans nombre et sans remèdes. »
  115. « Ce dont l’armée (royaliste) actuellement a le plus besoin, c’est d’assignats. Je viens d’en charger à bord d’un brick. » Lettre de Prigent, datée de Portsmouth, 2 octobre 1794. — « L’objet le plus pressé et le plus important est de faire passer d’abord les assignats. Il faut venir aux Minquiers avec toute la pacotille et faire un voyage tous les soirs… Vous trouverez des paquets d’assignats étiquetés ; il y en aura à votre disposition. Répandez-les à pleines mains… Quand vous les aurez dépensés, vous en aurez d’autres. » Lettre de Puisaye à Dufour, Londres, 29 septembre 1794. On remarquera que, à ces dates des 29 septembre et 2 octobre, Puisaye arrivait à peine en Angleterre, ayant quitté la France le 24 septembre, probablement. Il faut donc croire que les Anglais ne l’avaient pas attendu pour mettre son projet à exécution. D’après Louis Blanc, qui dépouilla les papiers de Puisaye au British Museum, on doit évaluer à 12 ou 15 milliards les sommes totales représentées par les assignats faux depuis le mois d’octobre 1794 jusqu’en mai 1795.
  116. Émile Bernard, Un chef de Chouans dans les Côtes-du-Nord, Revue des Études historiques, 1915, p. 399.
  117. Archives nationales, D111 58, pièce 220.
  118. Un fragment de ce brevet lacéré par Joséphine de Kercadio est conservé aux Archives des Côtes-du-Nord. (P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 63, n.)
  119. P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 66. — « Au surplus, ajoutait Boishardy, si les commissaires veulent entendre ses raisons, il les recevra, à 9 heures du soir, dans une maison située sur la route de Moncontour à la sortie de Lamballe. » Deux officiers du 60e régiment de ligne et l’agent national du district se présentèrent au rendez-vous. Boishardy arriva « avec quatre camarades ». Il déclara se porter garant de l’innocence de mademoiselle de Kercadio : « les assignats faux ont été introduits à la Ville-Louët par un déserteur qui courtise une servante du château et c’est à cette fille qu’étaient destinés les robes et objets de toilette. »
  120. Archives nationales, D111 58.
  121. Archives des Côtes-du-Nord, 29 nivôse, III.
  122. « J’ai appris par Boishardy, écrit Humbert à Besné, que mademoiselle de Kercadio est à la veille d’être envoyée par votre tribunal à celui de Paris ; d’après ce que m’a dit Boishardy, ce jugement pourrait occasionner de nouveaux malheurs. Je vous invite donc, au nom du bien public, de mettre toute la lenteur possible dans cette affaire jusqu’à mon arrivée à Nantes où j’en parlerai aux représentants. » Archives nationales, D111 58.
  123. Archives nationales, D111 58.
  124. Comme ce jour où, après une discussion avec Poirier de Beauvais, l’un des chefs de l’armée d’Anjou, il fut mis en présence de Stofflet, très opposé à la pacification, qui infligea à Cormatin un démenti public et le somma de montrer ses pouvoirs. — « Cormatin balbutia et ne répondit rien. » Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 334-335.
  125. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 159.
  126. Louis Blanc, Révolution. Crimes des Chouans.
  127. Archives nationales AF11 270. Loudéac, 20 nivôse, III. Lettre de Le Sénéchal, agent national.
  128. Lettre de l’agent national de Guingamp au Comité de Salut public, citée par Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy. Études p. 152. — « Boishardy n’a plus fait attaquer nos convois, en revanche il a envoyé ses sous-chefs dans toutes les communes pour enrôler de force les habitants. Il a réussi au delà de son attente, puisque les sept huitièmes des communes du district de Port-Brieuc ne correspondent plus avec l’Administration. Il y a deux jours que beaucoup de patriotes de ces communes vinrent à l’Administration demander de la troupe, et sur la réponse qui leur fut faite qu’il n’y en avait pas, ils déclarèrent en pleurant que, pour conserver leur vie, ils allaient être contraints de s’enrôler parmi les brigands. « Lettre de Robineau, commandant temporaire à Saint-Brieuc. Archives de la Guerre. Armées des côtes de Brest et de Cherbourg », pluviôse, III.
  129. Archives des Côtes-du-Nord. Interrogatoire de Pierre Daguenet, demeurant au bourg de Bréhand.
  130. Archives des Côtes-du-Nord. Déclaration de Le Vasseur, déserteur des troupes de l’Empire, 18 prairial, III.
  131. Archives de la Préfecture de Police. Lettre de Prigent, datée de Portsmouth, 2 octobre 1794.
  132. Le jugement de d’Andigné sur Humbert est injuste : — « Hoche, dit-il, l’avait placé auprès des chefs bretons sous le prétexte de les escorter… C’était sa mission apparente ; la réelle était d’observer leurs mouvements, de connaître leur force, leurs ressources, d’étudier le caractère de ces chefs dont il était l’espion… » Si Humbert fut un espion, c’est certainement à son insu ; il était naïf, mais franc ; il n’entrait ni dans sa pensée, ni dans celle de Hoche qu’un général de la République pût s’abaisser à un rôle odieux.
  133. Joséphine Quintin de Kercadio était née le 13 juin 1779. On possède d’elle un signalement, daté de 1795, ainsi libellé : — « Cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez bien (sic), bouche petite, menton rond, taille 4 pieds 8 pouces (— soit : un mètre 524.) » Renseignements obligeamment communiqués par M. A. Brohan, procureur de la République, à Saint-Brieuc.
  134. Injuste pour Humbert, d’Andigné est sévère pour mademoiselle de Kercadio — « Boishardy ne la quittait jamais, écrit-il, ce qui lui nuisait singulièrement dans l’opinion d’un pays religieux où on ne pouvait tolérer ce qui avait l’apparence du désordre. À cette époque on revenait aux principes de la morale la plus sévère et on supportait difficilement de lui voir une maîtresse qu’il annonçait, à la vérité, comme devant devenir sa femme, mais qui aurait dû l’être plus tôt. Cette jeune personne était riche et bien née ; malheureusement c’était une enfant sans caractère et la guerre civile ne peut vouloir qu’une héroïne pour maîtresse d’un chef de parti. » Il y a, dans cette diatribe, plusieurs erreurs : l’une de celles que les documents autorisent à réfuter permet de supposer d’Andigné mal renseigné : mademoiselle de Kercadio n’était pas riche : sa mère possédait à peine « 2.600 livres de revenu », ainsi que le constate l’accusateur public Besné dans une lettre au Comité de Législation. Archives nationales, D111 58, pièce 24.
  135. Archives des Côtes-du-Nord. Pièces relatives à l’entrevue du général Humbert avec Boishardy : — « Je vous prie de faire mes compliments à ma cousine et à nos camarades et de me croire avec un sincère attachement, le chevalier de Tinténiac. »
  136. Archives des Côtes-du-Nord. Cormatin s’adressant à Boishardy signe : Ton bon camarade. L’enveloppe, qu’a fermée un joli cachet de cire rouge figurant une couronne de fleurs et des guirlandes, porte : à Monsieur, Monsieur de Boishardy, au quartier général.
  137. Le 18 probablement.
  138. Dans la liste des candidats pour les Conseils Municipaux de l’an XII, on lit : Saint-Brieuc ; Olivier Latimier Duclésieux, avant 1789, négociant ; depuis, négociant et receveur général du département. Fortune personnelle, en capitaux, 300.000 livres. Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, 3.
  139. Grille. Pièces inédites sur la guerre de l’Ouest, p. 18-20. C’est une dame Blas, d’Angers, qui a tracé de Hoche ce rapide croquis. Elle ajoute : — « Il nous tourne la tête à nous autres femmes… Nous irions toutes l’embrasser, lui baiser les mains, lui porter des couronnes. C’est un enthousiasme général. »
  140. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, 160.
  141. Mémoires du général d’Andigné, I, 221.
  142. Il devait partir le 24 avril sur le bateau d’Armand de Chateaubriand. Contades, Émigrés et Chouans, p. 89.
  143. Le 19 mars. Dans une lettre datée du 30 ventôse, il écrit : — « Hier, une très longue conférence avec les principaux chefs. » Archives de la guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, à la date.
  144. Archives de la Guerre, même dossier.
  145. Mémoires du colonel Dufour, p. 21.
  146. J. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 443.
  147. « À tous les postes que nous rencontrions sur notre route, nous répondions au Qui Vive ? Députés de la Vendée ! et on nous laissait passer en nous rendant les honneurs militaires. » Mémoires de Poirier de Beauvais. Beauvais venait de l’armée de Stofflet.
  148. À Ploërmel, à Josselin, notamment. J. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 442-444.
  149. Mémoires du général d’Andigné, I, 142.
  150. Moncontour-de-Bretagne et ses environs, par A. Houssaye. L’auteur a eu connaissance d’un interrogatoire de mademoiselle de Kercadio où celle-ci reconnaît avoir accompagné Boishardy à La Mabilais, lors de la tenue des conférences. Page 100, note.
  151. Welschinger, Cormatin, p. 74.
  152. C’est le chiffre donné par d’Andigné, I, p. 143. On a vu que Dufour dit : huit cents.
  153. D’Andigné, p. 143.
  154. Idem.
  155. V. Georges Cadoudal, par M. de Cadoudal, et aussi Mémoires de Billard de Vaux.
  156. De son vrai nom Adèle Deschamps, femme Ninet, 22 ans en l’an IV. Archives nationales, F7 6327.
  157. Agathe-Françoise Cassin, 25 ans en l’an IV, même dossier.
  158. Et, semble-t-il, ceux du général Humbert.
  159. On n’a pu dresser la liste complète des 125 chefs de bande ayant assisté aux conférences de La Prévalaye : voici les noms qu’on a pu relever : — d’Andigné, Boishardy, Béjarry, Billard de Veaux, de Busnel, de Belleveue, les deux frères du Boisgny, Boisgontier, de Bouan, Sévère de la Bourdonnaye-Montluc, Le Bouteiller, Cormatin, Cadoudal, de Chantreau, Armand de Chateaubriand (ne fit que paraître), Coquereau, de Cintré, Closmadeuc, de Concoret, de Dieusie, Dufour, Frotté, Geslin, Guillemot, Gazet, Gourlet, Guignard, le chevalier de l’Hermite, Jarry, de Kerveno, Lambert, de Lantivy, Le Gris-Duval, de Lesseignes, Lefaive, de Mayneuf, Moulé de la Raîtrie, de Méaulne, de Nantois, de la Nourais, Palierne, Poirier de Beauvais, comte de Silz, de Scépeaux, de Solilhac, Saint-Régent, Le Thieis, Tinténiac, Terrien de la Trébonnierre, de la Vieuxville.
  160. Archives de la Guerre. Lettre d’un bon citoyen ami de l’Humanité. 8 floréal, an III. Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg.
  161. Louis de Frotté et les insurrections normandes, p. L. de la Sicotière, I, 85.
  162. Bergounioux, Essai sur la vie de Hoche, 133.
  163. La Sicotière, Frotté, I, 87.
  164. « Je rougis d’avoir à vous dire qu’une infinité de personnes, pour faire leur cour aux Chouans… sont assez déhontées pour ôter leur cocarde nationale. » Lettre de Hoche aux représentants du peuple, à Rennes. Savary, IV, 469.
  165. « Pendant tout le temps de notre séjour à La Prévalaye, nous fûmes dans des alertes continuelles. Tantôt c’étaient des patriotes de la ville de Rennes, auxquels les conférences déplaisaient et qui voulaient marcher sur nous et nous égorger ; c’étaient tous les postes environnant notre quartier, décidés aussi à tomber sur nous si, finalement, nous refusions d’adhérer à la paix. » Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 358.
  166. La Sicotière, Frotté, I, 87, note.
  167. « La paix pourrait être bientôt faite si des entraves de tous genres ne venaient s’y opposer : les aristocrates et les terroristes s’agitent en tous sens : leurs hurlements affreux épouvantent encore ces malheureux départements ; joignez à cela les Administrations, les commissions centrales révolutionnaires, philanthropiques et mille autres encore, et vous aurez le complément des intéressés à ce que le désordre existe. » Lettre de Hoche au Comité de Salut Public, 15 mars 1795. Archives de la Guerre.
  168. Le discours est reproduit in-extenso dans ses Mémoires, p. 364 et suiv.
  169. Mémoires de Poirier de Beauvais, p. 369.
  170. Chantreau, Solilhac, Boishardy, Moulé de la Raîtrie, Geslin, Gourlet, Busnel, Bellevue, Terrien, Guignard le jeune, Jarry, Lefaure, de Méaulme, de Silz, l’aîné, l’Hermite, Lambert, Lantivy, de Nantois, Goubert de la Nourais, d’Andigné, Dufour.
