La Monnaie et le mécanisme de l’échange/10

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Germer Baillière (p. 87-100).

CHAPITRE X

le système monétaire anglais

Je vais maintenant décrire d’une façon plus détaillée le système de circulation métallique qui existe en Angleterre depuis plus d’un demi-siècle, et qui parait être le meilleur de tous relativement aux principes d’après lesquels trois métaux différents se combinent en un cours forcé composite. Les règlements légaux en vertu desquels la monnaie anglaise est émise et circule, peuvent être exposés avec facilité et avec certitude, grâce à l’Acte du Parlement (33 Victoria, ch. 10) que M. Lowe fit passer pour simplifier et confirmer la législation à ce sujet.

espèces anglaises en or.

Le souverain anglais est la principale monnaie à cours forcé, et l’unité de valeur. Il consiste, d’après la définition légale, en 123 grains 27447 (7 gram. 98805) d’or au titre anglais, composé de onze parties d’or fin, et d’une partie d’alliage, principalement de cuivre. Le souverain doit donc en théorie, contenir 113 grains 00160, ou 7 grammes 32238 d’or pur. Mais comme il est évidemment impossible de faire des monnaies d’un poids quelconque absolument exact, ou de leur conserver ce poids quand elles sont dans la circulation, le poids fixé est seulement le poids normal dont les monnayeurs doivent se rapprocher autant que possible, soit dans chaque pièce isolément, soit dans l’ensemble.

Du poids du souverain nous déduisons le prix de l’or à la Monnaie. Si, en effet, nous divisons le nombre de grains du souverain par le nombre de grains que contient l’once, c’est-à-dire par 480, nous saurons exactement combien de souverains et de portions de souverain la Monnaie doit rendre pour chaque once d’or qui lui est livrée. Nous trouvons que le nombre est de 3,89375, ce qui équivaut à 3 livres 17 shellings 10 pence 1/2. Cela revient exactement à dire, dans l’ancien langage monétaire, que vingt livres pesant d’or doivent donner par le monnayage 934 souverains et un demi-souverain. J’ai entendu parler de personnes qui trouvaient mauvais que le gouvernement fixât le prix auquel l’or devait être acheté et vendu par la Monnaie, et qui convenaient pourtant que le souverain devait avoir un poids fixe. Cependant le prix fixe peut se convertir en un poids fixe et vice versa. L’un est une conséquence de l’autre.

Dans la pratique le poids d’une pièce de monnaie est toujours une affaire de limites, et il faut fixer des limites pour le poids qu’elle doit avoir lors de l’émission comme pour celui qu’elle doit conserver pour rester légalement dans la circulation. Dans le langage technique on appelle tolérance (en anglais remedy, et dans le vieux français remède) la latitude accordée au directeur de la Monnaie pour l’imperfection de la main-d’œuvre, et la loi fixe cette tolérance à deux dixièmes de grain (0,01296 grammes). Ainsi la Monnaie ne peut pas légalement émettre un souverain pesant moins de 123 grains 074, ou plus de 123 grains 474. D’un autre côté, comme la pureté de l’or ne peut jamais être amenée avec une précision absolue au titre de onze douzièmes, c’est-à-dire 916,66 sur 1000, on accorde à cet égard une tolérance de 2 sur 1000. On dit que nos ateliers anglais réussissent fort bien à s’enfermer dans ces limites de poids et de titre.

Tout souverain émis par la Monnaie conformément à ces règles, et portant l’empreinte autorisée par la Reine, est une monnaie légale, et doit être acceptée par un créancier en paiement d’une dette montant à cette somme, pourvu qu’il ne soit pas descendu, par l’usure ou des moyens frauduleux, au-dessous du poids de 122 grains 50 (7 grammes 93787). Si une personne reçoit un souverain qui soit au-dessous de ce minimum de poids courant, elle est supposée par la loi devoir découvrir ce défaut, et elle est tenue de couper ou défigurer la pièce, et de la rendre à celui de qui elle la tient, ce dernier devant supporter la perte. S’il est prouvé que la pièce ainsi défigurée n’était pas au-dessous de la limite, alors celui qui l’avait défigurée est obligé de la reprendre et de supporter la perte occasionnée par sa méprise. Tout juge de paix peut trancher d’une manière sommaire les conflits qui naissent au sujet des souverains trop légers.

