La Morale d’Aristote/Traduction Thurot/Livre 1

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La Morale
Traduction par Jean-François Thurot.
Texte établi par Jean-François ThurotDidot (p. 1-51).


LA MORALE
D’ARISTOTE.

LIVRE PREMIER.





I. TOUT art, toute recherche, et pareillement toute action, toute préférence ou détermination raisonnée, semble se proposer pour but quelque bien ; aussi a-t-on eu raison de dire que le bien est la fin vers laquelle tendent tous les efforts et tous les vœux. Cependant il y a des différences entre les fins qu’on se propose : quelquefois ce sont les actes eux-mêmes, d’autres fois c’est l’œuvre, ou le produit de ces actes. Dans ce dernier cas, l’œuvre a naturellement plus de prix ou d’importance que l’acte lui-même. Mais comme il y a un grand nombre d’actions diverses, d’arts et de sciences, il y a aussi une grande diversité dans les buts que chacune de ces choses est destinée à atteindre. Ainsi le but de la médecine, c’est la santé ; celui de l’architecture navale, c’est le navire ; celui de la stratégie, c’est la victoire ; celui de la science économique[1], c’est la richesse. Toutefois ces arts divers sont ordinairement soumis à quelque faculté[2] unique : ainsi l’art de celui qui fabrique les mors, est, comme tous ceux qui s’occupent des autres parties de l’équipage des chevaux, subordonné à l’art de l’écuyer ; lequel, est à son tour, comme tous les autres arts relatifs à la guerre, subordonné à la stratégie. Il en est de même d’un grand nombre d’autres arts ou talents, qui sont pareillement subordonnés à quelque science qui les emploie aux fins qu’elle se propose. Et il est clair que, dans tous les arts, la fin de ceux qu’on pourrait appeler ordonnateurs ou directeurs[3], est plus désirable, ou plus importante que celle des arts qui leur sont subordonnés ; car c’est en vue de cette fin qu’on exerce et qu’on pratique ceux-ci. Au reste, il n’importe nullement que les actes eux-mêmes soient le but des actions, ou qu’on se propose, en agissant, quelque autre but plus éloigné, comme on le voit par les sciences que nous avons citées pour exemples.

II. Mais si nos actes ont un but que nous veuillions pour lui-même, et en vue duquel nous désirions tout le reste, en sorte que chacune de nos déterminations ne soit pas successivement l’effet de quelque vue nouvelle (car, de cette manière, cela irait à l’infini[4], et nos vœux seraient dès lors entièrement vains et sans objet), il est évident que ce but ne saurait être que le bien (en soi), et même le souverain bien : et dès lors peut-on nier que la connaissance de ce but ne puisse avoir une influence très-importante sur notre vie, et que, comme des archers auxquels on marque le point où ils doivent diriger leurs traits, nous ne soyons plus en état de nous procurer ce dont nous avons besoin[5] ? Et, s’il en est ainsi, il faut que nous nous efforcions de le caractériser au moins par ses traits les plus généraux, de faire connaître ce qu’il est, et à quelle science ou faculté il appartient ; on présume bien que ce ne peut être qu’à celle qui a le plus d’influence et d’autorité sur toutes les autres. Or, il semble que ce doive être précisément la science du gouvernement (la politique)[6]. En effet, c’est elle qui décide de quelles autres connaissances on a besoin dans les états ; qui sont ceux qui doivent s’en instruire, et jusqu’à quel point ; aussi voyons nous que les talents les plus recommandables, comme la stratégie, l’économie, et la rhétorique, lui sont subordonnés. Puis donc que c’est elle qui dirige l’emploi des autres sciences pratiques, et que de plus, elle prescrit par des lois positives ce qu’il faut faire, et ce dont on doit s’abstenir, il s’ensuit que sa fin doit comprendre celles de toutes les autres, et que par conséquent ce doit être cette fin qui est le bien propre et véritable de l’homme. Car, bien qu’un individu isolé se propose la même fin que tout un peuple, et qu’on pût se borner à ce qui concerne un seul homme, il y a pourtant quelque chose de plus noble et de plus élevé à s’occuper du bonheur durable d’un peuple et d’un état tout entier. Tel sera donc l’objet de ce traité ; c’est une sorte de politique.

III. Ce sera sans doute en dire ce qu’il faut, que d’y porter toute la clarté dont le sujet est susceptible ; car, dans toutes les sortes de discours, de même que dans les ouvrages de la main, on ne doit pas toujours exiger une précision rigoureuse. En effet, l’honnête et le juste, qui sont l’objet des considérations de la politique, ont donné lieu à des opinions si divergentes, qu’on a cru qu’ils n’étaient qu’une création de la loi, et non le produit de la nature[7]. Et le bon (ou le bien en soi) a fait naître des dissentiments du même genre, parce qu’on a vu ce qu’on appelait des biens, être pour beaucoup de gens une cause de dommages. En effet, les richesses ont causé la ruine de quelques-uns ; et le courage, celle de plusieurs autres. Il faut donc se contenter, quand on parle sur un pareil sujet, de donner une esquisse générale de la vérité, et de ne présenter que les conséquences qui sortent des faits les plus constants et les plus généraux. C’est même le mode que l’on doit adopter dans la plupart des sujets qu’on traite ; car, en chaque genre, il n’y a que l’homme très-éclairé qui soit à même de chercher le degré d’exactitude que comporte la nature de la question dont il s’occupe ; et exiger des démonstrations d’un orateur, ou se contenter, en géométrie, des simples probabilités, c’est à peu près la même chose. Cependant, on ne peut bien juger que de ce qu’on sait très-bien ; aussi l’homme très-instruit est-il en état d’apprécier jusqu’aux moindres détails des objets, tandis que celui qui n’a que des connaissances peu approfondies, se contente de les juger en masse. Voilà pourquoi la jeunesse est peu propre à l’étude de la politique ; car il lui manque l’expérience des choses de la vie, qui sont précisément celles dont traite cette science. Ajoutons que cet âge, étant dominé par les passions, ne pourrait tirer aucune utilité de pareilles leçons, puisque le but principal de la politique est l’action, et non pas la connaissance. Au reste, qu’on soit jeune par les années, ou qu’on le soit par le caractère, l’effet est le même ; car ce n’est pas le temps qui fait l’inconvénient, mais l’habitude de vivre assujetti aux passions, et de se laisser entraîner à tous les objets. En effet la connaissance, chez les hommes de ce caractère, est accompagnée de légèreté et d’irréflexion, aussi bien que chez ceux qui n’ont aucun empire sur eux-mêmes ; au lieu que, pour ceux qui savent conformer leurs désirs et leur conduite à la raison, la science de la politique peut être extrêmement utile. Voilà ce que j’avais à dire sur le caractère propre de ceux qui veulent étudier cette science, sur les dispositions d’esprit qu’ils y doivent apporter, et sur le sujet que je me propose de traiter.

IV. Mais, revenant à notre question, puisque toute connaissance, toute détermination raisonnée, est produite par le désir de quelque bien, quel est celui auquel la politique aspire ? Et, entre tous ceux qui peuvent résulter de nos actes, quel est le bien suprême ? Presque tout le monde, à vrai dire, est d’accord sur son nom ; car les hommes instruits, aussi bien que le vulgaire, l’appellent le bonheur ; et même tous admettent que bien vivre, bien agir, et être heureux, c’est absolument la même chose[8]. Mais, qu’est-ce que le bonheur ? Voilà la question ; et le vulgaire ne la résout pas de la même manière que les sages : car les uns prétendent que le bonheur est quelqu’une de ces choses qui sont visibles et sensibles, comme la volupté, ou la richesse, ou la considération ; et les autres veulent que ce soit autre chose. Souvent l’opinion d’un même homme varie sur ce sujet ; s’il est malade, il voit le bonheur dans la santé ; s’il est pauvre, il le voit dans la richesse ; et quand il s’est aperçu de son ignorance en ce point, il voit avec regret les hommes instruits, qu’il est forcé d’admirer, se servir d’un langage imposant, et qu’il ne saurait comprendre. Cependant il y a eu des personnes[9] qui pensaient que, parmi les biens en si grand nombre, il en existe un qui est le bien en soi, et qui est la cause de tout ce que les autres ont de bon. Au reste, il est peut-être inutile d’examiner ces opinions diverses ; c’est assez de s’arrêter à celles qui ont le plus de vogue, ou qui semblent avoir quelque fondement raisonnable.