  171. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, p. 125.
  172. Il n’était pas allé à La Mabilais ; mais on lui avait dépêché Humbert qui l’avait décidé à donner son adhésion. Poirier du Beauvais, p. 372.
  173. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, p. 125.
  174. D’Andigné, I, 180.
  175. Extrait des notes de Hoche. Correspondance, Idem.
  176. Le texte de cette lettre est donné par Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études sur la Révolution en Bretagne : — « Entrés en négociations avec la République, il nous est impossible de nous frayer un passage, que nous aurions ouvert trois mois plus tôt. La loyauté et le zèle qui nous a toujours animés pour le bien de la France nous imposent aujourd’hui la loi de vous dire qu’il nous est impossible de vous donner le moindre secours sur nos côtes. »
  177. C’est à Boursault surtout qu’il adressait ses suppliques et ses confidences. Voici un aperçu de sa manière : « Rennes, 24 nivôse III. Aie pitié de mon sort, citoyen représentant ! Tu vois et verras que je reconnais mon égarement. Veuille te ressouvenir que je suis un jeune homme qui veut travailler pour le soutien et la défense de la Patrie… Ton prisonnier, Prigent. » Archives de la Préfecture de Police. A A/295. Du même jour : — « Boursault est un nom qui doit être à jamais gravé dans le cœur de tous les enfants de la Patrie, de la République, de cette mère tendre et généreuse qui tend à tous des bras de miséricorde. Oui, son nom à jamais sera dans le mien, dans celui d’une tendre épouse qui te devra son fidèle époux, dans celui d’un pauvre enfant qui te devra son malheureux père. Ils le sauront ; oui, ils le sauront : je le leur dirai que c’est toi qui as veillé sur mes jours… etc. Ton prisonnier, Prigent. » Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest, et de Cherbourg, à la date.
  178. Prigent resta, en effet, le protégé de Puisaye jusqu’en 1808. Dénoncé alors par un de ses compagnons, nommé Bouchard, il fut arrêté par la police impériale, essaya encore de racheter sa vie par d’abondantes révélations. L’empereur, pris de dégoût, ordonna qu’il fût mis à mort avec de malheureux émigrés qu’il avait trahis.
  179. Le texte de l’arrêté a été donné dans Georges Cadoudal, par son neveu G. de Cadoudal, p. 71.
  180. Le général Tranquille, chef de Chouans, par A. Duchènes et R. de la Peraudière, p. 15.
  181. Mémoires de Dufour, p. 23.
  182. Correspondance de Hoche, 10 mai 1795, p. 134.
  183. Mémoires de Dufour. Il donne un intéressant récit de l’arrestation et du transfèrement des prisonniers jusqu’à Cherbourg.
  184. Au citoyen Gillet, représentant du peuple, 20 germinal, III. Archives de la Guerre. Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg.
  185. Archives de la Guerre, même série. 16 ventôse, III.
  186. Lettres des 31 mai et 1er juin au Comité de salut public. Archives de la guerre, même dossier.
  187. « Quatre personnes seulement en Bretagne avaient le secret de l’expédition que préparait l’Angleterre, MM. de Silz, de Boishardy, de La Vieuxville et moi. » D’Andigné, Mémoires, I, 219.
  188. D’Andigné, Mémoires, I, 221.
  189. « 14 mai 1795. Vous voilà enfin commandant d’un camp, mon cher Crublier, je ne doute pas que vous alliez oublier et Mariette et Manon pour ne vous occuper que des hommes à la tête desquels vous vous trouvez placé. N… a été dénoncé par de vils coquins comme un efféminé qui faisait gémir le duvet dans la ville de Lamballe. Ne vous attirez pas de pareils reproches… Ne laissez entrer aucun étranger dans le camp, surtout point de femmes. » Correspondance de Hoche.
  190. Archives des Côtes-du-Nord, 17 prairial, III.
  191. François Le Moine, ancien marin et Louis Tirel, de Bréhand.
  192. Archives des Côtes-du-Nord, 15 prairial, III.
  193. Archives des Côtes-du-Nord, 15 prairial, III.
  194. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 171. Ces écrivains assurent tenir cet épisode d’une source parfaitement sûre. »
  195. A. Houssaye, Moncontour de Bretagne et ses environs, p. 20.
  196. Louis-Joseph Hervé du Lorin, né à Ploeuc, le 14 avril 1778, de maître Louis-Joseph-Marie Hervé, sieur Du Lorin et de Dame Charlotte Pinault, son épouse.
  197. Jacques Villemain est souvent désigné sous la qualité d’aubergiste. Il avait, en 1795, 60 ans.
  198. Les Bleus prirent ce jour-là à La Ville-Louët « un cochon gras, une truie et quatre petits ». (Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, 16 juin 1795.)
  199. Rapport au chef de bataillon Coulombeau des différentes affaires qui ont eu lieu entre les Républicains et les Chouans. (Archives de la Guerre, Armée des Côtes de Brest et de Cherbourg, 16 juin 1795.)
  200. Émile Bernard, Un chef de Chouans dans les Côtes-du-Nord, p. 410.
  201. Note de Biré dans les Mémoires de d’Andigné, I, 126.
  202. Archives de la Guerre : Rapport de Crublier : — « Boishardy, poursuivi près du Vaugourio, a tiré quelques coups de fusil qui n’ont atteint personne des nôtres. »
  203. Lettre de la Municipalité de Moncontour à celle de Saint-Brieuc, 24 prairial, à six heures du matin. Citée par M. Émile Bernard.
  204. Il serait téméraire de prétendre que ce récit de la mort de Boishardy est, dans toutes ses péripéties, absolument conforme à la réalité des faits. Duchatellier, Histoire de la Révolution en Bretagne ; Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études sur la Révolution en Bretagne ; de Kerigant, Les Chouans ; Habasque, Notions historiques sur les Côtes-du-Nord ; Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire ; Chassin, Les Pacifications de l’Ouest ; Le Maout, Annales armoricaines ; E. Veuillot, Les Guerres de Vendée ; Levot, Biographie bretonne ; Puisaye, Mémoires ; Deniau, La Guerre de Vendée ; Hémon, Le Comte du Trévou ; le Moniteur lui-même, Réimpression, XXV, 146, ont traité le sujet et tous de façon dissemblable. Le plus récent historien de Boishardy, M. Émile Bernard, est, de tous, celui qui a mis en œuvre, le plus de documents inédits et authentiques, extraits des Archives des Côtes-du-Nord, particulièrement la précieuse lettre adressée le 17 juin, dès six heures du matin, par la Municipalité de Moncontour à celle de Saint-Brieuc. On a tenté ici, non pas d’emprunter aux diverses chroniques, mais de faire état des traditions du pays recueillies en une relation encore inédite, très obligeamment communiquée par M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour, — relation dont M. Émile Bernard a certainement eu connaissance, — et de les accorder avec les documents restés également inédits jusqu’à présent, que conservent les Archives de la Guerre, rapports du chef de bataillon Coulombeau, — 16 juin, — du général Crublier, — 14 et 17 juin, — lettre de Hoche à Pille, commissaire des armées de terre — 18 juin, etc. Encore doit-on remarquer, en ce qui concerne le dénouement du drame, qu’on n’a pas cru devoir adopter l’une des versions de ces rapports. Crublier, en effet, écrit à ses chefs que Boishardy, blessé, se voyant près d’être prisonnier, « employa le peu de forces qui lui restaient à terminer sa vie ». Hoche transmet à Pille la nouvelle en ces termes : — « Prêt à être pris, il se tua. » Version tout à fait opposée à celle des Municipaux de Moncontour, et de ceux de Saint-Brieuc, qui écrivent : — « Boishardy… vient d’être, en fuyant, tué de trois coups de feu. » On peut croire que le capitaine Ardillos, coupable d’avoir achevé le malheureux chouan blessé, dissimula la vérité et tenta d’imposer la version du suicide, dans le regret de son acte brutal et dans l’espoir d’échapper au châtiment que ce mouvement d’emportement méritait, — et qui ne lui manqua pas.
  205. On écrit, dans le pays, Boscenit. Pour les noms de lieux, on adopte ici l’orthographe de la carte de l’état-major.
  206. Levot, Biographie bretonne, article Le Gris-Duval.
  207. Née Louise Le Texier de Bosseny. Elle avait 25 ans en 1795. Kerigant, Les Chouans, p. 65.
  208. Levot, Biographie bretonne.
  209. On suit, pour ces détails, les souvenirs de G. de Kerigant, fils des hôtes de Bosseny : Les Chouans, épisode des guerres de l’Ouest, Dinan, 1882.
  210. L’étang de Launay. Le crâne fut retrouvé, plusieurs années après, quand l’étang fut asséché : on l’inhuma alors dans la chapelle du château de Launay ; plus tard, il fut enterré dans le cimetière de la Corne-en-Maroué, près de Lamballe, où il doit se trouver encore. Émile Bernard, ouvrage cité, p. 412.
  211. Notes inédites communiquées par M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour. La tombe de Boishardy était, au cimetière de Bréhand, « à peu près à l’endroit où s’élève la tour de l’église neuve ». En 1843, on fit des fouilles à cet emplacement ; on ne découvrit aucune trace d’ossements. Une croix a été dressée et se voit encore sur le bord de la route de Lamballe à Moncontour, presque à l’entrée du chemin des Champs-Piroués, à cent pas environ de l’endroit où, dans ce chemin, tomba Boishardy.
  212. Correspondance de Hoche. Hoche ordonnait à Crublier de « faire arrêter, sans perdre un moment, les officiers qui commandaient le détachement des grenadiers et ceux d’entre eux qui ont coupé et promené la tête de Boishardy ». D’après M. Émile Bernard, l’original de cette lettre de Hoche est conservé dans les archives de M. le marquis de Kerouartz.
  213. C’est une question de savoir si Boishardy apprit, avant de mourir, l’événement du Temple. Il fallait au moins cinq ou six jours, à un courrier spécial, pour porter de Paris un message à Moncontour. La mort de l’enfant détenu est du 8 juin ; mais elle ne s’ébruita à Paris que le 10. Boishardy a pu en être informé le 15. Il est à noter que le premier qui nia la mort de Louis XVII au Temple fut l’un des officiers de Boishardy, Chantreau. (Béjarry, Souvenirs vendéens, 158-159.) Il avait vécu à Bréhand, assisté aux entrevues d’Humbert, et devait être très renseigné de choses qui n’ont pas été dites.
  214. Danican, Les brigands démasqués, p. 191, écrit : — « Tout semblait se réunir pour assurer des succès aux Royalistes, et si, à cette époque, ils eussent remporté un succès éclatant, ils entraînaient toute la France dans leur parti. »
  215. A. de Beauchamp, Mémoires secrets relatifs aux différentes missions royalistes de madame la vicomtesse Turpin de Crissé, II, 254.
  216. On cite entre autres, « la mère et la sœur de Boishardy ». Puisaye, Mémoires, VI, 420. Mais ce doit être une confusion ; ailleurs, — VI, 407, — Puisaye écrit, « la veuve et la sœur du malheureux Boishardy ». Il croit que celui-ci a épousé mademoiselle de Kercadio.
  217. À défaut d’un acte de baptême, il est assez difficile de préciser son âge : en 1815, elle écrivait que « mariée à quinze ans », elle s’était trouvée veuve, « à peine âgée de dix-sept ans ». Comme Pont-Bellanger avait émigré, au plus tard, en 1793, et qu’il ne devait mourir qu’en 1796, on voit que la vicomtesse s’égarait un peu dans ses calculs et se rajeunissait de plusieurs années. » Archives nationales, F7 6149A et 6596.
  218. Archives nationales, F7 6596.
  219. D’après Puisaye, ce serait le marquis de Talhouët de Bonamour, qui, courrier secret de la correspondance des agents de Paris avec la Bretagne, aurait rapporté à Tinténiac l’ordre supposé de quitter la côte. Mémoires, VI, 407.
  220. Ou plutôt inspiré à Puisaye par Georges Cadoudal.
  221. Puisaye, Mémoires, VI, 420.
  222. La maison d’Amphernet, l’une des plus anciennes de Normandie, a fourni un compagnon de Guillaume le Bâtard à la conquête de l’Angleterre, en 1066. Les services militaires ont été, depuis les temps les plus reculés, permanents dans cette famille qui, à la veille de la Révolution, voyait neuf ou dix de ses membres se grouper autour de la Monarchie menacée : de ce nombre était le vicomte d’Amphernet de Pont-Bellenger, mari de Louise du Bot du Grégo. Les armes de cette maison sont « de sable, à l’aigle éployée d’argent, becquée et membrée d’or ».
