La Mort d’Achille et la dispute de ses armes/Acte IV
ACTE IIII.
Scène premiere.
Dieux ! Severes Dieux, contre nous mutinez,
Vous avez bâty Troye, & vous la ruinez !
Vous faillez comme nous tous parfaits que vous eſtes,
Voſtre ouvrage eſt mauvais puiſque vous le deffaites.
Mais j’ay tort, je blaſpheme, & vous n’eſtes point tels,
Vous eſtes juſtes Dieux, nous coupables mortels,
Ilion juſtement ſouffre ce qu’il endure,
Et c’eſt un chaſtiment, & non pas une injure.
Toy ſous qui l’Univers autrefois a tremblé,
Grande ville deſerte, & Grand tombeau peuplé,
Aide contre toy-meſme à la fureur celeſte,
Couvre ce qui n’eſt plus, opprime ce qui reſte,
Ce coup apaiſera la colere des Dieux,
Et s’il eſt volontaire, il ſera glorieux.
Des reſpects (Polixene) & la mort de Troïle
Sont enfin les doux fruits de l’amitié d’Achille ?
Voilà des traits d’un cœur qui n’adore que vous,
Voila comme il vous aime, & comme il eſt pour nous :
Außi je m’eſtonnois que cet inexorable
Vous euſt veu malheureuſe, & vous euſt crûe aymable,
Euſt connu des attraits parmy tant de malheurs,
Et qu’il euſt veu voſtre œil au travers de ſes pleurs.
Nous luy devions ravir d’une puiſſante amorce
Avec l’inimitié le pouvoir, & la force,
« C’est ainſi qu’on s’aſſure, & c’eſt eſtre imprudens
Qu’aprivoiſer un Tigre, & luy laiſſer des dents. »
Quand j’aperceus Troïle aveuglé par ſa gloire,
Je commençay dés lors à craindre la victoire ;
Je vis où ſe romproit ſon inſolent effort,
Il portoit ſur le front nos malheurs, & ſa mort ;
Achille euſt bien voulu pardonner à mon frere,
Il fut impatient, l’autre fut temeraire.
Quoy vous tonnez ſi peu contre un ſi grand forfait ?
Qui le blaſme à demy l’excuſe tout à fait,
Voſtre frere euſt raiſon de deffendre ſa ville,
Il aymoit un Hector, nous aymions un Achille,
S’opoſoit bravement à ſes pretentions,
Il vouloit le punir, nous le récompenſions,
Le traiſtre fit mourir & ſon frere, & le vôtre,
Il deteſtoit ſa main, elle touchoit la noſtre.
Que n’eus-je meſme ſort, meſme deſſein que luy,
Je n’aurois pas ailleurs recherché de l’apuy,
Et loin d’une action ſi laſche, & ſi honteuſe,
J’aurois veſcu ſans crime, & mourrois glorieuſe.
Bien loin de l’excuſer, je voudrois que ma main
Luy mit pour nous vanger un poignard dans le ſein,
Je me reſſentiray de cette offence extrême.
Je ſuis bien reſolu d’en faire außi de meſme,
Quand nous aurons paßé le jour de noſtre dueil,
Et que mon frere aura ſa pompe, & ſon cercueil ;
Pour la voir tout le peuple eſt deſſus les murailles.
Hé quoy veut-on si toſt faire des funerailles ?
Tentons auparavant un genereux effort,
Tout ce qui doit mourir n’eſt pas encore mort,
Nous devons des ſujets à l’infernal Empire,
Troïle ne vit plus, mais Achille reſpire :
Mon ſuperbe deſſein veut eſtre effectué,
Attendons à bruler que nous ayons tué,
Et pour bien aſſouvir ma vangeance, & la vôtre,
Preparons un bucher devant qu’allumer l’autre.
Si jamais (Polixene) un ſi perfide Amant
Regna dans voſtre eſprit, changez de ſentimant,
Si jamais il y fut, oſtez-le de voſtre ame,
De peur qu’on ne vous bleſſe en frapant cet infame,
Plus que ce traitre objet mon vouloir vous fut doux,
Vous l’aymaſtes pour moi, deteſtez-le pour vous.