Toutefois n’oublions pas la différence qu’il y a entre les raisonnements qui procèdent en prenant les principes pour point de départ, et ceux qui ont pour objet de remonter aux principes : car Platon avait raison de voir ici la matière d’une question importante ; et il cherchait à s’assurer si la méthode consiste à partir des principes, ou à y remonter ; comme, dans les courses du stade, on pourrait demander si le point de départ est l’endroit où siègent les juges des prix, en courant vers la borne placée à l’extrémité de la carrière, ou bien si c’est le contraire. Quoi qu’il en soit, c’est par les choses connues qu’il faut commencer[10] ; et l’on peut en considérer de deux sortes : celles qui sont connues par nous, et celles qui le sont en général ; peut-être convient-il de commencer par celles qui nous sont connues. C’est pour cela qu’il faut avoir des mœurs bien réglées et des habitudes honnêtes, quand on veut tirer une véritable utilité des leçons qui nous seront données sur l’honnête, sur le juste, et, en général, sur la politique. Car les vrais principes sont dans les faits ; et quand ceux-ci se manifestent dans toute leur étendue, il est presque superflu de remonter aux causes[11]. Celui donc qui est tel que je viens de dire, ou possède déjà les principes de la science, ou peut du moins facilement en acquérir la connaissance ; mais s’il est quelqu’un qui manque de ces deux conditions, qu’il écoute ces paroles d’Hésiode[12] :

« Celui-là, dit-il, est le plus sage et le plus excellent des hommes, qui, connaissant tout par lui-même, est capable de prévoir la suite des événements, et de prendre toujours le parti le plus avantageux. Il est encore vertueux, celui qui se montre docile aux sages avis qu’on lui donne ; mais celui qui, n’ayant aucune connaissance, ne sait pas même recueillir dans son esprit ce qu’il entend dire aux autres, est de tous les mortels le plus incapable et le plus inutile. »

V. Mais, pour revenir à notre sujet, ce n’est pas sans raison que l’on paraît avoir cherché à se faire une idée du souverain bien, ou du bonheur, d’après les divers genres de vie. Le vulgaire et les hommes les plus grossiers l’ont placé dans la volupté : aussi préfèrent-ils à tout la vie qui n’offre que des jouissances. En effet, il y a trois genres de vie, qui se distinguent éminemment entre tous les autres : celle dont je viens de parler, la vie politique et active, et la vie contemplative ou spéculative. On peut regarder comme tout-à-fait servile ce sentiment du vulgaire, qui donne la préférence à la vie purement animale ; et il ne peut guère mériter qu’on en fasse mention qu’à cause de cette foule d’hommes qui, élevés à la puissance et aux dignités, se montrent asservis aux mêmes passions que Sardanapale[13]. Au lieu que les hommes bien élevés et qui ont quelque activité, préfèrent l’honneur et la considération ; car c’est là communément le but de la vie politique. Cependant, il semble trop superficiel, trop peu important, pour satisfaire nos désirs, puisqu’il dépend plutôt de ceux qui accordent les honneurs, que de celui qui les obtient. Au lieu que le souverain bien nous paraît devoir être quelque chose de propre à celui qui le possède, et qu’il est difficile de lui ravir. D’ailleurs, il semble qu’on ne recherche les honneurs que pour se confirmer soi-même dans l’opinion qu’on a de son mérite : aussi ambitionne-t-on la considération des hommes sensés, de qui l’on est connu, et comme un hommage qu’ils doivent à notre vertu ; ce qui prouve évidemment que, même dans l’opinion de l’homme avide d’honneurs, c’est la vertu qui a la prééminence. On pourrait donc supposer que c’est plutôt elle qui est la fin, ou le but, de la vie politique ; mais elle semble encore insuffisante : car on peut supposer que celui qui la possède fût livré au sommeil, ou demeurât dans une entière inaction pendant toute sa vie, et qu’outre cela, il éprouvât de cruelles souffrances, et tombât dans de grandes infortunes : or, assurément personne, à moins que ce ne fût pour soutenir un paradoxe, n’oserait vanter le bonheur de celui qui vivrait ainsi.

Mais en voilà assez sur cet article, qui a été suffisamment discuté dans mes Traités encyclopédiques[14]. Quant à la vie contemplative, qui est le troisième genre, j’en ferai l’examen dans la suite[15]. Je ne compte point, parmi les genres de vie, celle qui n’est occupée que des richesses ; il est évident qu’elles ne sont pas le bien que nous cherchons, puisque leur utilité n’est pas directe et immédiate. Aussi serait-on plus porté à adopter les fins dont j’ai parlé précédemment ; car on les recherche, on les aime pour elles-mêmes ; cependant il ne semble pas qu’elles satisfassent complétement, quoiqu’elles aient été le sujet d’une infinité de discours et de raisonnements. Ne nous arrêtons donc pas plus long-temps sur cet objet.

VI.[16] Peut-être vaut-il mieux considérer la chose en général, et démêler complètement la signification du mot bien (ou souverain bien), quoique cette recherche semble exiger de notre part une certaine réserve, à cause de l’amitié qui nous liait avec ceux qui ont introduit la doctrine des idées. Cependant, c’est surtout parce qu’on est philosophe, qu’on doit attacher plus de prix à la vérité, et lui sacrifier même ses propres opinions ; et, entre ces deux objets de respect et d’affection, l’amitié et la vérité, c’est un devoir sacré de préférer la vérité. Or, ceux qui ont proposé ce système ne regardaient point comme des idées les choses dans lesquelles on peut reconnaître un rapport d’antériorité et de postériorité, et prétendaient, par cette raison, qu’il n’y a pas d’idée des nombres : cependant, le mot bien se dit des substances, des qualités et des rapports ; et, dans l’ordre de la nature, la substance, ou ce qui subsiste par soi-même, existe avant quelque rapport que ce soit ; car le rapport semble n’être qu’un accident, et comme un accessoire de l’être ; en sorte qu’il ne saurait y avoir une idée commune pour toutes ces choses. D’ailleurs, le mot bon se dit d’autant de manières que le mot être ; car il s’applique à la substance : par exemple, à Dieu et à l’ame ; à la qualité, quand on le dit des vertus ; à la quantité, quand on parle de ce qui est médiocre ; à la relation, en parlant de l’utile. Le mot bon s’applique aussi au temps : on le dit de l’occasion ; au lieu : on le dit d’une demeure, d’un séjour, et d’autres choses pareilles. Il est donc évident qu’il n’exprime pas quelque chose qui soit une, commune et universelle ; car alors il ne pourrait se dire que d’une seule catégorie, et non de toutes[17].

Enfin, puisqu’il n’y a qu’une seule science des choses comprises sous une seule idée, il ne devrait y avoir qu’une seule science de tout ce qui est bon ; or, il y a plusieurs sciences du bien, même dans les choses comprises sous une seule catégorie. Par exemple, la science du temps ou de l’occasion : dans la guerre, c’est la stratégie ; dans la maladie, c’est la médecine : et pour la science du médiocre, en fait d’aliments, c’est encore la médecine ; et, en fait d’exercices, c’est la gymnastique. On est même assez embarrassé de savoir ce qu’on doit entendre par l’expression d’idée propre de chaque chose[18], puisque ces expressions idée propre de l’homme, et homme, n’admettent que la même définition, qui est celle de l’homme ; car il ne doit y avoir aucune différence, en ce sens, que la notion homme est comprise dans l’une et l’autre expression. Par conséquent, il en sera de même de la notion du bon et du bien : la durée éternelle (qu’on lui attribue en en faisant une idée) n’ajoutera rien à la bonté, de même que la couleur blanche qui subsisterait pendant des siècles, ne sera pas pour cela plus blanche que celle qui ne durerait qu’un jour. La manière dont les Pythagoriciens[19] s’expriment sur ce sujet, paraît plus conforme à la vérité : ils placent l’unité dans le catalogue ou tableau des biens ; et, sur ce point, Speusippus[20] semble avoir suivi leur doctrine. Mais c’est une discussion qui sera mieux placée ailleurs.

Ce que nous avons dit précédemment peut donner lieu à quelque embarras ; parce qu’il semble que nous n’ayons pas voulu parler de toutes les sortes de biens, mais que nous ayons rangé sous une seule et même espèce, tous ceux qu’on préfère et qu’on recherche pour eux-mêmes ; tandis que ceux qui servent à produire ceux-ci, ou à les conserver, ou à empêcher l’effet de ce qui pourrait nous en priver, semblent, pour cette raison, avoir été envisagés sous un autre point de vue. D’où il suit évidemment que nous admettrions deux sortes de biens : les uns qui sont tels par eux-mêmes, et les autres qui servent de moyens pour obtenir les premiers. Puis donc que nous avons ainsi distingué les biens proprement dits de ceux qui ne sont que simplement utiles, examinons si les biens (proprement dits) sont compris sous une seule idée, et quels ils sont. Seront-ce tous ceux qui, indépendamment de toute autre chose, sont l’objet de nos désirs et de nos efforts, comme l’esprit, la vue, certains plaisirs et certains honneurs ? Car, quoique nous les recherchions pour quelque autre fin, on pourrait cependant les compter parmi les biens proprement dits ; ou les réduire à l’idée, et rien de plus : et alors il ne reste qu’une forme vaine (un mot). Mais si ceux-là doivent faire partie des biens proprement dits, alors il faudra que la définition du bien se retrouve la même dans chacun d’eux, comme celle de la blancheur se retrouve dans la neige et dans la céruse. Or, les définitions de la considération, de l’esprit, et de la volupté, en tant que ce sont des biens, diffèrent entièrement : le bien n’est donc pas quelque chose de commun et qui appartienne à une seule idée.

Cependant, comment se fait-il qu’on se serve toujours du même nom ? Car ici la similitude des termes ne semble pas être l’effet du hasard. Est-ce donc que tous les biens ont une source unique, ou concourent à une fin commune ? Ou l’emploi du même terme est-il, dans ce cas, l’effet d’une simple analogie, comme lorsqu’on dit que la vue est pour le corps ce que l’entendement est pour l’ame, et ainsi des autres analogies, dans d’autres cas ? Peut-être, au reste, est-il convenable de renoncer à cette recherche, quant à présent ; car la solution complète de la question semblerait appartenir plus spécialement à quelque autre partie de la philosophie. Il en est de même de l’idée, puisque, si ce qu’on appelle bien, en général, a une existence absolue et indépendante, il est clair que ce ne peut être une chose que l’homme puisse produire ou posséder ; or c’est là ce que l’on cherche.

