La Monnaie et le mécanisme de l’échange/24

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Germer Baillière (p. 253-265).

CHAPITRE XXIV

la banque d’angleterre et le marché de l’argent

Au commencement de notre étude sur la monnaie nous avons vu les marchandises ordinaires s’échanger les unes contre les autres, et la monnaie s’est montrée à nous pour la première fois sous la forme d’une marchandise qui circulait comme moyen d’échange. Le sujet est devenu cependant de plus en plus complexe. Les métaux ont pris dans la circulation la place des autres objets de commerce, et nous avons dû entrer dans des considérations assez délicates sur les monnaies à valeur pleine et les monnaies à valeur conventionnelle. De la monnaie métallique représentative nous avons passé à la monnaie de papier représentative ; et enfin nous avons découvert que, par le système des chèques et des Clearing-Houses, la monnaie métallique était presque éliminée des échanges intérieurs du pays. Les transactions pécuniaires se présentent maintenant à nous sous l’aspect d’une salle pleine de comptables tout occupés à additionner précipitamment des sommes de monnaie. Mais nous ne devons jamais oublier que tous les chiffres qui remplissent les livres d’une banque représentent de l’or, et que tout créancier peut exiger qu’on le paie en métal. Dans l’état ordinaire du commerce, personne ne se soucie de s’embarrasser d’une quantité considérable de ce métal précieux, qui est beaucoup plus en sûreté et plus disponible dans les caves d’une banque, Mais, dans le commerce international, l’or et l’argent sont encore les intermédiaires à l’aide desquels la balance des comptes doit être équilibrée, et des conséquences sérieuses peuvent résulter d’un écart disproportionné entre le montant des transactions effectuées et celui de l’or qui sert de base au règlement des comptes.

extension du commerce.
Tout le monde sait que les trente années qui viennent de s’écouler ont vu le commerce prendre un développement prodigieux dans notre pays comme dans la plupart des autres. Si, comme on le fait d’ordinaire, nous jugeons des progrès généraux de l’industrie par le commerce extérieur, nous trouvons que la valeur réelle déclarée des produits anglais ou irlandais exportés par le Royaume-Uni, atteignait à peu près, en 1840, le total de 58 millions sterling. En 1866 ce total atteignait 189 millions, c’est-à-dire plus de trois fois la somme primitive. Dans cet intervalle la circulation en banknotes était restée presque stationnaire, ou s’il y avait quelque changement, c’était une diminution. La circulation totale des banknotes anglaises, écossaises et irlandaises était, en 1846, de 39 millions, et en 1866, de 38 millions et demi. Je pense cependant que le meilleur critérium des progrès du commerce, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, nous est fourni par l’extraction de la houille, qui est la source principale de notre richesse. Or, en 1854, la quantité totale de houille extraite était de 65 millions de tonnes environ, et la circulation en billets de 38 millions ; en 1866, la production de la houille s’était élevée à 101 millions et demi de tonnes, c’est-à-dire de 56 pour cent, tandis que la circulation des billets restait presque au même chiffre, c’est-à-dire à 38 millions et demi. Sans doute il y a eu, entre 1866 et 1874, une augmentation remarquable dans la circulation, dont le total atteignit £ 43,912,000, ce qui faisait un accroissement de 14 pour cent ; mais la production du charbon s’était élevée dans le même temps à 127 millions de tonnes, ce qui représente sur 1854 une augmentation de 05 pour cent.
la concurrence entre les banquiers.

Il y a donc une tendance manifeste à pratiquer un commerce de plus en plus considérable avec une quantité de monnaie métallique qui est loin de s’accroître dans la même proportion. Le système des banques devient aussi de plus en plus parfait, en ce sens qu’il emploie moins de monnaie. La concurrence d’une foule de grandes banques les conduit à opérer le plus grand nombre possible d’affaires avec les réserves les plus faibles qu’elles osent conserver. Quelques-unes de ces banques donnent des dividendes de 20 à 25 pour cent, ce qui n’est possible que parce qu’elles emploient de la manière la plus hardie des dépôts considérables. Les réserves même consistent moins en monnaies réelles ou en banknotes déposées dans leurs caves qu’en argent employé à la Bourse de manière à pouvoir être retiré sur-le-champ, ou déposé a la Banque d’Angleterre, qui elle-même prête ces dépôts dans une certaine mesure.