Voſtre commandement ne m’eſt pas beaucoup rude,
Je reprends ayſément cette douce habitude :
Si pour un deſloyal je parus m’emflamer,
Ce fut vous obeïr, ce ne fut pas l’aymer :
S’il eſtoit dans mon cœur, ce qu’on ne doit pas craindre,
Je me le percerois pour taſcher de l’atteindre,
Cet amour fut de vous, il eſtoit tout nouveau,
Vous avez eſtouffé voſtre enfant au berceau.
Deteſtable, & perfide, ennemi de ma joye,
Tigre qui dans mon ſang as preſque noyé Troye,
Que ne tiens-je ton cœur ſous mes avides dents,
Et que ne puiſ-je faire en mes deſirs ardens,
En te le devorant, & rongeant tes entrailles,
À ton corps demy-vif de longues funerailles !
Soyez les inſtrumens de mon juſte couroux,
Elle parle à Pâris & à Deiphobe.
Perdez-vous pour le perdre, & qu’il tombe ſur vous :
Ne peut-on pas punir ce cruel adverſaire ?
Quoy, n’eſt-il pas vivant, n’a-t’il pas une mere
Qui craint de voir trop toſt ſes beaux jours abregez,
Qu’il meure, qu’elle pleure, & nous ſommes vangez.
Pour Hector, & Troïle animez vos coleres,
Car vous ne m’eſtes rien, ſi vous n’eſtes leurs freres.
Nous ferons voir, Madame, à voſtre majeſté
Que nous tenons beaucoup de ce qu’ils ont eſté.
Ouy, nous luy ferons voir mourant en braves hommes
Ce qu’Hector nous eſtoit, & ce que nous luy ſommes.
Dans ce noble deſſein vous ne pouvez perir,
Et le jour eſt venu qu’Achille peut mourir,
Le perfide qu’il eſt, ce deteſtable Achille
Demande Polixene en me rendant Troïle,
Il penſe qu’il m’oblige, & croit le ranimer,
Nous faiſant obtenir le temps de l’inhumer.
Son Eſcuyer m’a dit qu’il me prioit de croire
Qu’il n’avoit point commis une action ſi noire,
Qu’à regret ſon ſerment avoit eſté faußé,
Mais qu’il n’avoit rien fait qu’il ne s’y vit forcé,
Qu’il me prioit d’aller feignant un ſacrifice
Au Temple d’Apollon afin que je le viſſe,
Et là qu’il eſperoit de ſe rendre inocent,
Et digne des regards de ſon Soleil abſent,
Moy cachant ma douleur qui taſchoit de paraiſtre,
Ouy j’iray, çay-je dit, parler à voſtre maiſtre.
Vous pouvez aux cheveux prendre l’ocaſion
De faire maintenant une belle action,
Une belle action ſous l’image d’un crime
Au Temple ou vous attend cette noire victime
Que vous immolerez ſur la tombe d’Hector.
Ha ! qu’il meure, ou mourons, conſultons-nous encor ?
Il perira par moy, ſa mort eſt aſſuree,
Les Dieux me l’ont promiſe, & ce bras l’a juree,
De ſon perfide ſang mes fleches rougiront,
Et je feray pallir ſon crime ſur ſon front,
Il verra que ma main, quoy qu’il ſoit plus qu’un homme,
Sçait außi bien donner le treſpas qu’une pomme,
Qu’un nombre de Troyens pour en eſtre témoin
Environne le Temple & nous ſuive de loin,
Si nous le ſurprenons ce n’eſt point choſe eſtrange,
« Car qui trahit un traitre eſt digne de loüange. »
« Quand on ſçait bien choiſir & le temps, & le lieu,
On peut venir à bout de la force d’un Dieu. »
« Qu’un deſir de vengeance eſt doux à ceux qu’il preſſe, »
Ha que j’en ſuis ravie ! une ſeule triſteſſe
Rend en quelque façon mon plaiſir altéré,
C’eſt qu’il a moins de ſang qu’il ne m’en a tiré.
Le Ciel guide vos pas, l’infortuné Troïle
N’aura point les devoirs devant la mort d’Achille,
Je veux qu’il ſoit vangé devant que d’eſtre plaint,
Donc, ô brave Pâris, ſi fort, & ſi peu craint,
Rens deux divers tranſports ſatiſfaîts à meſme heure,
Sois lent, que je me vange, haſte-toy, que je pleure.
On me r’aporte mort, ou je reviens vainqueur.