On pourrait s’imaginer qu’il vaudrait mieux s’attacher à le connaître par comparaison avec ceux des biens qu’on peut ou produire ou acquérir ; car cette connaissance nous offrirait comme un modèle, d’après lequel nous serions plus à même de savoir ce qui est bon pour nous, et, une fois que nous le saurions, de nous en procurer la possession. Cette manière de raisonner a quelque probabilité en sa faveur : mais, d’un autre côté, elle s’accorde peu avec les procédés des sciences ; car toutes, aspirant à quelque bien, et cherchant à satisfaire quelque besoin, négligent entièrement cette connaissance spéculative. Et pourtant il n’est guère probable que tous ceux qui pratiquent les arts, méconnussent l’importance d’une pareille ressource, et en dédaignassent la recherche. D’ailleurs, on ne voit pas de quelle utilité pourrait être au tisserand, pour la pratique de son art, ou au charpentier, la connaissance du bien en soi ; ni comment, en en contemplant l’idée, le médecin ou le général d’armée deviendraient plus habiles. En effet, il ne parait pas que le médecin considère la santé sous ce point de vue général ; il s’occupe seulement de celle de l’homme, ou plutôt peut-être, de celle de tel individu ; car c’est l’individu qu’il prétend guérir. Mais en voilà assez sur toutes ces questions.

VII. Revenons donc encore une fois à la recherche de ce bien, qui paraît différent dans chaque action et dans chaque art ; car il n’est pas le même pour l’art de la médecine et pour celui de la guerre, et ainsi de tous les autres. Quel est donc le bien pour chacun d’eux, le but en vue duquel on fait tout le reste ? Dans la médecine, c’est la santé ; dans la stratégie, la victoire ; dans l’architecture, la maison ou l’édifice ; dans un autre art, autre chose : en un mot, dans toute action, dans toute détermination raisonnée, c’est la fin ; car voilà pourquoi tout homme fait tout ce qu’il fait. En sorte que, s’il y a une fin commune de tous les actes, ce serait elle qui serait le bien qui peut se faire ; et, s’il y en a plusieurs, ce seront celles-là. Ainsi, après de longs détours, notre raisonnement se trouve ramené au même point. Mais essayons d’y porter plus de lumière. Puis donc qu’il y a plusieurs fins diverses, entre lesquelles il en est que nous prenons comme des moyens pour arriver à d’autres (par exemple, les richesses, et, en général, ce qu’on appelle des instruments), il est évident que toutes ne sont pas parfaites ou absolues. Or, le bien suprême, ou absolu, semble devoir être quelque chose de parfait ; en sorte que, s’il n’y a qu’un seul bien qui soit parfait, ce serait précisément celui que nous cherchons ; mais, s’il y en a plusieurs, ce sera le plus parfait de ceux-là.

D’un autre côté, nous regardons un bien qu’on recherche pour lui-même, comme plus parfait que celui qu’on recherche en vue de quelqu’autre ; et celui qu’on ne peut jamais désirer en vue d’un autre, comme plus complet que ceux qu’on désire à la fois pour eux-mêmes ; et comme moyens d’en obtenir d’autres : en un mot le bien parfait, ou absolu, est celui qu’on préfère toujours pour lui-même, et jamais en vue d’aucun autre.

Or, le bonheur paraît surtout être dans ce cas : car nous le désirons constamment pour lui-même, et jamais pour aucune autre fin ; au lieu que la considération, la volupté, l’esprit, et tout ce qui s’appelle vertu ou mérite, nous les désirons sans doute pour eux-mêmes (puisque, quand il n’en devrait résulter aucun autre avantage, leur possession nous paraîtrait encore désirable) : mais nous les recherchons aussi en vue du bonheur, nous imaginant que nous serons heureux par leur moyen. Au contraire, personne ne recherche le bonheur en vue d’aucun de ces avantages, ni, en général, de quelqu’autre bien que ce soit.

Il semble aussi que le bien parfait ou absolu doive se suffire à lui-même, et de cette condition résultent tous les mêmes effets que nous venons d’attribuer au bonheur. Mais, par cette façon de parler « Se suffire à soi-même », nous n’entendons pas simplement vivre pour soi seul et dans un entier isolement, mais vivre pour ses parens, ses enfans, sa femme, et généralement pour ses amis et ses concitoyens : puisque, par sa nature, l’homme est un être sociable. Toutefois, cette proposition doit être renfermée dans de certaines limites : car, en l’étendant aux générations antérieures, à la postérité, et aux amis de nos amis, cela irait à l’infini. Mais nous reviendrons ailleurs sur ces considérations. Nous entendons ici, par la condition de se suffire à soi-même, un genre de vie qui seul, et sans aucun autre secours, satisfasse à tous les besoins ; et voilà, suivant notre opinion, ce que c’est que le bonheur. C’est ce qu’il y a au monde de plus désirable, indépendamment de tout ce qu’on y pourrait ajouter[21] ; mais, pour peu qu’on en accroisse la somme, il est évident que l’addition du plus petit de tous les biens doit le rendre encore plus désirable ; car ce qu’on y ajoute y met le comble ; or, en fait de biens, ce qui est plus considérable ne saurait manquer d’obtenir la préférence. On peut donc dire que le bonheur est quelque chose de parfait et qui se suffit à soi-même, puisqu’il est la fin de tous nos actes.

Mais, en convenant que le bonheur est ce qu’il y a de plus excellent, peut-être désirerait-on de connaître plus clairement ce qu’il est ; et il semble qu’on y parviendrait, si l’on pouvait connaître quelle est l’œuvre de l’homme[22]. En effet, de même que c’est dans l’action et dans l’ouvrage d’un musicien, d’un sculpteur, d’un artiste en quelque genre que ce soit, et, en général, de tous ceux qui produisent quelque acte ou quelque ouvrage, que l’on reconnaît ce qui est bon et bien, il semblerait que, pour l’homme aussi, on pourrait porter un jugement pareil, s’il y a quelque œuvre qui lui soit propre. Serait-ce donc qu’il y a des actes et des œuvres propres au cordonnier et au charpentier, et aucune qui le soit à l’homme ; et la nature l’aurait-elle fait une créature inerte et incapable de rien produire ? ou plutôt, ne peut-on pas affirmer que de même que l’œil, la main, le pied, et, en général, chacun de nos membres a sa fonction particulière, ainsi l’homme lui-même en a une qui lui est propre ? Mais cette fonction quelle est-elle ? Et d’abord la vie semble lui être commune même avec les plantes : or nous cherchons ce qu’il y a de propre ; il faut donc mettre de côté la vie de nutrition et celle d’accroissement. Vient ensuite la vie sensitive : mais celle-ci encore est commune au cheval, au bœuf, et à tous les animaux. Reste enfin la faculté active de l’être qui a la raison en partage, soit qu’on le considère comme se soumettant aux décisions de la raison, ou comme possédant cette raison même avec la pensée. Or, cette faculté étant susceptible d’être considérée sous deux points de vue[23], admettons d’abord celui sous lequel elle est envisagée comme active, car c’est plus proprement celui-là qui lui donne son nom. Si donc l’œuvre de l’homme est une activité de l’ame, conforme à la raison, ou au moins qui n’en soit pas dépourvue ; et si l’on peut affirmer, qu’outre qu’elle est une œuvre de l’homme en général, elle peut encore être celle de l’homme de bien : comme il y a l’œuvre du musicien, et celle du musicien habile ; et si cette distinction s’applique aux œuvres de toute espèce, ajoutant ainsi à l’œuvre elle-même la différence qui résulte d’une supériorité absolue en mérite ; s’il en est ainsi (disons-nous), et si l’œuvre de l’homme est un certain genre de vie, qui consiste dans l’énergie de l’ame et dans des actions accompagnées de raison, qu’il appartient à l’homme vertueux d’exécuter convenablement, et dont chacune ne peut être accomplie qu’autant qu’elle a la vertu qui lui est propre : il résulte de là que le bien de l’homme est l’activité de l’âme dirigée par la vertu ; et, s’il y a plusieurs vertus, par celle qui est la plus parfaite, et de plus dans une vie parfaite. Car (comme on dit proverbialement) une hirondelle ne fait pas le printemps, ni aussi un seul jour ; de même un seul jour, ou un temps très-court, ne suffit pas pour rendre un homme complètement heureux.

Telle est donc la manière dont nous considérons le bonheur ; car peut-être convient-il de n’en présenter d’abord qu’une esquisse imparfaite, pour pouvoir en faire ensuite une description plus exacte. D’ailleurs, il est facile à tout homme de perfectionner les objets dont les premiers linéaments ont été une fois bien tracés, et d’en saisir plus distinctement les détails ; le temps aussi devient un moyen puissant d’invention et de perfectionnement, et c’est à cette cause que sont dus les progrès des arts, puisque tout homme est capable d’ajouter à chacun d’eux ce qui lui manque. Mais il ne faut pas oublier ce que nous avons déjà dit, et prétendre en tout au même degré d’exactitude ; il y en a un qui est proportionné à chaque objet, et qui ne saurait dépasser les limites propres à cet objet même, et aux procédés qu’on y applique, ou au but qu’on se propose. En effet, le géomètre et le charpentier ne considèrent pas la ligne droite sous le même point de vue : l’un n’y cherche que ce qui peut être utile à la pratique de son art ; et l’autre, qui a pour but la contemplation du vrai, aspire à connaître ce qu’elle est en elle-même. Or, voilà précisément ce qu’il faut faire dans toutes les autres choses, afin que ce qui n’est qu’accessoire, ou moyen, ne l’emporte pas sur le principal, ou sur la fin. Il ne faut pas non plus exiger également dans tous les sujets de recherche, que l’on remonte à la cause ; il y en a où il suffit de bien caractériser le fait, comme cela a lieu quand il s’agit des principes : car le fait existe d’abord et est un principe. Mais, entre les principes, il y en a qu’on peut conclure par induction[24] ; il y en a qui sont donnés par le sentiment, d’autres par la coutume ou par l’habitude, et d’autres autrement. Toujours faut-il s’efforcer de remonter à la nature de chacun d’eux, et s’appliquer à les bien définir, car ils ont beaucoup d’influence sur les conséquences. Aussi croit-on généralement que le commencement est, comme dit le proverbe, plus que la moitié de l’ouvrage[25], et qu’il suffit pour faire entrevoir déjà une grande partie de ce qu’on cherche.