La seule autre pièce d’or réellement émise en Angleterre est le demi-souverain, dont le poids normal et la tolérance sont exactement la moitié de ceux du souverain ; la tolérance pour le litre est la même que celle du souverain, et le minimum de poids pour la circulation est de 61 grains 1250 (3 grammes 96083). L’Acte du Parlement autorise aussi l’émission de pièces d’or de deux et de cinq livres, pour lesquelles les poids, et les tolérances relativement au poids, sont des multiples correspondants de ceux du souverain. Des pièces de la valeur de deux et de cinq guinées ont été frappées par la plupart des monarques anglais depuis Charles II jusqu’à Georges III. Des modèles de pièces de deux et de cinq livres ont été préparés sous la reine Victoria ; mais ces pièces n’ont pas été frappées, et pour des raisons qui seront établies au chapitre XIII (p. 131), il n’est pas à désirer qu’elles le soient.

espèces anglaises en argent

Les autres subdivisions de la livre sterling sont représentées par des pièces d’argent et de bronze à valeur conventionnelle, dont le poids est tel qu’il n’y a pas à craindre de voir leur valeur métallique dépasser la valeur métallique des pièces d’or dont elles sont les équivalents légaux. Avant 1816 la livre pesant d’argent au titre légal, contenant 925 parties d’argent fin et 75 d’alliage sur 1.000, fournissait 62 shellings dont chacun devait contenir 92 grains 90 de métal au titre. D’après ces règlements, la valeur de l’or était 15 fois 21 centièmes celle de l’argent. Cependant, comme l’argent peut quelquefois avoir plus de valeur relativement à l’or, Lord Liverpool recommanda très-sagement, dans sa lettre au roi, de réduire le poids du shelling. Par l’Acte 56 George III, ch. 68, il fut décidé que la livre pesant d’argent fournirait 66 shellings, ce qui faisait une réduction de poids d’environ 6 pour cent. Le nouvel Acte de Monnayage maintient les principales dispositions de celui de 1816, de sorte que le shelling anglais contient maintenant en argent au titre 87 grains 27272 (5 grammes 65518) ; et les poids de toutes les autres pièces d’argent sont des multiples ou des sous-multiples exacts de celui du shelling. La tolérance de poids pour le shelling est un peu plus du tiers d’un grain, et elle est dans une proportion simple pour les autres pièces. La tolérance pour le titre est dans tous les cas de quatre millièmes. Les différentes pièces autorisées sont au nombre de neuf, savoir : la couronne, la demi-couronne, le florin, le shelling, le six pence, le groat ou pièce de quatre pence, les pièces de trois et de deux pence, enfin le penny. Toutes ces pièces, sauf la couronne, sont frappées en plus ou moins grandes quantités ; mais le penny, et les pièces de deux et de trois pence, ne sont frappés qu’en très-faible quantité, comme monnaies du Jeudi-Saint, et après avoir été chaque année distribués par la Reine à titra d’aumône3, ils semblent être retirés de la circulation soit pour être fondus, soit pour figurer dans les cabinets des numismates.

Toutes ces pièces ont cours légal, sans qu’on tienne compte de leur poids, tant qu’elles n’ont pas été démonétisées par une proclamation, ou qu’elles ne sont pas usées et effacées au point qu’on n’en puisse plus reconnaître l’empreinte. La monnaie actuelle en circulation a perdu par le frottement une partie considérable de son poids primitif qui va souvent jusqu’au quart et au tiers. D’autre part la baisse de la valeur de l’argent relativement à celle de l’or diminue la valeur métallique des pièces, de sorte que personne n’est tenté de les exporter à l’étranger ou de les fondre pour les vendre comme métal, avec une perte de 10 à 30 pour cent sur leur valeur nominale.