Plus le commerce se développera, et plus les demandes d’or pour faire des paiements à l’étranger seront considérables dans certaines occasions ; mais si l’approvisionnement d’or conservé à Londres devient relativement de plus en plus petit, la difficulté qu’on trouvera parfois à faire face aux demandes sera de plus en plus grande. Voilà, je crois, tout le secret de l’instabilité et de la sensibilité croissante du marché monétaire britannique. La demande de l’or augmente tous les jours, et cependant l’or destiné à la satisfaire devient relativement moins abondant ; aussi en résulte-t-il de temps en temps une difficulté trop naturelle à répondre aux demandes ; alors il faut élever brusquement le taux de l’intérêt pour décider ceux qui ont de l’or à le prêter, ou pour amener ceux qui en demandaient à renoncer pendant quelque temps à leurs demandes : ce qui n’empêche pas une foule de gens d’attribuer tous ces troubles, soit aux personnages si souvent calomniés qui se réunissent chaque semaine dans la salle des délibérations de la Banque d’Angleterre, soit à sir Robert Peel, qui n’a permis à la Banque d’émettre ses billets que d’après le système du dépôt partiel que nous avons décrit ci-dessus (chap. XVIII, p. 181).
l’acte organique de la banque d’angleterre de 1844
(bank charter act)
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Depuis deux siècles il y a toujours eu quelque lieu commun sur le tapis, au sujet de la circulation. Au commencement, c’était la rareté de la monnaie d’argent, l’entreprise de la Mer du Sud, le prix de la guinée. Plus tard vinrent la restriction des paiements en espèces, le cours des lingots, la question du billet d’une livre et les banques par actions. Depuis 1844 cependant, tous les théoriciens qui s’occupent de la circulation ont concentré leur attention sur l’acte organique de la Banque qui fut adopté cette année-là. Quoiqu’il y ait entre eux des divergences d’opinion infinies sur la nature du remède, ils ont été unanimes à rejeter tous les malheurs sur le compte d’une réglementation de notre circulation, où je ne vois pour ma part qu’un monument de législation financière aussi solide qu’habile.

Les Actes de 1844 et 1845 ont marqué une limite fixe au total des billets qui peuvent être émis en Angleterre sans un dépôt d’or équivalent. Actuellement (avril 1875) la Banque d’Angleterre peut, sans or, émettre quinze millions ; chacune des banques particulières ou par actions qui existent en Angleterre a ses limites particulières, et toutes ensemble peuvent émettre environ £ 6,460,000, tandis que les banques écossaises peuvent émettre, dans les mêmes conditions, des billets pour un total de £ 2,750,000, et les banques d’Irlande pour £ 6,350,000, ce qui fait en tout environ 30 millions et demi. Outre cette somme, la Banque d’Angleterre et les banques d’Écosse et d’Irlande peuvent émettre en plus autant de billets qu’elles ont de lingots ou d’espèces en dépôt : en 1874, l’excédant ainsi émis était de 14 millions et demi. N’oublions jamais que, de ce chef, aucune restriction n’est imposée à la somme totale de la circulation du pays ; car la monnaie légale primitive du pays est le souverain pesant 123 grains 274 d’or, et quiconque a de l’or peut sans peine le faire convertir en souverains. Les adversaires du Bank Charter Act prétendent que nous avons besoin de plus de numéraire ; mais ils ne peuvent soutenir sincèrement que c’est le numéraire métallique qui nous manque. Nous ne devons pas compter sur des modifications de la loi pour augmenter dans le pays le montant des espèces, et, ainsi que je l’ai fait remarquer, toute personne qui a de l’or peut se procurer des souverains. D’autre part, faute de mines d’or, on ne peut se procurer ce métal que par un commerce avec l’étranger, qui l’amène chez nous sans le faire sortir de nouveau. En somme, la monnaie principale doit être regardée comme une marchandise dont la production doit être livrée à l’action naturelle des lois de l’offre et de la demande. En émettant sans restriction une monnaie représentative en papier, on intervient d’une manière artificielle dans le jeu de ces lois.

l’école des banques libres.