VIII. C’est donc le principe du bonheur qu’il s’agit à présent d’examiner, non seulement par ses conséquences, et par la définition qu’on en donne, mais aussi d’après ce qu’on dit communément sur ce sujet. Car tout ce qui est ne saurait manquer de s’accorder avec la vérité, au lieu que le faux est bientôt en désaccord avec elle. Or, comme nous avons fait trois classes des biens, les uns qui sont appelés extérieurs, ceux de l’âme, et ceux du corps, nous plaçons au premier rang ceux de l’âme, et ce sont eux que nous appelons proprement des biens, attribuant à l’âme les actes et les fonctions : en sorte que notre langage est tout-à-fait conforme à l’opinion qui a été anciennement et universellement admise par tous les philosophes, que la fin de notre vie consiste dans ces actes et dans ces fonctions ; car, de cette manière, on voit qu’elle comprend les biens de l’âme, et non pas les biens extérieurs. Cette définition se trouve confirmée par les expressions de bien vivre et bien agir, dont on se sert ordinairement en parlant d’un homme heureux, puisqu’en effet bonne vie, et bonne conduite, sont des expressions à peu près synonymes de bonheur.

D’un autre côté, toutes les conditions requises pour le bonheur semblent se rencontrer dans notre définition ; car les uns y font entrer la vertu, les autres la prudence, les autres la sagesse ; ceux-ci joignent à ces conditions ou à quelqu’une d’elles, la volupté, ou du moins exigent qu’elle ne soit pas exclue ; ceux-là y comprennent aussi l’abondance des biens extérieurs. Entre ces combinaisons diverses, les unes ont été adoptées par le plus grand nombre, et dès les plus anciens temps, les autres n’ont été admises que par quelques hommes célèbres. Mais il n’est pas croyable que tous aient été complètement dans l’erreur ; il y a lieu de croire, au contraire, qu’ils ont eu raison sur quelques points, ou même sur plusieurs. Au reste, ceux qui prétendent que la vertu, en général, ou quelque vertu particulière, est nécessaire au bonheur, rentrent dans notre définition, puisqu’il est, suivant nous, l’action de l’âme dirigée par la vertu. Cependant il semble qu’il y a une grande différence à faire consister le souverain bien dans la possession ou dans l’usage, dans la disposition à la vertu ou dans la pratique de la vertu[26] ; car la disposition peut exister sans produire rien de bien, comme cela arrive pour un homme qui dort, ou qui demeure, pour quelque cause que ce soit, dans une entière inaction.

Mais, si c’est dans la vie active qu’est le bonheur, on ne saurait faire la même objection, puisqu’il faudra nécessairement, pour être heureux, que l’on agisse, et que l’on agisse bien. Et, de même que dans les jeux olympiques ce ne sont pas les plus beaux et les plus forts qui reçoivent la couronne, mais seulement ceux qui combattent dans l’arène (car c’est parmi eux que se trouvent les vainqueurs) ; ainsi, il n’y a que ceux qui agissent d’une manière conforme à la vertu[27], qui puissent avoir part à la gloire et au bonheur de la vie. Au reste, leur vie est par elle-même remplie de délices : car le sentiment du plaisir appartient à l’âme, et dire qu’un homme aime quelque chose, c’est dire que cette chose lui cause du plaisir ; ainsi, les chevaux, les spectacles, sont des causes de plaisir pour celui qui les aime ; et, de même, quiconque aime la justice, ou, en général, la vertu, y trouve de véritables jouissances.

Toutefois il y a, dans les âmes vulgaires, des jouissances qui semblent se combattre les unes les autres : c’est qu’elles ne sont pas telles par leur nature, au lieu que ce qui est plaisir pour les hommes qui savent goûter le beau, est agréable par sa nature ; et tel est le caractère des actions conformes à la vertu, qu’elles sont agréables par elles-mêmes, et qu’elles charment ceux qui les font. Aussi leur vie n’a-t-elle aucun besoin du plaisir ; c’est, pour ainsi dire, un talisman dont ils savent se passer ; elle le renferme en elle-même. Car, indépendamment de tout ce que nous avons dit à ce sujet, il est évident que celui qui ne prend pas plaisir à faire de bonnes actions, n’est pas véritablement homme de bien ; pas plus que celui qui ne se plaît ni aux actes de justice, ni aux actes de libéralité, n’est juste ou libéral ; et ainsi du reste.

Il suit de là que les actions vertueuses sont des plaisirs, qu’elles sont à la fois bonnes et honorables, et qu’elles réunissent chacune de ces qualités au plus haut degré, si l’homme de bien sait les apprécier comme il faut ; et c’est ainsi qu’il en juge en effet, comme on l’a déjà dit. Le bonheur est donc ce qu’il y a de plus excellent, de plus beau et de plus agréable ; et ces choses ne doivent être ni distinguées ni séparées, comme elles le sont dans cette inscription de Délos[28] : « Ce qu’il y a de plus beau, c’est la justice ; de meilleur, c’est la santé ; et de plus agréable, la jouissance de ce qu’on désire. » Car tout cela se trouve dans les actions les plus parfaites ; or le bonheur est, à notre avis, ou la réunion de toutes ces choses, ou celle d’entre elles qui est la plus excellente. Néanmoins, il semble, comme je l’ai dit, qu’il faille y joindre encore les biens extérieurs ; car il est impossible, ou au moins fort difficile, de bien faire, quand on est entièrement dépourvu de ressources ; il y a même beaucoup de choses pour l’exécution desquelles des amis, des richesses, une autorité politique, sont comme des instruments nécessaires. La privation absolue de quelqu’un de ces avantages, comme de la naissance, le manque d’enfants, de beauté, gâte et dégrade en quelque sorte le bonheur. Car ce n’est pas un homme tout-à-fait heureux que celui qui est d’une excessive laideur, ou d’une naissance vile, ou entièrement isolé et sans enfants. Celui qui a des amis ou des enfants tout-à-fait vicieux, ou qui en avait de vertueux que la mort lui a enlevés, est peut-être moins heureux encore. La jouissance de ces sortes de biens semble donc être, comme je l’ai dit, un accessoire indispensable ; aussi y a-t-il des personnes qui rangent dans la même classe le bonheur et la bonne fortune, et d’autres la vertu.

IX. C’est même cette considération qui a donné lieu à la question de savoir si ce bien suprême peut être le résultat de la science, de l’habitude, ou de quelque autre exercice ou procédé que ce soit ; ou une faveur des dieux, ou l’effet d’un hasard heureux[29]. Et de fait, s’il y a au monde quelque chose qu’on puisse regarder comme un bienfait des Dieux, il est naturel de penser que le bonheur est un don qu’ils ont fait aux hommes, puisque c’est la plus précieuse des choses humaines. Mais l’examen de cette question appartient peut-être plus proprement à quelque autre sujet de recherche. Au reste, en supposant qu’il ne soit pas une faveur des Dieux, mais le résultat de la vertu, ou de l’instruction, ou d’une constante application, le bonheur semble du moins être ce qu’il y a de plus divin, puisqu’il est la fin la plus excellente, et comme le prix de la vertu. On peut même dire qu’il est, en quelque sorte, accessible à tous : puisqu’il n’est point d’homme, pourvu qu’il ne soit pas disgracié de la nature au point d’être incapable de toute vertu, qui ne puisse l’obtenir avec des soins et de l’étude. Or, si le bonheur, acquis de cette manière, est préférable à celui qui ne serait que l’effet de circonstances favorables, il y a lieu de croire que c’est ainsi qu’il faut l’acquérir. Et, s’il est vrai que les choses naturelles doivent à la nature leur plus haut degré de perfection, il en doit être de même des choses qui sont le produit de l’art, ou de quelque cause que ce soit, et surtout de la plus parfaite de toutes. Car il y aurait aussi trop d’absurdité à livrer au hasard ce que nous avons de plus noble et de plus précieux.

La solution de la question qui nous occupe, sort même évidemment de notre définition. Le bonheur, avons-nous dit, est un emploi de l’activité de l’âme, conforme à la vertu ; et quant aux autres biens, les uns sont nécessaires pour le rendre complet, et les autres y servent naturellement comme des auxiliaires, ou d’utiles instruments. Or, cela s’accorde avec ce que nous avons dit au commencement de ce Traité ; car nous avons avancé que la fin de la politique est la plus excellente, parce qu’elle s’applique principalement à donner aux citoyens de certaines qualités, à les rendre vertueux, à leur faire acquérir l’habitude de pratiquer le bien. C’est donc avec fondement que nous ne disons jamais ni d’un cheval, ni d’un bœuf, ni d’aucun autre animal, qu’il est heureux ; car il n’y en a aucun qui soit susceptible du genre d’action ou d’activité qui constitue le bonheur. Par la même raison, nous ne le disons pas non plus d’un enfant que son âge tendre rend encore incapable de cette sorte d’activité : ou, si nous employons cette expression, en parlant des enfants, ce n’est que pour faire entendre l’espérance qu’ils font concevoir ; car les conditions du bonheur sont, comme je l’ai dit, une vertu parfaite, et une vie accomplie. En effet, la vie est sujette à bien des vicissitudes, à bien des chances diverses ; et il peut arriver que celui qui est au comble de la prospérité, tombe, en vieillissant, dans de grandes infortunes, comme les poètes épiques le racontent de Priam. Or personne ne vantera sans doute le bonheur de celui qui, après avoir éprouvé de tels revers, serait mort misérablement.