Il y aurait un grand inconvénient à ce que chacun fût obligé de recevoir en paiement pour des sommes illimitées ces monnaies à valeur conventionnelle. Les commerçants pourraient souvent avoir entre les mains la valeur de plusieurs milliers de livres, sans pouvoir les réaliser autrement qu’en les remettant peu à peu en circulation. C’est pourquoi les Actes de 1816 et de 1870 décidèrent que la monnaie d’argent n’aurait jamais cours forcé dans aucun paiement que jusqu’à concurrence de 40 shellings. Cette limite fut sans doute choisie parce qu’en 1816 la pièce de deux livres était regardée comme la plus grosse pièce en circulation ou qui eût des chances d’être émise.

espèces anglaises en bronze

Les plus faibles subdivisions de la livre sont représentées par des pence, des demi-pence et des farthings de bronze, dont les poids respectifs lors de l’émission doivent être de 145,833, de 87,500 et de 43 grains 750. L’alliage dont elles sont formées contient 95 parties de son poids en cuivre, 4 parties d’étain, et 1 de zinc ; c’est exactement le même bronze qui était employé auparavant par les ateliers monétaires français. La tolérance pour le poids est le cinquième d’un pour cent ; et comme les pièces sont à valeur conventionnelle il n’y a pas de minimum pour le poids de circulation. Les raisons qui empêchent de leur donner cours forcé pour des valeurs importantes étant plus fortes que lorsqu’il s’agit de la monnaie d’argent, il a été décidé que les pièces de bronze n’auraient cours forcé que jusqu’à concurrence d’un shelling.

Si un penny de cuivre devait maintenant contenir une quantité de métal équivalent en valeur à la deux-cent-quarantième partie d’un souverain, il pèserait 871 grains, au prix actuel du cuivre sur le marché (75 livres la tonne). Ainsi le poids de la monnaie fractionnaire a été réduit environ au sixième de ce qu’il serait si la monnaie avait toute sa valeur métallique. D’après M. Seyd, le bronze dont les pence sont faits vaut 10 pence la livre, de telle sorte que les valeurs métalliques des pièces sont presque exactement égales au quart de leurs valeurs nominales. Le monnayage du bronze procure donc un profit considérable qui, à la fin de 1871, s’élevait environ à 270.000 livres sterling ; mais la réduction de poids est à tous égards un avantage, et elle n’est même pas portée aussi loin qu’elle pourrait l’être sans inconvénient.

insuffisance de poids de la monnaie d’or anglaise

La loi monétaire anglaise admet actuellement en théorie comme nous l’avons vu (p. 89) que toute personne pèse le souverain qui lui est offert, et s’assure, avant de l’accepter, qu’il ne pèse pas moins de 122.5 grains. Autrefois, il n’était pas rare de voir des personnes portant des balances de poche pour peser les guinées, et l’on peut rencontrer parfois encore de ces balances dans les boutiques de vieilles curiosités. Mais nous savons que cet usage est entièrement abandonné, et que même les établissements qui reçoivent les plus grandes quantités de monnaies, par exemple les banques et les compagnies de chemin de fer et même les bureaux de percepteurs et les bureaux de poste, etc., ne font pas la moindre attention à la loi. La Banque d’Angleterre seule, avec ses succursales, et quelques administrations du gouvernement, pèsent la monnaie d’or en Angleterre. De là vient qu’une grande partie de notre monnaie d’or est tombée, par le frai, au-dessous du poids minimum, et toutes les personnes qui ont un peu d’expérience évitent de payer la Banque d’Angleterre en vieux souverains. Seules les personnes ignorantes ou malheureuses, ou bien de grandes banques et des compagnies, qui ne peuvent se débarrasser autrement des pièces trop légères, éprouvent des pertes. Pendant longtemps la quantité de pièces d’or trop légères retirée par la Banque n’excéda pas un demi-million par an ; dans les dernières années cette quantité a varié de 700.000 livres sterling à 950.000. La monnaie d’or frappée annuellement est en moyenne de quatre ou cinq millions sterling, et les monnaies fondues ou exportées sont pour la plupart neuves et de bon poids : il s’ensuit nécessairement que le poids de la monnaie en circulation baisse de plus en plus.

En 1869 je me suis assuré, par une enquête attentive et fort étendue, que 31 1/2 pour 100 des souverains et près de la moitié des pièces de dix shellings étaient alors au-dessous de la limite de poids. Le lecteur qui a fait attention aux remarques sur la Loi de Gresham (p. 67), verra que jamais les pièces d’or nouvelles, en quelque quantité qu’elles soient émises, ne peuvent chasser de la circulation ces vieilles pièces usées, parce que ceux qui exportent ou fondent les pièces, ou traitent les pièces comme métal brut, auront soin de n’opérer que sur les bonnes.