Ce que les théoriciens demandent ce n’est donc pus d’avoir plus d’or, mais plus de promesses de paiements en or. L’école des banques libres en particulier soutient que c’est un des droits primordiaux de l’individu de faire des promesses, et que chaque banquier doit être autorisé à émettre autant de billets qu’il en peut faire prendre à ses clients, en gardant la réserve de monnaie métallique qu’il croit suffisante pour le mettre en état de remplir ses engagements. Mais cette liberté dans l’émission du papier-monnaie ne remédie pas du tout au mal dont souffre le marché monétaire, puisque ce mal est le manque d’or, et non le manqua de papier. Au contraire, une émission illimitée de papier tendrait à réduire encore la quantité d’or déjà fort restreinte sur laquelle nous élevons l’édifice d’un commerce immense. Ici nous touchons au point le plus délicat de toute la théorie de la circulation. Il y a aussi une école, représentée autrefois en Angleterre par des écrivains comme Ricardo et Tooke, qui soutient qu’il est impossible d’émettre une quantité trop considérable de papier-monnaie. M. R, H. Inglis Palgrave a récemment développé avec beaucoup d’habileté des arguments dans ce sens, dans son ouvrage intitulé : « Notes on Banking », et la connaissance si étendue qu’il possède du sujet doit prêter beaucoup de force à ses opinions. Cependant il y a, selon moi, un côté faible dans la théorie de ces auteurs.

possibilité d’une émission exagérée.

Lorsque les prix sont à un certain niveau et que le commerce est tranquille, un seul banquier ne peut sans doute verser dans la circulation au-delà d’une certaine quantité de billets.

Il n’exerce pas plus d’influence sur l’ensemble de la circulation qu’un seul négociant n’en peut exercer, par ses ventes et ses achats, sur le marché du blé ou du coton. Mais si un certain nombre de banquiers émettaient en même temps une grande quantité de billets venant s’ajouter à ceux qui existent déjà, ils produiraient le même effet qu’un groupe de marchands qui offrent de vendre du blé livrable à terme ; et la valeur de l’or en serait affectée, comme nous savons que l’est le prix du blé. Nous sommes trop accoutumés à regarder la valeur de l’or comme une donnée fixe du commerce ; c’est en réalité une chose très-variable. Les tableaux des prix, que j’ai analysés dans le Statistical Journal du mois de juin 1865, montrent qu’entre 1822 et 1825 il y eut dans les prix une hausse qui s’éleva à 17 pour cent ; entre 1844 et 1847, puis entre 1852 et 1857, la moyenne des hausses fut respectivement de 13 et de 31 pour cent. De telles variations dans les prix nous apprennent que la valeur de l’or s’est elle-même modifiée en sens inverse ; et ces variations sont produites surtout par l’extension du crédit. Toute personne qui promet de payer de l’or à une échéance à venir, accroit par là même l’offre anticipée de l’or ; il n’y a aucune limite à la quantité d’or qui peut ainsi être jetée sur le marché. Quiconque tire une lettre de change ou émet un billet, travaille, sans en avoir conscience, à encombrer le marché de l’or. Tout va bien, et une prospérité apparente règne dans la communauté entière, tant que ces promesses de payer de l’or peuvent être rachetées ou remplacées par de nouvelles promesses. Mais la hausse des prix ainsi produite renverse la balance des échanges avec l’étranger, et fait contracter des dettes qui doivent être payées en or. La base sur laquelle repose tout l’édifice du crédit glisse, se dérobe, et produit cet écroulement subit qu’on appelle une crise commerciale. Or ce qui est vrai du crédit en général est plus vrai encore de la forme spéciale que prend le crédit dans les billets de banque. Ils promettent d’être payables en or à présentation, de sorte que tout le monde les reçoit comme équivalant à des espèces. Les lettres de change mêmes peuvent être payées en billets, et dans le commerce intérieur on ne trouverait aucune difficulté à maintenir le crédit, tant que des promesses de payer de l’or circuleraient au lieu d’or. Mais les étrangers ne considéreront pas ces promesses du même œil, et si les échanges sont à notre désavantage, c’est la partie métallique de notre circulation, et non le papier, qui sera exportée. C’est à ce moment-là que les banquiers ne trouveront aucune difficulté à augmenter leur émission, parce que beaucoup de personnes ont des créances à réclamer en or, et que les billets sont regardés comme de l’or. Les billets rempliront ainsi commodément le vide occasionné par l’exportation des espèces ; les prix se soutiendront, la prospérité se maintiendra, la balance du commerce extérieur sera encore contre nous, et le jeu qui consiste à remplacer l’or par des promesses atteindra des proportions illimitées, jusqu’à ce qu’il devienne réellement impossible de trouver encore de l’or pour faire à l’étranger les paiements nécessaires.