  223. Au nombre des lieutenants de Tinténiac, dans l’expédition projetée, Puisaye cite, outre ces deux noms, M. de la Houssaye et le chevalier de la Marche.
  224. Madame du Grégo de Pont-Bellenger écrivait en 1816 : « Pont-Bellenger était le second de Tinténiac, mon parent. » (Archives administratives de la Guerre ; dossier du général Bouté.)
  225. Cet avis lui avait été adressé par un certain abbé de Boutouilac, correspondant, lui aussi, de l’agence de Paris ; il n’est pas indifférent de rappeler que l’agence royale de Paris était alors dirigée par Lemaître ; l’abbé Brotier, qui était son principal acolyte et qui devait lui succéder, écrivait, quelques mois après Quiberon : « J’ai de jolies femmes dans nos intérêts… » C’est le programme de toute une politique. V. Chassin, Pacifications, II, 244.
  226. Le château de Coëtlogon appartenait, en 1789, à la famille de Carné. Il a été démoli au cours du xixe siècle. B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, V, 391.
  227. M. de La Vieuxville venait d’être nommé au commandement des Côtes-du-Nord, en remplacement de Boishardy ; mais il n’était pas populaire. D’ailleurs, des compétitions lui faisaient la tâche impossible.
  228. « D’après le comte de La Fruglaye, dont la parole a tant de poids, cet épisode romanesque serait une invention révolutionnaire. » Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, édition Drochon, III, 380.
  229. « Brave comme son frère, beau jeune homme roux, Julien était chéri des jeunes filles et portait, sans doute à cause de cela, le surnom de Mamy. » Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, 185.
  230. Tallien mandait le 20 juillet, au Comité de Salut Public : « J’ai une bonne nouvelle à vous apprendre : l’infâme Tinténiac a trouvé une mort digne de ses crimes. Après avoir porté la désolation dans tout le Morbihan, il s’est fait tuer comme un lâche par un soldat de la division Champeaux que les Chouans ont assassiné pour venger leur ex-chevalier… » Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, éd. Drochon, III, 381. Rouget de l’Isle, qui prit part à la campagne de Quiberon, comme officier bleu, écrivait plus tard : « Ainsi périt à la fleur de l’âge le chevalier de Tinténiac, officier de la valeur la plus brillante, d’une audace et d’un sang-froid que rien n’étonnait, modeste, loyal, généreux, plein de ce dévouement à sa cause et de cette franchise d’exaltation qu’on respecte et qu’on aime dans quelque parti qu’ils se rencontrent. »

    On n’a pas la prétention de faire ici l’histoire de l’Armée rouge ; cette histoire ne sera probablement jamais écrite, faute de documents précis. Ceux qui ont conté sommairement cet épisode des guerres civiles, Puisaye dans ses Mémoires, M. de Cadoudal dans Georges Cadoudal, Crétineau-Joly dans son Histoire de la Vendée militaire, M. l’abbé Le Falher dans le Royaume de Bignan, M. Lasne dans Le Mystère de Quiberon, ne s’accordent pas sur les dates des différentes étapes de ce corps expéditionnaire à travers le Morbihan et les Côtes-du-Nord. On hésite même, après les avoir lus, sur la date exacte de la mort de Tinténiac : le 15 juillet, le 17, le 18 ? Chassin ne s’attarde pas à ce hors-d’œuvre. La réédition de l’abbé Deniau y fait à peine allusion. Tous, cependant, suivant en cela Louis Blanc, qui fit une étude quelque peu approfondie des Papiers de Puisaye conservés au British Museum, reconnaissent l’intervention de l’agence royale de Paris, hostile à la descente anglaise. Ce serait pour assurer l’insuccès de Quiberon que Tinténiac aurait été, avec son armée, attiré loin du point où sa présence était indispensable ; on a même insinué que la balle qui l’a frappé n’était pas une balle républicaine. C’est aller loin dans les hypothèses ; au vrai, les pièces d’authenticité et de véridicité incontestables font défaut et on n’aperçoit pas même où l’on pourrait les chercher, tant il appert que tous ceux qui furent mêlés aux intrigues de Quiberon ont pris le grand soin de maquiller la vérité pour couvrir d’une excuse leur insouciance, leur incurie ou les lamentables effets de leurs rivalités.

  231. Les noms déjà cités, plus MM. de Closmadeuc, de Busnel, de Guérin, de Keroulas, etc…
  232. Archives administratives de la Guerre, Dossier Bonté.
  233. Rentré en Bretagne en décembre 1794, il était de ces émigrés qui, arrêtés avec Prigent, furent mis en liberté lors de la pacification de La Mabilais.
  234. L’un des fils de madame de Kerigant a, plus tard, relaté cette scène en un précieux petit volume qu’il faut lire avec précaution, car l’auteur a transcrit ses souvenirs de famille tels qu’il les avait bien souvent entendu raconter et sans prendre la peine de les soumettre à une critique sérieuse ni de les éclairer par une chronologie précise. Or, chacun sait par expérience combien les faits, ceux mêmes dont on a été personnellement le témoin, se brouillent et s’enchevêtrent dans la mémoire, s’ils ne s’y déforment point. Ainsi, M. de Kerigant a écrit que, ce jour-là, se trouvaient, entre autres, chez ses parents, Tinténiac et Bourmont, arrivant d’Angleterre. Le 21 juillet, Tinténiac, depuis trois ou quatre jours était mort et Pont-Bellenger le remplaçait au commandement de l’Armée rouge. Il n’est pas impossible que Bourmont fût là ; cependant on constate quelques jours plus tard sa présence, auprès du Roi, à Vérone, d’où il devait rapporter une lettre écrite par Louis XVIII à Charette et datée du 13 août. S’il séjournait à Kerigant le 21 juillet, il fallut qu’il effectuât en moins de 20 jours le long trajet de Bretagne en Lombardie, ce qui paraît court pour un proscrit dont la route est hérissée d’obstacles et de dangers. D’autre part, quoique M de Kerigant n’indique pas la date de cet épisode, il ne paraît pas possible d’en assigner une autre que celle du 20 au 21 juillet 1795, car il nécessite à la fois la présence de « Georges Cadoudal, de Mercier, de Saint-Régent », qui ne devaient, de longtemps, reparaître dans cette partie de la Bretagne, et l’intervention des soldats de Crublier, à la poursuite de l’Armée rouge. Or Crublier passait, le mois suivant, à un commandement dans l’Ille-et-Vilaine et opéra ensuite en Vendée. (Chassin, Pacifications, II, 58 et 98.)
  235. On a dit qu’il fut arrêté par ses soldats au moment où il s’enfuyait, qu’un conseil de guerre improvisé prononça contre lui la peine de mort, mais que Georges Cadoudal prit sur lui de le faire évader. (Georges Cadoudal, par G. de Cadoudal, 108.)
  236. On ne peut qu’émettre des hypothèses sur la date de la première rencontre de Hoche avec madame de Pont-Bellenger. Hoche était à Rennes le 10 juillet : il y venait conférer avec Aubert-Dubayet. Il se préoccupait alors d’organiser au plus vite l’espionnage. Chassin, Pacifications, III, 490. Est-ce à cette date qu’il aurait conquis et enrôlé la jeune femme ? Est-ce par son influence qu’il aurait obtenu le détournement de l’armée de Tinténiac et sa randonnée vers Coëtlogon ? Le 12, Hoche était de retour à la côte ; le 22, il quittait Quiberon, et c’est peut-être alors seulement qu’il rencontra la coquette marquise.
  237. « Beaucoup croient qu’il s’exposa volontairement à la mort par suite du chagrin que lui causaient les scandaleuses relations de son épouse, avec le général Hoche. » (J. Le Falher, Le Royaume de Bignan, 478, n.) Charette avait été pris le 23 mars 1796 ; c’est le 25 que fut tué Pont-Bellenger. Hoche écrivait, le 3 mars 1796 : « La personne qui m’a si bien servi depuis trois mois est la fille de la marquise de Grégo… Les royalistes n’ont pas fait un mouvement ou une intrigue que je n’en aie été instruit sur-le-champ… »
  238. Probablement l’Étang neuf, entre Plésidy et Saint-Gilles-Pligeaux.
  239. En Plumelin.
  240. En Moustoirac.
  241. Il était le frère de l’héroïne des massacres de l’Abbaye en septembre 1792.
  242. Elle épousa plus tard M. Le Coniac de La Pommerais.
  243. Il semble bien que nul contemporain n’eut soupçon du séjour de Pont-Bellenger à Bosseny ; on n’en a eu indirectement la révélation que par un document découvert beaucoup plus tard dans les Archives des Côtes-du-Nord, un brevet délivré au comte Salomon de Lorgeril, brevet signé Vicomte de Pont-Bellenger, commandant en chef l’armée royale et chrétienne, et daté de Bosceny près de Moncontour, le 27 juillet 1795. V. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 73-74.
  244. Les administrateurs du district de Loudéac à ceux du district de Broons, 18 thermidor, III. Archives des Côtes-du-Nord.
  245. Lettre de Le Veneur de La Roche à M. Henri de Busn… (Busnel), 5 août 1795 à 11 heures du soir. Archives des Côtes-du-Nord.
  246. « Cet individu (Lorgeril) avec quatorze autres, a été tué à Bosseny. » Lettre des administrateurs du district de Loudéac à ceux du district de Broons.
  247. Le récit tracé de cet événement par M. de Kerigant dans son volume Les Chouans est exact sur certains points, mais très fantaisiste sur d’autres : c’est le défaut de toutes les relations, émanassent-elles de témoins oculaires, qui ne sont pas soumises à la critique des documents authentiques. M. de Kerigant, qui n’était pas né, je crois, à l’époque du massacre de Bosseny, l’a certainement bien souvent entendu raconter par ses parents, mais, ainsi qu’il arrive aux plus férus de véracité, leur narration s’amplifiait à mesure que les faits s’estompaient dans leur mémoire. C’est ainsi que, dans Les Chouans, madame de Kerigant se lance à la poursuite des soldats et leur reprend, non seulement ses deux sœurs, mais aussi la plupart des vingt chevaux et une bonne partie du butin. En ce qui concerne les chevaux et le butin, les documents d’archives ne disent mot ; mais quant à madame Le Gris-Duval, elle ne fut pas délivrée par madame de Kerigant ; la troupe rentra sans malencombre à Loudéac. La lettre de Le Veneur, du 5 août, citée plus haut, dit : « Madame Le Gris, sa sœur et Joséphine de Kercadio sont en prison. » La lettre des administrateurs de Broons confirme : « La femme Legris et les autres étant en prison à Loudéac… — Archives des Côtes-du-Nord.
  248. B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, V, 283.
  249. Il y avait plusieurs Le Saulnier dans l’Administration des Côtes-du-Nord. Celui-ci serait-il Le Saulnier, du Vauhelle, qu’une note de l’an VI qualifie de « royaliste outré, sans mœurs ni probité, totalement dévoué aux Chouans et aux ci-devant nobles et couvert du mépris public. » Archives nationales, F7 7330, Situation des Administrations civiles à Port-Brieuc (Saint-Brieuc) à l’époque du 10 nivôse, VI.
  250. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 74-75.
  251. Lettre de Le Veneur de La Roche citée plus haut. Cette lettre saisie sur un courrier des rebelles fut envoyée par les Administrateurs du district de Broons aux Administrateurs du Finistère. Archives des Côtes-du-Nord.
  252. Dans les premiers jours de septembre 1795.
  253. Le général Lemoine, qu’on surnomma le bourreau de Quiberon, écrivait le 5 septembre aux représentants du Peuple : « Vous m’avez demandé de vous fournir une liste des bons patriotes qui m’ont aidé dans les vengeances que j’ai exercé au nom de la Nation… J’ai le regret de vous annoncer que tous ont péri, assassinés par nos lâches ennemis. C’est à peine si les états de situation que je viens de parcourir en présentent quelques-uns sur les cadres. Les brigands avaient juré de les faire tous périr et nous ne pouvons qu’honorer leur mémoire républicaine. » Lettre citée par Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, édition Drochon, III, 156.
  254. Archives nationales F10 111. Côtes-du-Nord, 2, Plainte des électeurs républicains au Conseil des Cinq-Cents, 4 novembre 1795.
  255. Habasque, Notions historiques sur les Côtes-du-Nord, III, p. 56.
  256. Le Fahler, Le Royaume de Bignan, p. 559 et Archives nationales F7 3682.
  257. Née Marie-Gabrielle Thibault, âgée de 38 à 40 ans en 1796.
  258. Le 6 février 1796.
  259. Il avait quitté son corps dès le mois de mars 1794, emportant ses armes et ses équipements. Archives nationales, F7 36691.