Cet état défectueux de la monnaie d’or anglaise produit parfois de grandes injustices. J’ai entendu parler d’une personne sans expérience qui, après avoir reçu quelques centaines de livres en or d’un commerçant en métaux de la Cité, alla droit à la Banque pour les y mettre en dépôt. On trouva que la plupart des souverains étaient trop légers, et le malheureux dépositaire dut supporter des frais énormes. Le négociant lui avait évidemment donné le reste d’une masse de monnaies dont il avait trié les plus pesantes. Dans un cas encore plus fâcheux, qu’on m’a rapporté récemment, un particulier présenta au bureau de Saint-Martin-le-Grand un mandat sur la poste, et porta les souverains reçus au bureau du timbre, à Somerset-House, où les pièces furent pesées et où l’on en trouva quelques-unes qui n’avaient pas le poids. Ici un homme avait été fraudé, pour ainsi dire, entre deux bureaux du gouvernement.

Nous devons reconnaître que le gouvernement fit, en juillet 1870, un léger effort pour amener le retrait des pièces d’or trop légères, en s’engageant à les reprendre, par l’intermédiaire de la Banque d’Angleterre, au taux normal de 3 livres 17 shellings 9 pence par once pesant, tandis que la Banque avait payé seulement jusque là 3 livres 17 shellings 6 1/2 pence, parce que les anciens souverains étaient, pour la finesse, un peu au-dessous du titre. Sans doute cette mesure amena une certaine augmentation dans la quantité des pièces retirées ; mais la perte qui résulte de la diminution du poids retombe encore sur le public, et, tant qu’il en sera ainsi, le retrait des pièces d’or trop légères sera insuffisant pour maintenir cette monnaie au poids légal.
retrait des monnaies d’or trop légères

Il faudra bientôt prendre des mesures pour remédier à cette diminution croissante du poids des pièces d’or anglaises. Le retrait peut s’effectuer de plusieurs manières. D’abord la Reine pourrait lancer une proclamation par laquelle elle révoquerait et interdirait la circulation de toutes les pièces d’or remontant à plus de vingt ou vingt-cinq ans, attendu que ce sont surtout les anciennes pièces dont le poids est insuffisant. Une autre méthode consisterait à obliger tous les employés des finances, directeurs des bureaux de poste et autres, sous le contrôle du gouvernement, à peser tous les souverains qui leur seraient présentés. S’il le fallait même, les banquiers du royaume pourraient être obligés à peser les pièces. Mais il est évident que de telles mesures seraient fort incommodes et causeraient des embarras sérieux. Le fonctionnement de la caisse d’épargne par les bureaux de poste serait compromis si tout dépositaire d’une livre devait perdre 2 pour 100 à cause de la légèreté de la monnaie. Une vive émotion et de grands embarras suivirent la dernière proclamation de juin 1842, qui retirait les monnaies d’or trop légères. Faire subir au dernier possesseur d’une pièce toute la perte qui résulte d’une circulation de trente ou de quarante ans, est une mesure qui conduit, dans bien des cas, à des injustices criantes. La loi actuelle tend à faire peser la perte sur les pauvres, qui d’ordinaire n’ont à payer qu’un ou deux souverains à la fois, tandis que les gens riches, en ayant beaucoup, peuvent éviter de payer avec des pièces légères dans les bureaux où l’or est pesé.

Je crois que le seul remède efficace est pour le gouvernement de supporter la perte occasionnée par l’usure de l’or, comme il le fait déjà pour la monnaie d’argent. La banque d’Angleterre serait autorisée à recevoir tous les souverains qui ne présenteraient aucune marque de dommage intentionnel ou d’altération frauduleuse ; elle les recevrait avec leur valeur nominale, pour le compte de la Monnaie qui frapperait de nouveau, aux frais du public, les pièces trop légères. Personne alors n’aurait plus de raisons pour ne pas porter à la Banque les pièces légères ; la circulation serait bientôt débarrassée de ces pièces, et serait maintenue désormais strictement au poids normal ; il n’y aurait pour les particuliers aucun dérangement, aucune perte de temps, considération qu’il ne faut pas perdre de vue ; et enfin le dernier possesseur d’un souverain trop léger ne serait pas, comme à présent, victime d’une injustice.