Le professeur Cliffe Leslie a dit, avec raison, je pense, dans le Macmillan’s Magazine du mois d’août 1864, que le crédit de spéculation élève souvent les pris, pour quelque temps, au-dessus de leur cours naturel. Selon lui, au contraire, le crédit représentatif, et je suppose qu’il entend par là des billets émis contre un dépôt réel de métal, n’augmente pas forcément la masse de la monnaie ; il ne peut avoir aucun effet pour élever les prix au-dessus du niveau qu’ils atteindraient avec un système purement métallique.

La disparition réelle des lingots dans un pays n’est pas un événement purement imaginaire ; il est arrivé en Angleterre, l’an 1839, sous le système de libre émission. La banque d’Angleterre s’était défaite de presque tous ses lingots, et ne fut sauvée de la banqueroute que par l’expédient ignominieux d’un emprunt considérable à la Banque de France. Les limites étroites de ce livre ne me permettent pas de demander beaucoup d’arguments à l’histoire et a la statistique ; mais je peux dire que l’affaissement produit par la crise de 1839 causa une détresse plus cruelle et une prostration du commerce plus effrayante que tout ce qu’on a vu depuis en Angleterre. L’industrie et le commerce anglais sont aujourd’hui plusieurs fois aussi considérables qu’en 1839, et rien ne nous indique que les directeurs de banques ni les classes commerciales soient moins téméraires ou plus prévoyants qu’alors. Loin de là : la concurrence, l’esprit de spéculation, la hardiesse à fonder les affaires les plus gigantesques sur la base de capital réel la plus étroite, sont plus communs que jamais. On sait la quantité extrêmement faible de monnaie métallique réelle sur laquelle la plupart de nos grandes banques s’appuient dans leurs opérations, et l’on ne peut conserver un seul instant l’idée de permettre que la circulation en papier du pays repose sur les réserves que ces banques rivales voudront bien Conserver.

du droit de monnayer des billets de banque.

Suivant moi l’émission des billets est plus analogue à la fonction royale du monnayage qu’à l’opération commerciale ordinaire de tirer des lettres de change. Nous devons parler du monnayage des billets, ainsi que le faisait John Law ; car bien que le dessin soit imprimé sur papier, au lieu de l’être sur métal, la fonction du billet est exactement la même que celle d’une monnaie représentative. Quant au droit d’émettre des promesses, il n’existe pas plus que le droit d’établir des ateliers monétaires particuliers. Au point de vue qui nous occupe, cela est un droit que la législation déclare avantageux, à la communauté en général. De même que tout le monde, ou peu s’en faut, a longtemps été d’accord pour mettre le droit de frapper monnaie dans les mains du pouvoir exécutif, de même je pense que l’émission de la monnaie représentative en papier doit continuer à rester dans la pratique entra les mains du gouvernement ou de ses fonctionnaires, agissant sous le contrôle législatif le plus rigoureux. M. Wolowski, dans ses beaux ouvrages sur la monnaie, a soutenu que l’émission des billets est une fonction distincte des opérations ordinaires d’un banquier ; et M. Gladstone a reconnu que cette distinction est juste et d’une importance capitale. Aujourd’hui, en Angleterre, les banquiers jouissent, sur tous les autres points, de la liberté la plus étendue ; c’est donc une véritable contusion d’idées de parler de l’émission illimitée de papier-monnaie comme d’une question qui intéresse la liberté des banques.

Le professeur Sumner et d’autres personnes opposées au Bank Charter Act, ont dit qu’il ne peut être regardé comme une solution scientifique de la question de la circulation, attendu que nulle autre nation n’a accepté les mêmes principes. Cependant le gouvernement de l’empire d’Allemagne vient d’adopter tout récemment le grand principe du dépôt partiel, en y ajoutant la liberté d’augmenter les émissions moyennant une taxe de 5 pour cent, combinaison que j’ai décrite plus haut sous le nom de Système de limite élastique. Cette disposition semble destinée à éviter la suspension de la loi dans les temps de crise, et il se pourrait fort bien qu’il fût avantageux pour l’Angleterre d’établir une modification semblable dans sa loi sur la monnaie. Mais l’amende ou taxe sur l’émission en excès devrait certainement être de beaucoup supérieure à 5 pour cent, et ne pourrait, dans ce pays, rester au-dessous de 10 pour cent.

des banques écossaises et des banques anglaises.