Ha ! ſi vous le pouvez apportez moy ſon cœur.
Scène deuxieſme.
uy ſans doute il perſiſte en ſes flames impures,
Et je n’en tire point de foibles conjectures.
Il nous a teſmoigné que ſon feu s’eſt éteint.
Et c’eſt par où je voy qu’il eſt encore atteint :
Il monſtroit ſon amour eſtant opiniâtre,
La Grece en murmuroit, il falloit bien combattre.
Mais ſes coups n’ont eſté que de ſubtils moyens
Pour vaincre nos ſoupçons pluſtoſt que les Troyens.
Je veux que cela ſoit, mais apres tout Achille
Pour plaire à Polixene euſt eſpargné Troïle.
Son bras ſe deſchargeoit ſur le ſimple ſoldat,
Attribuez le reſte à l’ardeur du combat,
Il eut une fureur à ſoy-meſme contraire,
Et nous voulut tromper, & non pas les deffaire.
« Außi le plus vaillant eſt le plus aveuglé.
Dans la chaleur des coups un bras n’eſt point reglé,
Il frappe ce qu’il flatte, & l’ardente Bellonne
Couvre les ſiens de sang, & ne cognoiſt perſonne. »
Quoy qu’à tant de Troyens il ait rougy le flanc,
Il pleure dans le cœur ſa victoire, & leur ſang,
Sa fureur n’eſtoit rien qu’une pitié cachee,
Et nous avons de luy cette palme arrachee.
Elle n’eſt pas entiere, Achille en ce beau jour
Fait trop peu pour la Grece, & trop pour ſon amour.
La tréve qu’außytoſt il leur a procuree,
M’est de ſa paßion une preuve aſſurée,
Il veut les conſoler des travaux qu’ils ont eus,
Et ſe veut excuſer de les avoir vaincus.
Un temple eſt icy prés que mon eſprit ſoupçonne,
Le lieu du rendez-vous que cette amour ſe donne,
Couvrons noſtre deſſein du ſervice des Dieux,
La tréve nous permet de viſiter ces lieux,
Ou pluſtoſt demeurons pres des murs de la ville.
Nous ſervirons la Grece, & cognoiſtrons Achille,
Moy pour en faire apres un utille rapport,
Je verray de la ville, & le foible & le fort,
Tu pourras d’écouvrir tout ce qu’Achille braſſe,
Et nous recognoiſtrons, toy ſon cœur, moy la place.
Scène troiſieſme.
ais je ſuis innocent puiſque j’ay combatu
Pour vaincre le ſoupçon que l’armee avoit eu,
Ma reputation n’euſt aquis que du blame,
Et j’euſſe trahy meſme Ilion, & ma flame,
Ce naufrage dernier les approche du port,
Je travaille à leur paix,
Ouy, mais Troïle eſt mort.
Sa temerité ſeule eſt cauſe qu’il ſuccombe,
Je me deffens, il meurt, je me ſoutiens, il tombe.
Hé bien, Achille eſt juſte, il n’a point offencé,
Mais qu’attend l’innocent d’un Juge intereſſé ?
Priam eſt vôtre Juge, il eſt voſtre partie,
Vous venez à l’Autel de même que l’Hoſtie,
Ce ſont des ennemis qui flattent pour tromper,
Qui ne vous ont paré qu’afin de vous frapper,
Vous eſtes menacé d’une affreuſe tempeſte,
Et le Ciel, & l’Enfer grondent ſur voſtre teſte.
Que faittes-vous ici ? qu’eſperez-vous de bon
Pres du tombeau d’Hector, & des Dieux d’Ilion ?
Hecube, & Polixene auront un front ſevere,
Les pourrez-vous fléchir ? L’une eſt ſœur, l’autre eſt mere,
Tant de fiers ennemis vous pourront outrager,
Et s’ils ayment leur ſang ils voudront le vanger :
Empeſchez, juſte Ciel, que ce malheur arrive,
Meurs, ô piété ſainte ! afin qu’Achille vive.
Foible, & trop lâche eſprit à la frayeur ouvert,
Me puis-je pas ſauver, ſi le Ciel ne me perd ?
S’il veut qu’avec mes jours ma gloire ſe conſomme,
Le Ciel n’eſt-il pas Ciel, & ne ſuis-je pas homme ?