On combat d’ordinaire les propositions de ce genre en disant qu’une telle méthode encouragerait les pratiques criminelles de ceux qui font ressuer les monnaies ou qui en diminuent le poids d’une autre manière. Je répondrai que c’est, au contraire, l’état de choses actuel qui favorise le plus ces pratiques coupables, parce qu’il habitue parfaitement le public à manier de vieilles monnaies usées. Personne aujourd’hui, dans les petites transactions de chaque jour, ne refuse jamais une pièce d’or, de sorte que celui qui veut les faire ressuer trouve toutes les facilités désirables. J’ai vu des souverains auxquels il manquait de quatre à cinq grains, c’est-à-dire une valeur de 8 à 10 pence, et qui n’en circulaient pas moins. Si, avec un meilleur système, la monnaie d’or, était entièrement composée de pièces neuves et de bon poids, portant des empreintes nettes, fraîches et irréprochables, l’attention serait aussitôt attirée par toute pièce qui paraîtrait tant soit peu usée ou maltraitée. De plus, comme la monnaie passerait constamment par les balances automatiques de la Banque d’Angleterre, sans avoir été triée au préalable par les marchands de métal, les pièces altérées, s’il en existait, seraient bientôt découvertes. Avec le système actuel, au contraire, les autorités de la Banque n’ont aucune occasion de faire subir aux monnaies un examen complet. C’est donc l’état actuel des choses qui donne le plus de facilités pour altérer la monnaie, quoiqu’il n’y ait pas de preuves pour établir que ces pratiques frauduleuses sont exercées dans des proportions appréciables. Avec le nouveau système proposé, de telles pratiques deviendraient presque impossibles.

fabrication de la monnaie d’or

D’après la loi monétaire anglaise, tout particulier a le droit de porter de l’or à la Monnaie et de le faire monnayer gratuitement, toutes les dépenses étant à la charge de l’État. Le métal rendu sous forme de monnaie aura une valeur exactement égale à celle d’un poids égal de métal non monnayé ; de sorte qu’en somme les espèces seront simplement du métal garanti, et pourront se convertir de nouveau en lingots sans perte. Quoique cette théorie soit simple et juste à quelques égards, elle ne reçoit pas, dans la pratique, une application parfaite. La Monnaie ne s’engage jamais à délivrer immédiatement des espèces en échange de l’or qu’on lui envoie, de sorte que, pour le temps nécessaire au monnayage, temps d’une durée incertaine, il y a une perte d’intérêt. Si, au lieu d’envoyer l’or directement à la Monnaie, on prend, ainsi que c’est l’usage, le parti de l’envoyer a la Banque d’Angleterre, on reçoit, conformément au Bank Charter Act de 1844, 3 livres 17 shellings 9 pence seulement par once, au lieu des 3 livres 17 shellings 10 1/2 pence que donne la Monnaie. De plus, ainsi que l’a montré M. E. Seyd, la manière dont la Banque opérait sur les métaux occasionnait toute une série de petites dépenses pour le pesage, la fonte, l’essayage, etc., qui montaient en somme, y compris cette perte principale d’un penny et demi, à 0,2828 pour 100 de la valeur totale de l’or. Depuis lors la Banque a introduit quelques petites améliorations dans sa manière de conduire les opérations ; mais on peut encore estimer que la conversion de l’or brut en souverains coûte environ 0,25 pour 100.