X. Mais quoi ! ne peut-on prononcer qu’un homme soit heureux tant qu’il est vivant ? Et faut-il, comme le prétendait Solon[30], attendre la fin de sa vie ? s’il en est ainsi, pourra-t-on dire qu’il est heureux, lorsqu’il est mort ? ou plutôt, ne serait-ce pas une chose tout-à-fait absurde, surtout quand on prétend, comme nous le faisons, que le bonheur est un certain emploi de l’activité ? Mais si nous n’affirmons pas que celui qui est mort soit heureux (et ce n’est pas, en effet, ce qu’a voulu dire Solon, mais seulement qu’on ne peut prononcer avec certitude sur le bonheur de l’homme qu’au moment où il se trouve hors de l’atteinte de tous les maux et de toutes les infortunes), cette assertion peut encore, jusqu’à un certain point, être contestée. Car il semble qu’après la mort on pourrait éprouver des biens et des maux, puisque, même pendant la vie, on en éprouve qui n’affectent point les sens, comme les honneurs et les affronts, les événements heureux ou malheureux qui arrivent à nos enfants, et, en général, à notre postérité. Mais cela même est encore sujet à quelque difficulté : car il est possible qu’il y ait bien des vicissitudes dans la fortune des descendants d’un homme qui aura vécu parfaitement heureux jusqu’à un âge avancé, et qui sera mort comme il devait mourir. Il peut se faire qu’entre ses descendants, les uns soient vertueux et jouissent du sort qu’ils méritent, tandis que les autres auront une destinée toute contraire : car il est évident qu’ils peuvent différer de leurs ancêtres de plus d’une manière. Il serait donc bien étrange qu’un homme, après sa mort, éprouvât toutes ces vicissitudes diverses, et qu’il devînt quelquefois heureux, pour redevenir ensuite malheureux ; et, d’un autre côté, il est difficile de comprendre que des parents soient entièrement étrangers ou insensibles, au moins pendant un certain temps, au sort de leurs enfants.

Mais revenons à la question que nous avons proposée d’abord ; car peut-être contribuera-t-elle à la solution de celle qui nous occupe à présent. Si donc il faut voir la fin d’un homme pour le déclarer heureux, non pas comme l’étant actuellement, mais parce qu’il l’a été autrefois, ne serait-il pas étrange, lorsqu’un homme est heureux, que l’on s’obstinât à ne pas dire la vérité sur son état présent, sous prétexte qu’on ne veut pas préconiser le bonheur de ceux qui sont encore vivants, à cause des révolutions auxquelles ils sont exposés ; et parce qu’on regarde le bonheur comme quelque chose de durable et d’immuable, tandis que la destinée humaine est sujette à de fréquentes vicissitudes, que les mêmes personnes peuvent éprouver bien des fois ? En effet, il est clair que si l’on s’attache à observer ces vicissitudes de la fortune, on pourra souvent dire d’un même individu qu’il est heureux, et ensuite qu’il est malheureux, et ce sera faire du bonheur une condition fort équivoque et fort peu stable[31].

Ne pourrait-on pas dire plutôt qu’il n’y a aucune raison d’attacher tant d’importance à ces vicissitudes ? car, enfin, ce ne sont pas elles qui constituent le bien et le mal en soi ; mais la vie humaine a besoin, comme nous l’avons dit, d’en tenir compte, au moins jusqu’à un certain point ; au lieu que ce sont les actions conformes à la vertu, qui décident du bonheur, comme les actions contraires décident de l’état opposé. La question présente vient même à l’appui de cette opinion, car il n’y a rien dans les choses humaines où la constance se manifeste autant que dans les actions conformes à la vertu ; elle y paraît plus que dans les sciences mêmes ; et c’est précisément parce que les hommes parfaitement heureux portent cette constance jusque dans les moindres détails des actions de leur vie, qu’elles sont ce qu’il y a de plus honorable à la fois, et de moins sujet à l’instabilité ; et cela même semble être cause qu’ils n’ont pas, à cet égard, un moment d’oubli.

Ainsi donc, le caractère que nous cherchons se trouvera dans l’homme heureux, et il le conservera toute sa vie. Car les actions conformes à la vertu seront toujours, ou du moins la plupart du temps, ce qu’il fera et ce qu’il considérera avant tout ; et quant aux revers de la fortune, il saura les supporter, quels qu’ils soient, avec dignité et avec calme : car il sera l’homme véritablement vertueux, et dont toute la conduite n’offre rien qui soit à reprendre[32].

D’ailleurs les accidents de fortune étant aussi nombreux que différents par le degré de bien ou de mal qui les accompagne, il est clair que ces chances heureuses ou malheureuses, si elles sont de peu d’importance, n’ont pas une grande influence sur la vie ; tandis que les grandes prospérités la rendent réellement plus heureuse : car naturellement elles sont faites pour l’embellir, et l’usage qu’on en fait donne un nouveau lustre à la vertu. Au contraire, les grandes infortunes diminuent et gâtent, en quelque sorte, le bonheur, car elles, causent de vifs chagrins, et sont, dans bien des cas, un obstacle aux actions vertueuses. Cependant, c’est même alors que ce qu’il y a de grand et de noble dans notre nature brille de tout son éclat : c’est lorsqu’on supporte ces grandes calamités avec résignation, non par insensibilité, mais par générosité et par grandeur d’âme. Au reste, si les actions des hommes décident, comme on l’a dit, de la destinée de leur vie, il est impossible qu’un homme heureux (au sens que nous l’entendons) soit jamais misérable, car jamais il ne fera des actions odieuses et méprisables. Nous croyons, en effet, que l’homme véritablement vertueux et sage sait supporter avec dignité tous les revers de la fortune, et tire toujours le parti le plus avantageux de ce qui est à sa disposition : comme le grand capitaine emploie avec le plus de succès l’armée qui est actuellement sous ses ordres, comme l’habile cordonnier fait les meilleures chaussures avec le cuir qu’on lui donne, et ainsi des autres arts.

Si cela est vrai, il est impossible que l’homme heureux soit jamais misérable. Mais on ne pourra pas non plus le dire heureux, s’il tombe dans la calamité de Priam ; du moins ne serait-il ni variable, ni inconstant dans ses sentiments. Car les revers ordinaires n’altéreront pas facilement son bonheur : il faudra, pour cela, de nombreuses et de grandes infortunes. Et, d’un autre côté, il ne pourra pas redevenir heureux en peu de temps ; mais, en supposant qu’il retrouve le bonheur, ce ne sera que par une durée non interrompue de grandes et éclatantes prospérités.

Pourquoi donc ne dirions-nous pas que l’homme heureux est celui qui agit d’une manière conforme à la vertu dans sa perfection, et qui, de plus, est suffisamment pourvu des biens extérieurs, non pas pour un temps indéterminé, mais dans une vie parfaite ? Ou bien, faut-il ajouter encore qu’il continuera de vivre ainsi, et qu’il mourra comme il convient à une telle vie ? tandis qu’il nous est impossible de lire dans l’avenir, et que nous avons déclaré que le bonheur est la fin suprême et absolue de tous nos vœux et de toutes nos actions. Et, s’il en est ainsi, nous pourrons déclarer heureux ceux qui vivent actuellement, tant qu’ils réunissent et qu’ils réuniront les conditions que nous venons de dire ; mais cette félicité sera seulement celle que comporte la nature humaine. Voilà donc un point suffisamment éclairci.

XI. Cependant, prétendre que le sort de nos enfants et de nos amis ne nous intéresse en aucune façon (après notre mort), serait une assertion trop dure et trop contraire aux opinions reçues. Mais, d’un autre côté, comme les événements auxquels ils sont exposés peuvent être extrêmement divers, et influer d’une manière plus ou moins favorable ou défavorable sur leurs destinées, ce serait une tâche bien pénible et presque infinie que d’entreprendre d’en faire le détail : peut-être donc suffira-t-il de les indiquer en masse et d’une manière générale. Or si, entre les infortunes qui nous touchent personnellement, il y en a qui ont une certaine gravité et une influence positive sur toute notre vie, tandis que d’autres sont beaucoup moins graves, il en sera de même de celles qui touchent les êtres qui nous sont chers. Et d’abord, il y a apparemment beaucoup plus de différence entre les passions et les affections que nous éprouvons pendant notre vie, et celles qui nous touchent quand nous ne sommes plus, qu’il n’y en a entre les grands forfaits et, les grandes infortunes qu’on éprouve réellement, et celles dont la tragédie nous offre la représentation. Et l’on peut déjà se faire ainsi une idée de cette différence ; mais plus encore parce qu’il y a lieu de douter si les hommes, après leur mort, sont susceptibles d’avoir quelque sentiment des biens et des maux. Car on peut croire que, s’il leur en arrive quelque impression, au moins ne peut-elle être que très-faible et très-obscure, soit en elle-même, soit par rapport à eux. Dans tous les cas, elle ne peut guère être de nature à rendre heureux ceux qui ne le sont pas, ou à diminuer la félicité de ceux qui en jouissent. [ Les prospérités ou les infortunes des amis de ceux qui ne sont plus, paraissent donc ne devoir les affecter que trop peu pour les rendre heureux, s’ils ne l’étaient pas, ou pour avoir aucune influence positive sur leur manière d’être][33].