Si tu m’as vu ſaigner, tu me peux voir mourir,
La mort eſt un danger que je dois encourir,
« Tout l’effort des humains contre elle eſt ridicule, »
C’eſt le deſtin d’Achille, & ce le fut d’Hercule.
Mais quel preſage as-tu de ce mal que tu crains ?
« Où le malheur ſe voit les preſages ſont vains, »
Quoy pour vous avertir du danger où vous eſtes,
Eſt-il beſoin qu’en l’air s’allument des cometes ?
Que la terre ait pour vous d’horribles tremblemens,
Que le Ciel ſoit en trouble avec les elemens,
Et vous voyant tomber dans un indigne gouffre
Que la Nature éclate à cauſe qu’elle ſouffre ?
Je ſçay dans quel deſordre autrefois elle fût,
Combien elle ſua quand Alcmene conçût,
Tout fut enſevely dans une nuit profonde,
Alcide en ſe formant couta trois jours au monde,
Le monde ſans dommage außi vit ſon trépas,
Le Soleil l’aperçeût, & ne s’en émeût pas,
L’air fut ſans aucun vent, le Ciel fut ſans tonnerre,
Sans orage la mer, ſans abiſme la terre,
Le cours de ces flambeaux ne fut point déreglé,
Lui ſeul perdit le jour, rien n’en fut aveuglé.
Briſeide, & ſes pleurs, vos ſonges, ma triſteſſe,
Vous devroient faire craindre, ils m’agitent ſans ceſſe,
Ces augures encor ſeroient indifferens,
Si vos fatalitez n’en avoient de plus grands
C’eſt Hector, c’eſt Troïle, Hecube, & Polixene,
Je crains la mort des uns, & des autres la haine,
Vous oſtez à la mere un nom qui luy fut doux,
Et vous aymez la Sœur qui ne l’eſt plus par vous,
Vous leur ajouſtez foy, n’eſt-ce pas un preſage
Du peril evident où le ſort vous engage ?
Achille concevroit une ſotte terreur ?
« Ha qui fait tout trembler ne doit pas avoir peur ! »
Il faut, quoy qu’Ilion contre luy s’évertuë,
Que pour le voir mourir Polixene le tuë,
Si tu pleures ſa vie en de ſi belles mains,
Il te dira mourant, je te hay, tu me plains ;
L’arreſt de mon deſtin ſortira de ſa bouche,
Et puis pour me frapper il faut qu’elle me touche,
Entre les plus heureux qui le fut jamais tant ?
Elle vivra vangee, & je mourray content.
Mais je n’eſpere pas des punitions d’elle,
Je ſuis trop peu coupable, elle est trop peu cruelle,
Et puis pour me punir avec plus de rigueur,
Ses beaux yeux ſçavent bien le chemin de mon cœur.
Pour toy ſi ton repos n’eſt pas icy tranquille
Pour vivre ſeurement éloigne toy d’Achille,
Tant de laſches diſcours ſont vains & ſuperflus.
Periſſons, j’y conſens, & je n’en parle plus.
Scène quatrieſme
rains-tu quelque ennemy quand ton œil me contemple ?
Nos gens ne ſont pas loin ?
À la porte du Temple.
Mars n’oſeroit tonner ſur moy, ni ſur les miens.
Mais vous eſtes mortel.
Le voicy, je te tiens.
Voſtre danger eſt grand.
Voit touſjours le danger à la fin le meſpriſe : »
Mais je n’ay pas ſujet de craindre en ce lieu-cy,
Je ne me vis jamais plus ſeurement qu’icy,
Une tréve ſacree eſt ma juſte deffence,
Et par elle s’endort la haine, & la vengeance,
Je goute le repos des plus laſches humains,
Loin des coups, dans un Temple.
Et c’eſt pourquoy je crains.
Je ſais l’endroit fatal où je dois faire breche,
Juſte Ciel, vange Troye, & conduis cette fleche.
Qui ſe prendroit à moy ? qui ſeroit l’inſenſé
Qui viendroit m’attaquer ? mais Dieux ! je ſuis bleßé.
À nous, Troyens, à nous.
Aſſaſsins execrables !
Je vengeray ma mort, infames, deteſtables,
Mais Achille ſuccombe à l’effort de vos coups,
Percez, percez ce cœur, il ſe fioit à vous.