Quoique toute personne ait le droit, d’après l’Acte de monnayage, de porter de l’or à la Monnaie et de le faire frapper sans frais, dans l’ordre de priorité de dépôt, sans aucune préférence, personne n’use jamais de ce privilège, si ce n’est la Banque d’Angleterre. Lors d’une enquête sur le Bank Charter Act en 1857, M. Twells, qui avait envoyé une fois 10 000 livres à la Monnaie, fut surpris de voir que sa maison de Spooner et Cie était mentionnée dans on rapport parlementaire comme le seul établissement particulier qui eût jamais fait pareille chose. Les directeurs de la Banque d’Angleterre ont naturellement acquis le monopole des transactions avec la Monnaie, parce qu’ils sont obligés de conserver un approvisionnement considérable d’espèces et de lingots pour faire face aux nombreuses demandes qui leur sont adressées par une foule de personnes au nombre desquelles se trouvent, on peut le dire, tous les banquiers du Royaume Uni. Ils peuvent convertir une partie de leurs lingots en espèces, sans aucune dépense et sans perte d’intérêt, toutes les fois qu’ils voient diminuer leur réserve monnayée. Ils tâtent en quelque sorte, le pouls monétaire de la nation, et ils ont à leur disposition tous les moyens de garder, d’essayer, ou de peser exactement le métal. Les personnes même qui ont besoin de conserver des quantités d’or considérables emploient souvent la Banque pour le peser, l’empaqueter et le garder, et la Banque est toujours disposée à leur rendre ces services moyennant des droits fixes qui sont peu élevés. Il est donc très-naturel et avantageux que la Banque soit considérée comme un agent de la Monnaie. Quoique la Banque tire de ses services un certain profit, à peine peut-on dire que ce soit aux dépens du public ; ce bénéfice vient plutôt de l’économie avec laquelle tout le travail est effectué. Ce ne serait pas à coup sûr un perfectionnement pour le système monétaire d’un pays, si toute personne qui possède quelques onces d’or courait les porter à la Monnaie, mettait au compte de l’État les frais de fonte et d’essayage de ces lingots insignifiants, et compliquait ainsi les comptes et les transactions de la Monnaie.

fabrication de la monnaie d’argent

Des craintes absurdes se sont produites en Angleterre au sujet de la rareté des monnaies d’argent ; d’autre part, on a supposé que les particuliers avaient le droit de faire frapper de cette monnaie ; c’est pourquoi il sera bon d’expliquer avec exactitude comment la fabrication de la monnaie d’argent est réglementée par la loi et s’effectue dans la pratique. Il n’y a aucune loi qui donne à un particulier, à une compagnie, à un établissement quelconque le droit de porter de l’argent à la monnaie et de demander des espèces en échange. Ainsi il appartient au Trésor et à la Monnaie d’émettre autant de monnaie d’argent de toute nature que les besoins du service public leur paraissent en demander. Ces dispositions de la loi sont parfaitement justes : en effet, comme les pièces d’arpent ont une valeur conventionnelle, on ne peut s’en défaire en les fondant ou en les exportant avec leur valeur nominale. Si les particuliers avaient le droit de faire fabriquer autant de monnaie d’argent qu’il leur plairait, on pourrait, dans les années où le commerce est plus actif, jeter dans la circulation une quantité surabondante de pièces, qui, dans une année moins active, resteraient entre les mains du public.

Dans la pratique la Monnaie est guidée, pour la production des espèces en argent, par la Banque d’Angleterre, non que cette Banque tienne de la loi dus pouvoirs, des priviléges ou des devoirs spéciaux en pareille matière, mais parce que, étant la banque des banques et la banque des administrations publiques, elle peut juger mieux que toute autre des quantités de monnaie qu’il est nécessaire de produire. Non-seulement tous les banquiers de Londres tirent des monnaies d’argent de la Banque d’Angleterre quand ils en ont besoin, mais tous les autres banquiers du royaume font directement ou indirectement la même chose. On reconnaît qu’un comté n’a pas assez de monnaies d’argent lorsque le stock des banquiers de ce comté diminue. Ils complètent leur stock, soit en s’adressant à la succursale de la Banque d’Angleterre la plus rapprochée d’eux, soit par l’intermédiaire de leurs agents de Londres, qui s’adressent encore à la Banque d’Angleterre. Ailleurs, ou à d’autres époques, les banquiers tendent à accumuler un excédant de monnaie d’argent. Quelques banques, dans une grande ville, peuvent avoir des comptes avec un grand nombre de détaillants, de bouchers, de brasseurs, de marchands de bestiaux, de commerçants divers qui déposent chez elles une grande quantité de monnaies d’argent. D’autres banques peuvent avoir à répondre aux demandes que leur font des manufacturiers pour payer les salaires, et elles peuvent se trouver à court de monnaies d’argent. C’est donc l’habitude, chez les banquiers d’une même localité, de se soutenir mutuellement en s’achetant ou en se vendant les uns aux autres, suivant les circonstances, un excédant de monnaie. Mais, quand on ne parvient pas à se débarrasser par ce moyen d’un semblable excédant, on peut le retourner à la Banque d’Angleterre ou à une de ses succursales. Cette banque, il est vrai, n’est tenue en aucune façon de fournir ou de recevoir de fortes sommes en argent ; elle fait donc payer d’ordinaire la faible redevance de cinq shellings par cent livres comme dédommagement de ses peines et de ses risques. Moyennant cette redevance la Banque se charge de transporter l’argent par chemin de fer ; elle examine les pièces pour découvrir les contrefaçons et retirer celles qui sont usées ; elle envoie ces dernières à la Monnaie pour les faire frapper de nouveau, et joue en général le rôle d’agent de la Monnaie.