XII. Après avoir ainsi discuté ces questions, examinons si le bonheur est du nombre des choses qui méritent nos éloges, ou de celles qui sont dignes de respect ; car il est évident qu’il n’est point au nombre des facultés[34]. Or il semble que tout ce qui mérite la louange ne l’obtient qu’à raison de quelque qualité, et d’un rapport déterminé à quelque chose : car nous louons l’homme juste, courageux, vertueux ; et même la vertu, à cause des actes et des actions qu’elle produit ; et celui qui est robuste, léger à la course, ou qui a quelque autre avantage de ce genre, à cause de ces qualités dont l’a doué la nature, et des dispositions qu’il en a reçues pour quelque fin bonne et vertueuse. Cela est même évident par les louanges que nous donnons aux Dieux : car il y a quelque chose de ridicule dans l’espèce de comparaison que nous en faisons ainsi avec nous ; mais cela vient de ce que la louange suppose, comme on l’a dit, un certain rapport (d’une qualité à une fin déterminée). Or, si tel est le caractère essentiel de la louange, il est clair qu’on ne doit pas louer les choses les plus excellentes ; mais qu’il y a quelque chose de meilleur et de plus grand qui leur convient ; car nous préconisons la gloire et la félicité des Dieux, et des hommes qui se rapprochent le plus de la Divinité ; et il en est de même des biens. Aussi personne ne songe à louer le bonheur, comme on loue la justice ; mais on le vante, on l’exalte, comme étant une chose meilleure et plus divine. C’est pour cela qu’Eudoxe[35], en soutenant la prééminence de la volupté, remarque avec raison que, de ce qu’on ne la loue pas, quoiqu’elle soit au rang des biens[36], on devait conclure qu’elle est au-dessus de tout ce qui est l’objet de nos louanges ; que Dieu et le bien (en soi) sont dans le même cas, puisque c’est à eux que l’on rapporte tout le reste. Aussi donne-t-on des louanges à la vertu, car c’est elle qui rend capable de faire le bien, au lieu que les éloges[37] s’appliquent aux actions ou aux actes, tant ceux du corps, que ceux de l’esprit ou de l’âme. Mais une discussion plus exacte et plus étendue sur ce sujet appartient peut-être plus proprement aux rhéteurs qui ont traité des éloges ; il nous suffit d’avoir prouvé, par ce qui vient d’être dit, que le bonheur est du nombre des choses qui, par leur perfection, sont dignes de nos respects. Cela semble même résulter de ce qu’il est un principe, puisque c’est pour lui que chacun de nous fait tout ce qu’il fait ; et nous admettons l’opinion que le principe et la cause de tous les biens est quelque chose de respectable et de divin.

XIII. Mais, puisque le bonheur consiste dans l’activité de l’âme, dirigée ou guidée par la vertu dans toute sa perfection, il faut examiner ce que c’est que la vertu ; car peut-être parviendrons-nous, de cette manière, à nous faire une notion plus exacte du bonheur lui-même. Or, il semble que l’homme véritablement habile dans la politique est précisément celui qui médite le plus sur la vertu ; car il travaille à rendre ses concitoyens vertueux et soumis aux lois. Nous en trouvons la preuve dans les législateurs des Crétois et des Lacédémoniens, et dans ceux qui leur ont ressemblé, s’il s’en trouve de tels. Et, puisque cet examen appartient à la politique, on voit que c’est une recherche qui tient au sujet que nous nous sommes proposé au commencement de ce Traité. Au reste, ce n’est que la vertu purement humaine que nous considérons ici ; car nous n’avons cherché que le bien qui est propre à l’homme, et le bonheur que comporte sa nature.

Or, nous entendons par vertu purement humaine, non celle du corps, mais celle de l’âme, et nous disons que le bonheur consiste dans l’activité de l’âme. D’après cela, il est évident que la science générale de l’âme doit, jusqu’à un certain point, être connue de celui qui désire être habile dans la politique ; comme la connaissance des yeux, ou de tout le corps, doit être familière à celui qui voudrait guérir les maladies des yeux, ou de tout le corps[38] : et cela d’autant plus, que la politique est une science plus noble et plus importante que la médecine. Et comme les médecins distingués s’occupent essentiellement d’acquérir la connaissance générale du corps, il faut donc que le politique habile ait fait une étude particulière de l’âme. Voilà pourquoi nous devons entrer dans quelques considérations sur ce sujet, et seulement autant que cela est nécessaire à l’objet de nos recherches ; car une science plus approfondie en ce genre exigerait peut-être plus d’application que n’en comporte le but qu’on se propose. Au reste, il suffira de voir ce que j’en dis dans quelques parties de mes livres exotériques[39], dont on pourra faire usage, et où l’on verra, par exemple, la distinction qu’il faut faire entre la partie raisonnable de l’âme et la partie irraisonnable. Quant à la question de savoir si ces deux parties sont distinctes (et séparables) à la manière de celles du corps, et de toute matière susceptible d’être divisée ; ou bien, si elles ne le sont que pour l’intelligence, étant réellement inséparables de leur nature, comme la partie concave et la partie convexe d’une même circonférence, elle n’est d’aucune importance dans le cas présent.

Il y a pourtant une partie de l’âme irraisonnable qui semble commune même aux plantes ; je veux dire celle qui est cause de la nourriture et de l’accroissement : car on est autorisé à croire qu’il existe une telle faculté de l’âme dans tout ce qui est susceptible de se nourrir, et, en général, dans tous les germes. Enfin, dans les êtres même qui sont parvenus à leur entier développement, il y a plus de raison pour croire que cette faculté est la même, que pour en admettre quelque autre.

Cette partie, ou faculté, paraît donc avoir quelque vertu commune qui n’appartient pas (exclusivement) à l’homme : car il semble qu’elle exerce plus particulièrement son action dans le sommeil ; or, cet état est celui où le vice et la vertu ne sauraient se manifester, et voilà pourquoi l’on dit communément que, pendant la moitié de la vie, il n’y a aucune différence entre l’homme heureux et celui qui est dans l’infortune. L’on sent, au reste, que cela doit être ainsi : car le sommeil est un état de complète inertie pour l’âme, en tant que l’on peut l’appeler vertueuse ou vicieuse ; excepté que peut-être il s’y produit certains mouvements qui donnent lieu à des visions ou à des apparitions plus régulières, dans l’homme sage et vertueux, que dans les hommes vulgaires[40] ; mais en voilà assez sur ce sujet. Il est donc inutile de s’occuper de la faculté nutritive de l’âme, parce qu’elle ne participe en rien à la vertu de l’homme.

Cependant l’âme semble être encore douée d’une autre faculté irraisonnable, quoiqu’elle paraisse, à quelques égards, participer à la raison. En effet, nous louons la raison de l’homme sobre et de l’intempérant[41], et, en général, nous louons la partie raisonnable de l’âme, parce qu’elle nous invite, comme elle le doit, aux actes les plus recommandables. Mais on reconnaît dans chacun de ces caractères une autre partie, qui est opposée à la raison, qui la combat et qui lui résiste, précisément comme les membres frappés de paralysie, lorsqu’on veut les mouvoir à droite, se portent malgré nous à gauche[42]. Il en est ainsi de l’âme : ses désirs, dans l’intempérant, la portent dans un sens contraire (à la raison). Mais, dans les corps, nous voyons la partie qui se refuse (aux mouvements voulus), au lieu que dans l’âme nous ne la voyons pas. Il faut donc croire qu’il y a aussi en elle quelque chose de différent de la raison, qui lui est opposé et qui lui résiste ; mais en quoi consiste cette différence ? Cela n’importe en aucune façon.

D’un autre côté, cette partie semble participer à la raison, comme je viens de le dire ; car, dans l’homme sobre et modéré, elle se montre docile ; et peut-être même l’est-elle plus dans l’homme sage et courageux, car chez lui tout est d’accord avec la raison. Ainsi donc, la partie irraisonnable de l’âme est, en quelque sorte, double ou composée de deux autres : la faculté nutritive, qui n’a rien de commun avec la raison ; la faculté concupiscible (s’il le faut ainsi dire), et, en général, siège des désirs, participant, à certains égards, à la raison, en ce sens qu’elle lui est soumise et qu’elle lui obéit ; à peu près comme nous disons que nous avons de la déférence pour un père, pour des amis, et non pas comme nous avons égard aux démonstrations purement scientifiques. Les avis, les reproches, et, en général, les exhortations de tout genre, auxquelles cette partie irraisonnable est pourtant accessible, en sont la preuve. Que si l’on veut qu’elle soit elle-même le siège de la raison, alors ce sera la partie raisonnable qu’il faudra diviser en deux parties : l’une, siège de la raison proprement dite, et en elle-même ; l’autre, capable seulement d’entendre la raison, et de lui obéir, comme un fils à son père.

Cette distinction sert de fondement à une division ou classification des vertus ; car nous disons que les unes sont intellectuelles, et les autres morales : nous appelons vertus intellectuelles, la sagesse, le jugement et la prudence ; vertus morales, la tempérance et la libéralité. En effet, quand nous parlons des mœurs d’un homme, nous ne disons pas qu’il est habile ou spirituel, mais qu’il est doux ou sobre ; mais nous louons aussi dans l’homme savant et habile, ses habitudes et sa manière d’être ; or, entre les habitudes, on appelle vertus celles qui sont dignes de louange.