  260. Archives nationales, F10 111, Côtes-du-Nord, 10. Compte rendu par le suppléant du commissaire du département des Côtes-du-Nord au Directoire exécutif. Port-Brieuc, 21 brumaire, IV.
  261. De temps en temps on sévit… mais contre des prêtres inoffensifs. Au début de 1796, les colonnes mobiles des Côtes-du-Nord assassinent trois ecclésiastiques et dévastent l’abbaye de Saint-Aubin, dont tous les habitants, ci-devant religieux bénédictins, sont massacrés. Les trois prêtres étaient le P. Tournois, ci-devant capucin, massacré avec ses deux guides près de Dinan ; — le chanoine Rubec, fusillé sans jugement à Mégrit où il vivait retiré ; — et l’abbé Gauron, recteur de Lanrelas, égorgé à la sortie de ce bourg. Un seul des moines qui vivaient réfugiés à Saint-Aubin, dans la forêt de la Hunaudais, échappa au massacre de ses compagnons par les gardes nationaux de Lamballe. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, 108-109. V. aussi B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, II, 196. Hoche s’indignait de ces tueries. — « Tous les jours, écrivait-il, on guillotine des prêtres à Vannes. Tous les jours aussi les vieilles femmes et les jeunes gens viennent tremper leur mouchoir dans le sang de ces malheureux et bientôt ces monuments d’horreur servent de drapeaux aux fanatiques habitants des campagnes. » La lettre est de mars 1796. (V. Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 503.)
  262. Armez, commissaire général du département au ministère de l’Intérieur : « Les employés de l’Administration sont peu exacts ; on n’ose leur faire des observations, car ils ne sont pas convenablement salariés et on craindrait une désertion en masse. » Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, i.
  263. Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, i.
  264. Archives nationales. Idem.
  265. Les Administrateurs du district de Broons à ceux du district de Loudéac 24 thermidor, III, Archives des Côtes-du-Nord.
  266. Proclamation affichée à la porte de l’église de Rochefort-en-Terre, le 31 août de l’an Ier du règne de Louis XVIII. Chassin, Pacifications, II, p. 52.
  267. Tableau de dépréciation du papier-monnaie, arrêté par les Administrateurs des Côtes-du-Nord. Cité par Dubreuil, La vente des Biens nationaux.
  268. « À Plémy, nous nous étions trouvés avec toute la municipalité… à calculer le rôle de la commune qui se montait à 3.000 et quelque cent livres. » Déclaration du Chouan Mairesse. Archives nationales, F7 6147.
  269. « Nous punirons de mort tous les collecteurs et autres qui s’emploieront pour faire rentrer les contributions. » Proclamation de Rochefort-en-Terre, même document que ci-dessus.
  270. Le commissaire national près le tribunal du district de Lamballe aux représentants du peuple composant le Comité de Salut Public (sic).
  271. Archives nationales, BB18 251, dossier 7183.
  272. Abbé Deniau, Histoire de la guerre de Vendée, V, p. 147.
  273. « Les Chouans sont « maîtres partout » et « les campagnes subjuguées leur obéissent. » Lettre adressée au Directoire par Faverot, commissaire provisoire à Vannes, 15 novembre 1795, citée par Le Falher, Le Royaume de Bignan, 490.
  274. Le district de Josselin au Département, 9 frimaire, IV. Le Falher, idem.
  275. Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, i. Placard imprimé.
  276. Une lettre de Georges Cadoudal, trouvée sur un prêtre insermenté, expose nettement les raisons qui décidèrent les chefs morbihannais à la soumission : — « Toutes les puissances, excepté l’Angleterre et l’Empire, ont reconnu la République… Nous n’avons rien à attendre pour notre légitime souverain des puissances aujourd’hui belligérantes… Notre mère la Vendée est entièrement soumise… il nous reste le malheureux Morbihan, et que peut-il contre les forces immenses qu’il a contre lui ? Se faire incendier et totalement ruiner sans le moindre espoir… Dieu même ne doit pas demander de nous l’impossible… Le Pape même traite avec la République… Elle ne peut pas manquer, sous bien peu de temps, de devenir légitime… Elle existe réellement parce qu’il n’y a pas un seul être qui puisse dire raisonnablement : — « J’ai des forces suffisantes pour détruire le gouvernement actuel. » Archives de la Guerre, Armée des Côtes de l’Océan, 20 juillet 1796. Citée par Chassin, Pacifications, II, 555.
  277. Les signataires avec Le Gris-Duval de cette soumission étaient La Roche-Le-Veneur, commandant en chef ; Villeneuve-Bernard ; Dutertre ; Guillaume Le Veneur, chef de division ; et Le Vicomte, major. Le contrôle nominatif promis n’a pas dû être déposé ; on ne le retrouve ni aux Archives nationales, ni à celles des Côtes-du-Nord.
  278. Le mariage civil est inscrit aux registres de la commune de Plœuc à la date du 17 février 1797.
  279. Archives nationales, F7 36691.
  280. Café connu, depuis lors, sous le nom de Café Jouault. C’est aujourd’hui un garage.
  281. Pierre Duviquet, fils de Jean Duviquet et de Catherine Legendre, né à Trilbardoux, district de Meaux, Seine-et-Marne ; engagé le 1er janvier 1792, sergent le 10 septembre 1793, promu sous-lieutenant le 20 pluviôse, an II, 8 février 1794. Contrôle de la 184e demi-brigade. Archives nationales, F40* 487.
  282. Le dossier de Duviquet n’existe pas aux Archives du ministère de la Guerre. Le contrôle des officiers de la 104e demi-brigade (ex-184e) ne s’y retrouve pas. Dans sa brochure Les Chouans, M. de Kerigant écrit que l’officier envoya à ses chefs sa démission ; mais on a déjà dit avec quelle méfiance on doit consulter cet ouvrage sur tout ce qui n’est point souvenir ou tradition de famille.
  283. Archives nationales, F7 6147.
  284. Le Falher, Le Royaume de Bignan, 535.
  285. Cote 237 de la carte de l’État-major.
  286. « Comme cela, étant arrivé à La Mirlitantouille, au cabaret du côté de Plémy, il a entré dans la maison pour demander un chapeau ; mais je ne sais pas ce qu’il leur a dit. » Relation de Mairesse, 1er nivôse, VI. Archives nationales, F7 6147.
  287. « Il est revenu rester encore quelque temps chez Carfort qui lui a donné 9 livres en lui disant qu’il fallait chercher du travail ailleurs, vu qu’il craignait trop qu’on le trouvât chez lui… » Relation de Mairesse. Archives nationales, F7 6147.
  288. « Le 18 floréal, à six heures du matin, assassinat de Guillaume Duval, de la commune de Gausson, patriote. » Archives nationales, BB18 252.
  289. « Nous prenons une bouteille de vin ensemble ; après m’avoir dit qu’il y avait un prêtre qui mariait ses enfants, je vis descendre Du Lorin fils qui vint m’embrasser, ainsi que Pélagie, sa sœur ; l’autre jeune homme descendit aussi avec plusieurs vieilles dames ; mais je ne vis point Élisabeth (Élisabeth Du Lorin, qui épousait Huguet). Elle resta en haut à tenir compagnie au bon prêtre que je n’ai pas vu non plus. Nous sommes restés quatre à cinq jours dans le grenier… parce qu’il y avait beaucoup de monde ; nous eûmes plusieurs visites : madame Grandgand, M. Du Lorin et son beau-frère, la femme du Du Lorin… » Relation de Mairesse.
  290. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 155 et suivantes.
  291. C’est l’île de Locoal, dans la rivière d’Étal.
  292. Sageret, loc. cit.
  293. Archives nationales, F7 6147. Relation de Mairesse.
  294. É. Sageret, loc. cit., I, 449.
  295. Le maire de Saint-Gilles-du-Mené, nommé Lemeux, était à la dévotion du châtelain de Bosseny. On allait chez lui assister à la messe des prêtres réfractaires. Archives nationales, F7 6147.
  296. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études
  297. Duviquet resta pendant un certain temps chez un chirurgien de Laurenan. Relation de Mairesse. Archives nationales F7 6147.
  298. Relation de Mairesse.
  299. M. de Kerigant, — Les Chouans, p. 76, — s’élève contre cette hypothèse émise en 1836 par le Président Habasque, qui avait été en relations avec bon nombre des survivants de la Chouannerie. Mairesse cite une dame Ct…, comme ayant été « la bonne amie » de Duviquet. — « Je crois bien, dit-il dans son jargon, qu’il y a élevé un enfant sur les fonts de baptême. » Archives nationales, F7 6147.
  300. Même source.
  301. Archives nationales, F7 36691.
  302. Archives nationales, F7 3330, dossier 7026.
  303. Archives nationales, F7 6147.
  304. Archives nationales, F7 6147.
  305. Archives nationales, F7 6147. On suit, pour le récit de l’attaque de la malle-poste, la relation de Mairesse, témoin oculaire.
  306. Capitaine au 1er bataillon de la 13e demi-brigade.
  307. Dès le 5 décembre 1797, le commissaire du Directoire des Côtes-du-Nord annonçait, au ministre de la police, l’arrestation de Le Gris-Duval, commandant en chef des Chouans du département. Archives nationales, F7 36691.
  308. Mariée civilement le 15 février 1797, comme on l’a dit, Joséphine de Kercadio accoucha, le 29 mai suivant à Moncontour, d’un fils, Louis-Charles-Hervé Du Lorin. Mais il est très vraisemblable qu’un mariage religieux clandestin avait précédé le mariage civil, souvent même totalement négligé dans les milieux royalistes.
  309. Archives nationales, F7 36691. La date de ces arrestations est difficile à préciser. Le 22 janvier 1798, le président du Conseil de Guerre écrit au ministre de la police : — « La plupart des grands suppôts du scélérat Duviquet se trouvent à la fois saisis. » Pourtant, dans une réclamation collective des détenus, on lit : — « Nous avons été arrêtés le 27 janvier, les uns au milieu de la nuit ; les autres, le 28 au matin… » Quant à la liste des personnes arrêtées, il est possible de la reconstituer, en partie seulement, à l’aide des jugements postérieurs ; mais on ne peut la dresser complète car, pour cette époque, les livres d’écrou de la prison de Saint-Brieuc ne se retrouvent pas aux Archives des Côtes-du-Nord.
  310. Précis des renseignements obtenus sur Port-Brieuc et diverses autres communes du département des Côtes-du-Nord. Archives nationales, F7 3330.
  311. Archives nationales, F7 36691.
  312. Savary, Guerre des Vendéens et des Chouans, IV, p. 305. Chassin, Pacifications, I, p. 57.
  313. Arrêté du Comité de Salut Public du 18 fructidor, III. — 4 septembre 1795.
  314. Chassin, Pacifications, II, p. 390.
  315. Pouhaër, commissaire du Directoire près l’Administration des Côtes-du-Nord, au ministre de la Police, 22 frimaire, VI. Archives nationales, F7 36691.
  316. Archives nationales, F7 36632.
  317. Archives nationales, F7 36691.
  318. Jugement rendu par le Conseil de Guerre permanent de la 13e division militaire, 7 mars 1798. Archives nationales, F7 36691.
  319. Le postillon de la diligence, parent d’un des Chouans, avait prévenu ceux-ci du jour et de l’heure du passage et de la somme d’argent que portait la voiture. Archives nationales, F7 36691, 1er prairial, VI.
  320. V. sur cet épisode Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 553 et suiv.
  321. Anagramme de Lamour.
  322. Avant de mourir il avait rimé ses adieux à la vie dont l’autographe est conservé aux Archives du Morbihan : voici l’une des six strophes de cette complainte :

    Adieu donc, épouse chérie,
    Sans regret, je perdrai la vie ;
    Faites de vos armes l’apprêt.
    Votre bandeau m’est inutile ;
    Tirez, soldats, me voilà prêt :
    Dieu près mon roi m’offre un asile.
       Amen.


    Contrairement à l’usage pour ce qui concerne les condamnés des commissions militaires, le nom de François-Gaëtan Lamour de Lanjégu n’est pas inscrit sur les registres de décès de Vannes, ce qui permettrait de supposer que ses dénonciations lui avaient valu sa grâce et un emploi sous un faux nom dans la police du Directoire. En revanche, son nom est inscrit sur les tables de marbre du mausolée d’Auray, parmi ceux des martyrs de Quiberon où, comme on l’a dit, il était censé avoir été fusillé en juillet 1795. V. Chassin, Pacifications, III, p. 159, et Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 564.