On cite souvent les Banques écossaises comme preuve qu’une circulation parfaitement solide peut être fournie par des banques qui agissent sans entraves et en ne consultant que leur propre prudence. Avant 1845, les douze ou treize Banques écossaises possédaient certainement le droit d’émettre librement des billets qui descendaient jusqu’au billet d’une livre ; et il n’y eut qu’un ou deux cas de banqueroute. C’est ce que je reconnais, et j’ajoute que les Anglais et les Américains, ainsi que toutes les nations du monde, peuvent admirer avec raison l’habileté, la sagacité, la prudence merveilleuse, dont les banquiers Écossais ont fait preuve dans le développement et la direction de leur système.

Ce qui n’est pas moins certain, c’est que des banquiers Écossais dirigent dans son cours le développement du système des Banques en Angleterre, aux Indes, dans les colonies Australiennes, et partout, avec un succès remarquable. Si nous étions tous Écossais, je crois que l’émission illimitée de billets d’une livre serait une mesure excellente. Mais si nous comparons le système de banque des Écossais et celui des Anglais, nous découvrons une différence profonde. En Écosse, il n’y a que onze grandes Banques, lesquelles empêchent avec grand soin qu’il n’y en ait une douzième. Cependant elles usent avec beaucoup de modération et de sagesse du monopole incontestable qu’elles possèdent. Grâce à l’immense réseau de leurs succursales, chaque village a sa banque, et quiconque a économisé quelques livres peut avoir son dépôt à la banque. En Angleterre et dans le pays de Galles nous avons 267 banques particulières et 121 banques par actions, c’est-à-dire en tout 388 maisons de banque, en comptant les banques de Londres, mais sans compter aucune de leurs nombreuses succursales. Nous tendons, il est vrai, à nous rapprocher du système Écossais par la fusion des petites banques. Néanmoins il se fonde encore de temps en temps beaucoup de banques nouvelles, et la concurrence entre elles est des plus acharnées. Les dividendes élevés qu’attendent les actionnaires ne peuvent être gagnés qu’en opérant hardiment avec de faibles réserves ; et quiconque s’occupe de commerce s’aperçoit que le marché monétaire devient de plus en plus sensible.

réserves de numéraire des banquiers.

Il serait important, mais très-difficile, de décider quel est le montant de l’encaisse réelle que les banquiers du Royaume-Uni tiennent disponible pour faire face à leurs obligations. Beaucoup de banques publient des bilans où elles prétendent montrer leur réserve en argent comptant. J’ai déjà fait remarquer plus haut l’ambiguïté qui s’attache aux mots de monnaie et de comptant (money et cash) dans l’usage ordinaire ; cherchons de quelle nature est l’argent comptant, rencaisse du banquier, nous trouverons que cette encaisse consiste pour une grande part en sommes employées en effets publics, déposées chez d’autres banquiers, et particulièrement à la Banque d’Angleterre, ou en sommes conservées « at call », c’est-à-dire prêtées à des spéculateurs qui les emploient à l’achat de valeurs négociables. Les bilans publiés ne nous donnent donc aucun renseignement sur la réserve métallique dont le pays dispose pour le paiement des dettes extérieures.

M. R. H. Inglis Palgrave, dans son travail important « Notes on Banking », publié d’abord dans le Statistical Journal de mars 1873 (vol. XXXVI, p. 106), puis imprimé en un volume séparé, a donné les résultats d’une enquête a ce sujet. Il estime que le montant des espèces et des billets de la Banque d’Angleterre, qui sont dans les mains des banquiers du Royaume-Uni, ne va qu’à quatre ou cinq pour cent de leurs obligations, c’est-à-dire qu’il en est la vingt-cinquième, ou tout au plus la vingtième partie. M. T. B. Moxon, de Stock-port et de Manchester, a fait depuis des recherches approfondies sur le même sujet ; il a trouvé que l’encaisse des banquiers ne dépasse pas le sept pour cent des dépôts et billets payables à présentation. Il remarque, en outre, qu’une grande partie de cette réserve même est absolument indispensable aux transactions quotidiennes des banquiers, et que, par conséquent, ils ne peuvent s’en passer.