  1. On voit ailleurs (Politic., I. i, c.3) qu’Aristote distingue la science ou la profession de l’économe de celle du financier ; et comment, suivant lui, l’un et l’autre considèrent la richesse sous des points de vue différents.
  2. Faculté (c’est-à-dire, pouvoir ou moyen de faire quelque chose) est ici à peu près synonyme de science ou art.
  3. Aristote se sert du mot architectonique, par une métaphore empruntée de l’architecture même, puisque celui qui professe cette science doit tracer le plan d’un monument, et diriger les travaux de tous ceux qui concourent à le construire et à l’embellir. Les écrivains latins ont employé aussi le mot architectari dans ce sens figuré.
  4. « Le motif qui fait entreprendre une chose, c’est la fin. Or, celle-ci n’a pas lieu en vue d’une autre chose ; mais les autres choses se font pour elle. Tellement que s’il y a ainsi un dernier terme, il n’y aura pas progrès à l’infini ; mais s’il n’y a rien de tel, il n’y aura aucun motif pour faire quelque chose. Cependant ceux qui admettent l’infini, ne s’aperçoivent pas qu’ils anéantissent ainsi la nature du bien : car, assurément, personne ne songerait à entreprendre quoi que ce soit, s’il ne devait pas arriver à un terme. »
    Aristot., Metaphys., l. 2, c. 2.
  5. « Faute de connaître la vérité, dit Platon, on manque d’un but qu’il faut sans cesse avoir en vue, dans toutes les actions de sa vie, soit publiques, soit privées. » (De Repub. l. 7, p. 137, Bip.)
  6. Cette idée est fondamentale dans la doctrine morale d’Aristote. « Puisque nous avons résolu de traiter des mœurs, dit-il ailleurs, il convient d’abord d’examiner de quel sujet ou de quel objet les mœurs font partie ; et, pour dire la chose en un mot, elles ne nous semblent appartenir à aucune autre science qu’à la politique. Or, on ne peut rien faire dans la politique, si l’on ne possède pas certaines qualités, ou plus simplement, si l’on n’a pas des vertus. Il faut donc que tout homme qui aspire à diriger avec succès les affaires publiques, ait d’abord des habitudes vertueuses. Par conséquent un traité de la science des mœurs semble n’être qu’une partie de la science politique ; il en est comme le principe ou l’introduction ; et l’ensemble de toutes ces considérations mériterait plutôt, à mon avis, le nom de Politique que celui d’Éthique (ou de Morale.) »
    (Mor. Mag. I. i, c. i.)
  7. Le mot νόμος signifie, en grec, loi, et de plus, usage, coutume, précepte, et même opinion, croyance. Démocrite avait dit, en ce sens, νόμῳ γλυκύ, νόμῳ πικρόν (le doux et l’amer n’existent pour nous que parce que nous les croyons tels), voulant marquer par là l’incertitude du jugement des sens, qu’il appelait obscur, par opposition à celui de l’esprit, qu’il nommait légitime ou pur. Cependant les sophistes, parodiant cette expression de Démocrite, et l’appliquant à la morale, en firent leur fameux adage : νόμῳ καλόν, νόμῳ κακόν (il n’existe de vertu ou de vice que par la loi.) Mais Socrate soutenait que l’homme a reçu de la nature la faculté de discerner le juste et l’injuste, et qu’en cela il obéit à la loi naturelle, qu’il appelle loi non écrite, et même loi de Jupiter. (Voy. Plutarch. De Repugn. Stoic. Philos. § 9.)Platon a réfuté, avec une admirable éloquence, les maximes des sophistes, dans ses livres de la République, et dans son dialogue intitulé Gorgias. Au reste, il n’est pas surprenant que cette maxime si propre à favoriser la tendance constante des hommes violents et ambitieux à s’emparer du pouvoir arbitraire, et à sanctionner par une sorte de légalité les privilèges les plus injustes qu’il leur plaît de s’attribuer, ait été renouvelée à toutes les époques où il s’est élevé quelque tyrannie parmi les peuples. Ainsi Hobbes adopta cette doctrine des sophistes grecs, et s’attacha à préconiser le pouvoir arbitraire auquel elle s’accommode merveilleusement. « Mais ceux qui se sont accoutumés à admirer un pareil pouvoir, dit avec raison Shaftesbury, et à le regarder comme sacré et divin, ne sont pas moins pervertis dans la morale que dans la religion. » (Voy., sur ce sujet, une ingénieuse et savante. Dissertation, en grec moderne, par Steph. Pantazi, imprimée à Leipsick en 1819.)
  8. Voy. M. M., I. i, c. 4, et Eudem. I, i c. 7, 8, et I. 2, c. I. Aristote, en répétant la même observation dans ces divers endroits de ses ouvrages, semble y avoir attaché quelque importance. Pourquoi les expressions bien vivre, bien agir, et être heureux, qui étaient en effet synonymes dans la langue grecque, ne le sont-elles dans aucune des langues de l’Europe moderne ? Serait-ce parce que la forme des gouvernements y fut toujours moins favorable à la prospérité des hommes vertueux ? ou, en d’autres mots, serait-ce parce que la morale et la politique y ont toujours été séparées l’une de l’autre ?
  9. C’est à la doctrine de Platon que notre auteur fait allusion ici, comme on le verra plus clairement dans le chapitre VI.
  10. Voy. Aristot. Topic. 1. 6, c. 3. Analyt. Poster. I. i, c. 2. Physic. Auscult. 1. i, c. i, et Metaphys. 1. 7, c. 4.
  11. Aristote traite, dans sa Logique (Analyt. Poster. l. i, c. 13), de la différence qu’il y a entre les démonstrations fondées sur la simple exposition du fait (τὸ ὅτι), et celles qui se font en remontant à la cause (τὸ διότι) ; et au premier livre de sa Métaphysique, il remarque que les hommes habiles savent bien les faits, mais qu’ils ignorent les causes.
  12. Dans son poëme des Œuvres et des Jours (vers. 293). La même pensée, à peu près, se trouve aussi dans l’Antigone de Sophocle (vers. 720 et suiv.)
  13. Le dernier des rois d’Assyrie. (Voy. Diodore de Sicile, 1. 2, c. 23 ; et Justin, 1. i, c. 3.)Il fut le plus efféminé des hommes. Son épitaphe, composée par le poète Chærilus, peint ses mœurs et ses sentiments. (Voy. Brunck. Analect. t. I, p. 185.)Un de ses capitaines, nommé Arbactus par Justin, et Arbaces par les écrivains grecs, lui ôta l’empire avec la vie. Aristote, dans un autre endroit (Eudem. 1. i, c. 5), joint au nom de Sardanapale celui du Sybarite Smindyrides, dont le luxe et la mollesse furent si célèbres dans l’antiquité. (Voy. la trad. d’Hérodote, par Mr Miot, liv. vi, chap. 127.)
  14. Les mêmes probablement, ou du même genre que ceux qu’il appelle plus loin (c. 13) exotiques, et dont nous parlerons dans l’endroit indiqué.
  15. Dans le chap. 7 du dixième livre.
  16. L’auteur réfute ici l’opinion de Platon, sur la nature du souverain bien, considéré comme une de ces formes éternelles et universelles, auxquelles on avait donné le nom d’idées, et qui étaient regardées comme les modèles ou archétypes de tous les objets de la connaissance et de l’intelligence humaine. Ce chapitre n’a donc d’intérêt que sous le rapport de l’histoire de la philosophie chez les Grecs, et n’est d’aucune importance pour la science proprement dite de la morale. Aristote combat encore cette partie de la doctrine de Platon, dans plusieurs endroits de ses ouvrages. (Voy. Eudem. l. i, c. 8 ; M. M. 1. i, c. i ; Metaphys. 1. 6, c. 14, 1. 16, c. 4 ; Analyt. Poster. 1. i, c. ii).
  17. Ici la doctrine fantastique de Platon, sur les idées, ou modèles éternels des choses et des objets de la pensée humaine, est réfutée par la doctrine arbitraire d’Aristote sur les catégories, ou classes de tous ces mêmes objets ; et il est assez évident que tout ce raisonnement ne prouve rien, ni contre Platon, ni pour Aristote.
  18. Exprimée en grec par le mot αὐτοέκασον. C’est, pour chaque objet, le modèle ou l’archétype, dont Platon supposait que cet objet n’était que la copie ; réalisant ainsi les conceptions de notre esprit, qui sont exprimées par les noms des genres et des espèces. On voit, dans Diogène Laërce (1. 6, sect. 53), qu’Aristote n’était pas le seul qui fût peu satisfait de cette doctrine, dont Platon ne laissait pas de tirer vanité.
  19. Ils avaient formé des tableaux comparatifs des qualités opposées les plus générales, comme fini, infini, — pair, impair, —unité, pluralité, — bon, mauvais, etc. (Voy. Aristot., Metaphys., 1. i, c. 5 ; et Plutarch. de Isid et Osir. § 48).
  20. Neveu de Platon, et qui fut son successeur dans l’école que ce philosophe avait fondée. Aristote, dit-on, acheta trois talents les livres de Speusippus (Diog. Laert., I. 4, sect. 5).
  21. Voy. M. M., I, i, c. 2.
  22. Voy. M. M., 1. i, c. 4 et 5 ; Eudem., 1. 2, c. 1, et Platon, De Repub., 1. i, p. 352, 353.
  23. L’un, comme simple faculté ou puissance, c’est-à-dire, existant même quand on n’en fait aucun usage, comme dans le sommeil, ou dans l’inaction complète ; l’autre, au contraire, comme actuellement agissante.
  24. Aristote explique dans ce traité (I. 6, c. 3), et ailleurs (Analyt. Poster., I. i, c. i), la différence qu’il y a entre l’induction et le syllogisme, ou entre ce que les rhéteurs ont appelé exemple et enthymème.
  25. Notre auteur rappelle encore ce proverbe (Politic, I. 6, c. 3), mais avec quelque différence d’expression.
  26. Voy. M. M., I, i, c. 4.
  27. Voy. Eudem., I. 2, c. 1.
  28. Gravée sur les propylées du temple de Latone, comme le dit notre auteur (Eudem. I, i, c. 1) ; et le distique qu’il cite se trouve parmi les sentences attribuées à Théognis (vs. 255). Platon, au second livre des Lois (p. 661), semble faire allusion à cette inscription de Délos, lorsqu’il dit : « Ce que la plupart des hommes appellent des biens, ne mérite pas ce nom : car on dit communément que ce qu’il y a de meilleur, c’est la santé ; en second lieu, la beauté ; en troisième lieu, la force ; et enfin la richesse. Il y a même encore un nombre infini de choses qu’on appelle des biens… Mais nous pouvons dire, vous et moi, que toutes ces choses-là sont excellentes, quand elles se trouvent appartenir à des hommes justes et religieux ; et qu’elles sont ce qu’il y a de plus funeste à ceux qui sont sans religion et sans vertu. » On peut voir encore ces mêmes pensées rappelées dans le premier livre des Lois (p. 631), dans le Gorgias (p. 451) ; et, sur le même sujet, Clément d’Alexandrie (Strom., 4, p. 483), où il cite un scolie de Simonide ou d’Épicharme. Voy. enfin un fragment de la Créuse de Sophocle, cité par Stobée (p. 552).
  29. Cette question fut souvent agitée par les philosophes et par les sophistes de la Grèce. Socrate, Platon et plusieurs de ses disciples, soutinrent que la vertu est un don de la Divinité. (Voyez les dialogues intitulés : Protagoras, Theages, Euthyphron, Menon.) Cicéron semble même avoir adopté, jusqu’à un certain point, cette opinion : Nemo… vir magnus sine afflatu aliquo divino unquam fuit, dit-il (De Nat. Deor. I. 2, c. 66). Au contraire, d’autres philosophes, et surtout les stoïciens, Zénon, Chrysippe, Cléanthe, Posidonius, etc., prétendirent que la vertu peut être le fruit de l’étude, de l’application, en un mot, d’une raison exercée et cultivée ; et il nous reste, parmi les œuvres de Plutarque, un traité intitulé : Que la vertu peut être enseignée. Enfin, une troisième opinion, qui paraît être celle d’Aristote, et qui est en effet plus conforme à la vérité et à l’observation de la nature humaine, c’est que la culture, l’étude et l’application contribuent essentiellement à développer et à fortifier les bonnes dispositions naturelles de certains individus ; ou à modifier les inclinations vicieuses de quelques autres, de manière à les rendre moins funestes. Sur quoi l’on peut voir encore ce que disent Quintilien (Instit. Orator.,1. 12, c. 2), et Maxime de Tyr (Dissert. 33).
  30. Suivant ce que racontent Hérodote (I. i, c. 31- 33), et Plutarque (Vit. Solon. c. 27), Solon, se trouvant à Sardes, Crésus, roi de Lydie, eut avec lui un entretien, dans lequel le sage athénien s’efforça de faire comprendre au riche et puissant monarque, qu’il ne faut pas se laisser éblouir par la prospérité présente, et qu’on ne peut assurer qu’un homme est heureux, tant qu’il n’a pas échappé à toutes les chances funestes que peut amener le cours de la vie. C’est la pensée exprimée dans ces vers d’Ovide : (Métam., I. 3, vers. 135.)