  323. Le Falher, loc. cit.
  324. Guillemot était né en 1770 à Plemin, dans les Côtes-du-Nord.
  325. « La commune de Plémy, entre autres, est le séjour habituel des Chouans : Quand il se fait des mouvements de troupes, ce qui est rare, les brigands sont avertis de suite. » (Plémy est la commune dont dépend La Mirlitantouille.) « Il y a plusieurs prêtres dans ce canton et des soldats en congé qui disent qu’ils ne reviendront plus et qu’ils serviront dans les Chouans. Il y en a beaucoup d’enrôlés déjà… Duviquet n’a été que deux jours dans ce canton depuis son retour du Morbihan. Il est venu du côté de Plédran et Plaintel et a retourné à Plémy, d’où il a parti pour le Morbihan. » Archives nationales, F7 36632.
  326. « De caporal », d’après un autre document, Archives nationales, F7 36692.
  327. Archives nationales, BB18 253.
  328. On utilise ici un très beau plan manuscrit de Saint-Brieuc, daté de 1812, c’est-à-dire avant les transformations qu’a subies, à une époque plus récente, le chef-lieu des Côtes-du-Nord. Bibliothèque nationale, Département des cartes et plans.
  329. Habasque, Notions historiques, statistiques et agronomiques sur le littoral du département des Côtes-du-Nord, II, p. 94.
  330. Cette allée, primitivement dénommée Promenade Necker, a été prolongée depuis lors jusqu’à la rue Saint-Benoît, et longe le square du moderne Palais de Justice.
  331. Plus tard, armurier à Saint-Brieuc.
  332. Archives nationales, F7 36693.
  333. D’après les déclarations d’un Chouan nommé Pièche, arrêté l’année suivante, ce serait lui, Pièche, qui aurait figuré le prisonnier. Archives de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  334. « Duviquet avait « égaré la garnison par d’habiles mouvements ». Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 564, note i.
  335. Archives nationales, F7 36692.
  336. Archives nationales, BB18 253.
  337. Lettre de Besné au ministre de la Justice, 18 juin 1798. BB18 253.
  338. Il venait de recevoir son brevet de chef de bataillon. » Habasque, loc. cit., III, 68 note.
  339. Relation d’événements arrivés dans la nuit du 28 au 29 prairial et dans la journée du 29. Archives nationales, F7 36692. Le rapport du commissaire de Loudéac (même dossier) ne porte le nombre des soldats qu’à douze. C’est aussi le chiffre indiqué par une autre pièce ayant pour titre Nouvelle exacte, qui se trouve aux Archives nationales, BB18 253. Habasque écrit : — «… sur un faux avis donné sous le timbre de Josselin qu’un émigré est caché dans le cabaret de La Mirlitantouille, L’Honoré est parti de Loudéac dans la nuit avec quatre gendarmes. En passant à Pontgamp, il a pris quinze hommes de surplus. »
  340. « Lorsque les nôtres les virent arriver, ils crièrent Qui vive ? et les autres répondirent : patrouille de la 13e demi-brigade ! En même temps, ils fondirent sur les républicains… » Le commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de Loudéac au ministre de la Police. Archives nationales, F7 36692.
  341. Le hameau de Carfort, dont les Lenepvou de Carfort portaient le nom, est situé sur le territoire de la commune de Plémy, à quelques cents mètres de La Mirlitantouille.
  342. En quittant La Mirlitantouille, la bande de Mercier La Vendée se dirigea vers la forêt de Loudéac et gagna ensuite celle de La Nouée. Le Chouan Pièche, qui faisait partie de l’expédition, raconta plus tard que le commandant L’Honoré fut d’abord conduit au Pas-aux-Biches, près de cette forêt, chez Laurent Grépon. — « Là, dit-il, on apprit que la troupe arrivait et alors on mit L’Honoré sur un cheval et on le transporta dans la forêt. Le soir on remonta à cheval et on le conduisit à la chaussée de La Tertrée (?) et nous nous dispersâmes. La Vendée fit transporter l’officier au quartier général de Georges ; il y mourut le lendemain au soir. Carfort a gardé son sabre et ses vêtements. » Archives de la Guerre, Armée d’Angleterre, mai 1799.
  343. « Il faut observer que les hommes partis de Moncontour n’étaient pas en uniforme et que leur déguisement, qui rappelait le costume des anciens Chouans, avait pour but de favoriser leur marche. » Relation d’événements… Archives nationales, F7 36692.
  344. « Les hommes tués ont été laissés sur le grand chemin. » Archives nationales, BB18 253.
  345. C’était un volontaire de Pontgamp, « très grièvement blessé et qui doit être mort… », écrit, le 18 juin, le Commissaire du Pouvoir exécutif près le tribunal correctionnel de Loudéac. Archives nationales, F7 36692.
  346. L’épisode de l’enfant, — un petit pâtre, — se retrouve dans tous les récits, Relation d’événements… Archives nationales, F7 36692. — Nouvelle exacte, Archives nationales, BB18 253. — Habasque, qui n’avait pas connaissance de ces deux documents, l’a également placé dans sa relation.
  347. Relation d’événements… — « Il les a priés de le détruire… » Nouvelle exacte
  348. C’était la carabine du brigadier de gendarmerie, Thierry, l’une des victimes du massacre de La Mirlitantouille. Duviquet s’était approprié cette arme, plus légère que le lourd fusil anglais dont il était porteur pour l’expédition contre la prison de Saint-Brieuc. Le fourrier Saulnier reçut en récompense « la ceinture saisie sur Duviquet ». Archives nationales, F7 6147. Jugement rendu par le Conseil de guerre
  349. De toutes les relations, seule celle de Habasque rapporte une tentative de résistance de la part de Duviquet. Les documents contemporains de l’événement sont muets sur ce point.
  350. Le rédacteur de la relation intitulée Nouvelle exacte écrit : — « Le détachement (de Moncontour) n’a pas jugé à propos d’aller troubler le sommeil des autres, couchés à trois champs plus loin. » Cela paraît peu vraisemblable : si Mercier La Vendée, Carfort et leurs hommes s’étaient trouvés à portée de secourir Duviquet, ils ne l’auraient certainement pas abandonné sans tenter de le défendre. C’est également par erreur que, dans son ouvrage sur les Côtes-du-Nord (I, p. 236), B. Jollivet dit que Duviquet fut pris dans un champ de la commune de Hénon. L’endroit où on le découvrit endormi doit être très rapproché de La Mirlitantouille, entre ce lieu-dit et Notre-Dame de La Croix, probablement à la croisée de la route qui conduit à cette chapelle et du chemin qui va de Launay-Montel à Folleville.
  351. Archives nationales, BB18 253.
  352. Habasque, loc. cit.
  353. Rapport du chef de brigade Champeaux, président du Conseil de guerre. Archives nationales, F736692.
  354. Le commissaire du Directoire exécutif près l’Administration centrale des Côtes-du-Nord, au ministre de la Police, 2 messidor, VI. Archives nationales, F7 36692.
  355. Levot, Biographie bretonne, article Guezno de Penanster. Duviquet eut néanmoins un défenseur ; le jugement porte : — « Ouï le rapporteur en ses conclusions et l’accusé dans ses moyens de défense, tant par lui que par son défenseur… » Archives nationales, F7 6147.
  356. En outre, aux termes de l’arrêt, et conformément à la loi du 4 nivôse, an IV, il devait être prélevé, sur les biens du condamné, une somme de 10 000 livres, « tant pour frais de recherches, capture et conduite de la personne de Duviquet, que pour le prix des objets d’armement, habillement et équipement emportés par lui. La ceinture de Duviquet sera remise au citoyen Saulnier, fourrier de la 2e compagnie du 2e bataillon de la 13e demi-brigade, qui a arrêté ce brigand, la carabine et le sabre du condamné rendus à la gendarmerie de ce département, à qui ils appartiennent ; le poignard qu’il portait sera déposé au greffe. »
  357. Rapport du capitaine Hébert au général Romand. Archives de la Guerre. Cité par Chassin, Pacifications, III, p. 16 et suiv.
  358. « Vous répandrez le bruit que je viens de m’échapper ; j’écrirai à tous les Chouans et chefs ; j’indiquerai où il faudra porter mes lettres ; elles annonceront que j’ai eu le bonheur de m’échapper ; qu’ils aient à se réunir dans la forêt de La Nouée pour une expédition essentielle ; ils s’y trouveront certainement, les républicains les cerneront, et on leur fera mettre bas les armes… »
  359. Archives nationales, B3 207 et 215.
  360. La remise de l’anneau et l’engagement d’obtenir que la destinataire du bijou ne serait pas inquiétée.
  361. « … Ce scélérat invoqua l’ombre de Louis Capet avant de mourir et montra un certain caractère ; mais le supplice des assassins l’accabla ; il vit avec plus de frayeur les bois du sacrifice et le couteau fatal qu’il n’eût vu la fusillade… » Lettre de Besné au ministre de la Justice. Archives nationales, BB18 253.
  362. Même dossier.
  363. Le commissaire du Directoire Pouhaër au ministre de la Police, 6 ventôse, III. (Archives nationales, F7 6147.)
  364. Dondeau.
  365. Archives nationales, F7 36692.
  366. « Le concierge de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc était très lié avec Le Gris-Duval. Celui-ci l’avait gagné par ses largesses… de sorte que, de sa prison, il concertait encore avec ses complices les pillages et les assassinats. » Note sans date. Archives nationales, F7 6147.
  367. Il avait vingt-quatre ans et était originaire de Mauzé, Deux-Sèvres. Archives nationales, F7 6147.
  368. « Du Lorin, écrivait Palasne-Champeaux, est très faiblement inculpé dans la procédure et l’espoir de s’en tirer sain et sauf le force d’être utile quand même il n’en aurait pas l’intention, ce que je suis bien éloigné de croire, d’après les conférences que j’ai eues avec lui, et ses démarches que j’ai fait soigneusement surveiller… » 30 prairial VI. Archives nationales, F7 36692.
  369. Archives nationales, F7 6147.
  370. Le 12 germinal, Palasne-Champeaux invitait le commandant de la gendarmerie départementale « à faire rentrer dans la maison d’arrêt la citoyenne Le Gris-Duval, la citoyenne Garnier-Kerigant, la citoyenne Du Lorin, actuellement logées en ville sous cautionnement par raison de santé » ; il semble que cette invitation resta sans effet. Extrait des ordres d’écrou, communication de M. A. Brohan, Procureur de la République à Saint-Brieuc.
  371. Février 1798.
  372. Archives nationales, F7 6147.
  373. Déclaration de Giraudeau. Archives nationales, F7 6147.
  374. Les détenus de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc au citoyen Michaud, général en chef de la 13e division. Archives nationales, F7 36691
  375. La pièce est en copie, non signée, au carton F7 6147. Quand on est familiarisé avec la prose de Besné, je pense qu’il suffit de la lire pour ne pas hésiter un moment à déterminer son auteur.
  376. Archives nationales, F7 36692.
  377. Archives nationales, F7 36692.
  378. Même dossier.
  379. « Le 9 germinal, an IV, Dubois-Crancé s’était plaint aux Cinq-Cents de mille actes arbitraires des Conseils militaires et de mille jugements contraires aux formes d’une bonne législation. Il fit voter une résolution d’après laquelle tout jugement militaire devait, avant son exécution, être transmis au général qui formerait un conseil des trois plus anciens officiers supérieurs sous ses ordres. Ceux-ci examineraient le jugement et ordonneraient la révision dans le cas de violation des formes, ou lorsque la peine prononcée était plus forte que celle indiquée par la loi. » Georges Michon, La justice militaire sous la Révolution.
  380. Archives nationales, F7 6147.
  381. Même dossier.
  382. Chassin, Pacifications, III, p. 170 et 171. Sur la carrière de Palasne-Champeaux après la révolution, voir Mémoires de Mademoiselle Aglaë, comédienne, courtisane et femme de bien. 1 vol., chez Albin Michel.
  383. Sur la disgrâce de Palasne-Champeaux et de Veingarten, voir Archives nationales, F7 6147 et F1b II, Côtes-du-Nord, i.
  384. État civil de Saint-Brieuc. L’acte porte le nom d’Ignace Méraisse (sic) sans aucun autre renseignement.
  385. Archives nationales, A F111 559, Dossier 3774.
  386. Archives nationales, BB18 253 et A F111 559.
  387. L’attaque eut lieu « près de la montagne Saint-Barthélemy » entre Saint-Brieuc et Chatelaudren. Archives nationales, F7 36692.
  388. « Le scélérat Carfort paraît avoir été le commandant de ce pillage. » Archives nationales, F7 36692.