L’édifice entier de notre immense commerce repose donc, on le voit, sur cette supposition, que jamais probablement les commerçants et les autres clients des banques n’éprouveront le besoin soudain et simultané de retirer seulement la vingtième partie de la monnaie d’or qu’ils ont droit de recevoir sur leur demande, à tout moment, pendant les heures ou les banques sont ouvertes.

des moyens de remédier à la sensibilité du marche monétaire.

Aucune législation ne peut remédier à cet état de choses. Aucun gouvernement ne peut tirer d’embarras ceux qui font des transactions illimitées en or, sans être sûrs de trouver de l’or quand ils en auront besoin. Il est absurde de supposer qu’un établissement unique, tel que la Banque d’Angleterre, qui elle-même dépasse à peine en importance quelques-unes des grandes banques de Londres, puisse étayer tout l’édifice du commerce anglais.

Il n’y a qu’une mesure qui puisse rendre la stabilité au marché de Londres, ou l’empêcher de devenir de plus en plus faible ; c’est d’assurer par quelque moyen l’existence de réserves plus satisfaisantes, soit en espèces réelles, soit en billets de la Banque d’Angleterre représentant des espèces déposées dans ses caves. Toutefois, il y aurait peu d’avantage pour certaines banques à montrer plus de prudence et d’abnégation, tandis que d’autres continueraient à exploiter leurs ressources dans toute la mesure du possible, et dépasse» raient le taux des dividendes que peuvent payer les banques plus prudentes. Il faut donc, à ce qu’il semble, une action combinée, quelque chose de semblable à ce qui a été proposé pour les banquiers de Londres.

Comme la Banque d’Angleterre ne paye aucun intérêt sur les huit millions de dépôts qu’elle a gardés en moyenne, dans ces quatre dernières années, pour les banquiers de Londres, il semble qu’il n’y a pas de raison suffisante pour qu’elle soit autorisée à tirer profit d’une somme si considérable. Si cette somme était conservée par un comité des banques déposantes, elle ne serait pas moins en sûreté, elle serait à peine moins disponible, et de plus elle pourrait, si on l’employait en partie à acheter des effets publics, donner un profit aux dépositaires. On dira peut-être : pourquoi chaque banque ne garderait-elle pas sa propre réserve dans ses propres caves ? Mais alors rien n’empêcherait certaines banques de tenir leurs réserves à un niveau excessivement bas, et de compter, pour les moments difficiles, sur une aide étrangère.

J’aurais cependant une objection à faire au projet tel qu’il a été exposé : je voudrais qu’on ne fût autorisé a constituer aucune partie de la dernière réserve avec des effets publics. Lorsque le capital prètable est très-rare, un stock de ce genre ne peut être converti en lingots réels que par des ventes forcées qui déprécient la rente, ébranlent la confiance publique et absorbent l’argent versé par quelque autre canal sur le marché monétaire. À moins que les effets publics ne soient envoyés a l’étranger, leur vente ne peut en aucune façon augmenter le stock de l’or dans le pays. L’encaisse doit être véritablement en caisse, et quoiqu’il puisse être fort commode pour les banquiers, d’employer ce mot d’une manière élastique et ambiguë, il ne peut quand on parle des dernières réserves du pays, signifier autre chose que de la monnaie d’or ou des lingots, ou des reçus donnés réellement en échange d’or ou de lingots, d’après le système de dépôt que nous avons exposé.

On a fait remarquer aussi, dans un excellent article du Bankers’ Magazine de février 1875, que le plan proposé n’aurait aucune efficacité, s’il n’était mis à exécution que par un groupe restreint de banquiers de Londres. Il faudrait que l’association comprit, d’une manière ou de l’autre, toutes les banques considérables des trois royaumes. L’immense commerce de l’Angleterre ne peut reposer sur une base solide, tant que la force de l’opinion n’imposera pas à chaque banquier la nécessité de conserver en caisse une réserve vraiment proportionnée à ses engagements. Peu importe qui conservera la réserve, pourvu qu’elle existe réellement sous la forme d’un dépôt de métal, qu’elle ne s’évapore pas par des placements « at call », et qu’elle ne soit pas déposée dans d’autres banques qui s’en servent librement. Si les banquiers ne s’entendent pas pour agir ensemble, il est certain que la sensibilité du marché monétaire augmentera ; et il est probable qu’il se produira de temps en temps des crises commerciales qui dépasseront même, par leur violence et leurs conséquences désastreuses, celle ; dont nous connaissons trop bien l’histoire.