Puisque l’administration de la Banque préside ainsi à la sortie et à la rentrée des monnaies d’argent, et que toutes les affaires de ce genre lui passent par les mains, il est clair qu’elle est parfaitement en état de juger quand il faut faire une nouvelle émission. Avant que la réserve descende trop bas, avis est donné à la Monnaie, et des fonds ordinairement fournis au directeur pour acheter l’argent nécessaire au monnayage. Avec ce système, il est presque impossible que les espèces manquent sans que la Monnaie en soit prévenue. Si, il y a deux ou trois ans, la production ne put répondre à une demande imprévue, c’est que le gouvernement n’avait pas pourvu la Monnaie de l’outillage nécessaire pour satisfaire aux besoins croissants du pays. En résumé le système actuel semble presque aussi parfait qu’on peut le désirer, pourvu que la Monnaie soit reconstruite, réorganisée et mise en état de répondre à toutes les demandes que pourront occasionner les fluctuations du commerce.

l’hotel royal de la monnaie d’angletterre

Pendant que nous parlons du système monétaire anglais, nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer le désir que la Chambre des communes et le gouvernement entreprennent sans retard une réorganisation complète de l’hôtel de la Monnaie. Ses ateliers, tels qu’ils existent actuellement, faisaient honneur à la génération qui les éleva ; mais il n’est pas besoin de dire que dans les cinquante ou soixante dernières années nous avons fait des progrès immenses et dans la fabrication des machines et dans nos idées sur l’organisation et l’économie des usines. Que penserions-nous d’une Compagnie pour la filature du coton, qui se proposerait d’employer les machines et l’outillage ancien d’Arkwright, et des moteurs fabriqués dans les ateliers de Soho par Boulton et Watt ? Cependant la nation reçoit encore ses monnaies de balanciers qui furent construits réellement par Boulton et Watt, bien que des presses beaucoup plus commodes aient été inventées depuis lors et appliquées dans les ateliers monétaires de l’étranger et des colonies.

Les ateliers actuels sont tout à fait insuffisants pour répondre aux demandes possibles de l’industrie et la richesse croissantes du Royaume-Uni, pour ne pas parler de l’empire anglais tout entier. Il y a quelques années il était impossible de fournir la monnaie d’argent aussi promptement que l’exigeait le commerce quand il était un peu actif ; et pendant qu’on travaille à frapper en plus grande quantité des monnaies d’un seul métal, il n’y a aucun moyen de suffire à la demande pour les monnaies d’un autre genre. Quant aux pièces de bronze, on est réduit d’ordinaire à les demander aux presses de Birmingham, et des flans de bronze sont quelquefois achetés aux maisons de la même ville. On a même demandé à Birmingham quelques flans d’argent. Les ateliers de la Monnaie d’Angleterre doivent représenter dignement l’industrie et la richesse de la nation anglaise, et l’on ne doit pas souffrir que de mesquines considérations retardent une réforme si nécessaire.

Une reconstruction complète des ateliers de la Monnaie peut seule répondre aux exigences de la situation. Si ce vœu est réalisé, il y aura de grands avantages et une grande économie à quitter l’emplacement considérable de Tower-Hill, dont les terrains ont tant de valeur, pour ériger une Monnaie complètement nouvelle dans une situation plus accessible. Les opinions de M. E. Seyd sur ce sujet méritent une sérieuse attention.