  389. Archives nationales, F7 6147.
  390. Archives nationales, F7 6147.
  391. « Il est de notoriété publique qu’il s’est donné dans cette commune en réjouissance de cette liberté, une grande fête où beaucoup de Chouans ont figuré. » Minute, sans date. Archives nationales, F7 6147.
  392. Jean-Baptiste Mazurié, négociant et banquier à Quintin. C’était un républicain de nuance foncée car, pendant la Terreur, il s’était surnommé Mazurié-la-Montagne. L. Dubreuil, La vente des biens nationaux dans les Côtes-du-Nord, p. 109.
  393. Telle est la version officielle de cet incident ; elle fut soumise au ministre par un rapport dont la minute se trouve aux Archives nationales, F7 6147 : — « … Besné a rendu son ordonnance de mise en liberté de cette horde de brigands. Cette libération avait été achetée au poids de l’or et Besné est prévenu d’avoir reçu le prix de cette iniquité chez le citoyen Mazurié, banquier à Quintin avec lequel il est lié d’amitié… Cet acte d’autorité arbitraire est d’autant plus répréhensible qu’il s’agissait d’une horde de Chouans qu’il revomissait sur le sol de la République où ils avaient commis nombre de massacres, que leur chef avait été condamné à mort et ses complices à la déportation… » Dans une lettre du capitaine Delain à Palasne-Champeaux, — même dossier, — on lit : — « Les républicains disent qu’on veut renvoyer du renfort aux voleurs de diligences, car Villemain, qui était de cette bande scélérate, a été sorti pour aller voler les 22.000 livres… Les forces me manquent ; je ne puis en dire davantage. » M. de Kerigant dans ses souvenirs, — Les Chouans, p. 76, — relate que sa mère « combla de cadeaux la famille de Palasne-Champeaux, président du Conseil de guerre : des dentelles précieuses lui furent offertes et aussi un huilier en vermeil, artistement travaillé. Cet huilier figura plus tard dans une vente de mobilier et fut acheté à la famille Champeaux par celle de M. Varin, ancien procureur général à la Cour de Rennes. Pour « l’achat » de Besné, M de Kerigant assure que l’on compta à l’accusateur public, dix-huit mille francs contre l’ordre de mise en liberté. Six mille francs furent versés ultérieurement. Les Chouans, p. 89.
  394. Archives nationales, AF111 559 et F7 6147.
  395. « Ils s’étaient échappés par le jardin. » Kerigant, Les Chouans.
  396. Quelques jours après son acquittement, le 16 juillet, Du Lorin, mettant à profit les bonnes dispositions de Palasne-Champeaux, avait sollicité et obtenu, pour sa femme et pour lui, un passeport l’autorisant à aller se fixer à Rennes. P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 78. Il faut bien croire qu’il n’avait pas cependant, trois mois plus tard, quitté Saint-Brieuc, puisqu’il y fut arrêté en octobre. Archives nationales, F7 6147.
  397. Archives nationales, F7 6147, BB18 253 et AF111 559, dossier 3774.
  398. « Vous avez rédigé une longue ordonnance que l’on prendrait plutôt pour un plaidoyer en faveur des prévenus… et vous les avez rendus à la liberté sans avoir rempli à leur égard les formalités les plus essentielles… Je ne puis vous dissimuler que la conduite que vous avez tenue dans cette circonstance est peu digne d’un magistrat attaché à son devoir… » Archives nationales, BB18 253.
  399. 8 frimaire, VII. — « Il est ordonné à tous exécuteurs de mandements de justice d’amener par devant le Directoire exécutif en se conformant à la loi, le citoyen Besné, accusateur public près le tribunal des Côtes-du-Nord, pour être entendu sur les inculpations dont il est prévenu. AF111 559, dossier 3774.
  400. Archives nationales, F7 6147.
  401. Il semble qu’il voyagea librement. En arrivant à Paris, il se logea chez le citoyen Agroy, restaurateur, rue Dominique, faubourg Germain, 199.
  402. « … Et vous jugerez qu’un républicain malheureux, et le premier qui proclama la République dans son département,… est digne de votre estime. »
  403. Archives de la Préfecture de Police. Écrous du Temple.
  404. Archives nationales, F7 6147.
  405. Extrait du Temple le 11 janvier 1799, il était à Saint-Brieuc le 28. La lenteur du trajet donne à penser qu’il fut reconduit en Bretagne « de brigade en brigade ».
  406. « Saint-Brieuc, 20 février 1799… L’acte d’accusation dressé contre Besné par le plus âgé des présidents du tribunal civil, aux termes de l’article 297 du Code des délits et des peines, a été présenté le 30 pluviôse au jury d’accusation. Sa déclaration a été, Non, il n’y a pas lieu. Le Directeur du jury, en conséquence, a ordonné la mise en liberté de Besné. » Archives nationales, F7 6147.
  407. Archives nationales, AF111* 101.
  408. Les historiens les mieux informés de la tradition locale sont sévères pour Besné, mais restent cependant dans le doute. M. L. Dubreuil écrit : — « Besné,… ouvre de sa propre autorité la porte des prisons aux deux chefs Chouans Le Gris-Duval et Kerigant, « par bêtise », dira Pouhaër, qui, visiblement, le ménage, mais plutôt « par intérêt ». La Vente des biens nationaux, p. 303. P. Hémon dit : — « Besné ne se tira pas sans peine de ce mauvais pas. On s’aperçut que l’accusation qui pesait sur lui n’était encore sanctionnée par aucune loi ; ensuite on eut égard à ses antécédents patriotes et à la situation de sa nombreuse famille. Il fut acquitté, faute de preuves. » La Légende de Leroux-Chef-du-Bois, p. 34.
  409. L. Dubreuil, ouvrage cité, 276, note.
  410. Le 7 mai 1801. P. Hémon, loc. cit.
  411. « J’avais mis à sa poursuite l’homme du département le plus propre à le capturer. » Le Commissaire du Directoire près les tribunaux des Côtes-du-Nord au ministre de la Justice. Archives nationales, BB18 253.
  412. Le citoyen Le Gris-Duval au ministre de la Police, 19 janvier 1799. Archives nationales, F7 6147.
  413. Archives nationales, F7 7532B.
  414. Archives nationales, F7 36692.
  415. 8 frimaire, VII. Archives nationales, AF111 559, dossier 3774.
  416. Archives nationales, F7 6147. Au nombre des pièces de cette singulière machination policière, se trouve une lettre très digne et très correcte de madame Le Gris-Duval au ministre, le priant de lui faire connaître le motif de sa détention : — « Vu l’état de grossesse où elle se trouve, elle vous prie d’avoir la bonté de la faire transférer au Temple, lieu qu’elle croit plus salubre et plus sain que celui de La Force… etc. » 5 février 1799.
  417. Sous le nom de Joseph Giraudon. Archives de la Préfecture de Police, Écrous de La Force.
  418. Registre d’écrou de la maison d’arrêt de Force Le Bat. Archives d’Ille-et-Vilaine. De fatigue ou d’émotion, l’une des servantes de madame Le Gris, Marie Chantard, mourait, un mois plus tard, le 4 mai, à La Tour Le Bat.
  419. Archives de la Préfecture de Police, A B/328, 16 floréal, VII.
  420. Commune de Longuivy-Plougras, canton de Plouaret.
  421. Archives nationales, F7 36692.
  422. Canton de La Roche-Derrien.
  423. Archives nationales, F7 36692.
  424. Archives nationales, BB18 253.
  425. Archives nationales, F7 36692.
  426. Archives nationales, F7 36692.
  427. Idem.
  428. Alors canton de Prat, aujourd’hui canton de La Roche-Derrien.
  429. Archives nationales, F7 36692.
  430. Le citoyen Louason, en mission dans les départements de l’Ouest, à l’effet de renseigner le gouvernement sur la situation de ces départements.
  431. Archives nationales, F7 7577A.
  432. Archives nationales, BB18 253.
  433. Archives nationales, F7 7840.
  434. Archives nationales, F7 6229. Cette pièce est de l’an VIII et porte l’intitulé : Extrait d’une correspondance du Morbihan.
  435. Archives nationales, F7 7639.
  436. Habasque, Notions historiques…, III, p. 55, n.
  437. Archives nationales, F7C III, Côtes-du-Nord, 10.
  438. Archives nationales, F7 7532B.
  439. Archives nationales, F7 7643A.
  440. Née Marie-Gabrielle Thibault.
  441. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 276.
  442. Archives nationales, BB18 253.
  443. Laënnec au ministre de la Justice, 10 fructidor, VII. Archives nationales, BB18 253.
  444. Archives nationales, BB18 253.
  445. D’après M. de Kerigant, dans sa brochure souvent citée, Les Chouans, Le Gris-Duval aurait été nommé à ce commandement par le Comte d’Artois, qui lui conféra, en même temps, « le cordon rouge ».
  446. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 191.
  447. Idem, I, p. 190.
  448. Habasque, Notions historiques…, II, p. 87.
  449. Lorquin, L’État de la France au 18 brumaire, p. LIX.
  450. Rapport de Barbé-Marbois sur la situation des départements de l’Ouest. Lorquin, p. 122.
  451. L. Dubreuil, Le Département des Côtes-du-Nord, p. 240.
  452. L. Dubreuil, Le Département des Côtes-du-Nord, p. 238.
  453. Kerigant, Les Chouans, p. 112 et 114.
  454. Habasque, II, 86, n.
  455. Levot, Biographie bretonne, article Guezno de Pénanster.
  456. « C’est par erreur qu’on a écrit que Rolland dit Justice, commandait un des détachements de Chouans à l’attaque de Saint-Brieuc. Il était en prison et fut délivré avec les autres prisonniers. Nous tenons du chef près duquel il se tenait dans sa retraite qu’il s’y battit comme un lion, mais isolément, sans commander. » Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, 203 n.
  457. Même ouvrage, p. 206.
  458. Sur les pentes orientales du Mené.
  459. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 203 n.
  460. Le chiffre total des assaillants est difficile à établir : — l’Administration centrale des Côtes-du-Nord le fixe à 700, dont 600 armés. Chassin, Pacifications, III, p. 406. — Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy l’évaluent à 400. — Kerigant, dans Les Chouans, l’estime à 1.000. — Habasque à 1.700 ou 1.800.
  461. Sur les effets postérieurs de cette rivalité entre Le Gris-Duval et Mercier La Vendée, voir É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, tome IV, p. 93 et suiv.
  462. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 203.
  463. Kerigant, Les Chouans, p. 114.
  464. On n’aperçoit pas pourquoi Giraudeau ne fit point passer sa lettre au commissaire du Directoire par l’intermédiaire du concierge Peyrode. Peut-être voulait-il garder pour lui seul le bénéfice de son importante déclaration.
  465. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, 204.
  466. En 1814, Coroller obtint de Pénanster une attestation certifiant que, « au moment de l’attaque de Saint-Brieuc par Mercier la Vendée, il avait chargé le premier la caserne qui contenait cinq cents hommes de troupe et fait prisonnier tout ce qui tomba sous sa main ».
  467. Il avait soixante et un ans en 1799.
  468. Archives nationales, BB18 253.
  469. Habasque, Notions historiques, II, p. 73.
  470. Déclaration de Jerosme Morin. Cette déclaration, comme toutes celles que l’on trouvera citées plus loin, est extraite de l’enquête du juge de paix Cartel et a été reproduite dans l’Invasion de Saint-Brieuc par les Chouans, recueil de documents réunis par M. Tempier, archiviste départemental des Côtes-du-Nord, et publié en 1889 par le Progrès des Côtes-du-Nord.
  471. Habasque, II, p. 87.
  472. Celle du citoyen Lagadeuc, gendarme retraité.
  473. Déclaration de Vincent-Augustin Le Provost, président de l’Administration centrale. Le valeureux enfant dont il est ici question devint, sous le règne de Louis-Philippe, député des Côtes-du-Nord. Je crois qu’il fut l’aïeul de M. le sénateur Le Provost de Launay.
  474. Déclaration de Joseph Chrétien, lieutenant de gendarmerie.
  475. Geslin de Bourgogne écrit que Poulain fut tué sur la place même de la Liberté. Les circonstances de la mort de Poulain-Corbion ont été racontées par les Chouans eux-mêmes, au poste de la place, en présence des prisonniers républicains. Elles ont été rapportées aussi par madame Conan, dont les royalistes, comme on va le voir, occupèrent la maison pour en faire une ambulance. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, Études, p. 205, note.