                                         Ultima semper
    Expectanda dies homini : dicique beatus
    Ante obitum nemo supremaque funera debet.


    (Voy. aussi Aristot. Eudem, I. 2, c. 1 ; Sophocl. Trachin., vs. I-3.)

  31. Ce serait, dit le texte grec, faire de l’homme heureux une espèce de chaméléon, etc. On sait que les anciens ont cru que cette espèce de lézard, qui ne se trouve qu’en Asie et en Afrique, ne se nourrissait que d’air, et prenait à volonté la couleur des objets qui l’environnaient, d’où son nom est devenu, en grec, en latin, et dans la plupart des langues modernes, le symbole de l’inconstance et de la versatilité.


    …Id quoque_ quod ventis nutritur et aurâ
    Protinus adsimulat lactu quoscumque colores.

    (Ovid., Metam., I. 15 vs. 412.)

    Des observations plus récentes ont appris que c’est un animal extrêmement lent dans ses mouvements, qui se nourrit d’insectes, et dont les couleurs changent par l’effet des affections qu’il éprouve, et du mouvement qu’elles donnent à son sang, qui est d’un beau violet, etc. (Voy. le Nouveau Dictionn. d’Hist. naturelle.)

  32. Aristote se sert ici d’une expression métaphorique, employée avant lui par Simonide, ἄνδρα τετράγωνον (littéralement un homme quarré), qui était devenue comme proverbiale : soit parce que la forme cubique était regardée comme présentant naturellement l’idée de la plus grande stabilité, ou parce que la figure quarrée était regardée comme la plus parfaite. Platon, dans le Protagoras (p. 339), cite, avec quelque étendue, les paroles de Simonide ; et Aristote rappelle cette expression métaphorique dans sa Rhétorique (l. 3, c. II).
  33. Cette dernière phrase a été regardée avec raison, par les critiques, comme une glose marginale, insérée dans le texte par quelque copiste peu intelligent.
  34. Voy. M. M. l. i, c. 2 ; Eudem. l. 2, c. 1, où l’auteur établit à peu près la même division des biens, qu’il distingue en honorables, louables, et facultés, donnant à ce dernier terme un sens un peu différent de celui que nous avons indiqué précédemment (c. 1, note 3), mais qu’il adopte encore ici, en sorte que c’est celui qu’il convient de lui attribuer plus généralement.
  35. Eudoxe de Gnide, disciple de Platon. Notre auteur en parle, avec plus de détail, au chapitre 2 du dixième livre de ce traité.
  36. Cicéron (De Fin., l. 4, c, 18) fait voir l’utilité des considérations indiquées ici, en réfutant ce sophisme : tout ce qui est bon est louable ; tout ce qui est louable est honnête : donc, tout ce qui est bon est honnête. « Aristote, dit-il, Xénocrate, et toute cette école, n’accorderont pas cette proposition. » Quippe qui valetudinem, vires, divitias, gloriam, multa aha, bona esse dicunt, laudabilia non dicunt.
  37. Louange (ἔπαινος ), éloge (ἐγκώμιον) diffèrent par des nuances de significations qu’il serait trop long de développer ici, de même que les idées attachées aux mots ἐυδαιμονισμὸς et μακαρισμὸς, qui ont quelque rapport avec les mots célébration, panégyrique, en français, surtout par rapport à la religion. Voyez la Rhétorique d’Aristote (l. i, c. 9).
  38. Platon, dans le Charmides (p. 156), se sert de la même comparaison, dans un sens un peu différent, et prétend prouver qu’il y a une telle connexion entre toutes les parties de l’organisation, qu’on ne saurait guérir les yeux, sans soumettre le corps tout entier à un régime particulier. D’où il conclut qu’on ne saurait même guérir le corps, sans s’occuper aussi du régime de l’âme.
  39. Nom qu’Aristote a donné à ceux de ses ouvrages, ou plutôt de ses discours, où, il traitait des sujets à la portée de tout le monde, ou d’une manière facile à comprendre pour tous. Ses discours, ou ses traités, ésotériques, étaient, au contraire, ceux qui, par la nature du sujet, ou par la manière de le traiter, ne pouvaient être compris que de ceux qui avaient déjà des connaissances étendues, ou qui étaient initiés dans la doctrine de l’auteur. On les appelait aussi Discours de philosophie, ou acroamatiques, etc. Aulu-Gelle (Noct. Attic., l. 20, c. 5), Cicéron (De Finib., 1. 5, c. 5), Plutarque (In Alex.), Clément d’Alexandrie (Strom. l. 5.), etc., sont les écrivains où l’on trouve les principales données propres à résoudre les difficultés que présente la question de savoir dans laquelle de ces deux classes il faut ranger les divers ouvrages d’Aristote. Mr Buhle a mis en tête du premier volume de son édition (Bipont., 1791) une longue et savante dissertation sur ce sujet. Quant à l’opinion de notre auteur sur les parties de l’âme (comme il les appelle), il y revient encore dans le chapitre 13 du septième livre de sa Politique, mais il faut lire surtout ses trois livres De Anima.
  40. Aristote, dans ses Problèmes (Probl. 30, sect. 14), fait encore la même remarque : mais Platon l’a présentée avec cette richesse de couleurs et cet intérêt de sentiment qu’on trouve toujours dans ses écrits. Il oppose le sommeil paisible du juste à ces songes hideux qui assiègent un tyran pendant les nuits, et dans lesquels sa pensée est encore occupée des plus épouvantables forfaits. (Voy. Plat., De Rep.l. 9, init.) Cicéron a traduit tout entier cet endroit de la République de Platon. Voy. Cic. De Divinat., c. 29.
  41. L’un et l’autre, en effet, ont la raison en partage ; l’un agit contre ce qu’elle prescrit, sachant qu’il agit mal, parce qu’il ne saurait vaincre ses désirs ; l’autre s’abstient des actes qu’elle défend, parce qu’il sait qu’ils sont criminels.
  42. Cette opposition trop fréquente entre la raison et les désirs, est admirablement décrite, et présentée sous une allégorie fort ingénieuse dans la République de Platon (l.4, p. 439 et suiv.).