Quoy, je ne mourray pas pour deffendre ſa vie ?
Elle ſera dans peu de la tienne ſuivie.
Apres ce laſche coup, malheureux, vous fuyez.
C’eſt comme nous traittons nos mauvais alliez.
Je ſouffre ce treſpas, dy-moy qui me l’envoye,
Et qui l’a conſpiré ?
Moi, Polixene, & Troye.
Pour vous faire éviter ce funeſte accident,
Alcimede vivoit, il meurt vous deffendant.
Scène cinquieſme
cachez, vous qui tremblez aux actions hardies,
Qu’il eſt des chaſtimens, s’il eſt des perfidies,
Les Dieux me vangeront, non pas ces foibles Dieux,
Ilion les adore, ils ſont pernicieux,
Vous deſirez ma mort, eux außi la ſouhaittent,
Et traiſtres, comme vous, meritent ce qu’ils jettent.
Ha ! que je ſouffre bien ce que j’ay merité
Ayant fait une tache à ma fidélité,
J’ay combatu trop peu, j’ay trop eſpargné Troye,
Si je l’euſſe frappee elle euſt eſté ma proye,
J’euſſe à mes volontez aſſervy ſon deſtin,
Et qui m’a fait eſclave euſt eſté mon butin.
Scène ſixieſme
ntrons effrontément ; c’eſt trop de patience,
Et je crains les effets d’une telle alliance.
Nous ſommes ruinez s’il fait tout ce qu’il peut.
Ô Ciel !
Coulle, mon ſang, Polixene le veut.
Que voy-je ? Achille meurt, ſon propre ſang le noye,
Sa mort eſt ton forfait, triſte, & perfide Troye.
Par quelle perfidie, ou par quelle valeur
Te voy-je, noſtre Amy, reduit à ce malheur ?
Deux mots vous apprendront mon infortune extreme,
Mon amour vous trahit, & m’a trahy moi-meſme,
Priam veut mon treſpas, & Pâris l’entreprend,
Une main ſi debile a fait un coup ſi grand,
Ces laſches ont rompu la tréve, & leur promeſſe :
Mais quoy que mon amour ait offencé la Grece,
Faittes-les reſſentir du tort que j’en reçoy,
Et ne vous vangez pas de moy, mais vangez moy.
Ouy, j’uſeray contre-eux de ta valeur extréme,
Et je m’efforceray d’heriter de toy-meſme.
Que de vives douleurs ! Parque, acheve ton coup,
Je ne veux pas me plaindre, & j’endure beaucoup.
Juge quelle eſt ta faute, Achille, par ta peine,
Voilà ce que te vaut l’amour de Polixene,
Ce ſont de l’ennemy les plus douces humeurs,
Voilà comme il nous flatte.
Il eſt vray, mais je meurs.
D’une eternelle nuit ſa paupiere eſt couverte,
Ris de ton crime, ô Troye ! Argos, pleure ta perte !
Perdons-nous pour jamais un ſi rare threſor ?
Que nous ſert ſans ce bras le conſeil de Neſtor ?
Meſchans, qui violez au meſpris du tonnerre,
Et les loix de la paix, & les loix de la guerre,
Ce bras juſqu’aux enfers vous ira pourſuivant,
Achille n’eſt pas mort puis qu’Ajax eſt vivant :
Souvenez-vous qu’Ajax eſt le vangeur d’Achille,
Que bien-toſt de ſa cendre il en renaiſtra mille,
Les Dieux, vos protecteurs, vous verront trébucher,
Et voſtre ville un jour ſera voſtre bucher.
Mais que veut ce Gregeois ?
Scène ſeptieſme
Funeſtes aventures !
Je vois ce qu’ont predit tant de triſtes augures,
Le camp ſans les ſçavoir commence à s’attriſter,
Et Briſeide vient de ſe precipiter.
Chacun doit reſſentir la mort du grand Achille,
Le corps qui perd ce bras doit bien eſtre debile.
Mais ſans mettre du temps à s’affliger ainſi,
Puis que nous ſommes trois enlevons-le d’icy,
Devant qu’il ait reçeu ſes honneurs, & nos larmes
L’on verra qui de nous remportera ſes armes,
Un ſuperbe tombeau luy doit eſtre erigé,
Außi-toſt mis en cendre, apres plaint, puis vangé.