  476. Déclaration de la citoyenne Marie Pouhaër, épouse du citoyen Conan, officier de santé. Les Chouans avaient réclamé le citoyen Conan pour donner des soins à leurs blessés ; mais il procédait à un accouchement, en haut de la rue Saint-Guillaume ; la citoyenne Conan s’offrit d’elle-même à le remplacer auprès des blessés ; les Chouans s’informèrent de sa domestique, « si cette dame était capable de traiter » ; sur ce que la servante dit « qu’elle était aussi habile que son mari », ils escortèrent madame Conan jusqu’à la maison Grandchamp.
  477. Chassin, Pacifications, III, p. 407, note.
  478. C’est le chiffre indiqué par le commissaire du Directoire, Denoual, dans son rapport au ministre de l’Intérieur. Archives nationales F1C III, Côtes-du-Nord, 13. Il est surprenant que l’étroite prison de Saint-Brieuc eût pu contenir un si grand nombre de détenus.
  479. Toutes firent leurs déclarations au juge de paix Cartel : et ces déclarations sont en parfaite concordance.
  480. Déclaration de Marie-Anne Le Ster, 29 ans, filandière, domiciliée à Quimper.
  481. Déclaration du concierge Peyrode au juge de paix Cartel.
  482. Déclaration de Louis Deshayes, grenadier à la 82e demi-brigade.
  483. « Un bruit terrible se faisait entendre autour de la prison. » Déclaration de Marie-Yvonne Rideau, culottière en peau, de Brest. François Richard, canonnier, déclare « qu’il a longtemps entendu frapper à la porte à coups redoublés ».
  484. Déclaration de Béatrix Riollay, épouse de Jean André, 40 ans, sans profession, de Guingamp. — « Le concierge, dès la première alerte, se rendit dans tous les appartements, défendit à tous les détenus de bouger et d’avoir de la lumière. »
  485. Malgré l’assertion de Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy, il paraît bien difficile d’admettre que Rolland soit resté dans la prison jusqu’au 4 brumaire et « qu’il fut délivré avec les autres ». On le voit partout, en dehors de la maison d’arrêt, au dedans, par les rues, sur le Cours. D’ailleurs, dans sa déclaration, Peyrode le reconnaît comme « un de ses anciens prisonniers ».
  486. Déclaration de Jacques Godéart, chasseur de la 13e demi-brigade.
  487. D’après la déclaration de Jeanne Girault, qui se trouvait dans le cachot de madame Le Frotter, ce sont « deux hommes armés qui entrèrent d’abord dans cette cellule : dans l’une de ces personnes, elle reconnaît Justice. Il alla au lit de madame Le Frotter et dit : — Levez-vous promptement ; dans un autre moment nous nous ferons des caresses ». Suivant la déclaration de la femme Rideau, il l’aurait embrassée : celle-ci ajoute : — « Frotter fils, un des détenus (Honorat), entre aussi dans l’appartement de sa mère, et, se jetant dans ses bras, il la supplie de n’être pas longtemps à s’habiller. » La présence d’Étienne Le Frotter est également constatée : — « Après avoir délivré sa mère, il était allé rejoindre les siens » (ses soldats). Lamarre, Histoire de la ville de Saint-Brieuc. Mais aucun détenu ne parle de lui, sans doute parce qu’il est inconnu de tous et l’on peut croire qu’il était le second « homme armé » qui entra avec Justice, dès la prison conquise, dans le cachot de la condamnée.
  488. Levot, Biographie bretonne, article Guezno de Penanster.
  489. Nommé, dit-on, Le Breton. Ainsi qu’on l’a dit, les livres d’écrou lacérés par les Chouans ne se retrouvent pas.
  490. Déclaration de Jean Madec, maréchal : « Le déclarant commença à déferrer les prisonniers qu’on amenait à sa forge. Sa femme l’éclairait et quatre Chouans le tenaient en joue, prêts à le tuer s’il n’avait pas obéi. Ils le menèrent d’endroit en endroit, jusqu’au bout de la place où il déferra les derniers. »
  491. « Voyant l’impossibilité de résister, les soldats ne jugèrent pas à propos de tirer. » Habasque, II, p. 76.
  492. Dit aussi le Petit-Moulin. Déclaration de Peyrode.
  493. Déclaration du concierge Peyrode.
  494. Habasque, II, p. 71.
  495. C’est, sans doute, ici qu’il faut placer le fait déclaré par la femme Touanigot : — « Un chef, très jeune, qu’on appelait Dufour (Du Faou) fut à la rencontre de madame Le Frotter qui était montée sur un cheval sans selle et la fit monter sur le sien, qui avait un panneau. » Le même témoin entendit madame Le Frotter dire à plusieurs reprises : — « Où est donc mon fils, quand verrai-je mon fils ? » On lui répondit : — « Un peu de patience, madame, vous le verrez ; il reviendra. » Étienne Le Frotter, blessé au bras, était probablement à l’ambulance où il se fit panser par la citoyenne Conan, ainsi qu’on l’a dit.
  496. « Le peu de forces qu’il y avait dans la ville ne permit pas de poursuivre l’ennemi aussitôt qu’on l’eût désiré. » Proclamation de l’Administration centrale des Côtes-du-Nord. Placard imprimé. Archives nationales, BB18 253.
  497. Une citoyenne Poulain déposa « qu’un instant avant la sortie de la ville, elle avait entendu un nommé Dubois (?) qui paraissait être un chef, ordonner de mettre tous les prisonniers sur deux rangs pour les fusiller ». Un certain Tréborel, tanneur, rapporta un propos semblable.
  498. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 321.
  499. Habasque, II, p. 79, note.
  500. Kerigant, Les Chouans, p. 122.
  501. Déclarations de Liot, militaire à la 32e demi-brigade, de Louis Deshayes, de Jacques Godéart, etc.
  502. Déclaration de Marie-Josèphe Le Perche, 22 ans, filandière, de Tréguier : — « Elle a suivi les Chouans jusqu’à la métairie de Gouray, proche la lande de Plédran, où elle a couché avec une partie des femmes, les Chouans ne voulant pas d’elles. » V. aussi Habasque, II. p. 78.
  503. Une grande partie des meubles, tableaux, tapisseries provenant du château de l’Hermitage était, récemment encore, conservée au château de Quintin. Il s’y trouvait, notamment, un portrait de madame de Pompadour.
  504. Kerigant, Les Chouans, p. 125. On croit, sans pouvoir l’affirmer, que le régisseur du domaine de l’Hermitage, Thomas, chef de Chouans, était au nombre des prisonniers délivrés à Saint-Brieuc.
  505. Sur ces faits, assez peu vraisemblables, on n’a, comme référence, que la relation de Giraudeau lui-même, telle qu’elle résulte de sa déposition devant le juge de paix Cartel, au cours de l’enquête entreprise à l’occasion des événements de la nuit du 4 brumaire. Habasque l’a résumée au tome II, p. 84 et suiv. de ses Notions historiques, publiées à Saint-Brieuc en 1834. Habasque était président du tribunal de Saint-Brieuc et il semble avoir eu connaissance de témoignages aujourd’hui disparus.
  506. C’est le prétexte allégué par l’Administration centrale du département pour expliquer le peu d’empressement qui fut apporté à poursuivre les bandes de Mercier La Vendée. Archives nationales, BB18 253.
  507. Chassin, Pacifications, III, p. 407, note. « Charles Treux, marchand, déclare qu’examiné pour savoir s’il n’était pas porteur d’armes, les Chouans lui ont pris sa montre d’or ; … J.-B. Gautier, plafonneur, a également été fouillé ; on lui a pris neuf francs qu’il avait dans sa poche. »
  508. « Tout porte à croire que la délivrance de cette furie est le motif principal de cette expédition. » Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 10.
  509. Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 13.
  510. Chassin, Pacifications, III, p. 405. La colonne était faite de 300 hommes, d’après le rapport du commissaire du Directoire, Denoual, au ministre de l’Intérieur. Archives nationales, F1C III, Côtes-du-Nord, 13. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 322, écrit également : « 300 carabiniers et mobiles de Lamballe. »Kerigant (Les Chouans, p. 126) évalue la troupe républicaine à 1.500 ou 1.600 hommes.
  511. Ils sont inhumés au pied de la croix. Kerigant, Les Chouans, p. 126.
  512. Geslin de Bourgogne et Barthélemy, Études, p. 206.
  513. Habasque, II, p. 81.
  514. Une femme Penvon, — ou Pevron — délivrée de la prison de Saint-Brieuc. Déclaration de Marie-Yvonne Rideau. Celle-ci « a été également témoin de la mort de madame Le Frotter », mais elle ne donne aucun détail.
  515. C’est la version qui m’a été transmise par M. Berthelot du Chesnay, ancien officier de marine, en 1912. Habasque écrit (II, 80, note) : — « Cette dame (madame Le Frotter) était sur un cheval ; elle tomba à la première décharge ; son fils périt dans la même rencontre. » — Le Maout, Annales armoricaines, 1846, écrit : — « Madame Le Frotter et une autre femme, qui étaient à cheval, tombèrent dans cette décharge. Cette dame fut ensuite fusillée, dit-on, dans une cavité qui existe encore dans le terrain… par une singulière fatalité, le fils de la dame Le Frotter, qui avait fait opérer l’évasion de Saint-Brieuc pour délivrer sa mère, trouva aussi la mort dans cette rencontre. » — La version de Kerigant (Les Chouans, p. 127) est différente : — « Madame Le Frotter, écrit-il, fut frappée de plusieurs balles au moment où le second de ses fils (Honorat), lui aidait à monter à cheval. Elle fut tuée sur le coup. » D’après ce mémorialiste, Étienne Le Frotter aurait péri la veille, « massacré dans une prairie dépendant du Vau-meno, entre cette propriété et Monbareil », c’est-à-dire à un quart de lieue à peine de Saint-Brieuc, au nord de la ville, non loin du ravin du Gouët, dans un endroit où la présence d’Étienne Le Frotter ne peut s’expliquer et où les Chouans ne parurent pas, leur action s’étant uniquement portée sur les quartiers du sud et du centre. Il est vrai que, dans le placard imprimé par la municipalité, on lit : — « à deux portées de fusil de la ville, on trouva huit Chouans morts » ; mais il n’est point probable qu’Étienne Le Frotter fut de ceux-là. Pourtant, il resta un doute : le commissaire du Directoire, Denoual, relatant le combat de l’Hermitage, écrit : — « Nous sommes à peu près sûrs de la mort de trois chefs : Le Frotter, de Pontivy ; Dubois, de Ploërmel et Menguy, de Corlay. » Si le premier avait été tué à Saint-Brieuc même, il eût été identifié, car il y avait des parents, entre autres « le citoyen Le Frotter, timbreur au bureau de la Direction du Département, père d’une nombreuse famille ». Archives nationales, F1b II, Côtes-du-Nord, I.
  516. Habasque, II, p. 81, et note 2.
  517. Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, édition Biré, II, p. 61-62.
  518. Léon Dubreuil, La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord, p. 243.
  519. On citerait de cet état d’esprit maintes preuves : en est-il une plus frappante que les lignes qu’écrivait à cette époque Dufort de Cheverny, vieux royaliste persécuté et ruiné par la Révolution : — « Bonaparte a fait en vingt-quatre heures ce que tous les émigrés, le Roi, les Princes de Condé n’auraient pu faire en cinquante ans avec 40.000 hommes. Il a coupé les sept cent cinquante têtes de l’hydre, concentré le pouvoir en lui seul et a empêché les assemblées primaires de nous envoyer un tiers de nouveaux scélérats à la place de ceux qui vont déguerpir… La France serait très malheureuse de le perdre en ce moment-ci… » Mémoires, II, p. 419.
  520. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, I, p. 393.
  521. Émile Gabory, Les Bourbons et la Vendée, p. 347.
  522. Archives de la Préfecture de Police, A A/205.
  523. L’abbé Cochet. — « Un détachement de républicains envoyé pour arrêter cet ecclésiastique caché dans une maison de Plémy, tua ce malheureux au lieu de le conduire à Saint-Brieuc, et, pour justifier cette action, dit avoir été attaqué par les Chouans et que M. Cochet était tombé sous les balles de ceux-ci. Les cendres de cet infortuné reposent dans le cimetière de Plémy, où elles sont en grande vénération. » B. Jollivet, Les Côtes-du-Nord, IV, p. 455.
  524. Archives nationales, F7 36692.
  525. Compte rendu au Directoire par le ministre Bernadotte des faits relatés dans la Correspondance de l’armée d’Angleterre. (Archives de la Guerre, cité par Chassin, Pacifications, III, p. 343.)
  526. Renseignements communiqués par M. Colleu, ancien huissier à Collinée, très renseigné sur l’histoire de la région, et qui m’a permis de mettre largement à contribution sa complaisante érudition. Je le prie d’agréer l’expression de ma bien vive reconnaissance.
  527. Archives nationales, BB18 376.
  528. En remplacement du général Michaud, il prit possession du commandement de l’armée le 11 novembre 1798.
  529. « Vous vous êtes opposé à l’examen des motifs d’arrestation des individus retenus dans les prisons… Je désire apprendre de vous par quels motifs vous avez pris une marche que l’on représente comme ayant pu compromettre la tranquillité publique. » 7 février 1800, Archives nationales, BB18 376.
  530. « Ce qui l’afflige le plus, c’est que le délégué du gouvernement lui ait reproché d’être dur envers les prévenus. Lui, dur ! Lui qui souffre tant quand il est obligé de requérir la peine capitale ! » Lettre de Rouxel, du 18 février 1800. Rouxel est noté comme n’étant « ni un philosophe, ni un homme d’État ; il est au contraire rempli de roideur, de prévention et d’exagération ; il ne s’accorde ni avec les citoyens ni avec les juges ». 23 décembre 1799. Archives nationales, même dossier.
  531. Le 4 janvier 1800. Renseignement communiqué par M. l’archiviste départemental d’Ille-et-Vilaine.
  532. Les Chouans, p. 94 et suivantes.
  533. Renseignement fourni par M. l’archiviste départemental d’Ille-et-Vilaine. Dans le récit de M. de Kerigant, — Les Chouans, p. 94 et suiv. — madame Le Gris-Duval s’évade de La Tour Le Bat, la vieille geôle rennaise, ce qui rend l’événement plus dramatique. M. de Kerigant le date de décembre 1798, ce qui le rend impossible. À cette époque, madame Le Gris-Duval était en prison à Saint-Brieuc et si elle passa les trois derniers jours de décembre à La Tour Le Bat, c’est parce qu’on la transférait à Paris d’où elle ne revint qu’en avril. En réalité, l’évasion est postérieure au 4 janvier 1800, jour où la prisonnière fut internée à la Maternité, et antérieure au 20 février, époque où son amnistie fut prononcée et où l’on mit en liberté Villemain, Du Lorin, ainsi que ses autres compagnons de captivité. Cette transposition de date modifie du tout au tout le caractère de l’incident : dans les premiers jours de 1800, en effet, les prisons s’ouvraient toutes grandes ; il est probable que les autorités fermèrent volontiers les yeux sur la disparition de la détenue, et qu’elle n’eut qu’à s’en retourner chez elle sans être autrement inquiétée. La garnison de Rennes ne fut certainement pas lancée à sa poursuite, et madame Le Gris-Duval n’eut pas à « s’habiller en gendarme » pour dépister les poursuites, ainsi que le dit Levot dans la Biographie bretonne — article Legris-Duval.
  534. « Au nom du Roi, armée catholique et royale. Le Conseil de guerre de la division de Saint-Brieuc, extraordinairement assemblé, condamne à la peine de mort Charles Rogon, demeurant à Coëtmieux, convaincu d’avoir assassiné un soldat royaliste et d’en avoir lâchement livré un autre aux républicains après l’avoir enivré. Ce ne sont pas les seuls crimes dont se soit souillé le citoyen Rogon. Jugé le 6e jour du mois de décembre 1799. Signé Fortuné, lieutenant-colonel ; Carfort, chef de colonne mobile ; Taupin, chef de la cinquième légion ; de Jugon, chef de la quatrième légion ; Legris-Duval, général commandant la division de Saint-Brieuc. » Archives nationales, BB18 253.
  535. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 80.
  536. Chassin, Pacifications, III, p. 616.
  537. Voir sur cette discussion les correspondances publiées par É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IV, p. 93 et suiv.
  538. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 80.
  539. Archives nationales, BB18 254. En décembre 1801, on arrêtait et on emprisonnait à Moncontour trois hommes de la bande de Dujardin, Torcaret, Puisard et Brunet. Les deux premiers furent exécutés à Saint-Brieuc, le 9 janvier 1802. Le troisième, évadé de la prison de Moncontour, fut repris et fusillé le 2 avril. Archives nationales, F7 7939.
  540. Révélation anonyme. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IIB, p. 481.
  541. … « Dujardin, pour se venger de sa fuite (de la fuite de Le Gris-Duval), s’est emparé de sa femme (de madame Le Gris-Duval) et de ses deux domestiques, dont on ignore absolument. » Le préfet des Côtes-du-Nord au ministre de la Police générale, 6 avril 1802. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 81.
  542. Bulletin historique de l’armée de l’Ouest, numéro du 31 mai au 9 juin 1801 : — « Le 7 (prairial an IX), dix déguisés en militaires et commandés par Duraux, ex-chef de brigands, l’ont conduit à quelque distance de la maison et l’ont fusillé, sans qu’on puisse en imaginer le motif. »
  543. Archives des Côtes-du-Nord. Rapport du capitaine commandant la gendarmerie, au Préfet, 4 juin 1802.
  544. P. Hémon, Le Comte du Trévou, p. 83.
  545. Archives nationales, F7 6381.
  546. « Détestable sujet ; Georges lui-même a failli le faire fusiller pour ses excès. » Rapport du Préfet du Morbihan, 16 nivôse, an XII. Archives nationales, F7 6381.
  547. Archives nationales, F7 6381.
  548. « Les recherches faites ne permettent pas de satisfaire entièrement à cette demande ; on prie la famille de compléter les renseignements. » Archives nationales, même dossier.
  549. Carfort avait été précédemment écroué au château de Lourdes et transféré au château d’If à la suite, croit-on, d’une tentative d’évasion.
  550. Kerigant, Les Chouans, p. 140, n. Kerigant mourut au château de Kerigant, le 25 mai 1834 ; sa femme, sœur de madame Le Gris-Duval, décéda à Quintin, le 1er juillet de la même année.
  551. Archives nationales, F7 6481.
  552. Communication de M. le docteur O. Sagory, maire de Moncontour. Je ne saurais trop remercier M. le docteur Sagory de l’inépuisable complaisance de son érudition sur tous les points concernant Moncontour et sa région. Il voudra bien trouver ici la vive expression de ma gratitude.
  553. La Fontaine-aux-Anges est à deux kilomètres et demi du bourg de La Motte.
  554. Sur la mort de Mercier, voir : Archives nationales, F7 6235, plaquettes 2 et 3, et F7 6228, fo 742.
  555. Les ossements du « Patrocle breton » furent exhumés du cimetière de Notre-Dame-des-Vertus en 1817 et recueillis dans une cassette de chêne qui fut déposée dans la chapelle de l’hôpital. Disparue en 1830, retrouvée quarante ans plus tard par M. G. de Cadoudal, cette cassette fut ouverte et l’on y trouva, parmi les ossements entassés, un papier portant ces mots : — « Ce sont les ossements du général La Vendée, mort dans la commune de La Motte ; d’abord enterré dans le cimetière de la place de Notre-Dame-des-Vertus, ensuite, le cimetière ayant été défait, Claude Carimalo reconnut le général. On l’a transporté à l’hospice où il a été conservé par les soins des Religieuses qui ont régi l’établissement. » Georges Cadoudal, par G. de Cadoudal, p. 361, n.
  556. Il était né le 2 avril 1782. Kerigant, Les Chouans, p. 128.
  557. On trouva sur son cadavre un Règlement de vie que M. l’abbé Pierre Nicol a découvert aux Archives départementales du Morbihan — « avec la grâce de Dieu et sous les auspices de la Très-Sainte Vierge Marie et de mon bon ange, comme chrétien et militaire, je me propose — de ne donner que six heures à mon repos, à moins d’une très grande fatigue ; — … dans mes repas d’exercer la frugalité et sobriété, aussi indispensables à un militaire qui veut bien remplir ses devoirs qu’expressément ordonnées par la loi chrétienne ; — … dans mes conversations, d’éviter de parler avantageusement de moi-même et de dire la moindre chose aux dépens de qui que ce soit ; — … de fuir l’oisiveté, de ne refuser l’aumône à aucun pauvre, de jeûner les mercredis, vendredis et samedis… » etc. Les prisonniers du château de Penvern, par l’abbé Pierre Nicol, Revue de Bretagne, 1913, p. 22-23 n.
  558. Archives nationales, F7 6230, plaquette 4, et F7 6332.
  559. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, III, p. 403, 405.
  560. Archives nationales, F7 6147.
  561. « 28 mars 1801. La bande de Dujardin force le citoyen Viet, de la commune de La Motte, à verser 7.000 francs sous menace d’être fusillé. Viet n’ayant pas cette somme, Dujardin et ses hommes font bombance chez lui, emportent dix couverts d’argent, une cuiller à potage, trois fusils doubles et emmènent un cheval. » Archives nationales, BB18 154. — « 1er mai 1801. Le citoyen Duval, ancien receveur du district de Broons, est massacré par la bande Dujardin. » — « 6 juin. Assassinat de Legouaille, juge de paix à La Chèze. » Même dossier. — « 2 avril 1802. Le brigand Brunet, de la bande Dujardin, évadé des prisons de Moncontour, est repris et fusillé à Saint-Brieuc. » Archives nationales, F7 7939.
  562. Archives nationales, F7 6332, cité par Le Falher, le Royaume de Bignan, p. 696.
  563. É. Sageret, ouvrage cité, IIA, p. 86-87.
  564. Idem, IIB, 214.
  565. Idem, III, p. 58.
  566. Chassin, à la Table générale. Dujardin sollicita, en effet, lors de la Restauration, un emploi civil et la croix de Saint-Louis. Il semble, en effet, que la croix lui fut accordée. V. La Vendée militaire, par Crétineau-Joly, édition Drochon, V, p. 187 et 380.
  567. P. Hémon, Le comte du Trévou, p. 76, n.
  568. Sa descendance existe encore. Mémoires du colonel Dufour, de Saint-Coulomb, par P. Delarue, Saint-Servan, 1906.
  569. Préface de P. Delarue aux Mémoires du Colonel Dufour.
  570. V. sur l’occupation prussienne en Bretagne et sur ses résultats, Les Bourbons et la Vendée, par Émile Gabory, p. 10 à 31.
  571. Louis-Charles, né le 10 prairial, V, — 29 mai 1797 — à Moncontour, et Charles-Jean, né à la Ville-Louët, en Bréhand, le 18 juillet 1799. À cette date le père était détenu à Rennes.
  572. Elle mourut à Auteuil, rue Boileau, no 8. Son domicile, indiqué à l’acte de décès est Plœuc, Côtes-du-Nord. État civil de l’ancienne commune d’Auteuil.
  573. É. Sageret, Le Morbihan sous le Consulat, IIA, p. 302.
  574. « M. Humbert est de la plus belle apparence ; il s’exprime avec facilité : il appartient à une famille honorable du département des Vosges. » Lettre du préfet de la Loire-Inférieure au ministre. (Archives nationales, F7 6355.)
  575. « L’empereur a pensé qu’il ne pouvait en aucune manière prononcer sur cette demande qui regarde le ministre de la Guerre. » En fructidor an XII, le ministre de la Police demande au ministre de la Guerre les causes de la disgrâce d’Humbert : il lui est répondu simplement que « l’intention de l’Empereur est que ce général soit éloigné de Paris où ses intrigues peuvent rendre sa présence dangereuse ». Archives nationales, F7 6355.
  576. Le 5 septembre 1803.
  577. Il y est logé chez le sieur Barreswil, restaurateur, à la grille de l’Orangerie.
  578. Archives nationales, F7 6355.
  579. Idem.
  580. 18 fructidor, an XIII — 3 septembre 1805. Archives nationales, F7 6355.
  581. 28 vendémiaire, an XIV, — 20 octobre 1805.
  582. Chassin, Pacifications, III, p. 200, n.
  583. Napoléon et sa famille, II, p. 230.
  584. Chassin, Pacifications, III, p. 200, n.
  585. Sauf Dufour, condamné à six mois de prison, les aides de camp de Cormatin furent acquittés.
  586. Archives nationales, F7 6327.
  587. Les Tribunaux répressifs de la Manche, p. É. Sarot, I, p. 382. et suiv.
  588. Probablement à l’occasion d’un de ses transfèrements, car il ne paraît pas que Cormatin fût jamais venu à Cherbourg autrement qu’en prisonnier.
  589. On retrouve au carton F7 6327 des Archives nationales, outre des lettres touchantes des enfants de Cormatin adressées à leur père, toutes celles de la marquise de Feuardent. Welschinger en a donné de longs extraits dans Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 157 à 283.
  590. Outre ses trois filles, Cormatin eut un fils, Gustave. Je ne sais s’il vécut et fit souche.